SOUS-SECTION 3 LA SAISIE IMMOBILIÈRE
III. Conditions relatives au bien saisi
1. Principe.
19.Aux termes de l'article 2204 du Code civil, le créancier peut poursuivre la saisie :
- des biens immobiliers et de leurs accessoires réputés immeubles appartenant en propriété à son débiteur ;
- de l'usufruit appartenant au débiteur sur les biens de même nature.
En principe donc, tous les immeubles peuvent être saisis, soit entre les mains du débiteur, soit entre les mains d'un tiers (cf. supra n°s 12 et suiv. ).
A titre d'exemple, on peut distinguer :
a. Les immeubles par nature.
20.Il s'agit essentiellement des fonds de terre, des bâtiments, des lots de copropriété (Cass. civ., 3, 15 novembre 1989, Bull. civ. III n° 213), des arbres et plantations des produits du sol (fruits et récoltes). En principe, ces trois derniers éléments ne peuvent être saisis qu'avec le sol lui-même, mais les fruits et récoltes peuvent faire l'objet d'une saisie-vente lorsqu'ils sont proches de leur maturité (cf. décret n° 92-755 du 31 juillet 1992, art. 134 à 138) ou, a fortiori, lorsqu'ils sont détachés.
b. Les immeubles par destination.
21.En principe, la saisie des immeubles par destination doit intervenir en même temps que celle de l'immeuble par nature à l'exploitation duquel ils sont affectés.
Toutefois, ils peuvent être saisis par le vendeur impayé pour paiement de leur prix (art. 14-5ème, loi du 9 juillet 1991).
Par ailleurs le créancier bénéficiant d'un nantissement sur matériel et outillage, peut exercer son privilège sur les biens grevés même s'ils deviennent immeubles par destination (cf. art. 8 de la loi du 18 janvier 1951). Toutefois, pour que son privilège soit opposable au créancier hypothécaire préalablement inscrit sur l'immeuble, le créancier nanti sur le matériel doit notifier par acte extrajudiciaire audit créancier une copie de l'acte de nantissement. Cette notification doit, à peine de nullité, être faite dans les deux mois de la conclusion du nantissement (art. 9 de la loi du 18 janvier 1951).
Il semble possible, par ailleurs, d'assimiler aux immeubles par destination certains droits accessoires qui donnent sa valeur à l'immeuble, tel par exemple un droit de bail portant sur un immeuble voisin. Ainsi, un jugement du tribunal civil de VERSAILLES du 27 avril 1964 (SJ 1965, II, 14299) a décidé que le droit de bail portant sur un terrain accessoire à l'immeuble saisi pouvait être compris dans la saisie immobilière, car ce droit accessoire apparaissait comme un complément de l'immeuble, lequel aurait perdu une grande part de sa valeur s'il en avait été dissocié.
c. Les immeubles par l'objet auxquels ils s'appliquent.
22.Il s'agit des droits réels portant sur les immeubles autres que le droit de propriété.
Ainsi peuvent être saisis :
- L'usufruit (Code civ., art. 2204) et le droit d'emphytéose (Code rur., art. 937 et suiv.) sur un immeuble ;
- Le droit d'un concessionnaire de mines (Code min., art. 1er) ou d'un concessionnaire d'énergie hydraulique (loi du 16 octobre 1919, art. 21) ;
- Le droit de nue-propriété ;
- Le droit de copropriété ( à distinguer de la part indivise) ;
- Le bail à construction (L 16 décembre 1964) qui confère au preneur un droit réel immobilier (C. urbanisme, art. L 251-3).
Par contre, ne peuvent être appréhendés par voie de saisie immobilière : les servitudes, le droit d'usage et d'habitation, droit attaché à la personne, et les parts de sociétés immobilières qui sont des créances et ont donc un caractère mobilier (PARIS, 2ème ch. B, 16 juin 1989, D 1990, S, 503).
2. Cas particuliers.
23.Le principe, selon lequel tous les immeubles peuvent être saisis, comporte certaines limitations.
a. Immeubles appartenant à un incapable.
24.Les immeubles d'un mineur, même émancipé, ou d'un majeur en tutelle, ne peuvent être mis en vente avant la discussion du mobilier (cf. supra n° 9 ).
b. Restriction au droit de saisie résultant de l'article 2209 du Code civil.
