Date de début de publication du BOI : 10/08/1998
Identifiant juridique : 13O3551
Références du document :  13O355
13O3551

SECTION 5 POUVOIRS DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF


SECTION 5

Pouvoirs du tribunal administratif


Le tribunal administratif jouit de pouvoirs étendus. Sauf à respecter le caractère contradictoire de la procédure au cours de l'instruction de l'instance, il dispose d'une grande indépendance de jugement. Il peut soulever d'office les moyens d'ordre public, décider soit d'un non-lieu à statuer, soit d'un sursis à statuer et rendre ses jugements dans l'ordre qui lui convient (s.-s. 1).

Il peut procéder, dans certains cas, à la jonction d'instances présentant entre elles une étroite connexité (s.-s. 2).

S'il est tenu de statuer sur toutes les conclusions des parties (s.-s. 3), il ne peut cependant se prononcer au-delà de ces conclusions (s.-s. 4).

Enfin le tribunal peut effectuer des compensations (s.-s. 5) et prononcer une majoration pour demande abusive (s.-s. 6).


SOUS-SECTION 1

Pouvoirs généraux du tribunal administratif



  A. RESPECT DU CARACTÈRE CONTRADICTOIRE DE LA PROCÉDURE


1Au cours de l'instruction de l'instance, le juge de l'Impôt est tenu de respecter le caractère contradictoire de la procédure.

Exception faite du cas où le président a décidé qu'il n'y avait pas lieu à instruction (C. TA-CAA, art. R 149), le jugement serait irrégulier s'il était rendu sans que l'Administration ait été appelée à fournir ses observations sur l'affaire. C'est seulement dans le cas où l'Administration s'est abstenue de produire ses observations dans les délais prévus aux C. TA-CAA, article R 153 et LPF, article R* 200-5 , que le tribunal administratif peut statuer en considérant que l'Administration est réputée avoir acquiescé aux faits invoqués par le requérant (cf. ci-dessus 13 O 3312, n° 6 ).

La procédure serait également entachée d'irrégularité si le tribunal administratif rendait son jugement sans avoir communiqué à l'Administration un mémoire produit par le contribuable au cours de l'instruction ou à l'audience, et contenant des moyens nouveaux qu'il aurait retenus (cf. ci-dessus 13 O 3311 ).

De même, la procédure contradictoire n'est pas respectée dès lors que le tribunal n'a pas communiqué au contribuable le texte d'une question écrite et la réponse donnée par le ministre, adressée par l'Administration accompagnée d'un commentaire approprié (CE, arrêt du 16 janvier 1980, n° 9587). Le tribunal tranche entre les argumentations des parties.


  B. INDÉPENDANCE DU JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF



  I. Au regard des avis donnés au cours de l'instruction


2Le tribunal administratif n'est lié par aucun des avis donnés au cours de l'instruction.

De fait, il a été jugé que :

- le tribunal administratif n'est lié ni par l'avis du maire, ni par celui de la majorité des experts (CE, arrêt du 16 janvier 1931, dame X... , RO, 5547), ni par les propositions de dégrèvement de l'administration défenderesse (CE, 30 avril 1975, n° 92488) ;

- le tribunal administratif n'est pas obligé de suivre l'avis des experts (CE, arrêt du 11 janvier 1943, X... , RO, p. 264) ;

- le tribunal administratif peut prendre les éléments de son appréciation dans les renseignements recueillis par l'instruction et fournis par l'Administration en dehors de l'expertise (CE. arrêt du 23 mai 1870, n° 43685, X... , RO, 2231, Leb. chron., p. 625).


  II. Au regard des mesures d'instruction


3La jurisprudence fournit un registre assez varié de diverses circonstances relatives à l'instruction qui ne font pas obstacle à ce que le tribunal se prononce valablement.

Ainsi, le tribunal peut statuer immédiatement sur le fond du litige :

- après avoir constaté dans le jugement définitif qu'une expertise ordonnée dans un précédent jugement est devenue inutile (CE, arrêt du 25 octobre 1968, n°s 73905 et 74657, RJ, 2e partie, p. 215) ;

- alors même que le contribuable aurait déféré au Conseil d'État (ou à la cour administrative d'appel) le jugement rejetant sa demande de récusation d'expert, car les pourvois n'ont pas d'effet suspensif (CE, arrêt du 5 novembre 1934, X... , RO, 6304) ;

- même si le contribuable a critiqué l'irrégularité de la procédure d'imposition, dès lors que le tribunal a écarté ce moyen car celui-ci ne constitue pas une conclusion de nature à justifier un jugement avant dire droit (CE, arrêt du 6 avril 1959, n° 43323, RO, p. 390).

