Date de début de publication du BOI : 01/06/1978
Identifiant juridique : 12C5112
Références du document :  12C5112

SOUS-SECTION 2 LE PRIVILÈGE DU TRÉSOR

SOUS-SECTION 2

Le privilège du Trésor

  A. GÉNÉRALITÉS

  I. Textes institutifs du privilège du Trésor

1Les rédacteurs du Code civil ont prévu un privilège pour le recouvrement des créances du Trésor, tout en laissant expressément à des lois particulières le soin de préciser les droits qu'il garantit et le rang auquel il s'exerce (Code civil, art 2098, 1 er al.).

2En vertu de ces textes spéciaux, le Trésor jouit de privilèges généraux importants, car ils priment très souvent les privilèges du Code civil. Les principaux sont les suivants, dans leur ordre de préférence :

1° Le privilège accordé par l'article 1920-1 du CGI au Trésor en matière de contributions directes et de taxes assimilées pendant deux ans à compter de la mise en recouvrement des rôles et le privilège accordé par l'article 1926 du CGI pour le recouvrement des taxes sur le chiffre d'affaires et des taxes assimilées pendant deux ans à partir de la date d'exigibilité (cf. toutefois, ci-après, C 5122, n os8 et suiv. ) ;

2° Le privilège accordé par l'article 1929 du CGI pour le recouvrement des droits d'enregistrement, de timbre et de droits assimilés ;

3° Le privilège accordé par l'article 1927 du CGI pour les contributions indirectes ;

4° Le privilège accordé à l'administration des Douanes par l'article 379 du Code des Douanes ;

5° Le privilège régi par les articles 1 et 2 de la loi du 5 septembre 1807 sur tous les biens mobiliers des comptables de l'État ;

6° Le privilège des frais de justice criminelle (loi du 5 septembre 1807, art. 2, modifié par l'ordonnance du 7 janvier 1959).

Dès lors que les privilèges du Trésor sont régis par des lois qui leur sont propres, les règles générales définies par le Code civil ne peuvent être invoquées que s'il n'y en existe pas de spéciales en la matière.

  II. Fondement du privilège du Trésor

3L'impôt a essentiellement pour objet de couvrir les charges de l'État et notamment les dépenses des services publics. La nécessité absolue d'assurer la marche de ces services exige que le recouvrement des créances fiscales soit assuré même lorsque, en raison de l'insuffisance du patrimoine du redevable, le Trésor se trouve en concurrence avec des créances privées.

Dans ce cas, en vertu du principe de la primauté de l'intérêt général sur les intérêts particuliers, la créance fiscale doit échapper à la loi du concours et bénéficier d'un droit de préférence s'exerçant avant tout autre.

4Ce privilège que la législation française, comme toutes les législations étrangères, attache au recouvrement de l'impôt ne constitue pas un droit exorbitant que l'État se serait attribué, mais une sûreté sans laquelle il serait, en fait, placé dans une situation défavorable par rapport aux autres créanciers du commerçant, car :

- d'une part, l'origine des droits de ces créanciers résulte du libre jeu des contrats, alors que la créance du Trésor trouve son fondement dans la loi, l'État, en l'occurrence, n'ayant pas la faculté de choisir ses débiteurs :

- d'autre part, à la différence des créanciers privés qui sont en mesure d'exercer une surveillance constante sur leurs débiteurs, le Trésor n'est pas à même, en raison du très grand nombre des contribuables, de contrôler chacun d'eux à intervalles rapprochés. Au surplus, lorsque le privilège est attaché au recouvrement d'impôts de consommation, son institution répond à la nécessité impérieuse de prévenir le détournement des sommes que les redevables légaux, agissant comme collecteurs d'impôts, ont encaissées auprès de leurs clients pour le compte de l'État.

  III. Caractère mobilier des privilèges généraux du Trésor

5Dans le système du Code civil les privilèges généraux portaient sur tous les meubles et les immeubles du débiteur.

