Date de début de publication du BOI : 01/06/1978
Identifiant juridique : 12C5112
Références du document :  12C5112

SOUS-SECTION 2 LE PRIVILÈGE DU TRÉSOR

b. Exception au caractère général et sans droit de suite du privilège du Trésor.

16Par exception au principe selon lequel le privilège du Trésor ne comporte pas de droit de suite, le privilège visé aux articles 1920-1 et 1926 du CGI porte sur les rémunérations du travail cédées par le redevable au-delà de la moitié de la portion saisissable ou cessible de ces émoluments (CGI, art. 1925 in fine).

Cette disposition a essentiellement pour objet de déjouer certaines fraudes consistant, pour les redevables, à organiser leur insolvabilité par une cession anticipée des salaires à venir ; elle dispense l'Administration de recourir à l'action paulienne lorsque le débiteur est de mauvaise foi, mais elle s'applique même si la cession a été effectuée sans idée de fraude.

Remarque. - A noter, au cas particulier, qu'il s'agit d'une prérogative du Trésor et non de son privilège général.

  II. Redevables entrant dans le champ d'application du privilège du Trésor

17Le privilège du Trésor peut grever les biens :

- d'une part, des contribuables (personnes physiques et sociétés) c'est-à-dire les personnes qui, à quelque titre que ce soit, se trouvent débiteur d'imposition vis-à-vis du Trésor ;

- d'autre part, de certains tiers responsables.

En effet, la jurisprudence du Conseil d'État déclare que les tiers responsables sont débiteurs de l'impôt au même titre que les contribuables eux-mêmes.

Il s'agit essentiellement :

• des tiers qu'une disposition fiscale déclare solidairement responsable du payement de l'impôt avec le contribuable (CGI, art. 1684, 1685, 1686, 1687 et 1691) ;

• des gérants majoritaires de sociétés à responsabilité limitée déclarés responsables des impôts de ces sociétés (CGI, art. 1724 ter ), pour toutes les impositions (cf. 12 C 2251) ;

• des cautions.

En effet, celui qui se rend caution d'une obligation doit se soumettre, envers le créancier, à satisfaire à cette obligation si le débiteur n'y satisfait pas lui-même (Code civ., art. 2011).

Les biens mobiliers des cautions sont donc affectés au privilège du Trésor.

  C. APPLICATION DANS LE TEMPS DU PRIVILÈGE DU TRÉSOR

  I. Notion de droits acquis aux tiers

18Aux termes de l'article 2098, 2° alinéa, du Code civil, le Trésor « ne peut obtenir de privilège au préjudice des droits antérieurement acquis à des tiers ».

Cet alinéa à donné lieu à de nombreuses controverses.

Suivant une première interprétation, il dérogerait à l'article 2095 du Code civil d'après lequel le rang des privilèges se détermine d'après la qualité et non d'après la date de la créance. Dans cette conception, on préférerait donc au privilège du fisc des privilèges d'un rang inférieur lorsque les créances qu'ils garantissent ont pris naissance avant celle du Trésor.

Mais celle-ci est aujourd'hui abandonnée par la jurisprudence dominante pour qui l'article 2098, 2 e alinéa, du Code civil doit être entendu « en ce sens que la création de privilèges nouveaux au profit du Trésor public ne fera pas échec à la règle de la non-rétroactivité des lois qui sauvegarde les droits acquis avant leur promulgation » (cf. sur ce point, Cass. civ., 27 juillet 1925, D. 1927-1-110, S. 1925-1-227 ; 26 octobre 1926, S. 1927-1-49 ; cour de Montpellier, 24 mai 1973).

Il convient d'ajouter que la Cour de cassation limite la non-rétroactivité de la loi nouvelle créant un privilège fiscal, aux ayants cause qui ont un droit particulier sur le bien, aux créanciers privilégiés notamment, mais qu'elle applique immédiatement une telle loi aux créanciers chirographaires même si leur créance est antérieure à la loi nouvelle. Ces derniers ne sont pas protégés par l'article 2098, 2 e alinéa, du Code civil, parce qu'ils n'ont pas de droits acquis au sens de ce texte (civ., 22 juillet 1936, S. 1936-1-340).

  II. Durée du privilège du Trésor

19L'efficacité du privilège du Trésor est limitée dans le temps :

- d'une part, le privilège étant indissociable de l'action en recouvrement ne peut s'exercer que dans la limite de la prescription de l'impôt (cf. 12 C 6) ; c'est le cas notamment en matière des droits d'enregistrement et de contributions indirectes :

- d'autre part, il existe un délai spécial de péremption de deux ans, en matière de contributions directes et de TCA.

Mais si le privilège est exercé dans ce délai, il est conservé alors dans la limite de la prescription des impôts auxquels il est attaché.

