Date de début de publication du BOI : 14/06/1996
Identifiant juridique : 13N4213
Références du document :  13N4213

SOUS-SECTION 3 MISE EN OEUVRE DES POURSUITES


SOUS-SECTION 3

Mise en oeuvre des poursuites


1La procédure pénale en matière fiscale déroge au droit commun.

En effet, à la différence des autres délits, le délit de fraude fiscale n'est pas poursuivi d'office par l'autorité normalement compétente, à savoir le procureur de la République. Celui-ci, en effet, ne peut mettre en mouvement l'action publique que dans la mesure où l'administration a préalablement déposé une plainte. Il s'agit d'une formalité substantielle dont le respect est d'ordre public ; il s'ensuit que les juges du fond seraient en droit de déclarer d'office l'irrecevabilité découlant de son inobservation.

Cette prérogative qui trouve son fondement dans la nature particulière du délit fiscal et qui permet à l'administration d'être juge de l'opportunité des poursuites s'exerce depuis le 1er janvier 1978 sur avis conforme de la Commission des infractions fiscales.


  A. INTERVENTION DE LA COMMISSION DES INFRACTIONS FISCALES


a. Généralités.

2Instituée par l'article 1er de la loi n° 77-1453 du 29 décembre 1977, la Commission des infractions fiscales a vu ses modalités de fonctionnement définies par le décret n° 78-636 du 12 juin 1978. Ces textes sont codifiés sous les articles 1741 A du CGI, 384 septies O A à 384 septies O D, 384 septies O I de son annexe II, ainsi que sous les articles L. 228, L. 230, et R* 228-1 à R* 228-6 du LPF.

Intégrées dans un dispositif législatif ayant pour objet général d'accorder des garanties de procédure aux contribuables en matière fiscale et douanière, ces dispositions prévoient que, sous peine d'irrecevabilité, les plaintes tendant à l'application de sanctions pénales sont déposées par l'administration sur avis conforme de la Commission des infractions fiscales.

La consultation de cet organisme est donc une formalité substantielle préalable à tout dépôt de plainte pour fraude fiscale. A contrario, il faut déduire de la formulation retenue par la loi que la Commission des infractions fiscales n'est pas compétente pour connaître des délits susceptibles d'être poursuivis devant les tribunaux sans plainte de l'administration, même si les agissements concernés ont une coloration fiscale ; tel est notamment le cas de l'escroquerie (cf. 13 N 4441 ).

En matière de fraude fiscale, la Commission n'a pas de pouvoir d'autosaisine et examine les propositions de poursuites correctionnelles que le ministre chargé du Budget lui soumet.

b. Composition et fonctionnement de la Commission.

3La Commission des infractions fiscales est composée de douze membres titulaires et douze membres suppléants choisis parmi les conseillers d'État et les conseillers maîtres à la Cour des comptes en activité ou à la retraite, étant précisé qu'au moins six membres titulaires doivent être en activité.

La nomination des intéressés ainsi que la désignation du président et de son suppléant -ces derniers étant obligatoirement choisis parmi les conseillers d'État- sont effectuées par décret pour une durée de trois ans.

La Commission peut siéger en formation plénière ou en sections qui, au nombre de quatre, comportent chacune trois membres.

Les sections sont présidées, l'une par le président de la Commission et chacune des autres par un de ses membres qui a la qualité de représentant du président. Ce dernier peut cependant décider de présider les travaux des sections autres que la sienne : dans ce cas, la section à laquelle il se joint peut compter quatre membres.

La répartition des membres titulaires et suppléants entre les sections est fixée par un arrêté du ministre chargé du Budget qui, pris sur proposition du président de la Commission, désigne également les trois représentants du président dans les sections ainsi que leurs suppléants.

La Commission peut s'adjoindre des rapporteurs ayant la qualité de fonctionnaires ou de magistrats ; ceux-ci sont nommés par le ministre chargé du Budget sur proposition du président.

La Commission des infractions fiscales comporte un secrétariat qui, placé sous l'autorité de son président, est dirigé par un fonctionnaire de la DGI ayant au moins le grade d'inspecteur principal et choisi sur proposition du président.

Les membres de la Commission titulaires et suppléants sont astreints au secret professionnel. Corrélativement les agents de l'administration en sont déliés à leur égard.

c. Procédure d'examen des affaires.

4La Commission, examine les affaires qui lui sont soumises par le ministre chargé du Budget.

Pour la saisine de la Commission, le ministre peut déléguer sa signature par arrêté à des fonctionnaires des services centraux de la DGI ayant au moins le grade de chef de service.

Cette phase de la procédure est importante à un double point de vue : outre qu'elle détermine le point de départ du délai de suspension de la prescription pénale, il faut en effet observer qu'elle fixe les limites de saisine de la Commission et, par suite, le cadre strict dans lequel pourront s'engager les poursuites correctionnelles envisagées si les propositions de l'administration sont agréées par cet organisme.

5Lorsque la Commission est saisie d'une affaire, le secrétariat en informe le contribuable concerné par lettre recommandée avec accusé de réception, en lui indiquant l'essentiel des griefs qui motivent cette saisine et en l'invitant à fournir dans un délai de trente jours les informations qu'il estimerait nécessaires. La procédure est écrite et le contribuable ne peut présenter d'observations orales ni par lui-même ni par mandataire.

S'il l'estime utile, le président de la Commission communique les informations reçues du contribuable au ministre chargé du Budget et peut recueillir auprès de celui-ci tout renseignement complémentaire nécessaire à l'instruction du dossier.

Lorsqu'elles sont en état, les affaires sont inscrites à l'initiative du président au rôle de l'une des sections ou de la Commission siégeant en formation plénière.

La Commission ne peut délibérer valablement sans un certain quorum : huit membres au moins doivent être présents en séance plénière et deux en séance de section.

Pour chaque affaire, le président désigne un rapporteur qui, ayant voix consultative, formule des propositions devant la Commission ou la section qui examine le dossier dont il a la charge.

Les séances de la Commission et des sections ne sont pas publiques et ces assemblées délibèrent en dehors de la présence de l'autorité qui les a saisies et du contribuable.

Les sections et la Commission se prononcent à la majorité des voix, celle du président étant prépondérante en cas de partage égal des votes.

L'avis rendu par les sections constitue au même titre que celui de la formation plénière, l'avis de la Commission. Cependant, les sections ne sont pas tenues de rendre un avis sur les affaires qui leur ont été confiées par le président et peuvent décider d'en renvoyer l'examen en séance plénière.

Le ministre chargé du Budget est lié par l'avis de la Commission qui lui est notifié sans être motivé.

Le contribuable est informé de la suite donnée à son affaire en cas d'avis favorable à l'engagement de poursuites correctionnelles par l'administration (en pratique, par le Directeur des Services fiscaux territorialement compétent), lors du dépôt de plainte, et, dans le cas contraire, par le secrétariat de la Commission.

Cette formalité est prévue par l'article R* 228-6 du LPF. Toutefois, la Cour de cassation a estimé que son omission n'est pas de nature à porter atteinte aux droits de la défense (Cass. crim., X... épouse Y... , 16 novembre 1992).

d. Étendue de la saisine de la Commission.

6La question s'est posée de savoir si la Commission des infractions fiscales devait rendre un avis sur les affaires, c'est-à-dire les faits, qui lui étaient soumises (saisine in rem) ou sur la situation des personnes désignées comme ayant concouru à leur réalisation (saisine in personam).

Cette interrogation trouvait son origine dans la rédaction du texte codifié au deuxième alinéa de l'article L. 228 du LPF qui pouvait à première lecture, sembler juxtaposer les deux interprétations en utilisant successivement les termes « affaire » et « contribuable » dans ses dispositions qui sont les suivantes :

« La Commission examine les affaires qui lui sont soumises par le ministre chargé des finances. Le contribuable est avisé de la saisine de la Commission qui l'invite à lui communiquer, dans un délai de trente jours, les informations qu'il jugerait nécessaires ».

La solution à retenir à cet égard n'est pas indifférente dès lors que l'engagement de poursuites correctionnelles doit, selon les dispositions du premier alinéa de l'article L. 228 du LPF, être effectué en conformité avec l'avis de la Commission des infractions fiscales.

Ainsi, la première interprétation conduit à dénoncer des faits aux autorités judiciaires qui, saisies par la plainte préalable de l'administration, conservent ensuite la plénitude de leurs attributions et notamment, pour ce qui concerne le juge d'instruction, celles qui résultent de l'article 80-1 du Code de procédure pénale en vertu duquel il a le pouvoir de mettre en examen toute personne à l'encontre de laquelle il existe des indices laissant présumer qu'elle a participé, comme auteur ou complice, aux faits dont il est saisi.

À l'inverse, l'adoption de la thèse d'une saisine in personam de la Commission des infractions fiscales conduirait à limiter le champ des poursuites correctionnelles aux seules personnes dénoncées à la Commission avant d'être nommément visées dans la plainte.

La jurisprudence a tranché en faveur de la saisine « in rem ». La Cour de cassation a en effet jugé qu'il ne peut être fait échec aux dispositions de l'ancien article 80, alinéa 3, du Code de procédure pénale, alors même que l'exercice de la poursuite est subordonné à une plainte préalable de l'administration, après avis favorable de la Commission des infractions fiscales (Cass. crim., 31 janvier 1983, X... Bernard ; Bull. crim. n° 40, page 82).

La Cour Suprême a précisé par ailleurs que les dispositions de l'article L. 228 du LPF, qui imposent de recueillir l'avis de la CIF, avant de déposer plainte ne concernent que le redevable de l'impôt, ou celui qui en est le mandataire social s'il s'agit d'une personne morale ; elles sont, en revanche, étrangères aux autres personnes pénalement impliquées dans la fraude, à l'égard de qui elles ne constituent pas une garantie des droits de la défense, lesquels demeurent entiers devant le juge répressif (Cass. crim., 2 mai 1984, X... Colette épouse Y... et Z... Maurice ; Bull. crim. n° 151, page 389 et Cass. crim., 27 février 1989, X... Georges ; Bull. crim. n° 92, page 245).

Ainsi, la plainte de l'administration saisit nécessairement le Parquet de l'ensemble des faits constatés et il appartient au Ministère public d'apprécier la suite à leur donner, notamment, après enquête complémentaire s'il y a lieu, de déférer à la juridiction correctionnelle les personnes contre lesquelles il estime devoir exercer l'action publique à raison du délit dénoncé.


  B. PLAINTE DE L'ADMINISTRATION


7La plainte se présente sous la forme d'une lettre au procureur de la République, dans laquelle sont analysés les faits constitutifs du délit pour en établir l'existence tant dans ses éléments matériels que dans son élément intentionnel.

8Elle précise, bien entendu, qu'elle est déposée en conformité avec l'avis de la Commission des infractions fiscales. La date de la saisine et celle de l'avis de la Commission y sont mentionnées afin de permettre à l'autorité judiciaire d'apprécier la régularité de la procédure au regard de la prescription de l'action publique (cf. ci-après 13 N 4214 -B).

9La plainte vise les personnes désignées à la Commission des infractions fiscales comme ayant participé à la réalisation de la fraude, mais également d'une façon générale, tous autres dont la culpabilité à titre d'auteurs principaux, de coauteurs ou de complices viendrait à être établie par l'information et que le juge d'instruction pourra inculper par application des dispositions de l'article 80-1 du Code de procédure pénale (cf. ci-avant § A, n° 6).

10Elle mentionne que l'administration se constituera partie civile en cours d'information, et indique également si elle entend demander au tribunal la fixation de la durée de la contrainte par corps pour le recouvrement des impositions et majorations de droits ayant motivé les poursuites pénales en matière d'impôts directs (cf. ci-après § C et 13 N 4218, n° 18).

11Conformément à l'article L. 229 du LPF, qui dispose que les plaintes sont déposées par le service chargé de l'assiette ou du recouvrement de l'impôt, elles sont signées par le Directeur des Services fiscaux territorialement compétent.

12Sous réserve de l'application des articles 203 et 210 du Code de procédure pénale relatifs à la connexité des infractions, le tribunal compétent pour connaître de la plainte est celui dans le ressort duquel l'un quelconque des impôts en cause aurait dû être établi ou acquitté (art. L. 231 du LPF).


  C. CONSTITUTION DE PARTIE CIVILE


13L'article L 232 du LPF prévoit que « lorsqu'une information est ouverte par l'autorité judiciaire sur la plainte de l'administration des impôts... cette administration peut se constituer partie civile ».

14En cette qualité, l'administration exerce devant la juridiction répressive une action civile d'une nature particulière. Cette action ne tend pas, comme en droit commun, à obtenir des juridictions la fixation du préjudice subi et l'allocation d'une réparation pécuniaire. L'administration tient en effet, des dispositions du CGI, le pouvoir de déterminer et de mettre elle-même -sous le contrôle du juge de l'impôt- à la charge du redevable, les droits auxquels le contribuable a entendu se soustraire par des procédés frauduleux ainsi que les pénalités fiscales destinées à assurer cette réparation (Cass. Crim., 17 avril 1989, X... Bernard et Y... Martine ; Bull. crim. n° 156, p. 407).

Fondée sur les dispositions de l'article L. 232 du LPF, l'intervention de l'administration en qualité de partie civile a pour principal intérêt de lui permettre d'être présente à tous les stades de la procédure, de fournir tous documents et renseignements de nature à éclairer les magistrats, de répondre aux arguments injustifiés des personnes mises en examen, de s'opposer à leurs manoeuvres dilatoires et, d'une façon générale, de provoquer les mesures les plus efficaces pour la répression du délit. Son rôle s'apparente, en fait à celui d'une partie jointe au Ministère public.

En ce sens, la Cour de cassation a pu énoncer que « l'administration fiscale puise son droit de se constituer partie civile non dans les articles 2 et 3 du Code de procédure pénale mais dans les dispositions de l'article 1753 bis du CGI (devenu art. L. 232 du LPF) et n'a pas à justifier son intervention dans les termes du droit commun, au stade de l'instruction, en s'appuyant sur des circonstances qui permettraient au juge d'admettre comme possible l'existence d'un préjudice et la relation directe de celui-ci avec l'infraction poursuivie ; qu'il en résulte notamment que le fait pour le contrevenant de s'être acquitté de l'intégralité des sommes qui lui étaient réclamées est sans incidence sur la recevabilité de la constitution de partie civile de l'administration (Cass. Crim., 25 mars 1980, X... Georges, RJ, IV, p. 198).