SOUS-SECTION 1 RESPONSABILITÉ PÉCUNIAIRE DES DIRIGEANTS (LPF ART. L 266 ET L 267)
SOUS-SECTION 1
Responsabilité pécuniaire des dirigeants
Généralités
A. CARACTERE DE L'ACTION ET NATURE JURIDIQUE DE LA RESPONSABILITE ENCOURUE
1Lorsque les dirigeants sociaux ont fait obstacle par leur comportement au paiement des dettes fiscales d'une personne morale, les comptables des impôts et les comptables du Trésor ont la faculté de demander au juge qu'il constate les irrégularités et qu'il déclare ces dirigeants solidairement responsables du paiement des impositions éludées. L'action a pour but d'obtenir un titre permettant de rechercher en paiement de la créance une ou plusieurs personnes physiques distinctes de la société redevable qui demeure le débiteur principal.
2Cette action ne fait donc pas partie des mesures d'exécution que le comptable tient directement de la loi contre le redevable légal et qui découlent de la procédure d'authentification de la créance du Trésor (art. L 256 et s. du LPF).
3C'est une demande en justice par laquelle le receveur requérant vise à obtenir un titre lui permettant d'engager des poursuites contre certains tiers désignés par le texte et sous certaines conditions énumérées par la loi.
La décision du magistrat saisi, si elle fait droit à la requête, a pour effet de rendre la ou les personnes désignées solidairement responsables du paiement des impositions et pénalités dues par la société.
4Il s'agit d'une action d'ordre patrimonial, propre au droit fiscal, indépendante des procédures qui relèvent du droit pénal et du droit commercial.
I. Autonomie de l'action
5Divers textes du droit commun ou d'autres dispositions fiscales prévoient, à titre de sanction, la mise à la charge des dirigeants d'obligations plus étendues que celles qui résultent des règles de fonctionnement de chaque type de sociétés.
Pour échapper à l'application des articles L 266 et L 267, les personnes concernées ont cherché à tirer argument de l'absence de condamnation fondée sur ces autres dispositions.
La Cour de cassation a eu l'occasion de préciser que les différentes actions étaient indépendantes.
1. Autonomie vis-à-vis des poursuites correctionnelles (art. 1741 et s. CGI)
6La jurisprudence a nettement exprimé que les deux séries de dispositions diffèrent par leur nature, ainsi que par leur cause et leur objet.
La Chambre criminelle de la Cour de cassation considère que l'action diligentée par le comptable du Trésor devant le président du tribunal de grande instance sur le fondement des articles L 266 et L 267 du Livre des procédures fiscales contre les gérants majoritaires d'une SARL ou les dirigeants de droit ou de fait d'une personne morale n'a ni la même cause, ni le même objet, ni le même demandeur que celle mise en action devant la juridiction pénale sur le fondement des dispositions de l'article 1745 du Code général des impôts par le directeur des services fiscaux. La première, action civile, nécessite la démonstration de manoeuvres frauduleuses et de l'inobservation répétée des obligations fiscales imposées à la personne morale contribuable ayant rendu impossible le recouvrement des impôts par elle dus, tandis que la seconde action, diligentée devant les juridictions pénales, impose la condamnation préalable des dirigeants de droit ou de fait de la personne morale en cause, voire de leurs complices, pour les délits visés aux articles 1741 et 1743 du Code général des impôts (Chambre criminelle - 13 octobre 1986 - Pourvoi n° 86-90.179, Bulletin, p. 714 n° 281).
a. Différences inhérentes à la nature des deux actions
7 Les articles 1741 et s. du CGI sont des dispositions de nature répressive.
L'Administration plaignante est tenue de rapporter la preuve du caractère intentionnel des agissements reprochés. Le juge, qui apprécie souverainement, peut accorder au prévenu des circonstances atténuantes et prononcer une peine inférieure au minimum prévu par la loi sans être tenu de justifier sa décision à cet égard.
