Date de début de publication du BOI : 01/06/1978
Identifiant juridique : 12C5111
Références du document :  12C5111

SOUS-SECTION 1 PRINCIPES GÉNÉRAUX RÉGISSANT LES PRIVILÈGES

Privilèges mobiliers établis par des lois spéciales.

19De nombreuses lois, non incorporées à l'article 2102 du Code civil, ont créé des privilèges spéciaux mobiliers, tels le privilège du Trésor sur les revenus d'un immeuble pour le recouvrement de la taxe foncière due à raison de ces revenus (CGI, art. 1920 ), le privilège du fond forestier national (loi du 31 octobre 1961), le privilège du commissionnaire (Code com., art 95) et les privilèges du droit maritime (Code com., art. 191, 271).

Il convient de noter que certains privilèges spéciaux mobiliers s'exercent avant le privilège du Trésor.

Parmi ces derniers privilèges, on trouve notamment :

a. Le privilège du créancier nanti sur l'outillage et le matériel d'équipement (loi - n° 51-59 du 18 janvier 1951).

20Ce privilège s'exerce sur les biens grevés par préférence à tous autres privilèges, à l'exception :

- du privilège des frais de justice ( supra11 ) ;

- du privilège fait pour la conservation de la chose (CGI, art. 2102-3°) [voir n° 181] ;

- du privilège accordé aux salariés par l'article 2101-4° ( supra11 ) et du superprivilège ( supra12 ).

Le privilège en question est ainsi préférable à celui du Trésor, il confère, en outre, à son bénéficiaire le droit de suite prévu à l'article 22 de la loi du 17 mars 1909 (art. 7 de la loi du 18 janvier 1951 susvisée) ainsi que, d'après la jurisprudence, la faculté de se faire attribuer le gage en paiement à due concurrence, conformément aux dispositions de l'article 2078 du Code civil.

b. Le privilège du créancier nanti sur les titres de la Caisse autonome de la - reconstruction.

21L'article 82 de la loi n° 53-80 du 7 février 1953 a décidé que ce privilège s'exercerait sur les titres grevés par préférence à tous autres privilèges et notamment au privilège du Trésor, à l'exception du privilège accordé aux salariés par l'article 2101-4° du Code civil, et du superprivilège.

c. Le privilège du porteur de warrant commercial (ordonnance du 6 août 1945, - art. 28).

22Le créancier porteur de warrant commercial est payé sur le prix par préférence à tous autres créanciers, sans autre déduction que les créances des contributions indirectes, des taxes d'octroi et des droits de douane sur les marchandises, ainsi que des frais de vente, de magasinage et autres frais pour la conservation de la chose.

d. Le privilège du porteur de warrant agricole (loi du 11 juillet 1898. art. 11 ; loi du - 30 avril 1906, Art 12 ; décret-loi du 28 septembre 1935).

23Le porteur d'un warrant agricole est payé directement de sa créance sur le prix de vente des produits warrantés, par privilège et de préférence à tous créanciers, à l'exception du propriétaire ou de l'usufruitier du fonds pour les termes de fermage échus s'il y a lieu, sans autre déduction que celle des contributions directes, des taxes sur le chiffre d'affaires et des frais de vente.

e. Le privilège des ouvriers employés par les entrepreneurs de travaux pour le - compte de l'État ou de collectivités publiques et le privilège des fournisseurs de - matériaux à ces entrepreneurs.

24Les sommes dues aux entrepreneurs de tous les travaux ayant le caractère de travaux publics ne peuvent être frappées de saisie-arrêt, ni d'opposition, au préjudice, soit des ouvriers auxquels des salaires sont dus, soit de fournisseurs qui sont créanciers à raison de fournitures de matériaux et d'autres objets servant à la construction des ouvrages.

La garantie ainsi prévue au bénéfice des ouvriers et des fournisseurs est donc une insaisissabilité qui équivaut à un privilège spécial sans droit de suite. Ce privilège passe avant celui du Trésor. Il garantit également les créances des sous-traitants qui ont effectué une partie des travaux, tant pour les salaires payés aux ouvriers que pour les matériaux employés.

  C. EXERCICE DES PRIVILÈGES MOBILIERS

  I. Cas où le débiteur est à la tête de ses biens (In Bonis)

25Le droit de préférence inhérent au privilège n'emporte pas dessaisissement du débiteur. Il s'ensuit que pour appréhender, avant l'ouverture de toute procédure de distribution, les biens ou les deniers affectés à leur privilège, les créanciers privilégiés, lorsqu'ils n'ont pas la détention du bien, doivent se conformer en principe aux règles des saisies mobilières de droit commun (saisie-exécution, saisie-brandon, saisie-arrêt prévues au Code de Procédure civile) ou, le cas échéant, à celles des saisies spéciales (saisie-arrêt des rémunérations du travail, opposition au paiement du prix de vente d'un fonds de commerce).

En vertu des articles 656 et suivants du Code de Procédure civile, si le prix de vente des objets saisis ou des deniers arrêtés ne suffit pas pour payer tous les créanciers, et, faute pour le saisi et ses créanciers de s'accorder entre eux, l'officier ministériel qui a procédé à la vente, où le tiers saisi, doit consigner à la Caisse des dépôts et consignations les sommes qu'il détient en vue de l'ouverture, à l'initiative de la partie la plus diligente, d'une procédure de distribution judiciaire. Les créanciers privilégiés exercent leur privilège en produisant leur titre entre les mains du juge-commissaire, avec acte contenant constitution d'avoué et demande de collocation à fin de privilège.

  II. Cas où le débiteur est en état de cessation des paiements

26Lorsque le débiteur fait l'objet d'un jugement prononçant le règlement judiciaire ou la liquidation des biens, les créanciers exercent leur privilège en produisant leur créance privilégiée entre les mains du syndic. L'admission définitive de la créance privilégiée sur l'état des créances vérifié par le juge-commissaire équivaut à un jugement ayant pour effet de rendre le privilège opposable à tous les créanciers.

Les créanciers munis d'un privilège général sont tenus, comme les créanciers ordinaires, de suspendre leurs poursuites individuelles dès l'ouverture de la procédure ; ils ne peuvent les reprendre, en principe, qu'après la clôture des opérations.

  D. CONFLITS DES PRIVILÈGES ET DE CERTAINS DROITS

  I. Conflit entre l'exercice du privilège et l'exercice du droit à rétention

27L'exercice du privilège peut se trouver paralysé par celui du droit de rétention dont sont titulaires les créanciers nantis et certains autres créanciers auxquels le législateur reconnaît un gage tacite.

La Cour de cassation a estimé, notamment, que le créancier gagiste, même dans le cas de gage sans déplacement comme celui qui porte sur les véhicules automobiles, peut opposer son droit de rétention à tout créancier privilégié qui tenterait de saisir et de vendre le bien gagé ; en revanche, s'il prend l'initiative de la vente, le créancier gagiste perd son droit de rétention et ne peut se prévaloir que du privilège qui lui est reconnu par l'article 2102-2° du Code civil ; il subit alors la priorité des privilèges d'un rang préférable, tel que le privilège du Trésor (Cour d'appel de Lyon, 7 novembre 1974 ; cf. BODGI 12 C-18-75).

Lorsque le débiteur est en état de liquidation des biens, le syndic a la possibilité, avec l'autorisation du juge-commissaire, de mettre le créancier gagiste en demeure de réaliser son gage dans un délai imparti, et, à défaut d'y procéder à sa place. Avant la réforme du droit de la faillite résultant de la loi du 13 juillet 1967 précitée, la Cour de cassation avait décidé que, dans ces cas, le droit de rétention du créancier gagiste se trouvait reporté sur le prix ; ce créancier pouvait, ainsi, obtenir le paiement de sa créance, par préférence à tous les autres créanciers privilégiés, y compris le Trésor.

La solution de la Haute Jurisprudence a été consacrée par l'article 83 de la loi du 13 juillet 1967 précitée qui, en matière de liquidation des biens, après avoir, dans ses alinéas 1 et 2, traité du retrait et de la vente du gage à la demande du syndic, dispose à l'alinéa 3 : « Le privilège du créancier gagiste prime toute autre créance privilégiée ou non... ».

Certains tribunaux ont attribué à l'expression « créancier gagiste », employée dans ce texte, un sens très large englobant les créanciers munis d'une sûreté sans dépossession réelle ou fictive du débiteur telle que le nantissement sur le fonds de commerce qui, d'après la doctrine, a le caractère d'une hypothèse mobilière. L'Administration soutient, pour sa part, que seuls les créanciers jouissant d'un droit de rétention réel ou fictif sur le bien gagé peuvent se prévaloir à l'égard du Trésor privilégié, du droit de priorité absolu institué par cet article dont, en tout état de cause, les dispositions ne s'appliquent que dans les procédures de liquidation des biens.

  II. Conflit entre l'exercice du privilège et l'exercice du droit d'attribution en paiement

28Un autre moyen pour le créancier gagiste de résister à l'exercice des privilèges qui le priment est de faire ordonner en justice que son gage lui demeurera en paiement et jusqu'à due concurrence, d'après une estimation faite par experts (Code civ., art. 2078 ; cf. C 5 Textes). La jurisprudence a admis que cette faculté était ouverte pour toutes les formes de gage civil ou commercial.