SECTION 1 DISPOSITIONS COMMUNES
SECTION 1
Dispositions communes
L'article 2095 du Code civil, définit le privilège : un droit que la qualité'de la créance donne à un créancier d'être préféré aux autres créanciers, même hypothécaires.
Si l'alinéa 1 er de l'article 2098 du même code renvoie à des lois spéciales pour le régime de privilèges du Trésor - lois consacrant leur primauté - il n'en demeure pas moins que tous les privilèges présentent des traits caractéristiques communs.
La présente section traitera successivement :
- des principes généraux régissant tous les privilèges (s.-s. 1) ;
- du privilège général mobilier du Trésor en matière fiscale (s.-s. 2).
SOUS-SECTION 1
Principes généraux régissant les privilèges
A. TRAITS CARACTÉRISTIQUES DES PRIVILÈGES
1Les traits caractéristiques du privilège qui ressortent de la définition donnée par l'article 2095 du Code civil sont les suivants :
- le privilège est un droit de préférence ;
- il est une sûreté légale :
- enfin, il est lié, en principe, à la qualité de la créance et non à celle du créancier (mais il existe des exceptions notamment pour les privilèges établis au profit du Trésor).
I. Le privilège est un droit de préférence
2Il est de l'essence du privilège de conférer à son bénéficiaire un droit de préférence.
Ce droit permet au créancier privilégié, en cas de distribution du prix des biens ou des deniers saisie-arrêtés du débiteur, d'être payé avant les créanciers ordinaires ou même, si l'assiette de son privilège est immobilière, avant le créanciers hypothécaires.
3Si plusieurs créanciers se présentent, ils sont désintéressés dans l'ordre de faveur que la loi accorde à chacun d'eux ; les créanciers munis du même privilège et venant au même rang sont payés par concurrence.
II. Le privilège est une sûreté légale
4Mesure d'exception à la loi du concours prévue à l'article 2093 du Code civil, le privilège ne saurait résulter de la seule convention des parties. Il n'y a pas de privilège sans texte et les dispositions légales qui instituent un privilège ne peuvent être étendues. par analogie, à d'autres creances ou à d'autres biens.
5On admet, toutefois, que le privilège s'applique, de plein droit, aux accessoires de la créance qu'il garantit et notamment aux frais de poursuite, à la condition que ces frais soient liés de façon nécessaire et indissoluble au recouvrement de la créance et en forment un accessoire indivisible.
6D'autre part, en matière de règlement judiciaire, de liquidation des biens et de suspension provisoire des poursuites, une construction jurisprudentielle, qui ne va pas sans quelques hésitations, confère aux créanciers de la masse le droit d'être payés sur l'actif du débiteur sans avoir à subir la loi du concours : ce droit de préférence n'est prévu actuellement par aucun texte ; il résulte implicitement des dispositions de l'article 13 du 13 juillet 1967 sur le règlement judiciaire et la liquidation des biens, en vertu desquelles les créanciers extérieurs à l'ouverture de la procédure sont groupés en une masse représentée par le syndic qui agit en son nom et peut l'engager.
III. Le privilège est attaché à la qualité de la créance
7Pour attribuer un privilège, le législateur prend en considération la qualité de la créance qu'il veut protéger plutôt que celle du créancier.
Toutefois, cette règle n'est pas absolue : c'est ainsi, par exemple, que le privilège attribué au créancier gagiste par l'article 2102-2° du Code civil n'est pas lié à la cause de sa créance ni même à son objet
De même, des lois spéciales instituent des privilèges au profit du Trésor public, donc « intuitu personnae » (C. civ., art. 2098).
B. DIFFÉRENTES CATÉGORIES DE PRIVILÈGES
8Les privilèges peuvent porter sur l'ensemble des biens du redevable, ce sont les privilèges généraux qui s'étendent sur tous ses biens meubles et, dans certains cas, sur ses immeubles.
Ils peuvent porter sur certains meubles du débiteur ou certains immeubles, ce sont alors des privilèges spéciaux.
I. Privilèges généraux
9Aux termes de l'article 2099 du Code civil les privilèges peuvent être sur les meubles ou sur les immeubles.
Avant l'entrée en vigueur du décret n° 55-44 du 4 janvier 1955, les privilèges généraux s'appliquaient à l'ensemble des biens meubles du débiteur et en cas d'insuffisance du mobilier, sur tous les immeubles, sur le prix desquels ils primaient les privilèges immobiliers spéciaux (Code civil, art. 2104 et 2105).
