Date de début de publication du BOI : 01/06/1978
Identifiant juridique : 12C5112
Références du document :  12C5112

SOUS-SECTION 2 LE PRIVILÈGE DU TRÉSOR

b. Superprivilège des salariés.

30Le superprivilège des salariés prévu par les articles L. 143-10 et 143-11 du Code du Travail (cf. supra C 5111, n° 12 ) prime également le privilège du Trésor.

Toutefois, lorsqu'elle a acquis, dans le cadre d'une procédure de liquidation des biens, la faculté de poursuivre directement le recouvrement de sa créance privilégiée sur l'actif du redevable, l'Administration estime qu'elle n'a pas, dans cette situation, prévue par l'article 80, § 2 de la loi du 13 juillet 1967, à reverser tout ou partie des sommes qu'elle s'est procurée par ses poursuites, même pour tenir compte de l'existence d'une créance de meilleur rang que la sienne, voire superprivilégiée.

2. Privilèges spéciaux primant tous les privilèges fiscaux.

Il s'agit essentiellement des privilèges énumérés ci-après, remarque étant faite que l'ordre dans lequel est faite cette énumération n'est pas attributif de rang.

a. Privilège des frais faits pour la conservation de la chose (Code civil, art. 2102-3°).

31Ils priment le privilège du Trésor dans la mesure où ils ont conservé le gage de celui-ci.

b. Privilège du créancier nanti sur l'outillage et le matériel d'équipement (loi du 18 janvier 1951).

32La loi du 18 janvier 1951 a institué au profit du vendeur d'outillage et de matériel d'équipement professionnel (autres que les véhicules, les navires, les bâtiments de navigation fluviale et les aéronefs), du prêteur qui avance les fonds nécessaires au paiement du vendeur, et de ceux qui lui sont assimilés (caution, donneur d'aval ou endosseur), un nantissement restreint à l'outillage et au matériel ainsi acquis. Ce nantissement est soumis à des règles de forme et de publicité très strictes.

Le nantissement, consenti par acte authentique ou sous seing privé et donné au vendeur dans l'acte de vente et au prêteur dans l'acte de prêt, doit mentionner, à peine de nullité, que le prêt a pour objet d'assurer le paiement du prix des biens acquis. Ceux-ci doivent être énumérés dans l'acte et chacun d'eux doit être décrit d'une façon précise afin de permettre son individualisation.

L'acte mentionne également le lieu où les biens ont leur attache fixe ou indique qu'ils sont susceptibles d'être déplacés.

A peine de nullité, le nantissement doit être conclu au plus tard dans le délai de deux mois à compter du jour de la livraison du matériel d'équipement sur les lieux où il devra être installé.

A peine de nullité, également, le nantissement doit être inscrit dans les conditions prévues aux articles 10 et 11 de la loi du 17 mars 1909 relative à la vente et au nantissement des fonds de commerce, dans le délai de quinze jours à compter de la date de l'acte constitutif du nantissement L'article 10 susvisé précise que le contrat de nantissement est constaté par un acte authentique ou sous seing privé, dûment enregistré. Le privilège qui résulte du contrat s'établit par le seul fait de l'inscription sur un registre public tenu au greffe du Tribunal de commerce dans le ressort duquel le fonds est exploité.

En outre, les-biens donnés en nantissement peuvent être revêtus d'une plaque fixée à demeure indiquant le lieu, la date et le numéro d'inscription du privilège dont ils sont grevés. Cette formalité de publicité complémentaire permet au créancier nanti ou à ses subrogés de bénéficier du droit de suite prévu à l'article 22 de la loi du 17 mars 1909.

Le créancier nanti, ou les subrogés dans le nantissement, lorsque la subrogation est mentionnée en temps voulu en marge de l'inscription, bénéficient, par le seul fait de l'inscription du nantissement, d'un privilège qui, s'il est primé par celui des frais de justice, celui du conservateur et enfin par celui que l'article L. 143-10 du Code du Travail accorde aux salariés, s'exerce par préférence au privilège du Trésor (art. 9 de la loi du 18 janvier 1951).

L'inscription conserve le privilège pendant une période de cinq ans. Elle garantit le principal et deux années d'intérêts. Elle cesse d'avoir effet si elle n'a pas été renouvelée avant l'expiration du délai de cinq ans et peut être renouvelée deux fois.

A défaut de paiement à l'échéance, le bénéficiaire du privilège peut, en application de l'article 2078 du Code civil, faire ordonner en justice que le bien nanti lui demeurera acquis en paiement et jusqu'à due concurrence après estimation faite par expert (Cour de Lyon, 5 mai 1964, JCP , éd. CI 1964-75028), ou qu'il sera vendu aux enchères par un officier public désigné par le président du Tribunal de commerce. Auparavant, le créancier doit toutefois se conformer aux dispositions de l'article 20 de la loi du 17 mars 1909 qui lui fait obligation de notifier la poursuite aux créanciers inscrits sur le fonds quinze jours avant cette notification.

