B.O.I. N° 34 du 19 FEVRIER 1998
BULLETIN OFFICIEL DES IMPÔTS
13 O-1-98
N° 34 du 19 FEVRIER 1998
13 R.C. / 11 - O 114
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES. ARRÊTS DES 17 JUILLET 1997 (AFFAIRE C-90/94 ; AFFAIRES JOINTES C-114/95 ET C-115/95), ET 2 DECEMBRE 1997 (AFFAIRE C-188/95).
CONTENTIEUX DE L'IMPÔT.
ACTIONS EN RÉPÉTITION DE TAXES INDUES AU REGARD DU DROIT COMMUNAUTAIRE.
CONDITIONS DE CONFORMITÉ AUX PRINCIPES DIRECTEURS DU DROIT COMMUNAUTAIRE.
MODALITÉS PROCÉDURALES - DÉLAIS DE RÉCLAMATION ET DE PRESCRIPTION APPLICABLES.
(L.P.F., art. L. 190, R * 196-1)
[D.G.I. - Bureau IV A 2]
ANALYSE DES ARRETS (textes reproduits en annexe) :
I. Dans un arrêt de principe du 2 décembre 1997 (affaire C-188/95, FANTASK), la Cour de Justice des Communautés Européennes a jugé que n'était pas contraire au droit communautaire une disposition nationale prévoyant un délai de prescription qui, s'appliquant aux actions en restitution d'impositions perçues en violation d'une directive incorrectement transposée, court à compter de la date d'exigibilité des droits en cause, dès lors qu'un tel délai n'est pas moins favorable pour les recours fondés sur le droit communautaire que pour les recours fondés sur le droit interne et qu'il ne rend pas pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire.
A cet égard, doit être considérée comme remplissant ces conditions, au regard du principe fondamental de sécurité juridique protégeant à la fois le contribuable et l'administration, la disposition nationale qui fixe un délai raisonnable de recours à peine de forclusion, même si l'écoulement d'un tel délai doit entraîner le rejet, total ou partiel, de l'action intentée.
II. De même, dans deux arrêts rendus le 17 juillet 1997, la C.J.C.E. a estimé que :
- le droit communautaire ne s'oppose pas à la mise en oeuvre, à l'égard d'une action en restitution de taxes perçues en violation de l'article 95 du Traité de Rome, d'une disposition nationale prévoyant un délai raisonnable de prescription, s'appliquant de la même manière aux recours similaires de nature interne, et qui n'est pas aménagée de manière à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par le droit communautaire, même si cette règle a ainsi pour effet d'empêcher, en totalité ou en partie, le remboursement desdites taxes (affaire C-90/94).
- Il ne fait pas davantage obstacle à ce qu'un tel délai puisse commencer à courir à une date antérieure à celle à laquelle les taxes en cause ont été supprimées (affaires jointes C-114/95 et C-115/95).
OBSERVATIONS :
Saisie de plusieurs questions préjudicielles relatives à la conformité au droit communautaire de réglementations nationales prévoyant les modalités procédurales, notamment les délais de prescription applicables aux actions en répétition de taxes indues, la Cour de Justice des Communautés Européennes a, dans trois décisions de principe qui visent la contrariété d'une imposition nationale tant à une disposition du Traité CEE (arrêts du 17 juillet 1997) qu'à une directive incorrectement transposée (arrêt du 2 décembre 1997), complété et précisé la portée de sa jurisprudence antérieure.
1.Dans chacune de ces décisions, la Cour rappelle tout d'abord sa jurisprudence constante selon laquelle, en l'absence de toute réglementation communautaire sur ce point, il appartient aux ordres juridiques internes de chaque Etat membre de régler les modalités procédurales des actions en répétition de taxes indues au regard du droit communautaire, sous réserve, en premier lieu, que ces modalités ne soient pas moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne et, en second lieu, qu'elles ne rendent pas pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire (arrêt C-90/94, point 46 ; arrêt C-114/95 et C-115/95, point 45 ; arrêt C-188/95, points 48 et 52).
Puis elle précise que la seconde condition est remplie, s'agissant d'une disposition nationale relative à la prescription de l'action, lorsque celle-ci prévoit un délai raisonnable de recours, même si l'écoulement de ce dernier peut, par définition, entraîner le rejet, total ou partiel, de la demande (arrêt C-90/94, point 48 ; arrêt C-114/95 et C-115/95, point 46 ; arrêt C-188/95, point 48).
