SOUS-SECTION 2 CONDITIONS D'APPLICATION
SOUS-SECTION 2
Conditions d'application
A. INOBSERVATION DES OBLIGATIONS FISCALES - MANOEUVRES FRAUDULEUSES
1La mise en cause du dirigeant peut être envisagée lorsque celui-ci est responsable de manoeuvres frauduleuses ou de l'inobservation grave et répétée des obligations fiscales.
Ces dispositions sont alternatives de sorte que lorsqu'il est démontré que le dirigeant s'est rendu coupable d'une inobservation grave et répétée des obligations fiscales, il est sans intérêt d'établir, en plus, l'existence de manoeuvres frauduleuses (cf. Cass. com. 13 mars 1978, Bull. civ. IV n° 88 p. 72 ; Cass. com. 12 octobre 1993, arrêt n° 1502 D).
I. Inobservation des obligations fiscales
2Notion qui concerne toutes les obligations dont le respect est exigé des redevables.
- Défaut de déclaration d'existence, de début d'activité, de modification des conditions d'exploitation et de localisation de la société ;
- Comptabilité irrégulière ou non sincère ;
- Assiette : minoration des bases imposables, déclarations non déposées ;
- Liquidation : déductions abusives, application d'un taux erroné ;
- Mention abusive de la TVA sur les factures (art. 282-7, 283-3 et 4) ;
- Recouvrement : déclarations dans les délais mais sans paiement.
3L'inobservation des obligations a été retenue par la jurisprudence dans les situations suivantes :
- s'abstenir de déposer plusieurs déclarations fiscales (cf. Cass. com. 9 février 1981, Bull. civ. IV n° 73 p. 57) ;
- déposer de nombreuses déclarations avec des retards importants (cf. Cass. com. 13 mars 1978, Bull. civ. IV n° 88 p. 72) ;
- s'abstenir de payer l'impôt lorsque les déclarations sont régulièrement déposées (cf. Cass. com. 22 septembre 1983, Bull. civ. IV n° 242 p. 210 ; Cass. com. 7 juin 1988, Bull. civ. IV n° 196 p. 136 ; Cass. com. 16 janvier 1990 arrêt n° 60 D ; Cass. com. 29 mai 1990 arrêt n° 751 D ; Cass. com. 19 novembre 1991 arrêt n° 1434 D).
- ne pas mentionner sur des déclarations le montant de la taxe réellement exigible en minorant volontairement les bases d'imposition (cf. Cass. com. 24 mai 1971, Bull. civ. IV n° 143 p. 137 ; Cass. com. 10 mars 1975, Bull. civ. IV n° 76 p. 62 ; Cass. com. 16 juillet 1991 RJF 10/91 n° 1306 ; Cass. com. 10 mars 1992 arrêt n° 438 D) ;
- obliger l'Administration à régulariser la situation fiscale de la société redevable par voie de rappels d'impôts opérés par taxation d'office ou selon la procédure de redressement contradictoire (Cass. com. 24 mai 1971, Bull. civ. IV n° 143 p. 137 ; Cass. com. 10 mars 1975, Bull. civ. IV n° 76 p. 62 ; Cass. com. 9 février 1981, Bull. civ. IV n° 73 p. 57 ; Cass. com. 10 mars 1992 arrêt n° 438 D).
4 L'article L 267 a introduit une condition supplémentaire de mise en oeuvre de l'action fiscale : l'inobservation répétée des obligations fiscales doit revêtir un caractère de gravité.
Les juges apprécient souverainement le caractère de gravité des manquements invoqués par le comptable (Cass. com. 24 novembre 1987 arrêt n° 983 D ; 10 mars 1992, n° 938 D, RJF 5/92 n° 746).
Cet examen s'exerce, néanmoins, sous le contrôle de la Cour de cassation (cf. Cass. com. 7 février 1989, Bull. civ. IV n° 55 p. 35).
5En matière de taxe sur la valeur ajoutée, la jurisprudence considère que le défaut de paiement de cette taxe est particulièrement grave puisque l'entreprise redevable conserve dans sa trésorerie des fonds collectés auprès de ses clients et destinés à être reversés au Trésor (Cass. com. 24 novembre 1987 précité, arrêt n° 983 D ; Cass. com. 7 juin 1988 précité, Bull. civ. IV n° 196 p. 136 ; Dans le même sens, Cass. com. 16 janvier 1990 arrêt n° 60 D ; Cass. com. 16 juillet 1991, RJF 10/91 n° 1306).