De nombreux privilèges généraux avaient été ajoutés à ceux du Code par des lois particulières, et comme les premiers, ils grevaient les immeubles tout en étant dispensés d'inscription au bureau des Hypothèques.

Cette situation était très préjudiciable aux intérêts des créanciers hypothécaires et peu propice au développement du crédit immobilier.

Le décret du 4 janvier 1955 a opéré une réforme profonde en réduisant à deux le nombre des privilèges dispensés d'inscription - ceux des frais de justice et des créances de salaires des salariés et des apprentis - et en limitant l'assiette des autres privilèges généraux à l'ensemble des meubles du débiteur (cf. supra C 5111, n os8 et suiv. ).

En conséquence, les privilèges généraux du Trésor sont uniquement mobiliers, son privilège sur les immeubles ayant dégénéré en une hypothèque légale. Les créances fiscales sont donc payées par préférence sur la généralité des meubles des redevables (sauf concurrence des quelques créances bénéficiant d'un meilleur rang que les créances du Trésor ; cf. infra 5112, n° 28 et suiv.).

  B. CHAMP D'APPLICATION

  I. Assiette du privilège du Trésor

6Le privilège du Trésor est essentiellement un privilège mobilier général, sans droit de suite.

Cependant, en matière de contributions directes et de taxes sur le chiffre d'affaires, il s'étend sur certains immeubles par destination ainsi que sur les rémunérations du travail cédées à des tiers au-delà de la portion saisissable.

1. Le privilège du Trésor est mobilier.

Le privilège s'exerce, aux termes des articles 1920-1 , 1926 , 1927 et 1929-1 du CGI sur les « meubles et effets mobiliers » du redevable. L'expression « meubles et effets mobiliers » doit être interprétée en se référant aux articles 527 à 535 du Code civil. Par la généralité des termes employés, elle comprend tout ce qui est meuble d'après les règles établies par ces articles, c'est-à-dire l'ensemble des meubles par nature (Code civil, art. 528, 531, 532) et par détermination de la loi (Code civil, art. 529).

a. Meubles par nature ou meubles corporels.

7Il n'est pas possible de donner une liste complète des meubles par nature qui, selon l'article 528 du Code civil, sont des corps qui peuvent se transporter d'un lieu à un autre, soit qu'ils se meuvent eux-mêmes, soit qu'ils ne puissent changer de place que par l'effet d'une force étrangère.

En ce domaine, la question de savoir si un objet est meuble ou immeuble soulève fréquemment des difficultés, car certains meubles deviennent immeubles par destination même quand ils ne sont pas fixés aux sols ou aux bâtiments dès l'instant qu'ils sont affectés par le propriétaire à l'exploitation du fonds (Code civil, art. 524). Sauf l'exception prévue en faveur des contributions directes et des taxes sur le chiffre d'affaires (cf. ci-après C 5121, n os8 et suiv. ) le privilège du Trésor ne porte pas sur les immeubles par destination.

b. Meubles par détermination de la loi ou meubles incorporels.

1° Principes.

8Les meubles par détermination de la loi, ou meubles incorporels, sont « des droits qui s'appliquent à un objet mobilier ». Ils sont énumérés par le Code civil dans une liste non limitative (art. 529) et comprennent les actions ou obligations qui ont pour objet des sommes exigibles ou des effets mobiliers, « les actions ou intérêts dans les compagnies de finance, de commerce ou d'industrie » et, en général, toutes les créances.

2° Précisions complémentaires.

• Créances.

9Constituent notamment une créance mobilière sur laquelle s'applique le privilège du Trésor :

- le reliquat du prix de vente d'un immeuble appartenant au redevable, après paiement des créanciers hypothécaires ou privilégiés sur cet immeuble. En effet, le reliquat du prix de vente ne perd pas ce caractère de valeur mobilière vis-à-vis du Trésor quand celui-ci entend exercer son privilège 1  ;

- le prix de vente d'un fonds de commerce, sans qu'il y ait lieu de distinguer entre les éléments incorporels et les marchandises ou le matériel ;

- l'indemnité d'assurance, après paiement des créanciers hypothécaires ou privilégiés, si l'indemnité représente la valeur d'un immeuble.

