SOUS-SECTION 1 LA SAISIE DE CRÉANCES
SOUS-SECTION 1
La saisie de créances
A. LA SAISIE-ATTRIBUTION
INTRODUCTION
1.La saisie-attribution est une mesure de poursuite qui permet à tout créancier (le saisissant) muni d'un titre exécutoire, constatant une créance liquide et exigible, de saisir entre les mains d'un tiers (le tiers saisi) les sommes d'argent qui sont dues par celui-ci à son débiteur (le saisi) en vue de se les faire attribuer.
2.Cette procédure a remplacé la saisie-arrêt (articles 557 à 580 de l'ancien code de procédure civile, abrogés par l'article 94 de la loi du 9 juillet 1991) à compter du 1 er janvier 1993. Elle est régie par les articles 42 à 47 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 et 55 à 79 du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 dont les textes sont reproduits en annexes 1 et 2 1 .
3.Les objectifs essentiels de cette modification ont consisté :
- à accélérer la mise en oeuvre de la saisie en évitant le recours systématique au juge (procédure extra-judiciaire) ;
- à donner un caractère immédiat à l'attribution de la créance saisie au profit du créancier saisissant.
A noter que l'ancienne procédure permettait de saisir des créances mais aussi tous objets mobiliers corporels ou incorporels, alors que la nouvelle ne peut attribuer au saisissant qu'une créance portant sur une somme d'argent (art. L 42 et D 55).
La saisie des rémunérations (art. L 48 et D 80) et la saisie des droits incorporels, notamment des droits d'associés et des valeurs mobilières (art. L 59 et D 178) obéissent quant à elles à leurs propres règles et seront étudiées dans une autre sous-section.
4.Outre les principes généraux de la saisie-attribution, il sera traité ci-après de la saisie des comptes de dépôt, des créances à exécution successive, ainsi que de la saisie entre les mains d'un comptable public qui font l'objet de règles particulières.
I. Principes généraux
1. Conditions d'exercice de la saisie-attribution.
5.Au delà des conditions générales exigées pour toutes les saisies, la saisie-attribution doit satisfaire à des conditions particulières résultant de la structure même de sa procédure qui met en cause non pas deux mais trois personnes.
Ces conditions sont relatives :
- aux acteurs de la saisie-attribution ;
- à la créance cause de la saisie-attribution ;
- à la créance objet de la saisie-atribution.
a. Les conditions relatives aux acteurs de la saisie-attribution.
6.La procédure de saisie-attribution est une opération triangulaire faisant intervenir trois personnes : le créancier saisissant, le débiteur saisi et le tiers saisi.
Sur ces points, les principes applicables à l'ancienne saisie-arrêt n'ont pas été fondamentalement modifiés.
1° Le créancier saisissant.
7.L'article 42 de la loi du 9 juillet 1991, dispose que : « tout créancier...peut... saisir entre les mains d'un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d'argent... ». Il en résulte que, tout créancier chirographaire, gagiste, privilégié ou hypothécaire peut utiliser la saisie-attribution dès lors qu'il est créancier personnel du saisi.
8.Aux créanciers proprement dits, il convient d'ajouter leurs ayants cause et leurs représentants.
9. Cas particulier - Action oblique (article 1166 du Code civil).
La jurisprudence avait admis que le créancier d'un débiteur négligent puisse exercer à sa place une saisie-arrêt sur ses propres débiteurs par la voie de l'action oblique (Civ. 25 sept. 1940, J.C.P. 1941. II. 1621, note Madray : 21 janv. 1942, D.C. 1943. 133, note J. Carbonnier ; Civ. 1ère, 27 mai 1970, J.C.P. 1971 II. 16675, note G. Poulain Rev. trim. dr. civ. 1971. 411 obs. P. Raynaud : Civ. 2e, 23 nov. 1983, Bull. civ. II n° 188, D. 1984, I.R. 300).
Dans cette hypothèse, le débiteur principal négligent était à la fois saisissant, par l'intermédiaire de son créancier, et saisi par ce même créancier.
L'exercice de l'action oblique n'étant pas considéré comme une mesure d'exécution, il était admis que le créancier agissant sur le fondement de l'article 1166 du Code civil n'avait pas l'obligation d'être muni du titre exécutoire du débiteur à la place duquel il agissait (CA LYON, 2 décembre 1957, Gaz. pal. 1958.1.133).
