SECTION 1 SAISIES DE DROIT COMMUN
II. Les biens insaisissables
54.Les règles d'insaisissabilité s'appliquent à toutes les formes de saisies.
La définition des biens insaisissables résulte des dispositions combinées de l'article 14 de la loi du 9 juillet 1991 et des articles 39 et 42 du décret du 31 juillet 1992 ainsi que de dispositions particulières.
55.Lorsque le débiteur entend contester le caractère saisissable ou non des biens placés sous main de justice, il peut saisir le juge de l'exécution dans le délai d'un mois à compter de la signification de l'acte de saisie. Cette contestation échappe aux dispositions fiscales (L 281 et R* 281-1 et suivants LPF ; cf. DB 2313 ).
Cette faculté est prévue par l'article 130 du décret du 31 juillet 1992.
Mais, avant même d'en aborder l'étude, il convient de souligner que la saisissabilité demeure la règle et l'insaisissabilité l'exception. En conséquence, les cas d'insaisissabilité sont d'interprétation stricte.
Les cas d'insaisissabilité sont extrêmement divers. Toutefois, on peut les regrouper en fonction des motifs qui les justifient à savoir : la protection du débiteur et la sauvegarde de l'intérêt général.
1. Insaisissabilité édictée pour la protection du débiteur.
56.Le droit de saisir trouve sa limite dans un souci d'humanité qui conduit à déclarer insaisissables certains biens indispensables à la vie du débiteur.
Ce caractère est reconnu :
- aux objets mobiliers corporels indispensables à la vie du débiteur ;
- aux créances alimentaires ;
- et, tout au moins pour partie, aux salaires, traitements et appointements.
a. Biens mobiliers nécessaires à la vie et au travail du saisi.
57.- Les vêtements,
- La literie,
- Le linge de maison,
- Les objets et produits nécessaires aux soins corporels et à l'entretien des lieux,
- Les denrées alimentaires,
- Les objets de ménage nécessaires à la conservation, à la préparation et à la consommation des aliments,
- Les appareils nécessaires au chauffage,
- La table et les chaises permettant de prendre les repas en commun,
- Un meuble pour abriter le linge et les vêtements et un meuble pour ranger les objets ménagers,
- Une machine à laver le linge,
- Les livres et autres objets nécessaires à la poursuite des études ou à la formation professionnelle,
- Les objets d'enfants,
- Les souvenirs à caractère personnel ou familial,
- Les animaux d'appartement ou de garde,
- Les animaux destinés à la subsistance du saisi, ainsi que les denrées nécessaires à leur élevage,
- Les instruments de travail nécessaires à l'exercice personnel de l'activité professionnelle,
- Un poste téléphonique permettant l'accès au service téléphonique fixe,
- Les objets indispensables aux personnes handicapées ou destinés aux soins des personnes malades.
58.En dehors des biens réservés aux handicapés, tous les autres biens énumérés sont toutefois saisissables s'ils se trouvent dans un lieu autre que celui où le saisi demeure ou travaille, s'ils sont des biens de valeur (en raison de leur importance, de leur matière, de leur rareté, de leur ancienneté ou de leur caractère luxueux), s'ils perdent leur caractère de nécessité en raison de leur abondance ou s'ils constituent les éléments corporels d'un fonds de commerce.
b. Créances alimentaires.
59.L'article 14 alinéa 2 de la loi du 9 juillet 1991 dispose que ne peuvent être saisies « les provisions, sommes et pensions à caractère alimentaire sauf pour le paiement des aliments déjà fournis par le saisissant à la partie saisie ».
1° Les pensions concemées.