Cette pratique fait obstacle à la neutralité de la TVA et au libre jeu de la concurrence entre les entreprises assujetties.
Pour cette même raison, la Cour de cassation a approuvé les juges qui retenaient le caractère de gravité des inobservations résultant de la minoration du chiffre d'affaires taxable, constatée au cours d'une vérification de comptabilité et obligeant l'Administration à procéder par voie de rappel d'impôt (Cass. com. 10 mars 1992, n° 438 D, précité).
6La notion de gravité s'apprécie donc généralement au regard de la nature de l'inobservation ou de la fréquence des manquements aux obligations fiscales.
En revanche, elle n'exige pas que soit établie la mauvaise foi du dirigeant (Cass. com. 10 mars 1992, n° 438 D ; Cass. com. 19 mai 1992 n° 844 D, décision n° IV reproduite en annexe).
7 Il a été jugé que, contrairement à ce qu'impose l'article L 267, la mise en oeuvre de l'article L 266 n'exige pas que le service prouve la gravité des inobservations (CA Paris 15 juin 1983).
II. Manoeuvres frauduleuses
8Au sens des articles L 266 et L 267, les manoeuvres frauduleuses s'entendent de la mise en oeuvre de procédés ayant pour finalité d'éluder la déclaration ou le paiement de l'impôt, accomplis en toute connaissance de cause et ne pouvant être considérés comme des erreurs excusables ou des omissions involontaires.
La notion de manoeuvres frauduleuses repose donc sur deux types d'éléments d'appréciation :
- l'élément intentionnel qui consiste dans l'accomplissement conscient des infractions fiscales, lesquelles revêtent alors un caractère de mauvaise foi ;
- l'élément matériel constitué par des agissements tendant soit à égarer ou à restreindre le pouvoir de contrôle et de vérification de l'Administration, soit à faire obstacle au recouvrement de l'impôt par le Trésor.
9En règle générale, la simple constatation des agissements suffira à qualifier les manoeuvres frauduleuses (cf. DB 13 N 1223 n° 17 ; CA Aix-en-Provence 29 octobre 1992, arrêt n° 91/2614).
Au sens de l'assiette, il s'agit d'actes, opérations, artifices ou manoeuvres ayant pour effet soit de faire disparaître ou de réduire la matière imposable, soit d'obtenir de l'Etat des remboursements injustifiés.
Lorsqu'elle constate des manoeuvres de telle sorte, l'administration est amenée à assortir les suppléments d'impôts découlant du redressement de ces insuffisances ou omissions, de sanctions fiscales prévues à l'article 1729-1 du CGI.
Le comptable qui engage l'action visée par les articles L 266 et L 267 a donc tout intérêt à fonder sa demande en justice sur l'existence de manoeuvres frauduleuses, lorsque ces dernières ont été constatées par les services d'assiette à l'occasion d'opérations de contrôle fiscal.
La fiche de renseignement n° 3952 (transmise au receveur à la fin de chaque vérification), contient toutes précisions utiles sur les constatations effectuées, ainsi que la nature des redressements opérés.
10A titre indicatif, on trouvera ci-après divers cas de manoeuvres frauduleuses suffisamment caractérisées :
- dissimulation de recettes taxables encaissées sur des comptes privés avec une comptabilité portant des mentions fictives ou falsifiées (CE 6 mars 1981, req. n°s 20018 et 20376 ; rapp. sur les dissimulations de revenus, Cass. com. 24 mai 1971, Bull. civ. IV n° 143 p. 138) ;
- déduction de taxes figurant sur de fausses factures émanant de sociétés inexistantes (cf. Paris 17 janvier 1979) ;
- non-comptabilisation des recettes et falsification des pièces justificatives de ces recettes (CE 24 février 1986, req. n° 50433) ;
- minoration systématique des recettes accompagnée de l'exagération des frais professionnels et d'indications erronées sur le lieu de résidence (CE 4 mai 1979, req. n° 9358, RJ IV p. 34) ;
- surévaluation systématique des prix de revient d'appartements en cours de construction et donc du montant de la taxe déductible accompagnée de l'absence de dépôt de déclarations de régularisation après achèvement de l'immeuble (CE, arrêt du 17 février 1982 req. n° 18935).
