SOUS-SECTION 2 EXCEPTIONS ET AUTRES INCIDENTS
b. Décisions irrévocables
17L'autorité de la chose jugée au pénal sur le pénal ne s'attache qu'aux décisions irrévocables : décisions des juridictions d'instruction ou de jugement.
c. Autorité des décisions des juridictions d'instruction (ordonnance du juge d'instruction, arrêt de la Chambre d'accusation),
18Cette autorité n'est pas la même, suivant qu'il s'agit de décisions de non-lieu ou de décisions de renvoi.
Les décisions de non-ieu (ordonnances ou arrêts) lorsqu'elles sont motivées en droit (fait justificatif, amnistie, prescription de l'action publique) et qu'elles sont définitives, ont l'autorité de chose jugée et constituent un obstacle absolu à de nouvelles poursuites. Toutefois, la jurispridence estime qu'elles n'ont pas autorité de la chose jugée à l'égard d'une personne qui n'a pas été inculpée dans la procédure d'instruction terminée par ces ordonnances (Cass. crim., 22 mai 1974, Bull. crim. 193, p. 491, D. 1974, p. 179).
Lorsqu'elles sont motivées en fait, c'est-à-dire fondées sur l'insuffisance des charges, les décisions de non-lieu n'ont qu'une autorité provisoire de chose jugée, et en cas de découverte de charges nouvelles, il est possible de réouvrir l'instruction pour charges nouvelles à la requête du ministère public (Code de Proc, pén., art, 188 à 190).
En revanche, les ordonnances et arrêts de renvoi qui ne décident pas de la culpabilité, mais déclarent les charges suffisantes pour la comparution de l'inculpé devant la juridiction de jugement n'ont aucune autorité de la chose jugée.
d. Autorité des décisions des juridictions de jugement
19A la différence des décisions des juridictions d'instruction, les décisions des juridictions de jugement ont une autorité beaucoup plus forte. L'autorité de la chose jugée, dont ell.es sont investies, entraîne l'impossibilité de poursuivre à nouveau pour les mêmes faits, la personne qui a fait l'objet pour ces faits d'une décision irrévocable de condamnation, d'absolution (excuse absolutoire), d'acquittement (cour d'assises) ou de relaxe, conformément à l'adage non bis in idem.
2. Conditions requises pour qu'une ordonnance ou un jugement pénal ait l'autorité de la chose jugée relativement à une seconde poursuite pénale
20D'après la jurisprudence, pour que l'exception de la chose jugée puisse être opposée, il faut qu'il y ait identité d'objet, identité de cause, identité des parties entre les deux poursuites, semblables à celles édictées par les dispositions de l'article 1351 du Code civil pour l'autorité de la chose jugée en matière civile (Cass. crim., 31 mai 1976, Bull. Crim. 190, p. 489, Gaz. Pal. 1976, 2, 778). En d'autres termes, il faut que la seconde poursuite soit identique à la première, dans ses éléments légaux et matériels.
a. Identité d'objet
21Il faut que l'objet des poursuites répressives soit le même :
- application de sanctions pénales de droit commun (objet purement répressif) ;
- application de sanctions fiscales (objet à la fois répressif et réparateur) ;
- application des mêmes sanctions au même fait.
Aussi l'Administration, après avoir poursuivi un individu comme civilement responsable du fait de son domestique et avoir échoué dans ses conclusions, peut, pour le même fait, assigner le même individu comme auteur principal de la contravention sans que celui-ci puisse invoquer l'autorité de la chose jugée car il n'y a pas identité d'objet entre une poursuite pénale et une poursuite en responsabilité civile (Arrêt Amiens, 25 juin 1874, Mém. 19, 191).
Jugé par ailleurs que :
- la chose jugée suppose l'identité d'objet dans les poursuites. Par suite, l'autorité de la chose jugée ne peut être invoquée dans une poursuite ultérieure motivée par un fait autre, bien que semblable à celui qui a donné lieu aux premiers débats (Cass. crim., 7 décembre 1922, BCI 1923, p. 7) ;
- l'exception de chose jugée ne peut être invoquée lorsque l'objet de la seconde poursuite n'est pas le même que celui de la première.