25.Aux termes de cet article, « le créancier ne peut poursuivre la vente des immeubles qui ne lui sont pas hypothéqués, que dans le cas d'insuffisance des biens qui lui sont hypothéqués ».
c. Restriction au droit de saisie résultant de l'article 2212 du Code civil.
26.Si le débiteur justifie, par baux authentiques, que le revenu net et libre de ses immeubles pendant une année suffit pour le paiement de la dette en capital, intérêts et frais, et s'il en offre la délégation au créancier, la poursuite peut-être suspendue par les juges. Elle peut-être reprise s'il survient quelque opposition ou obstacle au paiement.
d. Immeuble en indivision.
27.Le régime de l'indivision a été réorganisé par la loi n° 76-1286 du 31 décembre 1976 qui est entrée en vigueur le 1er juillet 1977. En abrogeant l'article 2205 du Code civil, cette réforme a institué un nouveau régime de l'indivision :
28.- D'une part, elle interdit la saisie de la part de biens indivis, meubles ou immeubles, par les créanciers personnels d'un indivisaire.
Mais ceux-ci ont la faculté de provoquer le partage au nom de leur débiteur ou d'intervenir au partage provoqué (Code civil, art. 815-17 al. 2 et 1873-15 ; cf. TGI LIMOGES, 9 novembre 1989, D 1990, 442).
29.- D'autre part, le droit de saisir les biens indivis est reconnu aux créanciers qui auraient pu agir sur les biens indivis avant qu'il y eût indivision et à ceux dont la créance résulte de la conservation ou de la gestion des biens indivis (Code civ., art. 815-17 al. 1°) et ce, qu'il y ait ou non convention d'indivision (C. civ., art. 1873-15 al. 1er).
e. Immeuble grevé d'une clause de tontine.
30.Il a été jugé qu'un commandement de saisie immobilière ne peut viser un immeuble grevé d'une clause de tontine.
Le droit de gage du créancier ne peut en effet s'exercer que sur les biens dont le débiteur est propriétaire. Or, tant que la condition suspensive de survie n'est pas réalisée, le débiteur qui bénéficie de la clause n'est pas titulaire d'un droit privatif sur le bien immobilier (Cass. civ. 18 novembre 1997, JCP G 1998, IV, 1034).
NOTA : La clause de tontine est un pacte conclu entre plusieurs personnes lors de l'acquisition d'un bien et en vertu duquel seul le survivant de tous sera considéré comme propriétaire, chaque acquéreur conservant la jouissance du bien sa vie durant.
3. Saisie simultanée de plusieurs immeubles du débiteur.
a. Principe.
31.La saisie simultanée de plusieurs immeubles est possible et cela même si ces biens sont situés dans des arrondissements différents et quelle que soit la valeur de ces différents biens (art. 675 du C. pr. civ.).
L'article 676 du Code de procédure civile précise que lorsque le débiteur justifie que la valeur de certains des biens est suffisante pour désintéresser le poursuivant et les créanciers inscrits, il peut demander au tribunal qu'il soit sursis aux poursuites sur les autres biens désignés dans le commandement, sans que cette demande empêche la publication (Cass. civ., 2ème, 10 février 1977, Bull. civ. II n° 32).
Le sursis ne peut être accordé lorsque les biens situés dans plusieurs arrondissements dépendent d'une même exploitation (C. pr. civ., art. 677).
b. Poursuite de la procédure en cas de saisies simultanées.
32.Il faut distinguer deux cas, selon que tous les immeubles sont ou non situés dans le même arrondissement :
33. 1er cas : Tous les immeubles saisis sont situés dans le même arrondissement :
Dans ce cas, les immeubles peuvent être visés dans le même commandement et compris dans la même procédure d'expropriation forcée ;
34. 2ème cas : Tous les immeubles saisis ne sont pas situés dans le même arrondissement :
Le créancier doit notifier au débiteur autant de commandements qu'il y a de biens situés dans des arrondissements différents (C. pr. civ., art. 678).
B. PROCEDURE ET EFFETS DE LA SAISIE IMMOBILIERE
35.La procédure de la saisie immobilière présente un caractère essentiellement judiciaire.
