Date de début de publication du BOI : 01/07/2002
Identifiant juridique : 13L1531
Références du document :  13L1531

SOUS-SECTION 1 CHAMP D'APPLICATION DE LA PROCÉDURE DE RÉPRESSION DES ABUS DE DROIT

  C. OPÉRATIONS EXCLUES

  I. En raison de la nature du litige

1. Principe.

28Selon une jurisprudence constante du Conseil d'État, la procédure de répression des abus de droit n'est pas applicable dans le cas où le différend entre l'administration et le contribuable, ne mettant pas en cause le caractère sincère et licite des situations juridiques créées par ce dernier, ne porte en réalité que sur une question de fait (CE, arrêt du 27 juin 1958, req. n° 38021, RO, p. 174) ou ne touche qu'à l'interprétation des textes fiscaux.

29En application de l'article 12 1 de la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987, portant réforme du contentieux administratif, le Tribunal administratif d'Orléans a soumis, à propos d'un litige portant sur des crédits d'impôt fictifs, la question de savoir si « l'administration est en droit de faire usage de la procédure de répression des abus de droit à l'encontre d'un contribuable qui a appliqué à la lettre une doctrine contenue dans une instruction publiée et non rapportée à la date des opérations en cause ».

Le Conseil d'Etat a rendu le 8 avril 1998 un avis retenant que les dispositions de l'article L.80 A du livre des procédures fiscales « instituent un mécanisme de garantie au profit du contribuable qui, s'il l'invoque, est fondé à se prévaloir de l'interprétation contraire à la loi que l'administration a donnée de celle-ci dans ses instructions ou circulaires dont il a respecté les termes.

Dans l'hypothèse où le contribuable n'a pas appliqué les dispositions mêmes de la loi fiscale mais a seulement entendu se conformer à l'interprétation contraire à celle-ci qu'en avait donnée l'administration dans une instruction ou une circulaire, l'administration ne peut faire échec à la garantie que le contribuable tient de l'article L.80 A du livre des procédures fiscales et recourir à la procédure de répression des abus de droit en se fondant sur ce que ce contribuable, tout en se conformant aux termes mêmes de cette instruction ou circulaire, aurait outrepassé la portée que l'administration entendait en réalité conférer à la dérogation aux dispositions de la loi fiscale que l'instruction ou la circulaire autorisait. Elle peut seulement, le cas échéant, contester que le contribuable remplissait les conditions auxquelles l'instruction ou la circulaire subordonne le bénéfice de l'interprétation qu'elle donne ».

2. Cas où la procédure de répression des abus de droit n'est pas appliquée.

a. Impôts sur les revenus.

30La procédure visée à l'article L. 64 du LPF ne trouve pas à s'appliquer lorsque l'administration, sans contester la réalité ni la sincérité des actes qui lui sont présentés, se limite à en examiner les conditions ou modalités d'exécution ou bien à rectifier les incidences fiscales prêtées à ces actes par les déclarants.

Il en est ainsi :

- lorsque le service estime que les rémunérations allouées par une société à ses dirigeants ou associés sont anormalement élevées et manquent de contrepartie, sans soutenir que les conventions les liant à cette société ne constituent pas de véritables contrats de travail ni que les parties ont tenté d'échapper à l'impôt (CE, arrêts des 7 février 1958, req. n° 40371, RO, p. 42 ; 2 mai 1961, req. n° 45065, RO, p. 344 et 5 mars 1969, req. n° 73875) ;

- dans les cas où, tout en ne se fondant pas sur la circonstance que le contrat aurait eu pour objet de dissimuler la réalisation ou le transfert d'une partie des bénéfices sociaux, l'administration conteste la déduction, des bénéfices imposables,de dépenses telles que :

• honoraires de conseil (CE, arrêt du 23 janvier 1967, req. n° 61502) ;

• commissions ou ristournes (CE, arrêt du 15 mars 1968, req. n° 72559) ;

• redevances pour la concession de licence d'exploitation d'un brevet ou la concession de marques (CE, arrêts des 8 novembre 1961, req. n° 37852 et 11 juin 1975, req. n° 89915) ;

