SOUS-SECTION 6 CAS D'OUVERTURE. MOYENS
SOUS-SECTION 6
Cas d'ouverture. Moyens
Il convient de distinguer deux notions étroitement liées l'une à l'autre :
- les ouvertures à cassation ;
- les moyens de cassation.
Afin qu'une partie puisse demander la cassation d'une décision, il faut qu'il y ait pour violation de la loi, un cas d'ouverture proposé à l'appui de son pourvoi, sous forme de moyen.
A. CAS D'OUVERTURE A CASSATION
1Constitue ouverture à cassation la violation de la loi concernant :
- la composition des juridictions ;
- les règles de procédure ;
- les règles de compétence ;
- l'obligation de motiver les décisions et de respecter l'autorité de la chose jugée ;
- les règles de fond.
Toutefois, en cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d'inobservation des formalités substantielles, toute juridiction y compris la Cour de cassation qui est saisie d'une demande d'annulation ou qui relève d'office une telle irrégularité ne peut prononcer la nullité que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne (Code de Proc. pén., art. 802).
I. Violation des règles relatives à la composition des juridictions
(cf. ci-avant E 3323 : composition des juridictions et E 3324 : tenue des audiences)
2Sont nulles les décisions qui ne sont pas rendues par le nombre de juges prescrit par la loi ou émanant de juges n'ayant pas assisté à toutes les audiences (Code de Proc. pén., art. 592).
Deux principes dominent la matière :
1° Toute décision doit porter en elle-même la preuve de la composition régulière de la juridiction qui l'a rendue, afin de permettre le contrôle de la chambre criminelle (Cass. crim., 9 mai 1961, Bull. crim. 244, p. 471 ; Cass. crim., 26 juin 1970, Bull. crim. 206, p. 499).
2° Sur certains points, une présomption de régularité est admise par la loi ou la jurisprudence.
1. Nomination des magistrats et cessation de leurs fonctions
3La Cour de cassation ne contrôle pas la régularité de la nomination d'un magistrat.
Elle admet une présomption de régularité en ce qui conceme l'affectation à une juridiction si aucune contestation n'a été élevée sur ce point (Cass. crim., 4 janvier 1969, Bull. crim 6, p. 11).
En cas de remplacement d'un magistrat empêché par un autre collègue, il y a présomption légale que le remplaçant a qualité (Cass. crim., 23 juillet 1958, Bull. crim. 592, p. 1045).
En cas de remplacement par un avocat ou un avoué, la décision doit justifier qu'il a été procédé légalement (Cass. crim., 13 mai 1958, Bull crim. 378, p. 671 ; cf. E 3323 n°s 9 et 10 ).
2. Incompatibilités
4Aux termes de l'article 49, alinéa 2, du Code de Procédure pénale, le juge d'instruction ne peut, à peine de nullité, participer au jugement des affaires pénales dont il a connu en sa qualité de juge d'instruction.
Ces dispositions visent uniquement le magistrat qui a rempli les fonctions de juge d'instruction, à l'exclusion du membre du tribunal (ou de la cour) que l'une ou l'autre de ces juridictions à charge de procéder à un supplément d'information, et qui demeure capable de concourir à la décision au fond (Cass. crim., 27 janvier 1899, DP 99-1 240 ; Cass. crim., 26 avril 1900, DP 1904 1.144 ; Cass. crim., 27 juillet 1907, DP 1911 1.153).
3. Nombre de magistrats et présence à toutes les audiences
5Sont nulles, les décisions qui n'ont pas été rendues par le nombre de juges que la loi prescrit (Code de Proc. pén., art. 592). Elles doivent, à peine de nullité, préciser le nombre de magistrats ayant concouru au jugement ou à l'arrêt.
Sont nulles, également, les décisions rendues par des magistrats qui n'ont pas assisté à toutes les audiences (art. 592 précité) [cf. E 3324 n°s 6 et suiv. ].