Spécialement, il n'y a pas identité d'objet entre des poursuites exercées :
- d'une part, devant la cour d'assises pour le crime d'usage de faux en écritures publiques (usage d'acquits d'exportation portant une fausse mention " vu embarquer " ) et pour le délit de fraude fiscale prévu à l'article 1741 du CGI (fraude aux droits et taxes sur les rhums) ;
- d'autre part, devant la juridiction correctionnelle pour transports irréguliers de rhums, punis par l'article 1791 du CGI (Cass. crim., 4 juillet 1967, RJCI, p. 33) ;
- l'action publique et l'action fiscale exercées successivement par le ministère public pour falsification de boissons et par l'Administration pour fabrication sans déclaration de dilutions alcooliques n'ont pas le même objet, la première tendant au prononcé de peines de droit commun 1 et la seconde à l'application de peines fiscales 2 qui participent de la nature des réparations civiles et que l'Administration a seule qualité pour réclamer 3 .
Celle-ci peut donc, soit intervenir aux côtés du ministère public, soit agir seule, sans que, dans ce cas, les juges soient en droit de lui opposer l'autorité de la chose jugée, qui suppose d'ailleurs que les infractions successivement poursuivies aient les mêmes éléments matériels et légaux, condition qui n'était pas réalisée en l'occurrence 4 (Cass. crim., 27 janvier 1976, RJ, n° I, p. 48 : cf. également E 3312, n°s 70 et 71 , Administration partie jointe).
b. Identité de cause.
22Il faut que les infractions relevées soient absolument identiques dans tous leurs éléments matériels et légaux, pour que la chose jugée interdise d'exercer de nouvelles poursuites en raison des mêmes faits.
La chose jugée n'interdit d'exercer de nouvelles poursuites en raison des mêmes faits que si les infractions successivement imputées au prévenu sont identiques dans tous leurs éléments, matériels et légaux (Cass. crim., 10 mars 1976, RJ n° I, p. 1 00 et les arrêts cités).
23Jugé que dans les cas d'espèces suivants, il n'y avait pas autorité de la chose jugée
1 ° L'exception de chose jugée ne peut être invoquée que lorsque le fait sur lequel est fondée la seconde poursuite est identique dans ses éléments légaux et matériels à celui qui a motivé la première.
Encourt dès lors la cassation, l'arrêt qui relaxe les prévenus du chef de transport de blé sans titre de mouvement pour le motif qu'ils avaient déjà bénéficié d'un acquittement pour le même fait en vertu d'un jugement du tribunal spécial alors que cette demière décision, intervenue sur les poursuites du ministère public en matière de rationnement et de contingentement était étrangère à l'objet de la poursuite fiscale 5 (Cass. crim., 23 février 1954, RJCI, 9, p. 23).
2° La contravention fiscale d'expédition inapplicable (envoi d'un mélange d'alcool d'industrie et de diverses essences sous le lien d'un acquit blanc) est distinct du fait de falsification et de vente d'eau-de-vie falsifiée poursuivi par le ministère public, et l'action fiscale exercée par l'Administration l'a été à l'exclusion du ministère public. Par suite, bien que l'Administration se soit seule pourvue en cassation contre un arrêt déclarant les deux actions, publique et fiscale éteintes par application de l'amnistie, la chose définitivement jugée au regard du ministère public ne lui est pas opposable et ne rend pas son pourvoi irrecevable (Cass. crim., 26 mars 1920, BCI 17).
L'exception de la chose jugée n'a lieu que lorsque la demande est fondée sur la même cause, Il s'ensuit que lorsque, sur les poursuites similaires du ministère public et de l'Administration, un marchand en gros prévenu d'avoir falsifié ses vins et d'avoir fait en cours d'inventaire une fausse déclaration de l'espèce de ces mêmes vins bénéficié d'une ordonnance de non-lieu en ce qui concerne le délit de falsification, cette ordonance n'est pas opposable à l'action fiscale de l'Administration qui a une autre cause et dont l'exercice appartient en propre à cette Administration (Cass. crim., 25 février 1905, BCI 6, Bull. crim. 91, p. 142).