10 Remarque. - Si le prix de vente ou l'indemnité d'assurance d'un immeuble représentent celui-ci à l'égard des tiers ayant hypothèque ou privilège sur ledit immeuble, jusqu'à concurrence de sa valeur, le surplus se distribue, en vertu de l'article 2093 du Code civil, à la masse des créanciers, sauf les raisons légales de préférence pour certains d'entre eux (Cass. com., 21 décembre 1964, RJCI , n° 14, p. 132 ; Cour de Nîmes, 10 mars 1966, RJCI , n° 6, p. 115).

• Intérêts du prix d'un immeuble.

11Le privilège général mobilier du Trésor s'exerce sur les intérêts du prix dû par les adjudicataires jusqu'à leur immobilisation. Celle-ci résulte, en cas de vente forcée, de la transcription du procès-verbal de saisie prévue aux articles 585 et 682 du Code de Procédure civile, et, en cas de vente amiable, de la notification à fin de purge faite par l'acquéreur aux créanciers inscrits en vertu des articles 2183 et 2184 du Code civil (voir dans la première hypothèse, Cass. civ., 4 décembre 1895. S. 1896-I-93 ; dans la seconde. Cass. civ., 24 novembre 1869, S. 1870-I-88).

• Rémunérations.

12Comme l'indique l'article 1925, 2 e alinéa, du CGI, la cession des rémunérations des salariés n'est opposable au Trésor qu'à concurrence de la moitié de la portion saisissable ou cessible de ces émoluments. Le privilège s'exerce donc sur les rémunérations cédées par le débiteur au-delà de la portion saisissable 2 .

En l'état actuel de la réglementation (décret n° 76-15 du 15 janvier 1975 ; JO , du 17 janvier 1975, p. 715), les rémunérations visées à l'article L. 145-1 du Nouveau Code du Travail, c'est-à-dire les traitements, salaires et autres rémunérations rattachées aux salaires telles que pensions et rentes de la Sécurité sociale, soldes et indemnités des militaires, allocations des vieux travailleurs, ne peuvent être saisies ou cédées que dans certaines limites (cf. supra C 2211, n os 65 et suiv.).

2. Le privilège du Trésor est sans droit de suite.

13Le privilège du Trésor ne s'applique qu'aux biens appartenant au redevable. Peu importe la date à laquelle ces biens sont tombés dans le patrimoine du débiteur, le privilège s'exerce aussi bien sur ceux existant dans son patrimoine lors de la naissance du privilège que sur ceux qui lui sont advenus plus, tard. Il n'y a pas lieu davantage d'établir une distinction entre les biens que le redevable possédait avant la date du jugement prononçant le règlement judiciaire ou la liquidation des biens et ceux qu'il a acquis postérieurement à cette date.

C'est ainsi, notamment, que la Cour de cassation a jugé que les sommes provenant d'une continuation de l'exploitation d'une entreprise en règlement judiciaire n'entraient pas dans le patrimoine propre de la masse et qu'elles étaient, en conséquence, soumises au privilège du Trésor (dans ce cas, le privilège peut toutefois se trouver primé par le droit de préférence des créanciers de la masse).

Par contre, la Haute Cour a estimé que les sommes qu'un administrateur de société faillie avait été condamné à verser entre les mains du syndic au profit de la masse, à la suite d'une insuffisance d'actif, n'avaient jamais fait partie du patrimoine de la société débitrice et ne pouvaient de ce fait être grevées du privilège des taxes sur le chiffre d'affaires qui ne s'exerce que sur les biens meubles appartenant au redevable.