D'autre part, le jugement du tribunal n'est pas entaché d'irrégularité par :

- des opérations d'expertise viciées.

Jugé que lorsque les opérations d'expertise ont été viciées du fait que tous les documents produits par le contribuable n'ont pas été examinés par les experts, le jugement du tribunal administratif rendu à la suite de cette mesure d'instruction ne se trouve pas, de ce fait même, entaché d'irrégularité, dès lors que les premiers juges ont été mis en possession de la totalité desdits documents et ont pu, en conséquence, prendre leur décision en pleine connaissance de cause (CE, arrêt du 11 février 1966, n° 57479, RO, p. 61).

- le défaut de communication d'un document.

Il appartient au tribunal administratif de former sa conviction sur l'ensemble des résultats de l'expertise qu'il a ordonnée et d'en tirer les conclusions qui lui paraissent utiles (CE, arrêt du 19 juin 1974, n° 88130). Un tribunal peut dès lors valablement écarter l'avis d'un expert qui n'a formulée que des hypothèses sur les pièces manquantes d'une comptabilité comportant de graves irrégularités et des suppositions sur les omissions du vérificateur (CE, arrêt du 9 décembre 1981, n° 25437).

En effet, la circonstance que l'Administration n'a pu produire le document dont la communication avait été ordonnée par un jugement avant dire droit, n'a pas pour effet par elle-même d'entacher en la forme ou au fond la régularité du jugement définitif par lequel le tribunal, s'estimant suffisamment éclairé, a rejeté l'opposition du contribuable (CE, arrêt du 27 février 1967, n° 65930, X... Alfred, RJ, 2e partie, p. 66).


  III. Au regard de certaines circonstances affectant le déroulement de l'instance


4Certaines circonstances affectant le déroulement de l'instance ne font cependant pas obstacle à ce que le tribunal se prononce valablement.

Il en est ainsi par exemple en cas de :

- réclamation égarée.

Jugé que, lorsqu'une requête a été égarée, le tribunal administratif peut passer outre et procéder au jugement de l'affaire si le requérant a été préalablement informé de cette circonstance et mis à même de produire de nouvelles observations (CE, arrêt du 4 décembre 1874, n° 47698, X... , RO, 2619, Leb. chron., p. 952).

- décès du requérant.

Le décès du requérant ne fait pas obstacle à ce que le tribunal administratif statue sur le litige dont il est saisi, même lorsque les héritiers n'ont pas déclaré reprendre l'instance, dès lors que l'affaire se trouvait en état d'être jugée à l'époque du décès (CE, arrêt du 20 avril 1959, n° 45990. RO, p. 410).

En revanche, lorsqu'un contribuable est décédé postérieurement à l'instruction de sa requête et que l'affaire n'est pas en état d'être jugée à la date à laquelle ce décès a été porté à la connaissance du tribunal administratif 1 , celui-ci doit, dès lors qu'aucun des héritiers n'a repris l'instance, décider qu'il n'y a pas lieu, en l'état, de statuer sur la requête du de cujus (CE, arrêt du 17 décembre 1975, n° 89472).


  IV. À l'égard d'autres juridictions

(cf. également 13 O 134 )


5Au regard de la qualification des faits, le tribunal n'est pas lié par les décisions définitives émanant d'autres juridictions, en particulier des juridictions répressives.

Ainsi, par exemple, la circonstance qu'une ordonnance de non-lieu aurait été rendue par le juge pénal en faveur d'un contribuable poursuivi pour opposition à contrôle fiscal ne fait pas obstacle à ce que le juge de l'impôt recherche si l'intéressé avait ou non empêché, par son fait, le contrôle fiscal de s'exercer (CE, arrêt du 6 mars 1961, n° 45970, RO, p. 310).

Mais le tribunal est en droit de se référer à un jugement rendu par le juge pénal en matière de fraude fiscale, même s'il a été frappé d'appel, comme à l'une des pièces du dossier de nature à établir la réalité des faits relevés par l'administration fiscale (CE, arrêt du 22 novembre 1972, n° 77490, Sté Transacier, RJ, n° IV, p. 94).


  C. POUVOIR DE SOULEVER D'OFFICE LES MOYENS D'ORDRE PUBLIC


6Le tribunal peut soulever d'office les moyens d'ordre public. Ainsi en est-il de la tardiveté de la réclamation préalable à l'Administration.

En revanche, ne sont pas d'ordre public et ne peuvent être relevés d'office, les moyens tirés :

- de la prescription (CE, arrêt du 22 mars 1967, n°s 60778 et 60795, RJ, 2e partie, p. 86) ;

- de la méconnaissance par l'Administration de l'obligation qui lui est faite d'avertir le contribuable de la faculté qu'il a de se faire assister, lors de la vérification de sa comptabilité, d'un conseil de son choix (CE, arrêt du 15 mai 1968, n° 69440, RJ, 2e partie, p. 138) ;

- de l'irrégularité de la procédure suivie devant la commission départementale des Impôts (CE, arrêt du 6 octobre 1972, n°s 81674 et 81758, RJ, n° IV, p. 64) ;

- de la méconnaissance par l'Administration des dispositions de l'article 177 du CGI (act. art. 175 A du CGI) , relatives à la procédure de rectification des déclarations (CE, arrêt du 7 février 1966, X... , RO, p. 48) ;

- du défaut d'élection de domicile en France (CGI, art. 1933-6) [act. art. R* 197-5 du LPF] du requérant qui, bien qu'il se trouve en pays étranger lors de sa requête, ne peut être regardé comme étant domicilié hors de la métropole (simple séjour en hôtel) [CE, arrêt du 25 octobre 1963, n°s 52334 à 52336, RO, p. 424] ;

- de ce que le contribuable aurait pu être taxé d'office par l'Administration (CE, arrêt du 15 octobre 1975, n° 93725, X... , p. 395. act. 538 et 574).

Sauf dans les cas mentionnés au premier alinéa de l'article L. 9 et à l'article R 149 du C. TA-CAA (cf. respectivement 13 O 352 , et 13 O 3311, n° 2 ), lorsque la décision lui paraît susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, le président de la formation de jugement en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent, sans qu'y fasse obstacle la clôture éventuelle de l'instruction, présenter leurs observations sur le moyen communiqué (C. TA CAA, article R 153-1 modifié par le décret n° 97-563 du 29 mai 1997 ; les dispositions de cet article sont étudiées plus loin 13 O 3933).


  D. NON-LIEU À STATUER


7Le tribunal peut à bon droit décider qu'il n'y a pas lieu de statuer :

1° Lorsque la demande du contribuable a été reconnue entièrement fondée et accueillie intégralement par l'Administration ou qu'elle a donné lieu à un dégrèvement gracieux total. Le tribunal constate alors dans son jugement que la demande est devenue sans objet et qu'il n'y a pas lieu d'y statuer.

Ainsi, lorsque la cotisation litigieuse a été allouée en remise par le directeur, la requête la concernant se trouve sans objet et il n'y a pas lieu, pour le tribunal administratif, de statuer (CE, arrêt du 21 avril 1947, n° 77503, RO, p. 197) ;

2° Lorsque le requérant fait défaut et que l'affaire n'est pas en état d'être jugée.

Dès lors qu'une société a cessé d'exister, sans qu'aucun organisme liquidateur soit connu -ainsi que cela ressort de la lettre du préfet- et qu'à cette date l'affaire n'était pas en état d'être jugée, la société requérante n'ayant pas encore reçu, comme elle l'avait demandé, communication des observations présentées par le ministre, il n'y a pas lieu en l'état de statuer sur la requête (CE, arrêt du 18 mai 1960, n° 14988, société coopérative de transport des marchands forains lyonnais, BOCD, 1961-11-1475).

En cas de décès, cf. ci-dessus n° 4 .


  E. SURSIS À STATUER


8Cette question est étudiée au chapitre 6 du titre premier de la présente division ( O 162 ).


  F. ORDRE ET INDÉPENDANCE DES DÉCISIONS


9Le principe de l'annualité de l'impôt s'oppose à ce qu'une décision rendue pour une année soit étendue aux années ultérieures quand bien même le litige concernerait le même impôt établi au nom du même contribuable.

Jugé que les décisions des tribunaux administratifs rendues pour une année ne constituent pas un droit acquis en faveur des contribuables pour les années suivantes (CE, arrêt du 31 janvier 1855, n° 26266, X... , RO, 299, Leb. chron., p. 85).

Par conséquent, sauf jonction d'instances (cf. 13 O 3552 ), le tribunal administratif doit prendre autant de décisions qu'il est saisi de demandes et il peut les prendre dans n'importe quel ordre.

Ainsi, les impôts directs étant établis annuellement, la décision rendue sur une demande relative à l'un de ces impôts pour une année déterminée ne peut entraîner la solution d'un litige concernant le même impôt établi au nom du même contribuable pour une année ultérieure. Dès lors, et en l'absence de disposition légale ou réglementaire contraire, le tribunal administratif, saisi de plusieurs requêtes présentées par un contribuable et portant sur le même impôt pour des années successives, peut valablement statuer sur la réclamation afférente à l'année la plus récente avant de se prononcer sur celles relatives aux années antérieures (CE, arrêt du 24 juillet 1939, X... , RO, p. 428).

 

1   II appartient à la direction chargée de suivre le contentieux de notifier le décès au tribunal administratif.