10Mais une telle garantie grevait lourdement les biens des débiteurs. Aussi le décret du 4 janvier 1955 (modifié par les décrets du 20 mai 1955 et 7 janvier 1959, et par l'ordonnance n° 59-71 du 7 janvier 1959) portant réforme de la publicité foncière a-t-il prévu que, désormais, les privilèges généraux ne portaient que sur les meubles à l'exception de deux d'entre eux : celui des frais de justice et celui des salariés (cf. infra n os11 et 12 ).
Au surplus, des lois non incorporées au Code civil, ont créé des nouveaux privilèges mobiliers, en matière civile, commerciale, administrative ou fiscale.
1. Privilèges généraux mobiliers et immobiliers.
a. Privilèges prévus par le Code civil.
11Les privilèges généraux mobiliers et immobiliers, prévus aux articles 2101-1° et 4°, 2104 et 2105 du Code civil sont essentiellement ceux des frais de justice et des créances de salaires des salariés et des apprentis 1 .
Ces deux privilèges s'exercent sur les meubles dans l'ordre indiqué à l'article 2101 du Code civil ; ils ne s'étendent aux immeubles que si les meubles ne peuvent suffire à désintéresser les créanciers qui en bénéficient. Ils s'exercent alors dans l'ordre prévu à l'article 2104 dudit code et priment, sur le prix de l'immeuble, conformément aux dispositions de l'article 2105 du même code, les autres privilèges ainsi que les hypothèques (cf. infra 12 C 52 ).
On entend par « frais de justice » tous les frais engagés dans l'intérêt commun des créanciers pour la conservation, la liquidation et la réalisation de l'actif du débiteur, ainsi que la distribution du prix en provenant, sans qu'il y ait lieu de distinguer s'ils sont exposés au cours de l'instance judiciaire ou à l'occasion d'actes ou d'opérations extra-judiciaires.
Le privilège des frais de justice peut être opposé à tous les créanciers (y compris le Trésor) auxquels les frais engagés sont susceptibles d'être utiles sans qu'il soit nécessaire que ces frais leur aient effectivement profité.
Par contre, le privilège des créances de salaires des salariés et apprentis est primé par les privilèges fiscaux, sauf lorsqu'il s'applique sur les immeubles. A noter qu'il est tout à fait distinct du superprivilège des salariés (cf. ci-après n° 12 ).
b. Privilèges prévus par des lois non incorporées au Code Civil.
1° Superprivilège des salariés (Code du Travail, art. L. 143-9 et suiv.)
12En cas de règlement judiciaire ou de liquidation des biens, les rémunérations de toute nature dues aux salariés et apprentis pour les soixante derniers jours de travail ou d'apprentissage doivent, déduction faite des comptes déjà perçus, être payées, nonobstant l'existence de toute autre créance privilégiée, jusqu'à concurrence d'un plafond mensuel identique pour toutes les catégories de bénéficiaires.
Ce plafond est fixé par voie réglementaire sans pouvoir être inférieur à deux fois le plafond retenu pour le calcul des cotisations de sécurité sociale.
Les rémunérations prévues ci-dessus comprennent non seulement les salaires, appointements ou commissions proprement dits, mais encore tous les accessoires (et notamment l'indemnité due pour inobservation du délai-congé) et les indemnités de congés payés.
En fait ce privilège, de toute premier rang, ne peut s'exercer que dans les procédures de règlement judiciaire ou de liquidation des biens de l'employeur et ne peut porter que sur une portion des salaires ; s'il est absolu dans son principe, il est, ainsi, très limité quant à son champ d'application.
2° Privilège des auteurs et compositeurs.
13Le privilège des salaires a été étendu par l'article 58 de la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique, au bénéfice des auteurs compositeurs et artistes.
Il garantit les redevances dues à ces derniers, pour les trois dernières années à l'occasion de la cession, de l'exploitation ou de l'utilisation de leurs oeuvres (livres et autres écrits, compositions musicales, oeuvres de dessin, de peinture, etc.).
2. Privilèges généraux mobiliers.
Les privilèges généraux mobiliers sont des droits pour les créanciers qui en bénéficient, d'être payés par préférence sur la généralité des meubles de leur débiteur.
A ceux énumérés par l'article 2101 du Code civil s'en ajoutent d'autres prévus par des lois spéciales.
a. Privilèges généraux mobiliers énumérés à l'article 2101 du Code civil.
14Ces privilèges sont énumérés dans l'ordre où ils s'exercent lorsqu'ils se trouvent en concours avec les privilèges des frais de justice et de salaires. Ils sont primés par les privilèges fiscaux.
On en trouvera l'énumération supra C 50 « Textes ».
b. Privilèges généraux mobiliers prévus par des lois non incorporées au Code civil.
15De nombreux privilèges généraux mobiliers ne figurent pas à l'énumération de l'article 2101 du Code civil.
On cite, entre autres :
- le privilège des mois de nourrice résultant de l'art. L 175 du Code de la Santé publique ;
- le privilège des créances des caisses de sécurité sociale (régime général avec dispositions analogues pour les divers régimes spéciaux).
Enfin l'article 2098 du Code civil renvoie aux textes qui ont accordé à l'État et aux collectivités publiques des privilèges fiscaux.
On cite notamment sans considération d'ordre :
- le privilège des impôts directs et taxes assimilées (CGI, art. 1920 ) ;
- le privilège des TCA et taxes assimilées (CGI, art. 1926 ) ;
- le privilège des contributions indirectes (CGI, art. 1927 ) ;
- le privilège des droits d'enregistrement de timbre et de la taxe de publicité foncière (CGI, art. 1929 ) ;
- le privilège de l'administration des Douanes (Code des Douanes, art. 1979 S) ;
- le privilège du Trésor sur les biens des comptables (loi du 5 décembre 1807, art 1 et 2 modifiés par l'ordonnance du 7 janvier 1959) ;
- le privilège garantissant le recouvrement des frais et amendes en matière pénale (autre loi du 5 septembre 1807 modifiée par l'ordonnance du 7 janvier 1959).
Nota. - Les privilèges du droit social sont primés par les privilèges du droit fiscal.
II. Privilèges spéciaux
16Les privilèges spéciaux peuvent être soit immobiliers soit mobiliers. Ils portent sur un ou plusieurs éléments immobiliers ou mobiliers du patrimoine du débiteur et donnent à leur bénéficiaire le droit d'être payés par préférence sur leur prix de vente.
1. Privilèges spéciaux sur les immeubles.
17Les privilèges spéciaux sur les immeubles sont énumérés à l'article 2103 du Code civil (cf. texte C 5).
Les privilèges immobiliers spéciaux confèrent à leurs titulaires les mêmes prérogatives que l'hypothèque : le droit de préférence et le droit de suite.
Comme les hypothèques ils doivent être inscrits pour pouvoir être opposés aux tiers.
Toutefois la formalité d'inscription intervenant dans un délai légal permet à leurs titulaires d'obtenir un rang de faveur.
Inscrits dans le délai imparti les privilèges immobiliers spéciaux sont de véritables « hypothèques privilégiées » qui prennent rang, rétroactivement, au jour de la naissance de la créance garantie.
Par contre, si l'inscription est prise après le délai légal, le privilège est assimilé à une hypothèque simple et ne prend rang que du jour de son inscription.
2. Privilèges spéciaux mobiliers.
Les privilèges sur certains meubles (objets corporels, droit de créance) sont énumérés à l'article 2102 du Code civil, mais il en existe d'autres prévus par des lois spéciales.
1° Privilèges établis par le Code civil.
18En ce qui concerne les privilèges visés à l'article 2102 du Code civil, l'ordre dans lequel est faite l'énumération n'est pas attributif de rang, à la différence de celle de l'article 2101 visé ci-avant n° 14 .
Le créancier, qui bénéficie d'un privilège spécial mobilier, a un droit de préférence sur le bien grevé du privilège ; mais il conserve sur les autres biens du patrimoine du débiteur, le droit dit de « gage général », ce qui lui permet de venir sur le prix de ces biens en concours avec les autres créanciers.
Certains privilèges spéciaux, fondés sur l'idée du gage exprès ou tacite (privilège du créancier gagiste, de l'aubergiste, du voiturier, du bailleur d'immeuble, etc.) sont assortis, selon le cas, d'une ou plusieurs prérogatives particulières (droit de suite, droit de rétention, droit de revendication).
En principe, les privilèges spéciaux mobiliers énumérés à l'article 2102 susvisé sont préférables aux privilèges mobiliers généraux mais ils sont primés par le privilège général du Trésor. Cependant, il faut admettre que le privilège des frais faits pour la conservation de la chose (Code civil, art 2102-3°) est opposable au Trésor dans la mesure où ces frais ont permis de conserver le bien sur lequel s'applique son privilège..
1 Code du Travail, art. L 143-7.