En revanche, l'action prévue par l'article L 267 peut être exercée en l'absence d'intention frauduleuse. La constatation de l'inobservation grave et répétée des obligations fiscales ayant rendu impossible le recouvrement de l'impôt suffit à entraîner la condamnation du dirigeant. Saisis sur le fondement de ce texte, les juges qui relèvent souverainement que les conditions de l'action sont réunies, ne peuvent ni se dispenser de déclarer le dirigeant solidairement responsable des impositions et pénalités qui n'ont pu être recouvrées ni moduler leur condamnation (Cass. com. 9 février 1981, Bull. civ. IV n° 73 p. 57 ; 26 mars 1985, RJ IV n° 70 p. 198).
b. Différences tenant aux faits reprochés
8Les faits reprochés, même s'ils ont abouti dans l'un et l'autre cas à l'accumulation d'une dette fiscale, n'en sont pas moins distincts.
Seuls constituent des infractions les comportements définis comme tels par la loi pénale.
Il arrive que les agissements d'une même personne puissent donner lieu à la fois à des poursuites pénales et aux mesures des articles L 266 et L 267. Les mêmes faits ou des faits identiques sont donc susceptibles de recevoir tout à tour la qualification d'infraction pénale et de faute civile.
c. Conséquences en cas d'instances parallèles
9Lorsque le dépôt d'une plainte en matière fiscale a été décidé, le service garde la faculté d'engager de surcroît l'action en responsabilité.
Principe : L'existence d'une procédure pénale en cours n'a pas d'influence sur la décision à prendre dans le litige civil, contrairement à la règle posée par l'article 4 alinéa 2 du code de procédure pénale, qui a pour objet de sauvegarder au civil l'autorité de la chose jugée au pénal.
Une décision de non-lieu ou de relaxe dans l'instance pénale, ne prouverait pas que le dirigeant n'avait pas méconnu de façon répétée ses obligations fiscales (Cass. com. 24 octobre 1989, n° 1222 D).
En effet, le juge civil peut toujours relever une faute distincte de celle visée par la loi pénale sans violer l'autorité de la chose jugée au sens de l'article 1351 du Code civil (Cass. 14 janvier 1987, Bull. civ. II n° 13 p. 8.)
Par conséquent, le juge civil refuse à juste titre de surseoir à statuer en cas d'instances parallèles.
Exception : S'agissant de la constatation des manoeuvres frauduleuses au sens de l'article L 266 ou L 267, la Cour de cassation a approuvé une Cour d'appel qui avait fait application de l'adage " le criminel tient le civil en l'état " (art. 4 al. 2 C. p. pénale) dès lors que les mêmes faits caractérisant la fraude constituaient l'objet de la plainte pénale et le fondement de la demande en paiement de l'article L 266 du LPF.
Les juges du fond étaient donc fondés, dans ce cas précis, à surseoir à statuer dans l'attente de la décision du Tribunal correctionnel (Cass. com. 2 février 1988, Mémorial des percepteurs n° 3, mars 1989).
Bien entendu, l'issue favorable d'une des instances aurait pour effet de rendre sans intérêt la poursuite de l'instance en cours, dans la mesure où l'une et l'autre portent strictement sur la même créance (Rappr. 12 C-2251, n° 56).
10Aux considérations précédentes, il peut être ajouté que le receveur qui assigne un dirigeant sur le fondement des articles L 266 et L 267 n'a pas d'autre but que d'obtenir la condamnation d'un tiers au paiement de la dette de la société défaillante.
En revanche, la solidarité prévue par l'article 1745 du CGI n'est qu'une sanction complémentaire facultative, qui peut être prononcée lorsque l'autorité représentant l'Administration, constituée partie civile, en fait spécialement la demande. La solidarité n'est ici qu'un effet secondaire de la condamnation pour fraude fiscale.
2. Indépendance à l'égard de l'action en comblement de passif
11Certains dirigeants ont demandé, pour leur défense, que l'application de la loi fiscale soit subordonnée aux conditions tirées du régime de la faillite dont certaines dispositions prévoient de mettre à la charge des dirigeants sociaux tout ou partie du passif de la société.