Ces solutions sont transposables à la saisie-attribution.
Toutefois, la Cour de cassation exigeait, sous l'empire de l'ancienne procédure de saisie, que le débiteur négligent soit mis en cause au cours de l'instance en validité, afin qu'il soit partie au procès.
La nouvelle procédure ne prévoyant plus d'instance en validité, il y a lieu de considérer que la mise en cause du débiteur négligent sera opérée par la signification à ce dernier d'une copie des actes de saisie-attribution (acte signifié au tiers saisi et dénonciation au débiteur saisi).
2° Le débiteur saisi.
10.En principe, tout débiteur peut être saisi à condition qu'il soit débiteur personnel du créancier saisissant.
3°. Le tiers saisi.
11.Il s'agit de toute personne tenue, au jour de la saisie, d'une obligation portant sur une somme d'argent. Le tiers saisi est le débiteur du débiteur saisi et c'est entre ses mains que la saisie-attribution est pratiquée (cf. article 42 de la loi du 9 juillet 1991). Deux conditions sont donc requises :
- il doit être un tiers par rapport au saisi ;
- il doit être débiteur du saisi.
→ Etre un tiers à l'égard du saisi.
12.Est tiers par rapport à un acte juridique celui qui n'est pas partie à cet acte. C'est pourquoi, dans la saisie-attribution - comme c'était le cas dans la saisie-arrêt - le tiers saisi doit être extérieur au rapport de droit existant entre le créancier saisissant et le débiteur saisi.
Sont considérés comme des tiers par la jurisprudence : le banquier, le séquestre, le dépositaire, le transporteur, le mandataire conventionnel ou légal, le liquidateur judiciaire, le tuteur, le curateur à succession vacante, le notaire (Cass. civ. 2ème, 16 février 1978, JCP 1979 éd. G. Il 19055), l'huissier de justice, l'avoué et l'avocat détenteur de fonds (TGI ROUEN, 23 avril 1987, Dalloz 1988, 47, note PREVAULT), les sociétés à l'égard de leurs membres, la caution.
→ Etre débiteur du saisi.
13.La saisie-attribution étant une saisie de créance, il ne suffit pas que le tiers saisi soit un tiers à l'égard du saisi. Il faut aussi qu'il soit son débiteur ou à tout le moins en relation avec le débiteur saisi en vertu d'un lien d'affaire ou d'obligation.
14. Cas particulier :
- La saisie-attribution sur soi-même
L'ancienne législation avait admis la saisie-arrêt sur soi-même. Elle consistait pour celui qui était à la fois créancier et débiteur de la même personne, à saisir-arrêter entre ses propres mains la somme dont il était débiteur pour assurer le paiement de la somme dont il était créancier (Req. 27 juillet 1891, DP 92, 1, 430 ; Cass. civ. 22 mars 1982, Bull. civ. Il n° 51 ; 10 octobre 1990, Bull. civ. Il n° 193).
Le remplacement de la saisie-arrêt par la saisie-attribution paraît ne rien avoir changé aux solutions déjà acquises. Même si la loi de 1991 et le décret de 1992 ne font pas directement allusion à cette question, l'article D 55 précise que le créancier « peut faire procéder à une saisie entre les mains de toute personne tenue.....envers son débiteur ».
Cette formule très large peut donc s'appliquer au saisissant lui-même.
S'agissant évidemment de créances réciproques, les comptables ont le choix entre :
- d'une part, la mise en oeuvre de la compensation légale (cf. 12 C 2214 ) :
- d'autre part, le recours à la procédure de saisie-attribution, sauf si l'imposition bénéficie du privilège du Trésor auquel cas ils doivent recourir de préférence à celle de l'avis à tiers détenteur (cf. 12 C 222 ).
Il convient d'observer cependant que, si l'exercice de la compensation légale exige que les créances réciproques soient certaines, liquides et exigibles, la procédure de saisie-attribution sur soi-même peut, quant à elle, être valablement engagée alors que la créance du redevable n'est que conditionnelle ou à terme, voire en germe.
Il suffit que celle de l'Administration, qui fonde la mesure d'exécution, remplisse les conditions de liquidité et d'exigibilité précitées.
Dans ces cas, il est préférable de procéder par voie de saisie-attribution.