En cas de vente globale du fonds, les biens nantis font l'objet d'une mise à prix distincte ou d'un prix distinct

Les sommes provenant de la vente de ces biens sont attribuées, avant toute distribution, aux bénéficiaires des inscriptions de nantissement.

Toutefois, il a été jugé que le créancier nanti, qui, sommé de prendre communication du cahier des charges, s'abstient de proposer, dans les délais légaux, les moyens de nullité tirés de l'inobservation des dispositions impératives de l'article 15 de la loi du 18 janvier 1951, prévoyant une mise à prix distincte des biens nantis ou un prix distinct si le cahier des charges oblige l'adjudicataire à les prendre à dire d'expert, se met par son fait dans l'impossibilité d'exercer son privilège. Il ne peut être fait droit à sa demande de ventilation « a posteriori » du prix des éléments vendus, une telle mesure allant d'une part à l'encontre des prescriptions de la loi du 18 janvier 1951 et revenant, d'autre part, à modifier le cahier des charges qui a servi de base à l'adjudication déjà intervenue (Cour de Toulouse, 8 février 1972).

c. La privilège du créancier nanti sur les titres émis par la Caisse autonome de la reconstruction.

33Suivant l'article 82 de la loi du 7 février 1953, le privilège du créancier nanti sur les titres émis par la Caisse autonome de reconstruction s'exerce sur les titres grevés par préférence à tous autres privilèges (sauf celui des salaires), et notamment aux privilèges du Trésor.

d. Le privilège du porteur de warrant commercial (ordonnance du 6 août 1945 sur les magasins généraux).

34Pour garantir leurs emprunts, les industriels, commerçants, artisans ou agriculteurs peuvent remettre à leurs créanciers un warrant, c'est-à-dire un effet de commerce, gagé par des matières premières, des marchandises, des denrées ou des produits fabriqués qu'ils ont déposés dans des établissements agréés dénommés magasins généraux.

L'endossement du warrant et sa transcription sur les registres des magasins généraux valent nantissement au profit du créancier porteur du titre et lui accordent notamment le privilège énoncé à l'article 28 de l'ordonnance du 6 août 1945, aux termes duquel « le créancier est payé de sa créance sur le prix, directement et sans formalité de justice, par privilège et préférence à tous créanciers, sans autre déduction que celles :

1° Des contributions indirectes, des taxes d'octroi et des droits de douane dus par la marchandise ;

2° Des frais de vente, de magasinage et autres frais pour la conservation de la chose ».

Le privilège du porteur de warrant commercial s'exerce avant le privilège général des contributions directes (Cass. civ., 8 mars 1955, RJCI , 1955, n° 11, p. 153) et par conséquent avant celui des taxes sur le chiffre d'affaires.

Ainsi, lorsqu'aucun droit indirect n'est dû sur la marchandise le porteur de warrant doit être désintéressé avant le Trésor sur le prix de la marchandise gagée.

e. Le privilège des ouvriers et des fournisseurs d'entrepreneurs de travaux pour le compte de l'État (privilège de pluviôse).

35L'article L. 143-6 du livre I er du Code du Travail dispose : « Les sommes dues aux entrepreneurs de tous travaux ayant le caractère de travaux publics ne peuvent être frappées de saisie-arrêt ni d'opposition au préjudice, soit des ouvriers auxquels des salaires sont dus, soit des fournisseurs qui sont créanciers à raison de fournitures de matériaux et d'autres objets servant à la construction des ouvrages ».

« Les sommes dues aux ouvriers à titre de salaire sont payées de préférence à celles dues aux fournisseurs ».

Institué par le décret du 26 pluviôse an II pour les seuls travaux de l'État, étendu par la suite (loi du 25 juillet 1891) à tous les marchés de travaux publics, maintenant codifié sous l'article L. 143-6 susvisé, ce privilège se justifie par l'intérêt de la collectivité publique, maître de l'ouvrage, et aussi par le souci d'assurer en toute hypothèse la rémunération des ouvriers et des fournisseurs,

1° Existence du privilège.

36Le privilège n'existe que s'il s'agit de marchés de « travaux publics » à l'exclusion des marchés de droit privé mais la notion de travail public est interprétée de façon extensive par la jurisprudence administrative.

Pour se prévaloir du privilège de l'article L. 143-6 du livre I er du Code du Travail, le fournisseur doit pouvoir justifier d'un agrément exprès de l'autorité compétente, porté sur un registre spécial. C'est ce qui résulte de l'article 8 du décret du 30 octobre 1935 (cf. art. 194 du Code des marchés publics). Mais le défaut d'agrément n'entraîne pas l'inopposabilité du privilège aux tiers, à la masse par exemple en cas de liquidations des biens. Il n'est exigé que vis-à-vis des seuls créanciers auxquels le marché a été donné en nantissement.

2° Exercice et rang du privilège.

• Bénéficiaires du privilège.

37Le privilège est accordé aux ouvriers pour le montant de leurs salaires (ou aux tiers subrogés qui les ont désintéressés), aux fournisseurs des matériaux servant à l'exécution des travaux (Cass. civ., 26 mars 1941, S. 1942-1-83 ; DA 1941-194). et aux sous-traitants.

