SOUS-SECTION 4
SOUS-SECTION 4
A. LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE SOCIETES COMMERCIALES
1Selon l'article 52 (1er et 2e al.) de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales modifiée par la loi du 12 juillet 1967, les gérants de sociétés à responsabilité limitée sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers les tiers des fautes commises dans leur gestion. Si plusieurs gérants ont coopéré aux mêmes faits, le tribunal détermine la part contributive de chacun dans la réparation du dommage. L'article 244 de la même loi énonce la responsabilité pour fautes de gestion des administrateurs de sociétés anonymes.
2La responsabilité des dirigeants de société est une responsabilité à base de faute soumise aux règles du droit commun. Il appartient donc à celui qui agit d'établir qu'une faute a été commise par le dirigeant et qu'elle est la cause du préjudice subi.
I. Conditions de fond. La faute de gestion
1. Simple défaut de paiement : condition insuffisante
3La seule constatation du défaut de paiement d'une dette sociale ne suffit pas à elle seule à caractériser l'existence d'une faute précise et certaine de gestion engageant la responsabilité du dirigeant (Cass. sect. com., 14 octobre 1954, Bull. civ. 1954-II n° 3209 p. 209 ; Cass. com. 1er avril 1968, JCP 1969-II-15.788).
2. Faute de gestion
4Le créancier lésé doit donc apporter la preuve que le dirigeant a commis une faute dans l'accomplissement de sa mission. Suivant la doctrine " la mauvaise gestion résulte d'un ensemble de faits dont le rapprochement permet seul de caractériser l'impéritie, l'imprévoyance ou la légèreté " du dirigeant (Gaz. Pal. 1964-I, doctr. 88).
Ainsi peuvent donner lieu à une action en responsabilité les fautes de gestion en général et les abus de biens sociaux faits dans un intérêt personnel
Ont été reconnus responsables envers les créanciers sociaux pour avoir commis des fautes de gestion :
- les gérants se livrant à des opérations de " carambouillage " (Cour d'appel de Paris, 10 avril 1934, Gaz. Pal. 1934-2-315, D.H. 1934-337) ;
- le gérant qui n'exerce pas les pouvoirs que la loi et les statuts sociaux lui confèrent et qui laisse un tiers gérer la société et la mener à sa ruine (Cour d'appel de Paris, 18 novembre 1968, D.H. 1969, som. 20 ; 6 juillet 1970, Rev. trim. de droit commercial, 1971, p. 770, n° 10 ; Revue des Syndics, 1970, p 315) ;
- le dirigeant qui fait des actes de commerce à des fins purement personnelles ou pour favoriser une autre entreprise dans laquelle il est directement ou indirectement intéressé, qui se rend coupable de prélèvements de fonds sociaux (Cass. crim., 5 novembre 1963, D.H. 1964-52 ; 16 janvier 1964, J.C.P. 1964-11-13.612 ; D H. 1964-194 ; trib. corr de la Seine, 14 novembre 1958, Sir. 1960-55), qui utilise des biens sociaux à des fins personnelles (Cass crim., 5 mars 1937, Gaz. Pal 1937-2-69).
II. Mise en oeuvre de l'action. Compétence et prescription
5L'action est introduite par voie d'assignation motivée devant le Tribunal de commerce dans le ressort duquel est situé le siège social de la société dans le délai de trois ans à compter du fait dommageable, ou, s'il a été dissimulé, de sa révélation (loi du 24 juillet 1966, art. 53 et 247).
6Pendant la durée de la procédure de règlement judiciaire ou de liquidation des biens, un créancier ne peut exercer seul l'action en responsabilité, à moins de prouver qu'il a subi un préjudice individuel.
III. Exercice de l'action en responsabilité par les créanciers civils. Droits de l'Administration
7Les textes susvisés relatifs à la responsabilité des dirigeants sociaux ne réservent nullement l'action aux seuls créanciers commerciaux ; d'ailleurs, suivant la doctrine (Gaz. Pal. 1964-I, doctr. 88), la responsabilité encourue par les dirigeants de sociétés est la responsabilité de l'article 1382 du Code civil que rappellent les textes spécifiques du droit commercial et l'action appartient à chaque personne qui s'estime lésée et ne profite en cas de succès qu'à celle qui l'a exercée.
8La condamnation du dirigeant résultant de la décision de justice n'est nullement une condamnation au paiement des impositions dues par la société.
Comme l'a d'ailleurs fait remarquer la doctrine (Gaz. Pal. 1964-I, doctr. 88 ; J.C.P. 1966-11-14.847, note sous Douai, 19 octobre 1965) à l'égard de l'U.R.S.S.A.F. poursuivant contre des dirigeants sociaux le recouvrement de cotisations non payées par la personne morale, l'action fondée sur l'article 25 de la loi du 7 mars 1925 (disposition remplacée par la loi du 24 juillet 1966, art. 52) " tend au recouvrement de cotisations tout au moins en la forme " , mais " la demande ainsi présentée... est mal qualifiée " . " Elle ne peut être une poursuite en recouvrement de cotisations, le débiteur n'étant que le débiteur légal... Elle n'est en réalité qu'une action en dommages-intérêts " puisqu'elle est fondée sur une faute personnelle du dirigeant social.
9Par conséquent, l'Administration est en droit d'exercer l'action en responsabilité énoncée à la loi du 24 juillet 1966 (art. 52 et 244) et de demander, à titre de dommages-intérêts, la condamnation du dirigeant au paiement d'une somme équivalente aux impositions non recouvrées, augmentée d'une somme correspondant à la gêne occasionnée au service pour le retard dans le recouvrement et au surcroît de travail résultant du litige.
B. EXTENSION DE LA PROCEDURE D'APUREMENT COLLECTIF DU PASSIF DES PERSONNES MORALES A LEURS DIRIGEANTS
10Les actions (art. 101 de la loi du 13 juillet 1967 et art. 182 de la loi du 25 janvier 1985) ne sont pas laissées à l'initiative individuelle des créanciers.
C. ACTION CONTRE LES LIQUIDATEURS AMIABLES DES SOCIETES
11La liquidation des sociétés est régie par les dispositions contenues dans les statuts (loi du 24 juillet 1966, art. 390) ; elle peut être amiable, c'est-à-dire résulter d'une convention particulière des parties intéressées, ou légale, c'est-à-dire résulter d'une décision de justice.
Ainsi, le liquidateur est désigné, soit par les associés si la dissolution a pour cause le terme statutaire ou la décision des associés, soit par décision de justice si les associés n'ont pu, faute d'accord, nommer un liquidateur ou si la liquidation est prononcée en justice.
12L'acte de nomination des liquidateurs, quelle que soit la forme de la liquidation, est publié dans le délai d'un mois, dans un journal habilité à recevoir les annonces légales dans le département du siège social et, en outre, si la société a fait publiquement appel à l'épargne, au bulletin des annonces légales obligatoires.
L'insertion mentionne, outre les indications relatives à la société en cours de liquidation, les nom, prénom et domicile du liquidateur et, le cas échéant, les limitations apportées à ses pouvoirs. Sont en outre indiqués dans la même insertion :
- le lieu où la correspondance doit être adressée et celui où les actes et documents concernant la liquidation doivent être notifiés ;
- le tribunal de commerce au greffe duquel sera effectué le dépôt des actes et pièces relatifs à la liquidation.
13Le liquidateur est le mandataire de la société et non des créanciers sociaux (Cass. req., 26 février 1934, D.P. 1936-1-39 et note) Aussi le quitus qui lui est donné par les associés ne prive pas les créanciers du droit d'agir à raison des fautes délictuelles dont il se serait rendu coupable à leur égard (Cass. civ., 21 juillet 1920, D.P. 1921-1-137)
Toutefois, le liquidateur représente les créanciers sociaux s'ils lui ont donné expressément ou tacitement mandat de le faire.
14Le liquidateur est essentiellement chargé de réaliser l'actif qu'il lui est interdit d'acquérir même par personne interposée (loi du 24 juillet 1966, art. 395), de payer les créanciers, et, sous réserve des droits de ces derniers, de répartir les fonds devenus disponibles en cours de liquidation.
La loi du 24 juillet 1966 n'a pas prévu de règles particulières pour le paiement du passif. Il est admis que, comme en matière de succession bénéficiaire, le liquidateur désintéresse les créanciers au fur et à mesure qu'ils se présentent (Cass., 28 novembre 1934, Sir. 1935-1-267), sauf s'il y a des créanciers opposants.
L'opposition d'un créancier, qui n'est soumise à aucune forme particulière mais doit résulter d'un acte par lequel l'intéressé manifeste son intention d'être payé, oblige le liquidateur à procéder à une répartition proportionnelle, sauf à tenir compter des privilèges revendiqués.
D'ailleurs, en vue de faciliter et de provoquer les oppositions, toute décision de répartition de fonds devenus disponibles en cours de liquidation (loi du 24 juillet 1966, art. 418, 1er al.) doit, en application de l'article 278, 1er alinéa, du décret n° 67-236 du 23 mars 1967, faire l'objet d'une insertion dans le journal d'annonces légales dans lequel a été publié l'acte de nomination du liquidateur.