D'autre part, il est nécessaire que le bien se trouve encore dans le patrimoine du débiteur lorsque le Trésor exerce son privilège ; cette sûreté, d'après la jurisprudence, ne saurait porter sur les meubles que le redevable justifie avoir cédés à un tiers avant la saisie, du moins si la vente a été conclue de bonne foi et sans fraude (dans le cas contraire, l'Administration pourrait faire annuler la vente au moyen de l'action paulienne). Il en est ainsi, même si la cession est postérieure à la notification d'un avis de mise en recouvrement, car le privilège général mobilier du Trésor ne comporte aucun droit de suite en dehors de celui visé à l'article 1925 in fine du CGI (cf. ci-après n° 16 ).

3. Le privilège du Trésor est général.

14Le privilège s'exerce en quelque lieu que se trouvent les biens du redevable. Il s'applique aussi bien sur les meubles garnissant les lieux où le redevable exerce son commerce que sur ceux qui se trouvent à d'autres endroits (dépôts, domicile privé, résidence secondaire, etc.).

4. Cas particuliers.

Par exception, certains privilèges du Trésor peuvent s'étendre sur certains immeubles par destination et être dotés d'un droit de suite.

a. Exception au caractère mobilier du privilège du Trésor.

15Par exception à la règle générale selon laquelle les privilèges mobiliers ne portent pas sur les objets devenus immeubles par destination, le privilège du Trésor, visé aux articles 1920-1 et 1926 du CGI, s'étend, lorsqu'il n'existe pas d'hypothèques conventionnelles, sur tout le matériel servant à l'exploitation d'un établissement commercial, même lorsque ce matériel est réputé immeuble par destination par application de l'article 524-1 du Code civil (CGI, art. 1920-1  ; cf. infra C 5121, n os8 et suiv. ).

C'est ainsi que le privilège en question frappe les immeubles par destination qui garnissent un hôtel, un restaurant.. (meubles meublants, ustensiles de cuisine, etc.). Par contre, il n'atteint pas le matériel affecté à l'exploitation d'un fonds d'industrie ou d'un fonds rural, lorsque ce matériel est immeuble par destination. L'exercice de ce privilège n'a pas pour effet de faire perdre aux immeubles par destination leur caractère immobilier. En conséquence, ces biens ne peuvent être appréhendés, pour la conservation du privilège, que par la voie de la saisie immobilière (cf. 12 C 2213, Conditions de la saisie immobilière, III b ).

1   La jurisprudence en la matière est déjà nombreuse. Cf. notamment : Cass. civ., 12 juillet 1854. Sirey 1854-1-569, DP 1854-1-303 ; trib. civ. Seine, 1 er février 1896. X... , supplémen p. 76. Mémorial des percepteurs 1897, p. 210 ; 16 novembre 1912, X... , même référence ; Cour de Bordeaux, 8 novembre 1926. GP 1927-1-349 ; Cour d'Agen, 16 juillet 1952, Mémorial des percepteurs 1952, p. 241 ; Cour d'Orléans, 14 mars 1961, Mémorial des percepteurs 1961, p. 243 et 310 ; cass. com., 21 décembre 1964.

Il a été jugé que le même principe s'applique quand l'immeuble a été réalisé par le syndic ou l'administrateur au cours de la faillite ou du règlement judiciaire du redevable, car ces procédures ne modifient pas le caractère mobilier de la valeur qu'il s'agit de répartir entre les créanciers (Cass. civ., 16 mai 1888, deux arrêts, Sirey 1888-1-321, Dall. 1888-1-353 ; Cour de Paris, 21 novembre 1932, Bulletin des CI 1933-10 ; Cass. civ., 13 mai 1942. Sirey 1942-1-119 DA 1942-125).

2   Lorsque la créance du Trésor est assortie du privilège prévu à l'article 1926 du CGI (TCA), la portion saisissable de ces rémunérations peut être appréhendée par voie d'avis à tiers détenteur.