Le Code de Procédure pénale établit une présomption d'assistance à toutes les audiences consacrées à une même affaire pour les juges qui ont concouru à la décision, sauf preuve contraire, qui peut résulter des énonciations mêmes de l'arrêt (voir pour le cas d'une erreur matérielle Cass. crim., 18 avril 1958, Bull. crim. 310, p. 544 ; Cass. crim., 8 mars 1979, Bull. crim., n° 100).
4. Ministère public
6Le ministère public est partie intégrante et nécessaire des juridictions répressives (Code de Proc. pén., art. 32).
Il assiste aux débats et doit être présent lors du prononcé des décisions. Son absence entraîne la nullité de la poursuite pénale.
Les décisions sont déclarées nulles lorsqu'elles ont été rendues sans que le ministère public ait été entendu (Code de Proc. pén., art. 592, al. 2).
La Cour de cassation a cependant jugé que conformément à l'article 802 du Code de Procédure pénale, cette nullité ne saurait être prononcée dès lors qu'il n'est pas démontré, ni même allégué, que cette irrégularité ait eu pour effet de porter atteinte aux intérêts du demandeur (Cass. crim., 21 novembre 1977, RJCI p. 199).
L'arrêt susvisé faisant l'objet du pourvoi a été toutefois rendu dans une poursuite correctionnelle, mais purement fiscale. Dans ce cas, le ministère public ne requiert pas l'application de sanctions pénales. L'Administration, partie poursuivante, réclame seule l'application des peines fiscales.
Dans une instance correctionnelle, mais purement fiscale, il apparaît donc que la simple présence du ministère public à l'audience serait suffisante, - selon la jurisprudence actuelle - (cf. E 3362 n° 8 ).
5. Greffier
7Il est présumé de droit que le greffier d'une juridiction a la capacité exigée pour remplir cette fonction (Cass. crim., 22 mars 1962, Bull. crim. 143, p. 298).
II. Violation des règles de procédure
8Les sanctions de la méconnaissance des dispositions régissant la procédure concernent :
- l'instruction préparatoire ;
- les règles de forme de l'instruction ayant un caractère substantiel ;
- les formalités préalables à l'ouverture des débats ;
- le déroulement des débats ;
- les preuves ;
- les mentions obligatoires.
Remarque essentielle : l'Administration exerce généralement seule l'action en justice après établissement d'un procès-verbal et délivrance d'une assignation (cf. E 3392 et E 333 ).
Aussi les violations des règles de procédure relatives à l'instruction judiciaire concernent principalement l'action du ministère public poursuivant la répression d'infraction de droit commun.
Pour les matières relevant de la compétence de la DGI et traitées conformément à la réglementation des contributions, ces cas d'ouverture à cassation ne trouvent pas à s'appliquer, les faits constitutifs des infractions fiscales ne pouvant constituer à la fois des infractions de droit commun.
III. Incompétence ou excès de pouvoir
10La juridiction doit, d'une part, être compétente pour statuer et, d'autre part, procéder à des actes qu'elle a le pouvoir de faire.
Il ne peut être statué légalement par le juge correctionnel que sur les faits relevés dans l'ordonnance (ou l'arrêt) de renvoi, ou dans la citation directe « assignation » qui le saisit (Cass. crim., 29 janvier 1970, Bull. crim. 42, p. 92).
L'exception d'incompétence peut être opposée par les parties en tout état de cause et même pour la première fois devant la Cour de cassation, si elle ne l'a pas été en appel, à la condition que le moyen soulevé conteste directement la compétence et ne soit pas mélangé de fait et de droit (cf. E 332 ).
Il y a excès de pouvoir vis-à-vis d'autorités ne dépendant pas du juge, lorsqu'il critique leurs décisions ou empiète sur leurs attributions.
Le juge commet également un excès de pouvoir lorsqu'il prend une décision non conforme à la saisine ou à la loi. Il statue, par exemple, sur une inculpation dont il n'est pas saisi, il prononce une peine que la loi ne prévoit pas, il accorde des dommages-intérêts qui ne sont pas demandés.
En ce qui concerne les voies de recours, le juge doit statuer dans les limites fixées par les textes légaux.