• loyers ne correspondant pas à la valeur locative réelle des biens loués, lorsqu'il n'est pas allégué que l'acte ne constitue pas un véritable contrat de location ni que le prix fixé ne présente pas le caractère d'un loyer ni que les contractants ont tenté d'échapper à l'impôt (CE, arrêts des 17 décembre 1956, req. n° 32931, RO, p. 230 et 22 janvier 1982, n° 22397) ;

• prix d'un matériel acquis par un contribuable en compensation d'une créance qu'il avait sur le vendeur lorsque ce prix apparaît excessif (CE, arrêt du 1er février 1978, n° 3402) ;

- lorsque certains actes, dont la sincérité n'est pas remise en cause, constituent en fait, des libéralités ou des distributions indirectes de bénéfices, notamment à l'occasion :

• de la prise en charge par une société locataire d'un immeuble du coût de travaux profitant à l'associé bailleur de cet immeuble (CE, arrêt du 13 mars 1967, req. n os 65126 et 65127) ;

• de la vente (ou de la location) par une société à ses associés de biens sociaux, tels que titres de portefeuille, créances, marchandises ou immeubles pour un prix inférieur à leur valeur réelle (CE, arrêts des 25 novembre 1966, req. n° 66681, RO, p. 277 et 5 octobre 1973, n° 82836) ;

• de l'abandon de créances consistant, pour une entreprise, à percevoir des commissions d'intervention, pour le compte d'autres entreprises, d'un montant inférieur à celui des charges exposées de ce chef (CE, arrêt du 14 octobre 1966, req. n° 66762) ;

• de la prise en charge du déficit d'une autre entreprise par une société ne recevant de celle-ci que le droit d'utiliser une marque, dont elle employait déjà les initiales, et une participation très hypothétique à des bénéfices futurs et aléatoires (CE, arrêt du 11 avril 1962, req. n° 50108, RO, p. 67).

La procédure de répression des abus de droit ne trouve pas davantage à s'appliquer, en l'absence de contestation par le service de la sincérité des stipulations des actes qui lui sont opposés, à propos :

- de la question de savoir si, considérée tant isolément que par rapport à celle du gérant statutaire d'une société à responsabilité limitée, l'activité d'un associé de ladite société lui confère la qualité de gérant de fait (CE, arrêt du 1er avril 1960, req. n° 46451, RO, p. 55) ; même chose pour un associé de fait (CE, arrêt du 28 avril 1982, n° 27711) ;

- de l'appréciation, dans une société à responsabilité limitée, du caractère majoritaire de la gérance, en considération du nombre de parts effectif de chaque associé (CE, arrêt du 28 avril 1965, req. n° 51316) ;

- du rattachement aux bénéfices d'une société des résultats d'opérations commerciales de son gérant, non distinctes de l'activité sociale, dès lors que le seul acte juridique interprété par le service est le contrat conclu, et non contesté, entre ladite société et celle ayant versé les sommes déclarées au nom du seul gérant (CE, arrêt du 31 mai 1965, req. n° 58493, Leb. p. 323) ;

- de la qualification d'une activité à retenir au regard du régime d'imposition, compte tenu des conditions d'exercice de cette activité (CE, arrêts des 11 mai 1962, req. n° 47448 et 31 mai 1965, précité) ;

- de la détermination de la plus-value apparaissant à l'occasion du retrait d'un immeuble figurant à l'actif du bilan d'une société et repris à titre personnel par les associés, lorsque l'administration se limite, à cet effet, à faire état d'un acte de vente conclu le même jour par lesdits associés (CE, arrêt du 13 juillet 1963, req. n° 58267) ;

- de la déductibilité au titre des revenus fonciers, du montant des travaux effectués par un contribuable sur une maison qu'il avait donnée en location à un tiers avant d'en faire sa résidence secondaire (CE, arrêt du 22 février 1978, n° 3931).

b. Taxes sur le chiffre d'affaires.

31Il n'y a pas lieu à mise en oeuvre de la procédure visée à l'article L. 64 du LPF dès lors que le service n'a pas entendu écarter le contrat invoqué mais s'est borné, par exemple, à estimer qu'une taxe, en l'espèce la taxe sur les prestations de services, facturée au redevable en vertu de ce contrat, n'était pas déductible eu égard à la nature des dépenses qu'elle grevait (CE, arrêt du 20 juin 1969, req. n° 75324, RJCA, 2e partie, p. 81).