Pour plus de précisions concernant le délai de péremption de deux ans et les mesures de conservation du privilège, voir infra C 512 .

  D. EXERCICE DU PRIVILÈGE DU TRÉSOR

L'exercice du privilège du Trésor se fait selon des modalités différentes suivant que le redevable est ou n'est pas en état de cessation des paiements.

  I. Cas où le redevable est en état de cessation des paiements (cf. 12 C 32)

20Lorsque le débiteur est en règlement judiciaire ou en liquidation des biens, le Trésor exerce son privilège, quelle que soit la nature des impositions garanties, par la production de ses créances 1 entre les mains du syndic (cf. 12 C 322). Son droit de poursuite individuelle se trouve suspendu dès le prononcé du jugement d'ouverture (cf. 12 C 3211, n° 80 ; 12 C 3212, n° 96 ; 12 C 322, n° 1).

Toutefois, contrairement aux autres créanciers munis d'un privilège général mobilier le Trésor peut, en cas de liquidation des biens, reprendre l'exercice de ce droit avant la clôture des opérations, pour ses créances privilégiées, si le syndic n'a pas déféré, dans le délai d'un mois, à une sommation de régler les créances sur les fonds disponibles ou, faute de fonds disponibles, de procéder aux mesures d'exécution nécessaires (cf. 12 C 3221, p. 60-15 ; art. 80 de la loi du 13 juillet 1967).

  II. Cas où le redevable est à la tête de ses biens (in bonis)

21Dans cette situation, les modalités d'exercice du privilège du Trésor sont différentes selon qu'il concerne des droits d'enregistrement et des contributions indirectes, ou des taxes sur le chiffre d'affaires.

Dans le premier cas l'exercice du privilège ne jouit d'aucune prérogative spéciale. Les règles du droit commun exposées supra C 5111 n° 25 demeurent applicables.

Par contre, en matière de TCA le Trésor bénéficie de prérogatives spéciales pour l'exercice du privilège sur les sommes, provenant du redevable, et détenues par des dépositaires publics ou des tiers.

Cette prérogative a essentiellement pour objet de permettre au Trésor d'appréhender les fonds affectés à son privilège sans être tenu de recourir aux procédures de saisie. En pratique, cette demande revêt la forme d'un avis à tiers détenteur (sur l'avis à tiers détenteur, cf. supra C 222).

Par contre, lorsque le privilège porte sur des biens autres que des sommes d'argent, les règles du droit commun en matière d'exercice des privilèges sont applicables (cf. supra C 5111, n° 25 ).

Pour plus de précisions concernant l'exercice du privilège en matière de TCA on se reportera, infra C 512 .

  E. RANG DES PRIVILÈGES DU TRÉSOR

22L'ordre dans lequel s'exercent les privilèges du Trésor n'est pas réglé par les dispositions du Code civil. Conformément au principe posé à l'article 2098 dudit code, cet ordre est fixé par les lois qui le concernent.

Les textes fondamentaux en la matière ont été codifiés sous les articles 1920 , 1924, 1926 , 1927-1 et 1929-1 du CGI. Ces articles déterminent l'ordre de classement des privilèges fiscaux entre eux et posent le principe de leur primauté, sous la seule réserve prévue à l'article 1927 pour les contributions indirectes (priorité des frais de justice, du loyer des six derniers mois...). Toutefois, de nombreuses lois non codifiées ont institué de nouveaux privilèges en leur conférant expressément un rang préférentiel à celui du Trésor (cf. supra C 5111, n os12 , 13 , 15 et suiv. et infra28 et suiv. ).

D'autre part, il est admis que sont opposables au Trésor, sous certaines conditions :

- les frais de justice ou de conservation de la chose (cf. C 5111, n° 11 ) ;

- le droit de rétention dont sont titulaires certains créanciers (cf. C 5111, n° 27  ; cf. infra43 ).

  I. Classement des privilèges fiscaux entre eux

L'ordre de classement des privilèges du Trésor est le suivant :

1° Impôts directs d'État y compris les impôts directs locaux qui étaient originellement des impôts d'État et concuremment taxes sur le chiffre d'affaires ;

2° Autres impôts directs locaux ;

3° Droits d'enregistrement ;

4° Contributions indirectes.

1. Impôts directs d'État y compris les impôts directs locaux qui étaient originellement des impôts d'État et taxes sur le chiffre d'affaires.

a. Impôts directs d'État y compris les impôts directs locaux qui étaient originellement des impôts d'État et taxes assimilées (CGI, art. 1920 ).

