Date de début de publication du BOI : 30/06/1994
Identifiant juridique : 12C2251
Références du document :  12C2251

SOUS-SECTION 1 RESPONSABILITÉ PÉCUNIAIRE DES DIRIGEANTS (LPF ART. L 266 ET L 267)

2. La notion de gérant majoritaire de SARL au sens de l'article L 266 du LPF

a. Définition

42La notion de gérance majoritaire visée par l'article L 266 est celle définie par les articles 62 et 211 du Code général des impôts.

Ces derniers attribuent la qualité de gérant majoritaire au dirigeant détenant à lui seul, personnellement ou par personnes interposées, la majorité du capital social.

Dans l'hypothèse d'un démembrement de la propriété des parts, les pouvoirs d'administration qui y sont attachés sont réputés exercés, non par le nu-propriétaire mais par l'usufruitier.

Il en résulte que pour déterminer si le gérant possède la majorité des parts sociales, il y a lieu de tenir compte de celles dont il a l'usufruit (cf. DB 5 H 1111 n° 7).

En théorie, ces dispositions atteignent un nombre restreint de dirigeants sociaux, mais la jurisprudence rendue pour leur application a permis de définir plus largement la notion de gérance majoritaire.

Cette dernière s'apprécie uniquement par référence au critère juridique de détention, directe ou indirecte, des parts sociales.

C'est pourquoi, l'article L 266 du LPF est applicable à l'associé majoritaire qu'il soit gérant statutaire ou seulement de fait (Cass. com. 14 juin 1977, Bull. civ. IV n° 171 p. 148 - BOI 12 C-28-85).

Toutefois, la Cour de cassation exclut du champ d'application de l'article L 266 les gérants appartenant à un collège de gérance majoritaire et qui, pris isolément, ne disposent de la majorité des parts sociales ni personnellement ni par personnes interposées au sens de l'article 211 du CGI (cf. Cass. com. 27 octobre 1992, arrêts n°s 1549 D, 1585 D et 1586 D ; RJF 1/93 n° 142).

Elle refuse également de tenir compte des parts détenues par l'intermédiaire d'une société, laquelle, associée dans la SARL que le gérant dirige, serait contrôlée par ce dernier (cf. Cass. com. 8 décembre 1992, arrêt n° 1847 P Bull. civ. IV n° 401 p. 281 ; RJF 2/93 n° 286)

Sur ces points, la Chambre commerciale de la Cour de cassation rejette l'extension du champ d'application de l'article 211 du CGI, opérée par les juridictions administratives (cf. sur le collège de gérance CE 29 avril 1985 n° 39214, RJF 6/85 n° 857 ; 3 mars 1989 n° 65068, RJF n° 559 ; 4 décembre 1989 n° 55322, RJF 2/90 n° 133 a ; sur la détention par société interposée CE 7 février 1979 n° 3547, RJF 3/79 n° 139).

Lorsqu'une cession de parts sociales n'est pas assortie des mesures de publicité requises par la loi, elle doit être regardée comme non avenue (Cass. civ. 12 décembre 1962, D. 1963 p. 262), de sorte qu'un gérant majoritaire qui se serait séparé de certaines de ses parts dans de telles conditions doit être considéré comme détenant toujours la majorité du capital social.

De la même manière, lorsqu'il a été établi, dans le cadre de la procédure de répression des abus de droit prévue à l'article L 64 du LPF, qu'une cession de parts n'a été réalisée que pour rendre une gérance minoritaire (CE 12.07.89 n° 59088, DF 1989 n° 50, somm. 2381), l'Administration pourra pour l'application de l'article L 267 faire valoir que la gérance est demeurée majoritaire.

b. Personnes interposées

43Le gérant, qu'il soit de droit ou de fait, associé ou non, est réputé posséder personnellement les parts sociales appartenant à son conjoint ou à ses enfants non émancipés (article 211-I, 3ème et 4ème alinéas du CGI). Cette présomption de propriété est irréfragable.

A cet égard, la circonstance que l'épouse est en instance de divorce (CE 22 octobre 1962, req. n° 49861, X... 1962 p 741) ou placée sous tutelle (CE 13 juillet 1963, req n° 58938 RO 1963 p. 410) est sans influence.

De même, les parts détenues par le conjoint en toute propriété ou en usufruit, quel que soit le régime matrimonial adopté par les époux, sont considérées comme appartenant au gérant (CE 27 octobre 1965, req. n° 58290, X... 1965 p. 515).

Les enfants du gérant dont les parts détenues en toute propriété ou en usufruit doivent être rapportées à son compte sont les enfants mineurs qui n'ont pas été émancipés, soit à la demande des parents, soit par mariage

En dehors de ces cas, l'interposition de personnes physiques se fonde principalement sur un lien de représentation par mandat explicite ou implicite.

Ainsi, sont considérées comme détenues par le gérant les parts que celui-ci a reçu mandat d'administrer et pour lesquelles il a reçu délégation du droit de vote (CE 9 décembre 1965 n° 5968).