11 Au sens du recouvrement, il s'agit d'agissements caractérisant l'intention délibérée de priver le comptable des chances de recouvrer les créances fiscales sur le patrimoine du débiteur.
Ainsi, constitue une manoeuvre frauduleuse le fait de distraire du gage du Trésor des fonds facilement appréhendables, en les gaspillant sciemment ou en les mettant en sûreté chez des tiers dont le gérant ne révèle pas l'identité (cf. TGI Nancy 6 janvier 1971, Mém. percept. 1971 p. 56).
Mais la preuve de la mise en oeuvre de manoeuvres frauduleuses peut découler plus simplement de circonstances révélant la mauvaise foi du redevable (Cass. com. 15 juillet 1992, arrêt n° 1322 D, RJF 11/92, n° 1574).
Toutefois, d'une manière générale, il est préférable de ne pas s'en tenir au caractère intentionnel des infractions et d'apporter, en outre, la preuve matérielle des agissements.
En pratique, il conviendra de réserver la notion de manoeuvres frauduleuses aux cas dans lesquels la démonstration est particulièrement évidente.
B. RESPONSABILITE PERSONNELLE DU DIRIGEANT ET DIRECTION EFFECTIVE
12Pour obtenir du juge l'application des articles L 266 et L 267, le receveur doit établir la responsabilité personnelle du dirigeant en ce qui concerne les inobservations des obligations fiscales incombant à la personne morale.
Il convient donc de s'assurer que les manquements commis sont bien imputables au dirigeant poursuivi.
Le service ne doit pas mettre en oeuvre l'action au titre des inobservations survenues avant la prise de fonction ou après la démission de la personne visée, sauf s'il peut prouver qu'elle a participé aux fonctions de direction et concouru aux manquements.
Pour la même raison, on écartera le défaut de paiement d'impositions qui, bien que se rapportant à la période antérieure au jugement ouvrant une procédure collective, ne sont cependant pas exigibles à la date du jugement, lequel interdit précisément au débiteur de régler les créances nées avant son prononcé.
A noter que pour déterminer si la responsabilité du dirigeant est engagée, il convient de se placer exclusivement à la date à laquelle devaient être accomplies les obligations fiscales méconnues et non à celle du fait générateur de l'impôt ni de sa mise en recouvrement (cf. Cass. com. 4 novembre 1986, Bull. civ. IV n° 200 p. 173 ; 9 novembre 1987, Bull. civ. IV n° 232 p. 173 ; 7 juin 1988, Bull. civ. IV n° 196 p. 136) ni même des mesures de poursuite effectuées en vue du recouvrement (cf. Cass. com. 11 février 1992, RJF 5/92 n° 747 - solution implicite).
I. La détermination du lien de responsabilité
13Au sein de la société, c'est au dirigeant qu'incombe normalement la bonne exécution des obligations fiscales.
Au sens de l'article L 266, le gérant majoritaire d'une SARL, statutaire ou de fait, est responsable de plein droit dès lors qu'il est démontré que les manquements répétés ont été commis pendant sa période de gestion et ont rendu impossible le recouvrement de l'impôt.
Dans ce cas, la simple constatation des manquements suffira à établir sa responsabilité (cf. Cass. com. 24 mai 1971, Bull. civ. IV n° 143 p. 138 ; 13 mars 1978, Bull. civ. IV n° 88 p. 73 ; 22 septembre 1983, n° 242 p. 210 ; 24 octobre 1984 n° 282 p. 229).
14Compte tenu des termes de l'article L 267, la responsabilité ne peut être tirée de la seule qualité de dirigeant dès lors que ce texte n'est applicable qu " 'aux personnes exerçant en droit ou en fait, directement ou indirectement, la direction effective de la personne morale " (cf. infra §§ 18 et s.).
15A noter qu'il a été jugé que l'article L 267 constitue une procédure de recouvrement à caractère civil. Son champ d'application est distinct d'une action pénale et notamment de celle tendant à la répression du délit de fraude fiscale (cf. 12 C 2251, n° 6 rappr. sur l'article L 266, Cass. crim. 22 mai 1975, Bull. crim. n° 129 p. 354 ; Cass. com. 26 mars 1985, ibid. IV n° 111 p. 96).