- Saisie-attribution et remboursement de crédit de TVA
Pour les raisons évoquées ci-dessus, la saisie-attribution, dont l'effet est immédiat, doit être utilisée, de préférence à la compensation, dans les cas où le comptable entend appréhender la créance résultant d'une demande de remboursement de crédit de TVA, qui constitue une créance conditionnelle dès le dépôt de cette demande.
b. Les conditions relatives aux créances visées dans la saisie.
15.La saisie-attribution, comme l'ancienne saisie-arrêt, met en jeu deux créances distinctes, la créance du saisissant contre le débiteur saisi, appelée créance cause de la saisie, et la créance du débiteur contre le tiers saisi, qui est la créance objet de la saisie ou créance saisie.
1° La créance cause de la saisie-attribution.
→ Les conditions de fond.
16.La créance détenue à l'encontre du débiteur doit être certaine, liquide et exigible.
La créance est liquide lorsqu'elle est évaluée en argent ou lorsque le titre sur lequel elle repose contient tous les éléments permettant son évaluation (cas du jugement condamnant un tiers au profit du comptable des impôts).
La créance est exigible lorsqu'elle est échue et que le créancier est en droit d'en demander le paiement immédiat à son débiteur.
17. NOTA : S'agissant des créances fiscales, les conditions d'exigibilité sont fixées par la loi elle-même. Toutefois, les mesures d'exécution sont subordonnées à l'authentification de la créance par voie d'avis de mise en recouvrement et ne peuvent être engagées qu'à l'expiration d'un délai de vingt jours suivant la notification d'une mise en demeure (voir ci-après).
→ Les conditions de forme
18.Le créancier doit être en possession d'un titre exécutoire pour procéder à la saisie-attribution.
Le titre exécutoire dont disposent les comptables des impôts est constitué par l'avis de mise en recouvrement qui authentifie la créance fiscale ou par une décision de justice ayant force exécutoire.
A cet égard, l'ordonnance de référé qui, aux termes de l'article 514 du N.C.P.C. a force exécutoire de droit, constitue un titre exécutoire permettant une saisie-attribution, et il importe peu qu'elle ait un caractère provisoire (CA TOULOUSE, 15 mars 1993, rev. huissiers 1994, p. 632). La procédure de saisie-attribution devra être utilisée dans les cas où le titre exécutoire concerne une créance non privilégiée, pour laquelle la procédure de l'avis à tiers détenteur n'est pas autorisée.
Tel est le cas, par exemple, de la créance résultant d'une condamnation du tiers saisi qui ne défère pas à un avis à tiers détenteur (cf. 12 C 222 ).
19. Remarque : Celui qui est dépourvu de titre exécutoire ne pourra recourir qu'à la saisie conservatoire des créances (cf. articles L 74 à L 76 et D 234 à D 243).
Dès que le créancier détient un titre exécutoire, il peut demander le paiement de la créance saisie. Cette demande comporte attribution immédiate de la créance saisie à concurrence des sommes dont le tiers saisi s'est reconnu ou à été déclaré débiteur (art. L 76 al. 2).
2° La créance objet de la saisie-attribution.
→ La saisie-attribution ne peut porter que sur une somme d'argent.
20.La saisie-attribution ne permet de saisir entre les mains d'un tiers que des sommes d'argent (art. L 42) à l'exclusion des créances de rémunération du travail qui font l'objet d'une procédure de saisie particulière.
Par ailleurs, bien que les pensions de retraite n'entrent pas dans le cadre d'un lien de subordination juridique, elles ne peuvent être saisies que par la procédure spéciale de saisie des rémunérations prévue aux articles L 145-1 et suivants du Code du travail et non par voie de saisie-attribution (Cass. civ. 21 juillet 1995, Bull. cass. n° 11 p. 9).
D'une manière générale, cet avis concerne toutes les prestations pour lesquelles les textes qui les constituent indiquent qu'elles sont cessibles et saisissables dans les mêmes conditions que les salaires.
NOTA : Les dispositions figurant sur ce point dans le BOI 12 C-3-98 n° 20 ) sont rapportées).
→ La saisie-attribution doit porter sur des créances saisissables.
21.L'article 13 de la loi du 9 juillet 1991 précise que les saisies peuvent porter sur tous les biens appartenant au débiteur.