IV. Motivation des décisions
11En application des dispositions de l'article 593 du Code de Procédure pénale, les décisions en dernier ressort sont déclarées nulles lorsqu'elles ne contiennent pas de motifs ou si leurs motifs sont insuffisants et ne permettent pas à la Cour de cassation d'exercer son contrôle et de reconnaître si la loi a été respectée dans le dispositif.
Il en est de même lorsqu'il a été omis ou refusé de prononcer soit sur une ou plusieurs demandes des parties, soit sur une ou plusieurs réquisitions du ministère public (sur la motivation des jugements, cf. E 3362, n°s 20 et s. ).
V. Autorité de la chose jugée
(cf. E 3352 )
12Il est rappelé que la chose jugée est un mode d'extinction de l'action en justice par l'effet d'une décision devenue définitive, rendue par une juridiction répressive relativement à cette action (Code de Proc. pén., art. 6, 1er al., 368 et 618).
Selon la jurisprudence, pour que l'exception de la chose jugée puisse être opposée, il faut qu'il y ait identité d'objet, de cause, de parties, entre deux poursuites pénales, dans des conditions semblables à celles fixées par l'article 1351 du Code civil.
La maxime ancienne non bis in idem s'applique dans le cas de deux poursuites successives contre le même individu pour le même fait. L'autorité de la chose jugée concerne en plus beaucoup d'autres hypothèses.
Un individu déclaré « non coupable » en matière pénale peut être éventuellement poursuivi par l'administration des Impôts.
L'exception de la chose jugée, qui est d'ordre public, peut être opposée en tout état de cause, à tout moment de la procédure, devant toute juridiction, pour la première fois en appel et devant la Cour de cassation, par le ministère public ou la partie intéressée, et peut même être relevée d'office par le tribunal saisi de la seconde poursuite.
VI. Violation des règles de fond
(Code de Proc. pén., art. 591)
13Les règles de fond sont applicables, soit à la poursuite pénale ou fiscale, soit à l'action civile, leur violation constitue une ouverture à cassation. Les divers cas susceptibles de faire l'objet d'un pourvoi concernent la violation des règles relatives :
- à l'application et à l'interprétation des lois ou règlements (cf. E 2131 , élément légal) ;
- à la qualification des faits (infractions) et à l'application des pénalités (cf. titre II, infractions et sanctions) ;
- à l'extinction de l'action publique, fiscale, civile (cf. E 16, prescriptions, E 17 amnistie, E 226 non-application des peines, E 331 action fiscale).
B. MOYENS
Le demandeur en cassation doit proposer à l'appui de son pourvoi un « moyen », ou argument, relatif à un « cas d'ouverture », susceptible d'entraîner l'annulation d'une décision irrégulière, pour violation de la loi (Code de Proc. pén., art. 567).
I. Le pourvoi doit être dirigé contre le dispositif
14En effet, c'est le dispositif qui constitue seul le jugement ou l'arrêt (TGI, Cassation V, moyens n°62 ; Cass. crim., 24 février 1944, Bull. crim. 56 ; TGI Cassation V, moyens n° 77 ; Cass. crim., 27 février 1947, JC 1947, IV 65).
Il a été également jugé :
- qu'une erreur commise par les juges d'appel ne peut vicier que le seul motif dans lequel elle est énoncée.
Lorsque les autres motifs justifient la décision, la cassation ne peut pas être prononcée (TGI, Cassation V, moyens n° 116 ; Cass. crim., 25 novembre 1959, RJCI 90, p.275) ;
- que ne saurait être accueilli, comme visant seulement certains motifs de l'arrêt sans influence sur son dispositif, le moyen... (TGI, Cassation V, moyens n° 101 renvoyant taxe sur les transports n° 13 ; Cass. crim., 27 novembre 1957, RJCI 73, p. 208).
II. Moyens de fait
15Le juge du fond apprécie souverainement, d'après son intime conviction, la valeur des éléments de preuve soumis à des débats contradictoires (Code de Proc., art. 353 et 427, cf. E 3363 ).