La Cour considère en effet que la fixation de délais de recours raisonnables à peine de forclusion relève du principe de sécurité juridique, qualifié de fondamental (arrêt C-90/94, point 48 ; arrêt C-114/95 et C-115/95, point 46), protégeant tant le contribuable que l'administration concernée (arrêt C-188/95, point 48).
De sorte que si le droit d'obtenir la restitution d'impositions contraires au droit communautaire doit ainsi être effectif, il ne saurait cependant présenter un caractère absolu, général et inconditionnel, mais s'exercer dans le cadre des règles procédurales nationales en vigueur et dans le respect du principe de sécurité juridique.
2.S'agissant d'une imposition contraire à une directive incorrectement transposée en droit interne, la Cour précise que la solution dégagée dans l'arrêt du 25 juillet 1991 (C-208/90, X... , Rec. p. 1-4269) était justifiée par les circonstances propres à cette affaire (arrêt C-188/95, point 51) et en déduit que le droit communautaire n'interdit pas à un Etat membre de se prévaloir d'un délai de prescription de l'action en restitution qui court de la date d'exigibilité de l'impôt en cause (point 52), alors même que celle-ci serait, comme au cas d'espèce, antérieure à la transposition correcte de la directive concernée.
La Cour indique également que le délai de prescription national de l'action en restitution d'une taxe indue au regard d'une disposition du Traité CEE peut commencer à courir à une date antérieure à celle à laquelle cette taxe a été supprimée (arrêt C-114/95 et C-115/95, point 49).
3.Ces décisions de la Cour de Justice des Communautés Européennes établissent, notamment en matière de délais de présentation de la réclamation et de prescription de l'action, la conformité aux exigences du droit communautaire des modalités procédurales figurant au Livre des procédurales fiscales et applicables aux actions en répétition d'une taxe indue.
Ainsi, il convient de considérer que le délai de réclamation qui court du paiement de la taxe (art. R* 196-1, al. 1, b du L.P.F.) - d'application générale en contentieux fiscal hors impôts directs locaux et leurs taxes annexes - prévoit un délai raisonnable permettant un exercice effectif de l'action en restitution 1 .
En outre, il est rappelé que lorsque le caractère indu d'une imposition est établi par la révélation, par une décision juridictionnelle, de la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à la règle de droit supérieure, la combinaison des articles L. 190,. al. 3, du L.P.F. et R* 196-1, al. 1, c du L.P.F. ouvre, au bénéfice des contribuables, un nouveau délai de réclamation expirant le 31 décembre de la deuxième année suivant celle au cours de laquelle a été prononcée la décision en cause, leur permettant d'obtenir la restitution des impositions acquittées depuis le 1er janvier de la quatrième année précédant celle du prononcé de cette décision.
Les modalités procédurales prévues à l'article L. 190, al. 3, du Livre des procédures fiscales s'appliquent indifféremment à toutes les actions en restitution d'une taxe indue, que la cause d'un tel caractère indu réside dans la contrariété entre deux règles de droit nationales de rangs différents (ainsi, entre un texte réglementaire et une disposition légale) ou entre une réglementation nationale et une disposition du droit conventionnel ou du droit communautaire.
Leur articulation avec le délai général de réclamation (art. R* 196-1, al. 1 du L.P.F.) garantit un exercice effectif des droits conférés par l'ordre juridique communautaire, même si l'écoulement des délais ainsi prévus peut entraîner le rejet, total ou partiel de certaines demandes, tardives ou portant sur des impositions prescrites.
L'équilibre réalisé de la sorte entre, d'une part, le droit d'obtenir la restitution de taxes indûment versées et, d'autre part, la nécessité de prévoir des délais raisonnables, sanctionnés par la forclusion de l'action, est pleinement conforme au droit communautaire. Il constitue la traduction concrète en droit interne du principe de sécurité juridique solennellement réaffirmé par la Cour de Justice des Communautés Européennes dans les arrêts commentés.
Annoter : D.B. 13 O 1141, n°s 6 et 11 ; O 1142, n° 3 .