• Assiette du privilège.

38Le privilège s'exerce sur les sommes dues par l'Administration en paiement des travaux ou fournitures (Cass. civ., 30 janvier 1899, DP 1899-1-301).

Il est important d'insister sur la double spécialité de ce privilège :

- quant aux créances garanties, il est limité aux seules fournitures faites pour le travail considéré, qui, sans avoir été nécessairement incorporées à l'ouvrage, ont servi à sa construction ;

- quant aux sommes sur lesquelles il porte, il est limité à celles qui sont dues à l'entrepreneur général pour ce même ouvrage.

Un fournisseur qui a livré des matériaux à un entrepreneur général ou un sous-traitant qui a effectué des travaux pour l'exécution de plusieurs marchés ne saurait donc établir une confusion entre ces différents marchés et, s'il a été complètement désintéressé pour l'un d'eux, se faire payer, sur les fonds restant dus à l'entrepreneur principal au titre de ce marché, les sommes dont ce dernier reste débiteur envers lui pour des fournitures et des travaux effectués dans le cadre des autres marchés.

• Exercice du privilège.

39Le privilège assure à son bénéficiaire un paiement par préférence ; il prime les autres privilèges (sauf celui des frais de justice et des salaires) et notamment celui du Trésor (req., 16 janvier 1940, DH 1940-88). Sa revendication n'est soumise à aucune forme particulière, le créancier pouvant se borner à manifester son intention de s'en prévaloir par un acte quelconque, par exemple par une production au passif d'une liquidation des biens du titulaire du marché (Cass. civ., sect. com., 29 octobre 1952, Bull. civ., n° 327, p. 249).

f. Le droit de préférence du sous-traitant.

40Aux termes de l'article 6, 1 er alinéa, de la loi n° 1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, « le sous-traitant qui a été accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l'ouvrage, est payé directement par lui pour la part du marché dont il assure l'exécution ».

3. Privilège spécial primant seulement le privilège des droits d'enregistrement et le privilège des contributions indirectes.

41Il s'agit du privilège du porteur d'un warrant agricole, d'un warrant hôtelier ou d'un warrant industriel (cf. C 513 et 514 ).

4. Privilèges spéciaux primant seulement le privilège des contributions indirectes.

42Ce sont :

• le privilège du propriétaire pour six mois de loyers échus (CGI, art. 1927 ) ;

• le privilège du vendeur de marchandises encore sous balle et sous corde (CGI. art. 1927 ).

Ce dernier privilège vise le vendeur qui justifie ne pas avoir percu le prix de la marchandise vendue et livrée. Il faut que la marchandise soit encore en l'état dans lequel elle a été livrée, c'est-à-dire, qu'elle soit identifiable sans aucun doute possible.

  III. Cas particulier : le droit de rétention du créancier gagiste

43Le droit de retention est la faculté pour le créancier qui détient un objet appartenant à son débiteur, ou même à un tiers, d'en refuser la restitution jusqu'à complet paiement de sa créance. Au droit de rétention réel, qui est le complément de la possession réelle du bien, la loi a ajouté le droit de rétention fictif, corollaire de la possession fictive.

Le droit de rétention, bien qu'il soit souvent qualifié de privilège, n'est pas un privilège proprement dit au sens de l'article 2095 du Code civil. Il s'agit d'un droit d'une nature spéciale, qui, exercé tant à l'encontre du débiteur que des autres créanciers, produit quelques-uns des effets du privilège et, sans donner un véritable droit de préférence à son titulaire, aboutit cependant, indirectement, à un résultat très voisin.

On distingue traditionnellement le droit de rétention réel et le droit de rétention fictif.

a. Droit de rétention réel.

44Il n'est pas possible de donner une liste exhaustive des créanciers pouvant bénéficier du droit de rétention. A titre d'exemples, on citera :

- le dépositaire, qui, en vertu de l'article 1948 du Code civil. « peut retenir le dépôt jusqu'à l'entier payement de ce qui lui est dû à raison du dépôt » ;

- le créancier gagiste du droit civil, qui a le droit de conserver la chose remise en gage aussi longtemps qu'il n'est pas intégralement payé du principal, des intérêts et des frais.

Le droit de rétention du gagiste présente deux traits caractéristiques : il est à tous égards indivisible (spécialement le gagiste peut retenir toute la chose, même si elle peut être fractionnée, bien qu'il ait été payé en partie) et, d'autre part, il est opposable aux tiers. Si le constituant du gage ou un créancier après saisie vend la chose, le gagiste n'est pas tenu de la livrer ;

- le créancier gagiste du droit commercial (Code com., art. 91 et suiv.), étant précisé qu'aux termes de l'article 92.2 e al., « le créancier est réputé avoir les marchandises en sa possession lorsqu'elles sont à sa disposition dans ses magasins ou navires, à la douane ou dans un dépôt public ou si avant qu'elles soient arrivées, il en est saisi par un connaissement ou une lettre de voiture » ;

- le commissionnaire (Code com., art. 95).