En matière de saisie immobilière, le Tribunal de grande instance du lieu de la situation de l'immeuble est seul compétent 1 .
En cas de saisie portant sur les immeubles sis dans des ressorts judiciaires différents, le tribunal de grande instance compétent est déterminé de la manière suivante :
- si tous les immeubles saisis sont situés dans le même arrondissement, le Tribunal de grande instance compétent est celui du lieu de situation des biens ;
- si tous les immeubles ne sont pas situés dans le même arrondissement, les poursuites sont portées devant les tribunaux respectifs de la situation des biens (C. pr. civ., art. 678).
Lorsque les biens saisis font partie d'une seule et même exploitation, le tribunal compétent est celui dans le ressort duquel est situé le chef-lieu de l'exploitation ou, à défaut de chef-lieu, la partie des biens qui présente le plus de valeur d'après les derniers baux, et en l'absence de baux, d'après le rôle de la taxe foncière (C. pr. civ., art. 675, al. 2 et 677, al. 2).
Dans tous les cas, le tribunal statue à juge unique, depuis l'institution d'un juge de l'exécution (art. 9-II de la loi n° 72-626 du 5 juillet 1972).
La saisie immobilière comprend quatre phases :
- la saisie proprement dite ;
- la procédure préparatoire à l'adjudication ;
- l'adjudication ;
- la surenchère.
I. La saisie proprement dite
36.La saisie proprement dite a pour effet de rendre l'immeuble indisponible en le plaçant sous main de justice.
Elle comporte nécessairement deux formalités : le commandement valant saisie et sa publication.
1. Le commandement valant saisie.
37.Selon l'article 673 du Code de procédure civile : « ... pour parvenir à la vente sur saisie d'un immeuble, le créancier fait signifier un commandement à la personne ou au domicile du débiteur ».
a. Forme et contenu du commandement.
38.Le commandement valant saisie est un acte d'huissier de justice.
Outre les mentions habituelles aux exploits d'huissier (art. 648 NCPC ; cf. 12 C 2211 , ann. n° 6), il doit contenir les énonciations prévues par l'article 673 du Code de procédure civile, à savoir :
39. 1) La mention du titre exécutoire contenant la date et la nature du titre, et le montant de la dette dont le paiement est réclamé.
Le titre doit être signifié au saisi en même temps que le commandement, s'il ne l'a été antérieurement.
40. 2) La copie d'un pouvoir spécial de saisir, donné à l'huissier, signée du poursuivant (le receveur).
41. 3) L'avertissement que, faute de payer, le commandement pourra être publié à la conservation des hypothèques de la situation des biens et vaudra saisie à partir de la publicité.
42. 4) La désignation des immeubles saisis. Le commandement doit désigner spécialement les immeubles sur lesquels il porte. A cette fin, il doit mentionner pour chacun d'eux : la nature, la situation, la contenance, la désignation cadastrale (section, numéro du plan et lieudit). Le lieudit est remplacé par l'indication de la rue et du numéro pour les immeubles situés dans les parties agglomérées des communes urbaines.
43.Lorsque la saisie porte sur une ou plusieurs fractions d'un immeuble, le commandement doit comporter à la fois la désignation desdites fractions et celle de l'ensemble de l'immeuble. La désignation de la fraction est faite conformément à un état descriptif de division :
- établi dans les conditions fixées par l'article 71 du décret n° 55-1350 du 14 octobre 1955 (modifié par l'art. 30 du décret n° 98-553 du 3 juillet 1998 ; cf. BOI 10 D-2-98 n° 36 ) ;
- et préalablement publié.
Le commandement doit mentionner le numéro du lot dans lequel la fraction est comprise.
44.Lorsque l'état descriptif de division n'a pas été publié antérieurement au commandement, les dispositions de l'article 673-4° du Code de procédure civile doivent être complétées par celles des décrets du 4 janvier 1955 et 14 octobre 1955 relatifs à la publicité foncière.
La désignation de la fraction d'immeuble intéressée est alors faite sur la base d'un procès-verbal descriptif dressé par l'huissier de justice et attribuant un numéro à ladite fraction.