60.- La pension alimentaire fixée par le juge aux affaires familiales, à titre de mesure provisoire, dans le cadre d'une séparation de corps ou d'un divorce au profit de l'un des conjoints (art. 255 et 296 C. civil) ;
- La contribution due pour l'entretien et l'éducation des enfants mineurs avant le divorce (art. 256 et 296 C. civil) et après celui-ci (art. 288, 293 et 296 C. civil) ;
- La prestation compensatoire (art. 270 C. civil) versée en capital ou en rente ;
- La pension alimentaire due par l'époux divorcé à son ex conjoint au titre de devoir de secours (art. 282 et 303 C. civil) ;
- Les subsides dus aux enfants naturels (art. 342 C. civil) y compris la pension alimentaire qui leur serait due dans le cadre de la succession (art. 367 C. civil) ;
- Les aliments dus à l'adoptant par l'adopté (art. 367 C. civil) ;
- Les aliments dus par les gendres et belles-filles à leurs beaux-parents et réciproquement (art. 206 et 207 C. civil) ;
- La contribution aux charges du mariage (art. 214 C. civil).
2° La qualification par le juge.
61.Le juge de l'exécution peut également reconnaître un caractère alimentaire à des sources de revenus autres que celles énoncées ci-dessus (des loyers versés à un propriétaire et constituant son unique ressource, des dommages-intérêts réparant un préjudice corporel).
L'article 43 du décret du 31 juillet 1992 permet au juge, tout à la fois, de qualifier d'alimentaires des sommes et de fixer un barème de saisissabilité éventuelle.
c. Les rémunérations du travail et assimilées.
1° Le principe.
62.C'est par renvoi au Code du travail que la loi du 9 juillet 1991 pose le principe d'insaisissabilité partielle des gains et salaires (art. 48 et 49 de la loi, L 145-1 et suivants et R 145-1 et suivants C. travail).
63.Cette insaisissabilité partielle concerne aussi les appointements, traitements et soldes des fonctionnaires civils et militaires et des magistrats (L. 18 janvier 1930 ; D. 24 août 1974).
2° Les situations particulières.
64.Cette insaisissabilité partielle concerne également les allocations versées dans le cadre des conventions de conversion (art. L 322-3 al. 4 C. travail) et les revenus de remplacement des travailleurs privés d'emploi (art. L 352-3 C. travail).
65.Enfin aucune saisie conservatoire ne peut être pratiquée sur des rémunérations.
66.Le caractère alimentaire des droits d'auteur au profit de leurs enfants et conjoints leur confère une insaisissabilité des 4/5 lorsqu'ils sont au plus égaux à la quotité saisissable visée par le Code du travail (art. L 333-3 du Code de la propriété industrielle).
67.Aucun texte de loi ne tranche le problème posé par la saisissabilité des indemnités des élus politiques.
Toutefois, la DB 12 C 2211 n° 9 précise les modalités d'intervention des services en ce domaine.
d. Les prestations à caractère social.
1° Les prestations familiales.
68.Elles sont au nombre de dix :
- l'allocation pour jeune enfant ;
- les allocations familiales ;
- le complément familial ;
- l'allocation de logement ;
- l'allocation d'éducation spéciale ;
- l'allocation de soutien familial ;
- l'allocation de rentrée scolaire ;
- l'allocation de parent isolé ;
- l'allocation parentale d'éducation ;
- l'allocation d'adoption (art. L 511-1 C. sécurité sociale).
Ces prestations sont incessibles et insaisissables sauf pour le recouvrement des prestations indûment versées.
En vertu de ce principe, un blocage de compte par voie d'A.T.D. ou de saisie-attribution ne saurait faire obstacle à l'attribution de ces prestations, l'allocataire pouvant effectuer des retraits dans la limite du dernier versement des prestations (art. L 553-4 al. 11 et 12 C. sécurité sociale).
2° Les prestations d'assurance maladie (art. L 321 et s. C. sécurité sociale).
69.Elles ont des régimes différents :
- les indemnités journalières sont cessibles et saisissables dans les limites fixées par le Code du travail (art. 433-3-C) et le Code de la sécurité sociale (art. L 323-5) ;
- les indemnités en capital ou en rente pour les accidents du travail sont totalement incessibles et insaisissables (art. L 434-1, L 434-2 et L 434-18 C. sécurité sociale) ;
- les prestations en nature (art. 321-1, 1°, 2°, 3°, 4°, 6° et 7°) ne sont cessibles et saisissables que pour le recouvrement des prestations indues.