Toutefois, un simple mandat de représentation aux assemblées ne suffit pas à démontrer l'interposition (CE 12 juillet 1989 n°s 75155 - 76496 , RJF 10/89 n° 1097). La jurisprudence ne permet de prendre en compte, dans ce cas, que les pouvoirs sociaux réellement exercés (CE 2 juillet 1962 n° 52163 RO p. 138).

Enfin, sont prises en compte les parts possédées en indivision dès lors que le gérant a pu exercer, en fait, les droits qui y sont attachés (CE 19 novembre 1984, req. n° 38069, RJF 1/85 n° 60).

44 En cas de doute sur le caractère majoritaire de la détention au capital par le gérant visé, l'action sera engagée sur le fondement de l'article L 267.

3. Les dirigeants visés par l'article L 267

45Le législateur a entendu conférer à l'article L 267 une portée très générale ; non seulement, en effet, le texte est applicable quelle que soit la manière dont la direction est assurée - " en droit ou en fait, directement ou indirectement " - mais encore, il vise la fonction de dirigeant sans la qualifier, évitant ainsi de limiter sa portée à un type de direction particulier.

L'article L 267 peut dès lors être considéré comme ayant un champ d'application identique à celui des articles 101 de la loi du 13 juillet 1967 et 182 de la loi du 25 janvier 1985 (cf. 12 C 2254 ) qui étendent les procédures d'apurement du passif d'une personne morale à " tout dirigeant de droit ou de fait, apparent ou occulte, rémunéré ou non " ; les solutions jurisprudentielles dégagées à l'occasion de la mise en oeuvre de ces dispositions doivent donc être étendues au domaine de l'article L 267.

a. Dirigeants de droit

46Est en premier lieu visée toute personne qui a été régulièrement désignée pour exercer des fonctions générales de gestion et d'administration.

Il en est ainsi :

- du dirigeant minoritaire, voire non associé d'une société à responsabilité limitée (Cass. com. 11 février 1992, arrêt n° 267 D) ;

- d'un président-directeur général de société anonyme (Cass com. 19 mai 1992, arrêt n° 878 D) ;

- du directeur général, du membre du directoire voire de l'administrateur d'une société anonyme ;

- du président ou de membres du conseil d'administration d'une association (cf. Cass. com. 9 avril 1991, Bull civ. IV n° 133 p. 95 - a contrario) ;

- du gérant d'une société civile immobilière ou d'une indivision conventionnelle,

- d'une façon générale, de toute personne désignée pour être responsable des actes de gestion et de leurs résultats.

Ne sont en revanche pas concernées les personnes qui, bien que régulièrement désignées, ne participent pas normalement à la gestion générale : membre du conseil de surveillance d'une société anonyme à directoire ou d'une société en commandite par actions, commissaires aux comptes.

Sont également exclus les directeurs salariés qui ne sont responsables que d'une division technique (directeur commercial, directeur du personnel, directeur technique...). Toutefois, cette exclusion n'est fondée que dans la mesure où les personnes concernées se limitent à l'exercice des fonctions pour lesquelles elles ont été désignées et n'empiètent pas en réalité sur les attributions de la direction générale de la société, personne morale ou groupement Dans ce cas, en effet, leur responsabilité serait engagée en tant que dirigeant " effectif " de ladite société (cf. infra 12 C-2252, n° 19 ).

Le fait que le dirigeant soit une personne morale n'exclut pas que sa responsabilité soit recherchée. Il est également possible de poursuivre le dirigeant de cette dernière qui doit être alors considéré comme dirigeant " indirect " de la société redevable.

La circonstance qu'un dirigeant ait cessé d'exercer ses fonctions au moment où est intentée l'action n'est pas de nature à le dégager de sa responsabilité à raison des faits pour lesquels il est mis en cause.

En effet, pour déterminer si les dispositions de l'article L 267 trouvent à s'appliquer, il convient de se placer exclusivement à la date à laquelle devaient être accomplies les obligations fiscales dont l'inobservation est imputable au dirigeant (cf. Cass. com. 7 juin 1988, Bull. civ IV n° 196 p. 136).

b. Dirigeants de fait

47Le législateur a prévu la possibilité de faire application de l'article L 267 aux personnes exerçant en fait la direction de la société.

La direction de fait se définit comme l'exercice d'une activité positive de gestion et de direction, en toute souveraineté et indépendance

Cette notion a été développée sans fondement législatif par la jurisprudence tant administrative que civile

Les juges se fondent au cas par cas sur un faisceau d'indices relatifs aux pouvoirs de direction ou de contrôle détenus et exercés par les personnes concernées et aux conditions de rémunération qui leur sont consenties.