Il en est de même lorsque la fraction d'immeuble intéressée a été, postérieurement à la publication du document constatant le droit de propriété, soit divisée, soit réunie en tout ou en partie à un autre lot, sans qu'un acte modificatif de l'état de division ait été publié (cf. décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, art. 50-2, introduit par le décret n°59-89 du 7 janvier 1959, art. 11).
Le numéro attribué dans le procès-verbal descriptif dressé par l'huissier est signifié au propriétaire ou au représentant de la collectivité des copropriétaires, au lieu de l'immeuble. Il est obligatoirement repris pour désigner ladite fraction, dans l'état descriptif de division, ultérieurement publié, et dans tous actes et décisions, se rattachant à la procédure de saisie, y compris le jugement définitif d'adjudication (art. 71-D-4 du décret n° 55-1350 du 14 octobre 1955, modifié par décret n° 59-90 du 7 janvier 1959, art. 3-1).
Pour recueillir les renseignements nécessaires à la rédaction du commandement, l'huissier pourra pénétrer dans les lieux, et si besoin est, avec l'assistance du commissaire de police et des agents de la force publique (C. pr. civ., art. 673, dern. al).
Si les immeubles à saisir se trouvent en dehors de l'arrondissement où le commandement sera signifié, un procès-verbal de description pourra être dressé par un huissier du ressort de la situation des biens (C. pr. civ., art. 673, al. 3).
45. 1) La copie de la matrice du rôle de la taxe foncière.
46. 2) L'indication du tribunal compétent devant lequel la saisie sera poursuivie.
47. 3) La constitution d'avocat avec élection de domicile de plein droit chez cet avocat.
Par ailleurs, la loi n° 98-46 du 23 janvier 1998 renforçant la protection des personnes surendettées en cas de saisie immobilière a institué des mentions complémentaires, à peine de nullité, dans le commandement à fin de saisie immobilière :
→ pour tous les commandements :
4) L'indication que la partie saisie a la faculté de demander la conversion de la saisie en vente volontaire dans les conditions prévues à l'article 744 du C. pr. civ.
→ Pour les commandements visant les personnes physiques : le commandement comprend en outre :
5) L'indication que le débiteur en situation de surendettement a la faculté de saisir la commission de surendettement des particuliers instituée par l'article L 311-1 du Code de la consommation ;
6) L'indication que le débiteur peut bénéficier, pour la procédure de saisie, de l'aide juridictionnelle s'il remplit les conditions de ressources prévues par la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi du 10 juillet 1991 précitée ;
7) L'indication que le montant de la mise à prix du logement principal du débiteur fixé par le poursuivant peut faire l'objet d'un dire de contestation dans les conditions prévues à l'article 690 du C. pr. civ.
48. IMPORTANT : L'absence de l'une ou de plusieurs des énonciations prescrites par l'article 673 du Code de procédure civile entraîne la nullité du commandement. Mais cette nullité ne peut être prononcée que si l'irrégularité a causé un préjudice aux intérêts des parties en cause (C. pr. civ., art. 715 ; Cass. civ., 2e, 26 juillet 1986, Bull. civ. II n° 116 ; 12 décembre 1990, Bull. civ. II n° 267).
Toutefois, l'omission de l'une des trois indications supplémentaires prescrites en faveur du débiteur personne physique est sanctionnée par une nullité absolue, conformément à la volonté du législateur (cf. JOAN 13 mars 1997, p. 1868).
La nullité prononcée faute de désignation suffisante de l'un ou de plusieurs des immeubles compris dans la saisie n'entraîne pas nécessairement la nullité de la poursuite en ce qui concerne les autres immeubles (C. pr. civ., art. 715-2° al).
49.Le commandement valant saisie doit être signifié au débiteur dans les conditions de droit commun (C. pr. civ., art. 673 et NCPC, art. 653 et suiv. ; sur l'irrégularité de la signification du commandement à fin de saisie au domicile du représentant fiscal - CGI art. 223 quinquies A - cf. Cass. civ., 2e, 26 janvier 1994, Bull. civ. II n° 39).
1 L'article 311-2 du Code de l'organisation judiciaire dispose : « Le TGI a compétence exclusive notamment dans les matières suivantes : ....10) saisies immobilières (C. proc. civ., art. 673 et suiv.) ». En matière de saisie immobilière, la compétence est par défaut déterminée par le Code de procédure civile (L 9 juillet 1991, art. 88).