3° Les prestations d'assurance décès (capital versé aux ayants droit de l'assuré à son décès ; art. 361-3 C. sécurité sociale).
70.Ce capital est incessible et insaisissable sauf pour des dettes alimentaires et pour son recouvrement, si l'obtention résulte d'une fraude.
4° L'allocation aux adultes handicapés (art. 821-5 C. sécurité sociale).
71.Elle est incessible et insaisissable sauf pour le règlement des frais d'entretien de l'handicapé.
5° L'aide personnalisée au logement (art. L 351-9 C. de la construction et de l'habitation).
72.Elle est incessible et insaisissable sauf au profit de l'établissement spécialisé, du bailleur ou de l'organisme payeur.
6° L'aide à la scolarité (art. L 533-4 C. sécurité sociale).
73.Elle est incessible et insaisissable sauf pour fraude à son obtention, pour des dettes alimentaires ou la contribution aux charges du ménage.
e. Les pensions et rentes.
1° Les pensions de retraites civiles des fonctionnaires et militaires et pensionnés de guerre.
74.Elles sont insaisissables et incessibles sauf à concurrence d'un cinquième, en cas de débet envers l'Etat et les autres personnes morales de droit public et pour régler certains frais (frais de justice, frais de dernière maladie, frais funéraires, rémunérations des gens de service - art. L 56 C. des pensions de retraite).
Elles sont saisissables à concurrence d'un tiers pour des créances alimentaires et pour la contribution aux charges du ménage.
Le même régime s'applique aux pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre (art. 106 C. pensions limitaires).
2° Les pensions de vieillesse et rentes d'invalidité versées par la sécurité sociale.
75.Ces pensions ainsi que celles au titre de la reversion au profit du conjoint survivant sont partiellement cessibles et saisissables dans les conditions et limites des salaires (art. L 355-2 C. sécurité sociale).
Ces dispositions s'appliquent aux professions artisanales, industrielles et commerciales (art. L 634-1 C. sécurité sociale), aux pensions de vieillesse payées par la Caisse nationale des barreaux français (art. L 723-22 C. sécurité sociale), aux allocations aux vieux travailleurs salariés (AVTS), aux vieux travailleurs non salairés (AVTNS), aux mères de famille, aux personnes relevant d'un régime spécial de sécurité sociale et aux allocations supplémentaires du fonds national de solidarité (art. L 711-1, L 711-10, L 812-1 et L 815-13 C. sécurité sociale).
f. Indemnités, traitements et situations particulières.
1° Le Revenu Minimum d'Insertion (R.M.I.).
76.L'article 31 de la loi du 1 er décembre 1988 rend incessible et insaisissable le R.M.I. qui constitue une allocation. Toutefois, si le R.M.I. est versé sur un compte de dépôt, l'allocation ne vise plus à assurer la subsistance de son bénéficiaire mais à lui permettre de se constituer un capital. Dans ce cas précis, seule la dernière mensualité de cette allocation reste insaisissable.
2° Les allocations au titre du régime de solidarité.
77.L'article 127 de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998 rend totalement insaisissables et incessibles les allocations d'insertion et de solidarité spécifiques prévues par les articles L 351-9, L 351-10 du Code du travail. Aucun blocage de compte courant ou d'avances ne peut avoir pour effet de faire obstacle à cette insaisissabilité.
Les allocataires peuvent mensuellement retirer le montant de leurs allocations de leurs comptes.
3° Indemnités versées aux agriculteurs.
78.- Les indemnités annuelles d'attente et les primes de départ versées aux agriculteurs sont incessibles et insaisissables (art. 30, L. n° 91-5, 3 janvier 1991 ; art. 35, L. n° 94-114, 10 février 1994).
79.- Les allocations de préretraite des chefs d'exploitation sont cessibles et saisissables dans les mêmes conditions et les mêmes limites que les salaires.
80.- Les allocations de préretraite versées aux agriculteurs contraints de cesser leurs activités pour cause de santé ou d'impécuniosité sont insaisissables (art. 132, L. 29 juillet 1998).
4° Indemnités versées aux rapatriés.
81.Les indemnités versées aux personnes physiques personnellement dépossédées de leurs meubles meublants à usage courant et familial par suite d'événements politiques dans un territoire placé antérieurement sous la souveraineté, le protectorat ou la tutelle de la France, sont incessibles et insaisissables (art. 13, L. n° 82-4, 6 janvier 1982).
2. Insaisissabilité édictée dans un souci d'intérêt général.
Sont insaisissables :
82. 1° Les rentes sur l'Etat.
L'insaisissabilité des rentes sur l'Etat a été instituée par les lois du 8 nivôse an VI (art. 4, al. 1er et du 2 floréal an VII. art. 7).
Toutefois, la portée de cette prohibition est strictement limitée par la jurisprudence à la saisie-arrêt (saisie-attribution) des arrérages entre les mains du Trésor public. Par conséquent, la saisie des titres demeure possible.
83. 2° Les sommes dues aux entrepreneurs de travaux publics tant que leurs ouvriers et fournisseurs n'ont pas été payés (C. travail, art. L 143-6 dit « privilège de pluviôse).
Ces dispositions sont précisées dans la DB 5112 n° 35 .
84. 3° Les effets de commerce.
L'article 140 du Code de commerce dispose qu'il n'est admis d'opposition au paiement d'un effet de commerce qu'en cas de perte du titre ou de faillite du porteur.
85. 4° Les biens meubles et immeubles des syndicats professionnels.
Aux termes de l'article L 411-12 du Code du travail, les immeubles et objets mobiliers nécessaires à la réunion des syndicats professionnels, à leurs bibliothèques et à leurs cours d'instruction professionnelle sont insaisissables sauf en cas d'engagement de leur responsabilité civile.
86. 5° La masse de réserve destinée à constituer un pécule de libération d'un détenu dans un établissement pénitentiaire et à assurer le cas échéant l'indemnisation des victimes (particuliers, collectivités publiques, Etat), sous réserve des prélèvements opérés à ce dernier titre, ne peut faire l'objet d'aucune voie d'exécution (art. 728-1-c C. procédure pénale ; circulaire générale du 27 décembre 1990).
87.6° Les traitements afférents aux décorations militaires (L. 27 février 1957 art. unique).
88. 7° Les traitements des ambassadeurs, ministres plénipotentiaires, agents diplomatiques, fonctionnaires de l'UNESCO (Cass. avis. 8 décembre 1995, Bull. inf. c. cass. 1 er février 1995 p. 4).
89. 8° Les rémunérations des officiers de marine, des quartiers-maîtres de première et deuxième classes et des marins effectuant leur service national (art. 130, décret du 22 octobre 1952 modifié par D. 20 novembre 1992) ainsi que les primes d'engagements des personnels de l'armée de terre (art. 7 L. 24 août 1930).
90. 9° Oeuvres culturelles de l'Etat ou prêtées à l'Etat.
Les dons à l'Etat d'oeuvres d'art, de livres, d'objets de collection ou de documents de haute valeur artistique ou historique acquis par des entreprises sont insaisissables et incessibles à compter de l'acceptation par l'Etat de l'offre de ce don (art. 238 bis - O A CGI).
Il en va de même pour les prêts de biens culturels par une puissance étrangère, une collectivité publique ou une institution culturelle étrangère, destinés à être exposés au public en France, pour la période de leur prêt à l'Etat français ou à toute personne morale désignée par lui (art. 61, L. n° 94-679, 8 août 1994).