Par conséquent, la responsabilité visée par le texte fiscal peut être mise en cause sans qu'il soit nécessaire de prouver le caractère intentionnel des agissements ni le fait qu'ils ont été commis dans le but d'éluder le paiement de l'impôt (Cass. com. 1er février 1994 n° 445 D)..
16En outre, un dirigeant ne peut prétendre échapper à sa responsabilité en soutenant que le défaut de paiement des impositions était dû aux difficultés économiques rencontrées par la société (Cass. com. 15 juin 1993, RJF 8/9 n° 1221).
17Enfin, dès lors que le dirigeant ne conteste pas avoir exercé ses fonctions, la seule constatation de l'inobservation des obligations fiscales permettra d'établir sa responsabilité (cf. Cass. com. 19 mai 1992, RJF 8-9/92 n° 1252).
La Cour de cassation rappelle en effet qu'un dirigeant social, ayant accepté d'apparaître comme le représentant légal de la société et ne contestant pas avoir exercé effectivement cette fonction au cours de la période pendant laquelle les inobservations ont été commises, ne se décharge que sous sa responsabilité personnelle des obligations fiscales lui incombant.
II. La notion de direction effective
1. Principes
18En étendant la responsabilité solidaire à toute personne exerçant en droit ou en fait la direction effective de la société, le législateur a néanmoins assorti l'article L 267 d'une disposition restrictive.
Un dirigeant de société peut, en effet, s'exonérer de sa responsabilité personnelle en apportant la preuve qu'il n'a pas exercé effectivement ses pouvoirs.
Il s'agit là de la seule circonstance exonératoire en matière de responsabilité des dirigeants au sens de l'article L 267.
Est ainsi écartée la mise en cause d'un dirigeant statutaire qui n'aurait pu exercer sa mission générale de gestion et de surveillance par suite de circonstances suffisamment graves et probantes pour l'affranchir totalement de sa responsabilité.
La Cour de cassation a précisé la portée de cette disposition en indiquant que les juges du fond, qui disposent en la matière d'un pouvoir souverain d'appréciation, devaient caractériser de manière concrète, la responsabilité personnelle du dirigeant pendant l'exercice effectif, direct ou indirect, de son mandat social.
C'est pourquoi, lorsque les juges font ressortir que le dirigeant de droit a concouru, dans l'exercice effectif de son mandat social, aux inobservations reprochées, leur décision n'encourt pas la censure de la Cour suprême (Cass. com. 10 octobre 1989 arrêt n° 1169 D ; 28 novembre 1989, Bull. civ. IV n° 302 p. 203 - 1er moyen ; 20 novembre 1990, Bull. civ. IV n° 289 p. 201).
19La seule qualité de dirigeant de droit n'étant pas suffisante, il convient de ne pas accorder une importance décisive à la démission de ce dernier, publiée ou non (cf. Cass. com. 17 janvier 1989, Bull. civ. IV n° 26 p. 15 ; 8 janvier 1991, Bull. civ IV n° 17 p. 10). Il appartient alors à l'Administration de prouver que le dirigeant démissionnaire a continué d'exercer, en fait, la direction de la société.
20Par ailleurs, la responsabilité du dirigeant de droit peut être écartée si ce dernier démontre, suivant le cas :
a. Qu'il a délégué l'ensemble de ses pouvoirs au profit d'un tiers (cf. Cass. com. 7 février 1989, Bull. civ. IV n° 56 p. 36 ; 3 octobre 1989, Bull. civ. IV n° 243 p. 162 ; 19 novembre 1991 arrêt n° 1433 D).
Cette délégation de pouvoir doit être générale ; un dirigeant qui soutient avoir confié les tâches de gestion administrative et financière de la société à un salarié, et qui n'invoque aucune délégation générale de pouvoir, ne peut s'exonérer de sa responsabilité vis-à-vis de l'administration fiscale (cf. Cass. com. 19 mai 1992 n° 878 D).
D'autre part, le simple défaut de surveillance à l'égard de la personne titulaire d'une telle délégation de pouvoirs n'est pas suffisant pour établir la responsabilité du dirigeant (cf. Cass. com. 22 octobre 1991 n° 1426 D ; 17 janvier 1989, Bull. civ. IV n° 26 p 15 précité).