Il a été jugé également que la procédure de répression des abus de droit ne se justifie pas dans le cas suivant :

Un contribuable avait donné en location par bail commercial pour usage d'exploitation hôtelière, un ensemble immobilier lui appartenant, à une société à responsabilité limitée, constituée entre sa femme et lui-même et cette société avait elle-même loué à des tiers ces locaux après les avoir garnis de meubles.

Ce contribuable, qui avait opté pour son assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée en ce qui concerne les loyers qu'il facturait à la société, avait demandé le remboursement de la taxe ayant grevé le prix d'acquisition des locaux à concurrence du montant qu'il n'avait pu imputer sur celle dont il était redevable au titre des loyers.

Se fondant sur les dispositions de l'article L. 64 du LPF, l'administration a estimé que le contrat de location passé entre le contribuable et la société ne lui était pas opposable et que le contribuable devait être regardé comme exerçant en réalité lui-même l'activité de loueur en meublé, activité à laquelle était applicable la limitation du droit à déduction prévue par l'article 223 de l'annexe II au CGI. En conséquence, l'administration avait refusé d'accorder le remboursement demandé.

Jugé que ce remboursement doit être accordé dès lors que l'administration ne conteste pas, qu'à s'en tenir à l'analyse de la situation de droit où le contribuable s'est placé, le remboursement est dû et que cette situation de droit ne dissimule pas une réalité différente puisqu'en l'espèce :

- la régularité de la constitution et du fonctionnement de la société ne peut être contestée ;

- son existence et les opérations faites par elle ne peuvent être tenues pour fictives du seul fait que le contribuable en est le maître ;

- le contrat de location ne peut être regardé comme irrégulier ou fictif au seul motif que le loyer stipulé est calculé sur la base d'un pourcentage du chiffre d'affaires du preneur ;

- les recettes de location en meublé perçues par la société lui sont personnellement acquises et entrent dans la détermination des bénéfices sociaux imposables à l'impôt sur les sociétés, ces derniers ne pouvant être appréhendés par les associés qu'après avoir fait l'objet d'une distribution régulière (CE, arrêt du 23 février 1979, req. n° 6688).

Nota : Les circonstances de fait relevées dans cet arrêt n'ont pas permis au service de démontrer que la société locataire aurait été créée uniquement à des fins fiscales.

c. Droits d'enregistrement et taxe de publicité foncière.

32Hormis le cas où la société anonyme reviendrait à sa forme antérieure, l'opération de transformation régulière d'une société à responsabilité limitée en société anonyme, suivie de la cession des actions de la société anonyme ne relève pas de la procédure de répression des abus de droit (Cass. com., arrêt du 10 décembre 1996 ; cf. DB 7 D 5112, n° 13 ).

  II. En application de l'article L. 64 B du LPF

33La procédure prévue à l'article L. 64 du LPF n'est pas applicable lorsque le contribuable, préalablement à la conclusion d'un contrat ou d'une convention, a consulté par écrit l'administration centrale en lui fournissant tous éléments utiles pour apprécier la portée véritable de cette opération et si celle-ci n'a pas répondu dans un délai de six mois (cf. DB 13 L 1323, n os139 et suiv. ).

ANNEXE I

 Com. 2 novembre 1994, n° 1929 D

« Attendu qu'il résulte des énonciations du jugement attaqué (tribunal de grande instance de Caen, 30 septembre 1992) que l'administration des impôts, estimant que la vente d'une maison par M. X... à sa concubine Mme Y... dissimulait une donation, a procédé à un redressement et émis un avis de mise en recouvrement du complément de droits de mutation et des pénalités résultant de ce redressement ; que Mme Y... a demandé le dégrèvement de ces sommes ;

Attendu que Mme Y... reproche au jugement de ne pas avoir accueilli cette demande alors, selon le pourvoi, que l'aliénation gratuite d'un bien au profit d'une personne ne caractérise une donation qu'à la seule condition que son auteur soit animé d'une intention libérale ; qu'en l'espèce, pour décider que la vente litigieuse dissimulait une donation, le jugement a essentiellement relevé que, si le prix de la vente a bien été réglé par elle, le paiement des échéances de l'emprunt destiné au financement de cette acquisition était opéré par M. X... ; que ses ressources, uniquement constituées de prestations familiales et insuffisantes pour honorer les échéances, étaient versées sur le compte de M. X... qui, compte tenu du montant de ses revenus, n'aurait nullement été contraint de réaliser la vente ; qu'en se déterminant par ces seules circonstances, d'où il résulte seulement l'existence d'un déséquilibre entre les engagements respectifs des contractants, sans relever une intention libérale de M. X... au profit de Mme Y..., le tribunal a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 64 du Livre des procédures fiscales et de l'article 894 du Code civil ;

Mais attendu que, sans se fonder sur le seul déséquilibre entre les prestations stipulées, le jugement relève que les parties vivaient maritalement dans l'immeuble objet de la mutation avec leurs trois enfants et que M. X..., dont la situation financière était aisée, n'avait aucune nécessité d'aliéner la maison ; que, de l'ensemble de ces présomptions graves, précises et concordantes, jointes à la preuve de l'absence de paiement d'un prix, il a déduit l'intention libérale de M. X... en justifiant légalement sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi... ».

ANNEXE II

 Com. 29 novembre 1994, n° 2181 D

« Attendu, selon les énonciations du jugement attaqué (tribunal de grande instance de Bordeaux,

26 janvier 1993) que l'administration des Impôts, estimant que la vente d'une maison consentie par Mme X... aux époux Y... pour un prix converti en une obligation de soins dissimulait une donation, a procédé à un redressement et a émis un avis de mise en recouvrement des droits de mutation et des pénalités en résultant ; que M. Y... a demandé l'annulation de cet avis ;

« Attendu que M. Y... reproche au jugement d'avoir rejeté sa demande et décidé que la vente apparente dissimulait une donation alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en l'état des motifs hypothétiques du jugement, selon lesquels « il est permis de supposer que la maladie de Mme X... serait antérieure à l'acte de vente » et « qu'on ne peut exclure » que celle-ci ait donné aux époux Y... la somme de 150 000 francs en espèces, il n'est pas justifié de ce que l'administration fiscale a rapporté la preuve, qui lui incombait, de l'intention libérale prêtée à la venderesse et du caractère de donation de l'acte litigieux ; que le jugement est à cet égard dépourvu de toute base légale au regard de l'article L. 64 du Livre des procédures fiscales et de l'article 894 du Code civil ; alors, d'autre part, qu'en se bornant à affirmer, pour réfuter l'argumentation de M. Y... selon laquelle la somme de 13 000 francs reçue de Mme X... correspondrait au remboursement de soins antérieurs, que le montant de ce chèque est « sans rapport avec les besoins d'une personne âgée », sans rechercher quels pouvaient être les besoins de l'intéressée dont il était constaté par ailleurs qu'elle avait de confortables revenus, le Tribunal n'a pas caractérisé, nonobstant l'inexécution -toute relative- des obligations de soins en résultant, la volonté des acquéreurs de se soustraire au paiement des droits de mutation, privant derechef sa décision de toute base légale au regard des textes précités ;

Mais attendu que le jugement, après avoir constaté que les parties étaient liées par des liens d'affection, relève que Mme X... avait déjà manifesté sa générosité envers les époux Y... en leur remettant, trois mois avant l'acte litigieux, un chèque de 13 000 francs, puis, deux mois après cet acte, un chèque de 70 000 francs, dont il a souverainement constaté que les bénéficiaires ne justifiaient pas la cause, onéreuse, qu'ils alléguaient ; qu'ayant constaté en outre que dans le même mois les époux Y... , bien que disposant de ressources tenues pour modestes, avaient déposé à leur banque une somme de 150 000 francs ; que les juges du fond ont retenu que l'attitude de Mme X... postérieurement à l'acte litigieux impliquait que cette dernière n'attendait pas l'exécution de la contrepartie stipulée à la charge des époux Y...  ; qu'ainsi, déduisant de ces éléments que l'acte apparent dissimulait une donation, le tribunal, abstraction faite du motif critiqué dans la première branche du moyen, qui est surabondant, et sans avoir à procéder à d'autres recherches, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est donc fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi... ».

1   Cette disposition est désormais codifiée à l'article L. 113-1 du code de justice administrative.