3° La contravention fiscale d'ouverture sans déclaration d'un débit de quatrième catégorie prévue par l'article 502 du CGI ne saurait être confondue avec le délit de droit commun qu'une précédente décision judiciaire a retenu à la charge du prévenu sous la qualification d'ouverture non autorisée et non déclarée d'un débit de quatrième catégorie dans une zone protégée (Code des Débits de boissons, art. L 49).
La circonstance que cette contravention résultait de faits déjà soumis, du point de vue pénal, à la juridiction correctionnelle n'interdisait donc pas à l'administration fiscale d'exercer seule ultérieurement son action et la règle non bis in idem ne lui était pas opposable (Cass. crim., 28 juillet 1975, RJ, n° 1, p 138 cf. également E 3312, n° 30 , Administration seule).
c. Identité des parties (Code de Proc. pén., art. 6 et 368)
24Il faut qu'il y ait identité des parties : même partie poursuivante, même partie poursuivie.
La partie poursuivante est, en matière de contributions indirectes :
- le ministère public pour l'action publique ;
- l'Administration pour l'action fiscale.
La partie poursuivie est :
- l'auteur ;
- les coauteurs, complices et autres personnes pénalement responsables.
25Pour ce qui est de la partie poursuivante il est précisé que le ministère public et l'Administration sont des parties poursuivantes différentes car il y a indépendance de l'action publique et de l'action fiscale (cf. E 3312, n°s 32 et suiv. ). Il en est ainsi lorsque l'action en justice concerne des infractions purement fiscales punies à la fois par des peines de droit commun (emprisonnement par exemple) et par des peines pécuniaires fiscales.
En revanche, lorsque le ministère public a qualité pour exercer l'action de l'Administration (fait unique constituant à la fois un délit de droit commun et une contravention fiscale : infraction mixte cf. E 3312, n° 48 et suiv. ) il y a identité de partie poursuivante ; le jugement intervenu sur les poursuites du ministère public, sans que l'Administration soit intervenue, met obstacle à ce que celle-ci exerce ultérieurement son action.
26En ce qui concerne la partie poursuivie, le jugement prononcé à l'encontre d'un prévenu auteur de l'infraction ne fait pas obstacle à ce que des poursuites, pour le même fait, soient engagées par la suite contre les co-auteurs, complices, ou d'autres personnes pénalement responsables de l'infraction déjà jugée définitivement.
27Jugé que :
- Il résulte de la combinaison des articles 90 de la loi du 5 ventôse an XII 6 , et 19 du décret organique du 5 germinal, même année, que l'Administration est exclusivement chargée de poursuivre devant les tribunaux correctionnels les contraventions qui entraînent la confiscation ou l'amende : cette action de l'Administration est distincte de l'action publique, dont l'exercice est confié aux fonctionnaires désignés par la loi elle en diffère par sa nature et par ses effets, en ce qu'elle a surtout pour objet la réparation du préjudice causé par la fraude au Trésor public.
Il s'ensuit que, même en admettant qu'un fait qualifié trouble apporté à l'exercice des employés, doive se confondre avec le refus d'exercice imputé au prévenu, ce dernier fait constitue une contravention à la loi du 28 avril 1816, dont la poursuite n'appartient qu'à l'administration des Contributions indirectes et dans laquelle le ministère public ne peut s'immiscer sans sortir des bornes de ses attributions.
Encourt, dès lors, la cassation, l'arrêt qui, sur la poursuite ultérieurement exercée par l'Administration du chef de refus d'exercice, relaxe le prévenu pour le motif que celui-ci, déjà poursuivi à raison des mêmes faits par le ministère public du chef de rebellion, injures et trouble à l'exercice des employés, a été renvoyé des poursuites sur les premier et troisième chefs par un jugement passé en forme de chose jugée (Cass. crim., 1er octobre 1842, Mém. Cl 16, p. 297, Bull. crim. 255, p. 390, S. 43, 1, 252 ; D. 42, I, 417, X... 460 : voir aussi dans les mêmes termes : Cass. crim., 25 février1905, BCI 1905, n° 6) :
- Lorsqu'à la suite d'une saisie opérée dans les magasins d'un marchand en gros, celui-ci est l'objet de poursuites séparées exercées, l'une, par le ministère public, pour mise en vente sous la dénomination de vin d'un produit autre que celui de la fermentation de raisins frais, l'autre, par l'Administration, pour détention de vin de sucre en vue de la vente, l'arrêt qui, statuant sur l'action fiscale, constate la mauvaise foi du prévenu ne s'impose pas aux juges qui ont à connaître de l'action du ministère public.