A cet égard, il a été jugé :
- qu'il n'appartient pas à la Cour de cassation de réviser les constatations de fait des juges du fond et l'appréciation souveraine qu'ils ont faite de la valeur des éléments de preuve soumis aux débats contradictoires (Cass. crim., 10 février 1976, RJ, I, p. 66 ; Cass. crim, 7 décembre 1966, RJCI 26, p. 79 ; cf. également jurisprudence citée E 3363 n° 12) ;
- que les erreurs commises par les juges du fond dans l'appréciation des faits de la cause, « le mal-jugé », ne peuvent pas faire l'objet d'un recours en cassation (Cass. crim., 7 mai 1921, BCI 13 ; TGI, Cassation V, moyens n° 63 ; Cass. crim., 24 février 1944, RJCI 19, Bull. crim. n° 56 ; TGI, Cassation V, moyens n° 65 ; Cass. crim., 25 mai 1944, RJCI 34) ;
- que ne peut être produit pour la première fois devant la Cour de cassation le moyen tiré de ce qu'un arrêt ne contiendrait pas les éléments de fait nécessaires à justifier la condamnation solidaire de prévenus, dès lors que les circonstances de fait, non mentionnées dans l'arrêt, sur lesquelles repose ce moyen, n'ont pas été débattues devant les juges du fond, et que la Cour de cassation est dans l'impossibilité de les contrôler (TGI, Cassation V, moyens n° 113 ; Cass. crim., 22 avril 1959, RJCI 46, p. 144).
16Toutefois tous les actes de procédure et leur contenu sont soumis au contrôle de la Chambre criminelle. En matière de contributions indirectes, ce droit d'examen s'applique au procès-verbal, pièce initiale et essentielle de la procédure.
La foi due au procès-verbal comporte nécessairement l'appréciation des termes figurant dans cet acte. Il s'ensuit que la Cour de cassation peut et doit réprimer le mal-jugé lorsque les tribunaux ont dénaturé les faits constatés par le procès-verbal.
Lorsqu'un procès-verbal constate qu'il a été trouvé chez un individu des apprentis et des ouvriers, ainsi que des instruments servant à l'exercice de la profession d'orfèvre, une cour d'appel ne peut, sans violer la foi due au procès-verbal, décider que cet individu ne peut être considéré comme fabricant d'orfèvrerie (Cass. crim., 27 août 1831, 5.32-1-131 ; voir également, Cass. crim., 25 mars 1825, CP chr.).
III. Moyens nouveaux
17Un moyen qui n'a pas été examiné par le juge du fond ne peut être produit pour la première fois devant la Cour de cassation, à moins qu'il ne soit d'ordre public (Cass. crim., 17 janvier 1974, Bull, crim. 26, D. 1974, p. 50, etc.).
Sur les moyens d'ordre public (cf. ci-après n° 20 ).
Ce principe fait l'objet sur certains points de textes légaux.
Ainsi les exceptions tirées de la nullité, soit de la citation, soit de la procédure antérieure, doivent, à peine de forclusion, être présentées avant toute défense au fond (Code de Proc, pén., art. 385).
De même, en matière correctionnelle, le prévenu n'est pas recevable à présenter comme moyen de cassation les nullités commises en première instance s'il ne les a pas opposées devant la cour d'appel à l'exception de la nullité pour cause d'incompétence lorsqu'il y a eu appel du ministère public (Code de Proc. pén., art. 599).
Nullité de la visite domiciliaire non invoquée avant toute défense au fond. Irrecevabilité.
18Lorsqu'il ne résulte ni de l'arrêt, ni du jugement, ni d'aucune pièce de procédure, que le prévenu ait présenté avant toute défense au fond - conformément aux dispositions de l'article 385 du Code de Procédure pénale - l'exception de nullité du procès-verbal qui résulterait, selon lui, de ce que la visite domiciliaire à la suite de laquelle ce procès-verbal a été dressé aurait été effectuée en vertu d'un ordre de visite irrégulier, le moyen pris de cette prétendue irrégularité est irrecevable devant la Cour de cassation (Cass. crim., 22 mai 1978 : Jurisprudence constante ; cf. Cass. crim. part., 18 novembre 1975, RJ, I, p. 158, et les arrêts cités, p. 160).