Mais l'article L 14 (cf. également art. D 38) pose certaines exceptions en énumérant des biens insaisissables et en rappelant, de manière plus générale, que « ne peuvent être saisis : 1° les biens que la loi déclare insaisissables ».
La saisie-attribution n'échappe évidemment pas à cette règle.
22.Il est précisé que lorsqu'un compte bancaire est crédité du montant d'une créance insaisissable en tout ou partie, l'insaisissabilité se reporte à due concurrence sur le solde du compte (art. L 15 et D 44 à D 47 ; cf. infra n° 128 ).
→ La créance saisie-attribuée doit exister et être disponible.
23.La créance que l'on désire appréhender doit avoir une existence certaine au jour de la saisie.
A défaut, la saisie serait nulle, faute d'objet, même si le débiteur était devenu ultérieurement titulaire d'un droit. Ainsi, il n'y aura pas de saisie possible sur des créances que le débiteur serait appelé à recueillir dans une succession non ouverte.
24.Toutefois, il est admis qu'une saisie peut appréhender une créance « en germe » dans le patrimoine du saisi, c'est-à-dire une créance dont le principe ne peut être discuté mais qui ne remplit pas encore les conditions de liquidité et d'exigibilité au moment de la saisie (pour un exemple d'application en cas de saisie par voie d'avis à tiers détenteur, Cass. com. 1er mars 1994, BOI 12 C-6-94, Bull. civ. Il n° 88 p. 67).
Sous l'empire du droit antérieur (saisie-arrêt) il a été jugé en ce sens que la créance d'un médecin conventionné d'une caisse de sécurité sociale contre celle-ci, était susceptible d'être frappée de saisie-arrêt, dès lors que la caisse lui versait périodiquement des honoraires. Cette circonstance permettait d'admettre que la créance d'honoraires se trouvait en germe de façon permanente dans les obligations de la caisse par le simple jeu de la convention passée entre cette caisse et le médecin (Cass. civ. 2è, 14 décembre 1973, Gaz. Pal. 1974, 1, som. 11).
Selon le même principe, la Cour de cassation a considéré qu'une saisie-arrêt opérée, entre les mains d'un notaire, antérieurement à la perception par celui-ci d'un prix de vente pour le compte du débiteur saisi, devait recevoir plein effet (Cass. civ. 16 février 1978, JCP 1978, éd. N., Il, 275 ; JCP 1979, II, 19055).
25. Mais une créance simplement éventuelle ne suffit pas (Rapp. Cass. civ. 3 mars 1971, Gaz. pal. 1971, 1, 322).
Au demeurant, la nouvelle législation indique qu'une saisie peut porter sur des créances conditionnelles, à terme ou à exécution successive (art. L 13).
Pour ces dernières, des dispositions particulières précisent les conditions de sa mise en oeuvre (art. D 69 à D 72 ; cf. infra n° 146 ).
Bien entendu, la créance saisie affectée d'un terme, d'une condition ou d'une ou plusieurs échéances, passe alors dans le patrimoine du créancier avec cette modalité (art. L 13, 2ème alinéa).
Il en résulte que le créancier saisissant doit attendre le terme, l'échéance ou la réalisation de la condition pour exiger le versement des sommes correspondant à la créance appréhendée.
26. Il faut aussi que la créance soit disponible ce qui exclut :
- la créance ayant déjà fait l'objet d'une saisie conservatoire (art. L 29 al. 1er) ;
- la créance ayant déjà fait l'objet d'un avis à tiers détenteur (art. 86 de la loi de 1991, modifié par la loi n° 91-1323 du 30 décembre 1991) ;
- la créance qui a déjà été cédée à un tiers, que ce soit selon les formes de la loi du 2 janvier 1981 (dite « loi Dailly ») ou par escompte d'un effet qui la mobilise. Dans ce cas, il sera important de déterminer la date précise à laquelle la créance a été cédée, soit en principe la date portée sur le « bordereau « Dailly » (art. 4 de la loi de 1981 ; Cass. com. 19 mai 1992, Soc. Facto france Heller c/ccf) et en matière d'escompte, la date à laquelle s'opère le transfert de propriété de la provision (remise de l'effet ; Cass. com. 18 février 1986, Bull. civ. IV n° 20).
1 Afin d'alléger la présentation, les références à la loi et au décret sont exprimées par l'indication du n° de l'article précédé de la lettre « L » ou « D » suivant le cas.