Par conséquent, il est recommandé de se référer aux critères retenus :

48 - Par le Conseil d'Etat, à propos du régime d'imposition des associés majoritaires de société à responsabilité limitée (cf. Doc 5 H 1112 n°s 10 et suivants) ; à titre d'exemples :

. employé ayant le statut de VRP, titulaire d'une délégation de signature sur les comptes bancaires, qui correspond avec les fournisseurs et l'Administration, et qui excède les limites de ses fonctions officielles (CE 22 décembre 1976) ;

. directeur commercial, associé majoritaire d'une SARL tenant des statuts des pouvoirs étendus de contrôle sur la gestion de la société et ayant exercé ces pouvoirs de façon effective et constante (CE 29 décembre 1978, req. n° 9279 RJF 1979 p. 60) ;

. ancien exploitant individuel conservant la propriété du fonds, titulaire de la signature sociale et recevant des appointements voisins de ceux du gérant statutaire (CE 26 juillet 1982, req. n° 20977 RJF 1982 p. 468) ;

. directeur commercial qui exerce des responsabilités excédant ses fonctions théoriques, qui représente la société vis-à-vis des tiers, qui dispose d'une procuration bancaire, et qui perçoit une rémunération supérieure à celle du gérant statutaire (CE 29 septembre 1989 n° 47026, RJF 11/89 n° 1216, 18 octobre 1989 n° 48608, RJF 12/89 n° 1344) ;

En revanche :

. gérance de fait non établie à l'égard de l'associé qui détient la moitié des parts sociales, perçoit une rémunération équivalente à celle du gérant de droit, dispose d'une procuration sur certains comptes de la société et a signé certaines déclarations fiscales en raison d'une indisponibilité du gérant statutaire (CE 22 février 1989 n° 89081, RJF 4/89 n° 438).

. gérance de fait non établie à l'égard d'une personne dont les pouvoirs ne sont pas plus étendus que ceux découlant de ses fonctions de directeur administratif, même si elle disposait d'une procuration bancaire dont elle usait peu et signait certaines déclarations fiscales et alors même que sa rémunération était égale à celle du gérant statutaire (CE 2 octobre 1989 n° 60000, RJF 12/89 n° 1346).

49 - Par les juridictions civiles, en matière de liquidation des biens personnels des dirigeants de sociétés réelles ou de façade (cf. Doc 12 C 2254 ; Cass. com. 27 mars 1990, Bull. civ. IV n° 100 p. 66).

Dans une affaire engagée sur le fondement de l'article L 266, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a déjà confirmé, pour sa part, que la qualité de gérant de fait, appréciée souverainement par les juges du fond, est suffisamment établie lorsque ces derniers constatent que le salaire de l'intéressé est sensiblement plus élevé que celui de la gérante de la société, qu'il avait reçu de cette dernière entière délégation pour ce qui concerne les relations avec l'administration fiscale, qu'il avait apporté à la société son fonds de commerce, son nom, ses brevets, sa clientèle, et qu'il se présentait enfin comme l'un des deux principaux animateurs de la société (Cass. com. 5 novembre 1991, Bull. civ. IV n° 332 p. 230).

50 Ces diverses solutions appliquées à l'égard des gérants de SARL sont évidemment transposables à tous les dirigeants de société ou de groupement, quel que soit leur statut.

51Il est important de souligner que la jurisprudence n'a pas défini de critères qui, pris isolément, seraient décisifs pour qualifier la direction de fait ; tout est affaire de circonstances et repose sur un ensemble d'éléments qui auront valeur d'indication pour le juge.

Toutefois, la démonstration de la direction de fait s'articule généralement autour de trois axes :

- les fonctions et responsabilités exercées au sein de la société ;

- les pouvoirs détenus, notamment vis-à-vis des tiers (clients, administrations, banques...) ;

- l'importance de la rémunération.

52Comme à l'égard du dirigeant de droit, la circonstance que le dirigeant de fait soit une personne morale n'exclut pas que sa responsabilité puisse être recherchée, ni même celle du dirigeant de cette personne morale, lequel est alors un dirigeant " indirect " de la société, de la personne morale ou du groupement redevable.

53Enfin, il importe peu que le dirigeant visé ait cessé d'exercer ses fonctions avant l'engagement de l'action prévue par l'article L 267, dès lors qu'il les exerçait au moment des faits qui lui sont reprochés (cf. n° 46 ).

54Selon une jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. com. 2 mai 1977, Bull. civ. IV n° 119 p. 103 ; 13 décembre 1982, Bull. civ. IV n° 408 p. 361), la qualité de gérant de fait reconnue, ou non, à un dirigeant de société dans le cadre d'une instance pénale s'impose aux juridictions civiles en vertu du principe de l'autorité au civil de la chose jugée au pénal.

c. Les héritiers

55A l'instar des actions civiles en responsabilité, l'action engagée sur le fondement des articles L 266 ou L 267 est d'ordre patrimonial (CA AMIENS 4 juin 1991 ; rappr. sur l'art. 99 de la loi du 13 juillet 1967, Cass. com. 6 février 1979, Bull. civ. IV n° 51 p. 40).

Dans ces conditions, elle peut être exercée contre les héritiers du dirigeant social dont les dettes sont transmissibles par succession, conformément aux règles de droit commun (article 873 du Code civil).