L'autorité de la chose jugée ne saurait avoir lieu alors que les poursuites sont exercées par des parties différentes (Cass. crim., 7 novembre 1907, Bull. crim. 443, p. 700).
Manque de base légale l'arrêt qui refuse de prononcer la condamnation des prévenus par le motif que les faits avaient été déjà punis par une décision antérieure, alors qu'il ne résulte pas des énonciations de l'arrêt que tous les inculpés aient été partie dans la précédente instance et, en outre, que la Cour, laissant sans réponse les conclusions de l'Administration tendant à la condamnation de l'un des prévenus pour une contravention non visée dans la poursuite antérieure, a omis de justifier la relaxe de ce chef et de préciser si l'exception de chose jugée pouvait s'étendre à cette dernière contravention (Cass. crim., 3 novembre 1938, BCI 1939, n° 2).
3. Influence de la chose jugée au pénal sur l'action de l'Administration
28L'autorité de la chose jugée au pénal influence l'action de l'Administration s'il y a identité d'objet, de cause et departies.
Un individu peut être acquitté dans une poursuite criminelle : le fait incriminé n'a pas eu lieu, l'individu n'en est pas l'auteur, le prévenu n'a pas été jugé pénalement coupable (absence d'intention délictueuse, irresponsabilité, etc.).
La condamnation fiscale, en revanche, est subordonnée à la seule existence d'un fait contraventionnel, sans qu'il y ait à tenir compte de l'intention.
Il en résulte que si la personne mise en examen est déclarée « non coupable » en matière pénale, l'Administration peut cependant exercer l'action fiscale devant la juridiction compétente.
C'est ainsi, par exemple, qu'en matière de vins mouillés, l'ordonnance de non-lieu basée sur le fait que le prévenu ne serait pas l'auteur du mouillage ou l'aurait ignoré ne saurait faire obstacle aux poursuites de l'Administration, l'action de celle-ci étant fondée sur l'existence matérielle de l'infraction, laquelle ne peut être excusée que par un fait de force majeure (Cass, crim., 23 décembre 1942, BC186, p. 146 et les arrêts cités) 7 .
29Par ailleurs, les faits délictueux peuvent constituer deux infractions, l'autorité de la chose jugée ne s'appliquant le cas échéant qu'à une seule contravention.
De même, le transport frauduleux de tabacs du monopole constituant un fait distinct du vol de ces mêmes tabacs, l'ordonnance de non-lieu dont ce délit a fait l'objet ne saurait être opposée à l'Administration poursuivant la répression de l'infraction fiscale (Cass. crim., 16 mars 1950, RJCI 14, p. 37, Bull. crim. 97, p. 154).
1 Celles prévues par la loi du 1er août 1905 (art. 1er).
2 Celles prévues par les articles 1791 et suivants du CGI.
3 En vertu de l'article L.235 du Livre de procédure fiscales.
4 Jurisprudence constance : cf. Crim., rejet, 11 février 1975, RJ, n° 1, p. 47 et les arrêts cités ; Bull. Crim., 44, p. 120 ; 28 juillet 1975, rejet, n° 1, p. 138 ; 15 octobre 1979, rejet, RJ, n° 1, p. 146.
5 En l'espèce, le jugement en question avait décidé que le transport irrégulier de blé ne constituait pas à lui seul les infractions de droit commun poursuivies par le Parquet.
6 Art. L. 235 du Livre de procédure fiscales.
7 Rapp. Avec Cass. Crim., 23 juin 1977, RJ, p. 103, Bull. Crim. 239, p. 601.