Le Chef de Service
Bruno PARENT
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ANNEXE
CJCE, 17 juillet 1997 (sixième chambre)
Affaire C-90/94, HAAHR PETROLEUM LTD
Recueil des arrêts, p. 1-4142
LA COUR
[...] rend le présent arrêt,
1.Par ordonnance du 8 mars 1994, parvenue à la Cour le 15 mars suivant, l'Østre Landsret a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, plusieurs questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 9 à 13, 84 et 95 du traité
17.C'est dans ces conditions que l'Østre Landsret a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles
5) En cas de constatation de l'incompatibilité du supplément à l'importation avec le droit communautaire, une demande éventuelle de remboursement pourra-t-elle être prescrite au titre des règles nationales en la matière, avec pour effet d'exclure totalement ou partiellement le remboursement du supplément à l'importation
Sur la cinquième question préjudicielle
45.Par cette question, la juridiction nationale s'interroge en substance sur la licéité, au regard du droit communautaire, de l'application, à une demande de remboursement fondée sur la violation de l'article 95 du traité, d'une règle nationale en vertu de laquelle l'action judiciaire rendant à la restitution de taxes indûment payées est prescrite après l'écoulement d'un délai de cinq ans, même si cette règle a ainsi pour effet d'empêcher, en totalité ou en partie, le remboursement desdites taxes.
46.A cet égard, il y a lieu d'abord de rappeler que, conformément à la jurisprudence constante, en l'absence de réglementation communautaire en la matière, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque Etat membre de régler les modalités procédurales de l'action en répétition de l'indu, étant toutefois entendu que ces modalités ne peuvent être moins favorables que celles concernant les recours similaires de nature interne et qu'en aucun cas elles ne sauraient être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par le droit communautaire (voir, notamment, arrêts du 14 décembre 1995, Peterbroeck, C-312/93, Rec. p 1-4599, point 12, et du 8 février 1996, FMC e.a., C-212/94, Rec. p. I-389, point 71).
47.Cette jurisprudence s'applique également aux délais de recours nationaux fixés à peine de forclusion (voir, outre les arrêts FMC e.a. et X... , précités, notamment les arrêts du 16 décembre 1976, Rewe, 33/76, Rec. p. 1989, ainsi que Comet, 45/76, Rec p. 2043)
48.Il importe ensuite de relever qu'il résulte de la jurisprudence et notamment des arrêts Rewe et Comet, précités, que la fixation de délais de recours raisonnables à peine de forclusion, qui constitue l'application du principe fondamental de sécurité juridique, satisfait aux deux conditions susvisées et ne saurait notamment être considérée comme rendant en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par le droit communautaire, même si, par définition, l'écoulement de ces délais entraîne le rejet, total ou partiel, de l'action intentée.
49.Il convient enfin de constater qu'un délai de prescription de cinq ans, tel que celui en cause dans l'affaire au principal, doit être qualifié de raisonnable.
50.Il résulte des considérations qui précédent que l'application d'un tel délai à des demandes de remboursement fondées sur la violation de l'article 95 du traité n'est, en l'état actuel du droit communautaire, pas contraire à celui-ci, même si elle a pour effet d'empêcher, en totalité ou en partie, le remboursement demandé.
51.Contrairement à ce que Haahr Petroleum a fait valoir devant la juridiction nationale ainsi que dans ses observations devant la Cour, l'arrêt X... , précité, n'est pas de nature à infirmer cette conclusion.
52.En effet, au point 17 de cet arrêt, la Cour a expressément rappelé le principe selon lequel la fixation d'un délai de recours raisonnable à peine de forclusion satisfait aux conditions posées par la jurisprudence précitée. Ce n'est qu'en raison du caractère particulier des directives et eu égard aux circonstances propres à cette affaire qu'elle a jugé, au point 23, que, jusqu'au moment de leur transposition correcte en droit national, l'État membre défaillant ne peut pas exciper de la tardiveté d'une action judiciaire introduite à son encontre par un particulier en vue de la protection des droits que lui reconnaissent les dispositions d'une directive, de sorte qu'un délai de recours de droit national ne peut commencer à courir qu'à partir de ce moment.
53.La demande de remboursement visée par la cinquième question préjudicielle n'étant pas fondée sur l'effet direct d'une disposition d'une directive incorrectement transposée en droit national, mais sur celui d'une disposition du traité, il convient de répondre à cette question que le droit communautaire ne s'oppose pas à l'application, à une demande de remboursement fondée sur la violation de l'article 95 du traité, d'une règle nationale, en vertu de laquelle l'action judiciaire tendant à la restitution de taxes indûment payées est prescrite après l'écoulement d'un délai de cinq ans, même si cette règle a ainsi pour effet d'empêcher, en totalité ou en partie, le remboursement desdites taxes.
Sur les dépens
. . . . . . . . .
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre),