SOUS-SECTION 2 NATURE ET PORTÉE DE LA PROCÉDURE DE RÉPRESSION DES ABUS DE DROIT
SOUS-SECTION 2
Nature et portée de la procédure de répression des abus de droit
1L'administration supporte la charge de la preuve du caractère réel des actes ou conventions devant le juge de l'impôt lorsque, pour restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse, elle s'est abstenue de prendre l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit ou lorsqu'elle a établi une taxation non conforme à l'avis de ce comité.
2Les articles 1727 et 1729 du CGI prévoient les sanctions applicables en cas d'abus de droit. Ces dispositions appellent les commentaires suivants.
A. NATURE DE LA PROCÉDURE
3Les dispositions de l'article L. 64 concernent exclusivement la procédure d'assiette de l'impôt et ont pour seul objet de mettre la preuve à la charge du contribuable lorsque celui-ci forme une réclamation contentieuse contre une taxation établie par l'administration après avis conforme du comité consultatif sur la nature réelle d'un contrat ou d'un acte juridique ayant servi à éluder l'impôt.
4Ces dispositions ne sauraient donc instituer un préalable obligatoire à des poursuites pénales exercées à l'instigation de l'administration en vertu des dispositions de l'article 1741 du CGI (Cass. crim., arrêt du 19 mai 1960, Bull. crim., 1960, 1er sem, n° 274), ni être invoquées dans une procédure en action de recouvrement de l'impôt (Cass, com., arrêt du 5 décembre 1962, Bull. civ. 1962, 2e sem., III, n° 503).
B. PORTÉE DE LA PROCÉDURE
I. Charge de la preuve
5La preuve de l'abus de droit, tel qu'il a été défini ci-avant (cf. DB 13 L 1531 ), est à la charge de l'administration en cas de réclamation du contribuable présentée après établissement de l'imposition, lorsque le service n'a pas usé de la faculté qui lui est offerte de saisir du différend le comité consultatif ou n'a pas suivi l'avis de ce comité.
À titre d'exemples, il a été jugé que l'administration avait apporté cette preuve dans les deux cas suivants.
Premier arrêt.
Un contribuable qui avait réalisé une plus-value à l'occasion de la cession d'un terrain à bâtir, avait demandé que soit prise en compte, pour le calcul de la plus-value, la charge constituée par le rachat d'une promesse de vente qu'il prétendait avoir consentie par un acte sous seing privé ; pour justifier cette charge, il faisait valoir qu'une clause de l'acte prévoyait un versement de 1 400 000 F en cas de dédit et il produisait la copie du chèque par lequel il avait payé 1 800 000 F au titulaire de la promesse de vente, le jour de la vente du terrain.
Le Conseil d'État a jugé que l'administration établissait que les documents invoqués ne lui étaient pas opposables dès lors :
- que la promesse de vente dont il s'agit n'avait été enregistrée que plusieurs années après sa signature et quelques jours seulement avant la vente du terrain litigieux à un tiers ;
- que le bénéficiaire de cette promesse de vente s'y engageait pour une dépense sans commune mesure avec ses ressources ;
- que le versement de 1 800 000 F effectué par chèque non barré le jour de la vente du terrain était supérieur au montant de l'indemnité de débit prévue par la promesse de vente.
Dans ces conditions, le Conseil d'État a estimé que l'administration avait pu à bon droit refuser la déduction, pour le calcul de la plus-value imposable, des sommes que le vendeur du terrain prétendait avoir dû verser à titre de dédit (CE, arrêt 12 juillet 1978, req. n° 5008, RJ, n° IV, p. 40).
Deuxième arrêt.
Deux époux avaient constitué avec un parent une société civile immobilière dont ils détenaient, à eux deux, 288 parts sur les 300 formant le capital.
Cette société fit l'acquisition d'un immeuble d'habitation, y réalisa d'importants travaux, puis le donna en location aux associés principaux.
Les travaux réalisés avant fait apparaître d'importants déficits dans les comptes de la société civile, les intéressés invoquant les dispositions des articles 8 et 156-I du CGI déduisirent des revenus du ménage la part de ces déficits correspondant à leurs droits dans la société.
Le Conseil d'État a estimé qu'en se fondant sur le fait qu'en raison de la modicité du capital initial de la société civile (6 000 F), les dépenses d'acquisition (300 000 F) et de réparation (210 000 F) de l'immeuble n'avaient pu être financées que par apport en capitaux de l'un des époux ; l'administration apportait la preuve qu'en réalité l'intéressé et son épouse avaient acquis et rénové l'immeuble en cause en vue de s'en réserver la jouissance et que cette société civile immobilière dont ils étaient les maîtres n'avait été constituée que pour faire échec aux dispositions de l'article 15-II du CGI.
Il a été jugé que le service était dès lors fondé à réintégrer les prétendus déficits fonciers et à appliquer l'amende encourue à l'époque (CE, arrêt du 6 décembre 1978, n° 6803, RJ, n° IV, p. 78).
6La charge de la preuve subsiste pour l'administration même dans le cas où le contribuable a acquiescé au redressement qui lui a été régulièrement notifié et le conteste ultérieurement dans une réclamation contentieuse.
7En revanche, la consultation du comité et l'établissement d'une imposition conforme à l'avis de ce comité mettent la preuve à la charge du contribuable en cas de réclamation ultérieure.
Ainsi, a été jugé que le comité consultatif pour la répression des abus de droit ayant estimé les cessions litigieuses constitutives d'abus de droit, il incombait, en application de l'article L. 64 , dernier alinéa, du Livre des procédures fiscales, à la société requérante qui demandait la décharge des droits d'établir, par tout moyen de preuve compatible avec le caractère écrit de la procédure, que les cessions qu'elle avait consenties avant l'expiration du délai prévu à l'article 1115 du Code général des impôts afin de bénéficier du régime de faveur prévu audit article, n'étaient pas constitutives d'abus de droit, c'est-à-dire qu'elles présentaient, outre l'intérêt de la dispenser du paiement des droits de mutation, un intérêt d'ordre économique ou commercial.
Justifie légalement sa décision le tribunal de grande instance qui, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, constate que les circonstances des cessions litigieuses établissaient l'existence de la confusion d'intérêts entre le vendeur et l'acquéreur ainsi que l'absence de toute contrepartie financière effective représentant un prix (Cass. com., arrêt du 10 février 1998, Bull. IV, n° 67, p. 52 : cf. annexe).
La question soumise à la Cour de cassation portait sur la déchéance du bénéfice du régime de faveur prévu à l'article 1115 du CGI, sur le fondement de l'article L. 64 du LPF, en raison de l'intérêt exclusivement fiscal des opérations de revente réalisées.
Il résulte principalement de l'arrêt rendu que, lorsque le comité consultatif pour la répression des abus de droit a constaté l'existence d'un abus de droit, la charge de la preuve incombe, pour la suite de la procédure, au contribuable.
En conséquence, la Cour de cassation a jugé que, faute pour la société marchand de biens d'établir que les cessions consenties quelques jours avant l'expiration du délai imparti, à cet effet, par l'article 1115 du CGI, présentaient, outre l'avantage de l'exonération prévue par ce texte, un intérêt d'ordre économique et commercial, lesdites cessions étaient inopposables à l'administration dès lors que, comme l'avaient constaté les premiers juges :
- les deux sociétés étaient dirigées par la même personne - qui détenait l'intégralité du capital de la société cédante et était associée majoritaire de la société cessionnaire - et exerçaient la même activité, dans les mêmes locaux et avec le même personnel ;
- les sommes représentant le prix de vente des immeubles en cause ont été portées, après virements bancaires entre les deux sociétés, sur le compte-courant du dirigeant dans la société cessionnaire.