L'attribution de l'actif aux associés avant paiement du passif oblige ceux-ci à le rapporter (Cass., 2 décembre 1891, D.P. 1892-1-154).
15Les créanciers peuvent mettre en jeu la responsabilité civile du liquidateur, si ses actes ont nui à leurs intérêts (loi du 24 juillet 1966, art. 400, 1er al.). Suivant le 2ème alinéa de cet article, l'action en responsabilité se prescrit dans les conditions prévues à l'article 247 de la même loi, c'est-à-dire pas trois ans à compter du fait dommageable ou, s'il a été dissimulé, de sa révélation.
EXTRAITS DE CERTAINES DECISIONS RELATIVES A LA MISE EN OEUVRE DE L'ARTICLE L 267
N° I - Cass. com. 11 octobre 1988, X... , Bull. civ. IV n° 273 p. 186
Mais attendu qu'il résulte des termes de l'article L 267 du Livre des procédures fiscales que l'action prévue par ce texte n'est exclue que si, en vertu d'une autre disposition légale, le dirigeant de la société en cause est tenu de la totalité de la dette fiscale restant due en qualité de débiteur direct du comptable poursuivant ; que tel n'est pas le cas lorsque le dirigeant est condamné à supporter les dettes sociales et à verser au syndic de la procédure collective une somme devant revenir à l'ensemble des créanciers de la personne morale débitrice au prorata de leurs créances ou suivant l'ordre des privilèges dont ils disposent ; que le moyen n'est pas fondé :
N° II - Cass. com. 8 janvier 1991, X...
Mais attendu que, pour apprécier si le recouvrement des impositions avait été rendu impossible par l'inobservation grave et répétée des obligations fiscales de la société, l'arrêt ne s'est pas borné à constater le caractère tardif des déclarations et le défaut de paiement des impositions, mais, par motifs propres et adoptés, a retenu qu'en dépit de mises en demeure et de l'émission d'avis de mise en recouvrement, les dirigeants de la société avaient laissé s'accroître la dette fiscale dans des proportions telles que la créance ne peut plus être recouvrée ; que la Cour d'appel a ainsi écarté l'argument des dirigeants poursuivis selon lequel des difficultés économiques pouvaient justifier l'impossibilité de recouvrer la taxe sur la valeur ajoutée non versée et procédé à la recherche prétendument omise ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
N° III - Cass. com. 17 décembre 1991, X... , Bull. civ. IV n° 392 p. 272
Attendu que la personne poursuivie en qualité de débiteur solidaire d'une dette fiscale peut opposer à l'administration des impôts, outre les exceptions qui lui sont personnelles, toutes celles qui résultent de la nature de l'obligation, ainsi que celles qui sont communes à tous les codébiteurs ;
Attendu selon l'arrêt attaqué, que M. X... , président du conseil d'administration de la société (...) a soulevé l'irrégularité de la procédure d'imposition engagée à l'encontre de celle-ci ; que la Cour d'appel s'est déclarée incompétente pour connaître de ce moyen et a condamné M. X... comme débiteur solidaire de la dette fiscale de la société ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que M. X... était recevable à faire examiner, fût-ce par renvoi préjudiciel devant la juridiction compétente, si l'irrégularité invoquée, qui était de nature à influer sur la responsabilité solidaire qui lui était imputée, était fondée, la Cour d'appel a violé le texte susvisé ;
N° IV - Cass. com. 19 mai 1992, X...
Mais attendu, d'une part, que l'application du texte invoqué n'implique pas que le dirigeant ait été de mauvaise foi ; que l'arrêt relève que la société Das n'a pas acquitté ses obligations fiscales pendant plusieurs mois, en omettant de déposer ou en déposant avec retard les déclarations auxquelles elle était tenue et en ne payant pas intégralement les impositions dont elle était redevable ; qu'il a ainsi établi l'inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales et répondu, en les écartant, aux conclusions invoquées ;
N° V - Cass. com. 23 février 1993, X... , Bull. civ. IV n° 75 p. 50
Attendu que pour statuer comme il a fait, l'arrêt retient que les poursuites engagées le 27 décembre 1988 à l'encontre des époux X... avaient interrompu le cours de la prescription à l'égard de tous les codébiteurs solidaires, donc à l'égard de la société ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que la responsabilité solidaire prévue à l'encontre des dirigeants des sociétés n'est pas de droit, mais doit être prononcée par le juge, de sorte que l'interruption de l'action ouverte à rencontre des époux X... n'a pu interrompre celle ouverte contre la société ; que la dette de cette dernière étant prescrite au jour de l'arrêt qui a déclaré les époux X... solidairement responsables de la dette avec la société, la Cour d'appel a violé le texte susvisé ;