L'article 99 de la loi du 13 juillet 1967 et l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 instituent une action en responsabilité civile fondée sur la faute du dirigeant dans la gestion des affaires sociales et sur le lien de causalité avec le préjudice subi par les créanciers sociaux du fait de l'insuffisance d'actif de la personne morale.
Or, à cet égard, les juges disposent d'un large pouvoir d'appréciation et peuvent moduler la condamnation requise en fonction des fautes commises et des circonstances particulières.
12S'agissant de la loi fiscale, la Cour de cassation a également défini le pouvoir d'appréciation des juges.
Si les juges apprécient souverainement la qualification des manquements reprochés au gérant et si leurs constatations doivent être suffisantes pour permettre à la juridiction suprême d'exercer son contrôle sur cette qualification, il reste que, lorsqu'ils constatent que les conditions d'application des articles du LPF sont réunies, ils ne peuvent s'empêcher de prononcer la condamnation solidaire prévue par ce texte (Cass. com. 9 février 1981, Bull. civ. IV n° 73 p. 57 ; 24 octobre 1984, Bull. civ. IV n° 283 p. 229).
L'action fiscale peut être exercée sans que le comptable poursuivant ait à établir l'existence de fautes de gestion au sens du droit commercial (Cass. com. 24 novembre 1987 n° 983 D). Les conditions d'application s'apprécient sans qu'il soit besoin de rechercher si les circonstances économiques difficiles ou la bonne foi du dirigeant sont de nature à justifier ou à excuser les manquements reprochés (Cass. com. 24 novembre 1987, n° 983 D ; 8 janvier 1991, n° 104 D, décision n° II reproduite en annexe ; 19 mai 1992, n° 844 D ; 15 juin 1993, RJF 8-9/93 n° 1221).
De sorte que les conditions d'exercice de l'action visée par l'article L 267 du LPF sont totalement étrangères à celles de l'article 99 de la loi du 13 juillet 1967.
13En application de ce principe, la Cour de cassation a indiqué qu'il n'était pas interdit aux juges d'appliquer l'article L 267 à la personne visée bien que l'action fondée sur l'article 99 et dirigée contre elle ait été rejetée par une décision antérieure (Cass. com. 20 novembre 1990, Bull. civ. IV n° 289 p. 201, RJF 1/91 n° 125)
De la même manière, lorsque l'action en comblement de passif est prononcée, elle ne fait pas obstacle à l'application des dispositions de l'article L 267, peu important que le dirigeant ait été condamné à supporter l'intégralité ou une partie des dettes sociales (Cass. com. 11 octobre 1988, Bull. civ. IV n° 273 p. 186 ; 11 février 1992, ibid. n° 71 p. 53, RJF 5/92 n° 745).
14Cette interprétation n'est pas modifiée au regard de la rédaction nouvelle adoptée par la loi du 25 janvier 1985 (art. 180).
II. Nature juridique de la responsabilité encourue
1. Les articles L 266 et L 267 n'ont pas institué une action en dédommagement
15Les articles 50, 52 et 244 de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales prévoient que les gérants de SARL et administrateurs de SA sont responsables envers les tiers, d'une part, des infractions aux dispositions législatives et réglementaires applicables à la société, d'autre part, des violations des statuts et, enfin, des fautes commises dans leur gestion.
L'action dirigée sur ce fondement permet à toute personne qui a été lésée de réclamer en justice des dédommagements. Elle est utilisée au premier chef par les sociétés elles-mêmes contre leur dirigeant. Les comptables des impôts pourraient théoriquement y recourir, mais les dispositions du LPF sont plus favorables.
Les articles L 266 et L 267 ont pour effet de faire désigner une personne physique qui réponde du paiement de la créance du Trésor avec tous ses privilèges et pour son montant intégral, le juge n'étant pas autorisé à moduler la condamnation en fonction de circonstances atténuantes.
2. La nature spécifique de la responsabilité fiscale des dirigeants
16Lorsque le juge retient la responsabilité d'une personne physique en sa qualité de dirigeant, il la déclare solidairement tenue au paiement des dettes fiscales de la société.