8Il est précisé que l'abus de droit et ses conséquences sur l'assiette de l'impôt doivent être notifiés au contribuable dans les conditions prévues ci-après DB 13 L 1533 , la saisine du comité ne constituant, en aucun cas, une procédure se substituant à la procédure de redressement (cf. DB 13 L 151 ).
II. Sanctions
9Les sanctions applicables en cas d'abus de droit sont :
- l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du CGI dû dans tous les cas de défaut, insuffisance ou retard dans le paiement d'impôts, droits, taxes, redevances ou sommes établis ou recouvrés par la DGI ;
- la majoration de 80 % du montant des droits dus visée à l'article 1729 du même code.
Ces sanctions sont à la charge de toutes les parties à l'acte ou à la convention qui en sont tenues solidairement (CGI, art. 1729-3).
ANNEXE
Com. 10 février 1998, Bull. n° 67, p. 52
« Attendu, selon le jugement attaqué (tribunal de grande instance de Nancy, 17 janvier 1996), que la SARL Brand Immobilier (la société Brand) a acquis, au cours des années 1980, 1981 et 1982, sous le régime de l'article 1115 du Code général des impôts (le CGI), divers biens immobiliers qu'elle a revendus à la société Kuhn et Fleichel entre le 21 janvier 1985 et le 22 septembre 1987, quelques jours avant l'expiration du délai de cinq ans prévu par l'article 1115 du Code général des impôts ; que l'administration fiscale a notifié à la société Brand un redressement sur le fondement de l'article L. 64 du Livre des procédures fiscales (le LPF) ; que la société Brand ayant contesté le redressement, l'administration fiscale a saisi le comité consultatif pour la répression des abus de droit, lequel a estimé que ces opérations avaient un but exclusivement fiscal et, conformément à cet avis, a maintenu son redressement ; que sa réclamation contre l'avis de recouvrement ayant été rejetée, la société Brand a assigné le directeur régional des impôts de Nancy en demandant la décharge des droits et pénalités mis en recouvrement ;
.....
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :
Attendu que la société Brand reproche au jugement d'avoir rejeté sa demande de décharge des droits et pénalités, alors, selon le pourvoi que l'abus de droit est caractérisé soit par des actes fictifs, soit par un montage destiné à frauder la loi fiscale et à éluder l'impôt de sorte que le tribunal qui a reconnu que les actes n'étaient pas fictifs et qui n'a constaté ni des opérations non conformes aux intentions du législateur, ni une absence d'intérêt économique affectant les opérations de revente, ni l'existence d'un intérêt exclusivement fiscal, ni l'intention frauduleuse de créer un montage juridique dont le but serait d'éluder l'impôt, n'a pas caractérisé la fraude à la loi et n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1115 du Code général des impôts et L. 64 du Livre des procédures fiscales ;
Mais attendu que le jugement relève que le comité consultatif pour la répression des abus de droit a estimé les cessions litigieuses constitutives d'abus de droit ; que dès lors, en vertu de l'article L. 64, dernier alinéa du Livre des procédures fiscales, il incombait à la société Brand, qui demandait la décharge des droits d'établir, par tout moyen de preuve compatible avec le caractère écrit de la procédure, que les cessions qu'elle avait consenties à la société Kuhn et Fleichel n'étaient pas constitutives d'abus de droit, c'est-à-dire qu'elles présentaient, outre l'intérêt de la dispenser du paiement des droits de mutation, un intérêt d'ordre économique ou commercial ; qu'ayant, sans d'ailleurs reconnaître la réalité des prétendues cessions, apprécié souverainement que les faits précis qu'il avait constatés établissaient l'existence de la confusion d'intérêts entre les parties et l'absence de toute contrepartie financière effective représentant un prix, éléments sur lesquels le comité consultatif avait fondé son opinion, le Tribunal a légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ; ... ».