23Le privilège général mobilier visé à l'article 1920-1 du CGI garantit le recouvrement de l'ensemble des contributions directes et taxes assimilées y compris celui des acomptes provisionnels exigibles en matière d'impôt sur le revenu et d'impôt sur les sociétés.

L'expression « contributions directes et taxes assimilées » désigne, non seulement les impôts directs perçus au profit de l'État, mais encore toutes contributions directes qui étaient originellement des impôts d'État (taxe professionnelle, taxe foncière, taxe d'habitation) et taxes assimilées à ces contributions.

b. TCA et taxes assimilées.

24Selon l'article 1926 du CGI, le privilège pour le recouvrement des taxes sur le chiffre d'affaires et des taxes assimilées a le même rang que celui énoncé à l'article 1920 dudit code. Ce privilège couvre aussi les impôts et taxes recouvrés sous les mêmes garanties.

S'il y a insuffisance d'actif pour régler les impôts directs et les TCA à la charge du redevable, la répartition entre les comptables des impôts et du Trésor se fait au marc le franc.

2. Autres impôts directs locaux.

25Il s'agit des taxes départementales et communales assimilées aux contributions directes, Le privilège créé au profit des taxes communales prend rang immédiatement après celui des taxes départementales (CGI, art. 1924).

3. Droits d'enregistrement.

26Bénéficient du privilège visé à l'article 1929-1 les droits d'enregistrement proprement dits, la taxe de publicité foncière, les droits de timbre, les droits et taxes assimilés aux droits d'enregistrement et les créances recouvrées comme en matière d'enregistrement.

4. Contributions indirectes.

27Le privilège en matière de contributions indirectes est prévu à l'article 1927 du CGI. Il garantit le recouvrement des droits indirects, des taxes, des redevances, des soultes et des autres contributions indirectes.

Pour la sûreté de ses créances, le service des alcools bénéficie d'un privilège de même rang.

  II. Privilèges généraux et spéciaux primant les privilèges flaceux

La primauté des privilèges fiscaux n'est pas absolue. Un certain nombre de lois ont consacré la priorité de divers privilèges généraux ou spéciaux sur ceux du Trésor.

1. Privilèges généraux primant les privilèges du Trésor.

a. Le privilège des frais de justice (art. 2101-1° du Code civ.).

1° Définition.

28Suivant la doctrine et la jurisprudence, constituent des frais de justice toutes les dépenses relatives aux actions en justice, procédures et actes nécessaires pour conserver, recouvrer, liquider les biens du débiteur et assurer la distribution du prix aux créanciers. A cet égard, il n'y a pas lieu de distinguer les frais judiciaires des frais extrajudiciaires (req. 1 er avril 1890, S. 1890-1-513 ; 10 juillet 1893, S. 1893-1-365).

Sont ainsi considérés comme des frais de justice, les frais de scellés et d'inventaire, les frais de saisie, de garde et de vente de meubles, les frais exposés par un séquestre pour conserver et réaliser le gage commun des créanciers.

En matière de règlement judiciaire et de liquidation des biens, le privilège des frais de justice garantit :

- les frais et dépenses d'administration (req., 20 juillet 1904, S. 1906-1-233) ;

- les honoraires du mandataire de justice (cour de Colmar, 11 février 1936, D.H. 1936-226) ;

- les frais de scellés, d'inventaire et d'exécution des jugements dans l'intérêt commun (Cass. civ., 10 juillet 1893, D.P. 1893-1-521) ;

- les frais d'un procès soutenu dans l'intérêt commun quel qu'en soit le résultat (Cass. civ., 17 octobre 1900, O.P. 1902-1-569) ;

- les avances faites par les syndics à des tiers pour l'administration ou la conservation de l'actif (Cass. civ., 12 juillet 1983, et 12 mai 1915, S. 1921-1-220).

2° Priorité des frais de justice.

29Le privilège des frais de justice prime tout autre privilège. Il s'impose donc au Trésor comme à tout autre créancier.

Mais les frais de justice ne sont privilégiés que s'ils ont été engagés dans l'intérêt commun et le privilège ne peut être opposé qu'aux créanciers auxquels les frais ont profité (req., 25 juillet 1893, S. 1897-1-515 ; Cass. civ., 1 er mai 1895, S. 1898-1-269).

Il ne peut, par exemple, être invoqué contre un créancier dont le syndic a combattu la prétention et vis-à-vis duquel la masse a succombé (req., 2 février 1897, S. 1899-1-393). De même, le privilège des frais de justice ne peut être exercé sur ceux des biens du débiteur dont la réalisation ou la liquidation se serait effectuée tout aussi bien en l'absence de ces dépenses (req., 14 février 1894, S. 1896-1-145 ; note sous req. 2 février 1897, S. 1899-1-393).

1   il s'agit des créances nées avant le prononcé du jugement.