La ou les personnes visées deviennent débitrices des droits et des pénalités au même titre que la société elle-même, qui reste la redevable légale de l'impôt.
S'il y a plusieurs dirigeants concernés pour la même période, le juge doit condamner chacun pour le tout : il n'a pas à établir de partage entre eux.
La solidarité joue donc entre la société et ses dirigeants et entre les dirigeants eux-mêmes, de sorte que l'un des codébiteurs actionnés peut se retourner contre les autres (art. 1213 à 1216 du Code civil).
17Cette action récursoire a permis à la jurisprudence de préciser indirectement la nature de l'obligation qui résulte des articles L 266 et L 267.
Le dirigeant mis en demeure d'acquitter la dette peut prétendre, après s'être exécuté, au remboursement intégral par la société. Si plusieurs solidaires ont été désignés, celui qui paie plus que sa part a un recours subrogatoire contre les autres.
En effet, la dette d'impôt trouve son origine dans la loi qui fixe l'obligation fiscale et détermine impérativement son débiteur exclusif. La dette préexiste donc au jugement qui la met à la charge du représentant légal (en ce sens, voir le commentaire sous Cass. com. 19 nov. 1991, RJF 2/92, n° 261).
En cas de mise en oeuvre des dispositions légales, le texte donne au Trésor une garantie de paiement au moyen de la solidarité du coobligé, mais la décision de justice ne fait pas naître une nouvelle créance.
Il n'y a donc pas novation au sens de l'article 1271 du Code civil et substitution d'un débiteur à un autre (ces considérations sont développées dans la troisième sous-section intitulée " Effets de la décision " ).
B - DOMAINE D'APPLICATION
I. Créances visées
18Les articles L 266 et L 267 visent le recouvrement des impositions de toute nature et les pénalités fiscales y afférentes, perçues par les comptables du Trésor et de la direction générale des impôts.
En ce qui concerne le réseau comptable de la DGI, il s'agit des sommes qui peuvent être mises en recouvrement par la voie de l'AMR, les créances domaniales exceptées, car elles n'ont pas le caractère fiscal.
19La créance, bien que formée d'éléments divers et hétérogènes, présente une certaine unité qui doit être respectée.
Lorsque le juge décide de faire application des dispositions présentement étudiées, il ne modifie pas la créance du Trésor, qui préexiste à la décision, dans sa nature et dans sa composition
1. Origine de la créance
20La Cour de cassation retient volontiers la notion d " 'accumulation d'une dette fiscale excessive " lorsqu'il s'agit d'apprécier les conséquences des inobservations commises par le dirigeant.
Cette terminologie suggère une appréciation globale de la totalité du compte, tandis que la qualification légale des irrégularités (inobservation grave et répétée, manoeuvre frauduleuse), rend nécessaire un examen séparé des différentes parties de la créance
21En principe, c'est la dette elle-même qui est mise à la charge du dirigeant avec tous ses privilèges et pour son montant intégral et la nature de la responsabilité instituée par le texte ne permet pas de modifier la composition du passif fiscal en fonction des circonstances ou des caractéristiques des droits dus.
22En visant les inobservations et les manoeuvres frauduleuses qui sont à l'origine de la créance, le législateur a évidemment entendu désigner tous les agissements qui aboutissent à un défaut de paiement à l'échéance, mais ceux-ci peuvent être couverts par un paiement ultérieur, affecté selon les modalités fixées par les règles d'imputation des paiements partiels
23La décision d'engager l'action ne devrait pas conduire à laisser de côté une partie de la créance. En règle générale, le receveur demandera au juge de statuer sur l'intégralité des articles demeurés impayés composant le compte de la société reliquataire, quelles que soient la nature et l'ancienneté des droits, dès lors qu'ils coïncident avec la période de gestion du dirigeant.
Ce principe laisse place, bien entendu, à un jugement d'opportunité sur l'engagement de l'action et il souffre quelques exceptions qui seront justifiées au fur et à mesure des développements qui suivent.