SOUS-SECTION 3 LES DIVERSES CATÉGORIES D'HYPOTHÈQUES
SOUS-SECTION 3
Les diverses catégories d'hypothèques
Les diverses catégories d'hypothèques sont énoncées à l'article 2116 du Code civil. Aux termes de cet article, l'hypothèque est légale, ou judiciaire, ou conventionnelle.
Par ailleurs, la loi du 12 novembre 1955 modifiée par celle du 6 février 1957 a créé l'hypothèque judiciaire conservatoire.
A. LES HYPOTHÈQUES LÉGALES
1Les hypothèques légales sont celles qui résultent de la loi (Code civ., art. 2117).
Elles ont été prévues au profit de créanciers que le législateur a entendu protéger de façon spéciale. Ces créanciers les possèdent de plein droit sans qu'il soit besoin d'une constitution conventionnelle ou d'un jugement.
I. Les diverses variétés d'hypothèques légales
Les hypothèques légales dont l'inscription est susceptible d'être requise sont :
21. Les hypothèques légales prévues par l'article 2121 du Code civil et qui sont générales :
- hypothèque légale d'un époux sur les biens de l'autre ;
- hypothèque légale des mineurs et des majeurs en tutelle sur les biens du tuteur ou de l'administrateur légal ;
- hypothèque légale de l'Etat, des départements des communes et des établissements publics sur les biens des receveurs et administrateurs comptables ;
- hypothèque légale du légataire sur les biens de la succession en vertu de l'article 1017 du Code civil.
32. Les anciens privilèges généraux (sur meubles et sur immeubles) transformés en hypothèque légale par le décret du 4 janvier 1955 pour garantir notamment :
- les frais funéraires ;
- les frais quelconques de la dernière maladie, qu'elle qu'en ait été la terminaison, concurremment entre ceux à qui ils sont dus ;
- les fournitures de subsistances faites au débiteur et à sa famille pendant la dernière année ;
- la créance de la victime d'un accident ou de ses ayants droit relative aux frais pharmaceutiques, médicaux et funéraires... ;
- le paiement des allocations familiales ;
- les créances des caisses d'allocations familiales et de sécurité sociale.
43. Les hypothèques légales prévues par d'autres codes ou des lois spéciales parmi lesquels il y a lieu de citer :
- l'hypothèque légale de la masse des créanciers sur les immeubles du débiteur en liquidation des biens ou en règlement judiciaire (art 17 de la loi du 13 juillet 1967 sur la réforme de la faillite) ;
- l'hypothèque légale du syndicat des copropriétaires pour la garantie des créances de toute nature à l'encontre de chaque copropriétaire (art. 19 de la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis) ;
- l'hypothèque légale du Trésor sur les immeubles de la succession (CGI, art. 1929-2) et sur les bois et forêts (CGI, art 1929-3) ;
- l'hypothèque légale du Trésor pour le recouvrement des impositions de toute nature et amendes fiscales (art. 1929 ter du CGI) ;
- l'hypothèque légale du Trésor sur les terrains et constructions pour le recouvrement du versement pour dépassement du plafond légal de densité (art. L 333-11 du Code de l'urbanisme) ;
- l'hypothèque légale de l'Etat ou des départements sur les immeubles appartenant aux bénéficiares de l'aide sociale (Code de la famille et de l'aide sociale, art. 148).
54. Les privilèges immobiliers spéciaux visés à l'article 2103 transformés en hypothèques légales lorsqu'ils sont inscrits après les délais prévus pour chacun d'eux. Il en est de même par ailleurs des privilèges immobiliers généraux autres que ceux visés à l'article 2103 transformés eux aussi en hypothèques légales (décret du 4 janvier 1955).
II. Caractères des hypothèques légales
6Les hypothèques légales énumérées ci-dessus sont générales et portent sur tous les immeubles que le débiteur possède et sur tous ceux qui, par la suite, entrent dans son patrimoine jusqu'au moment de son décès (cf. supra C 5212 n° 1 ).
Par ailleurs elles garantissent toutes les créances existant contre le débiteur au profit du titulaire de l'hypothèque.
Sous le régime antérieur au 1 er janvier 1956 les hypothèques légales étaient occultes et prenaient rang à compter de la naissance de la créance sans qu'il soit nécessaire de les inscrire.
Le décret du 4 janvier 1955 a profondément modifié ce système et atténué sensiblement la généralité de l'hypothèque. Actuellement elles ne deviennent efficaces que lorsqu'elles sont publiées à la conservation et ne prennent rang qu'au jour de leur inscription. En outre elles ne grèvent que les immeubles expressément désignés dans les bordereaux d'inscription et ne garantissent les créances qu'à concurrence des sommes indiquées sur lesdits bordereaux (Code civ., art. 2146).
B. L'HYPOTHÈQUE JUDICIAIRE
7L'hypothèque judiciaire est celle qui résulte des jugements, soit contradictoires, soit par défaut, définitifs ou provisoires, en faveur de celui qui les a obtenus (Code civ., art. 2123).
Elle découle, aux termes de l'article 2123 du Code civil :
- de tout jugement de condamnation ;
- des sentences arbitrales dès lors qu'elles ont été revêtues de l'ordonnance judiciaire d'exécution ;
- de certaines contraintes administratives.
I. L'hypothèque judiciaire résultant des jugements de condamnation
8Pour donner naissance à l'hypothèque judiciaire il ne suffit pas qu'il y ait une décision juridictionnelle rendue au sujet d'une contestation, il faut encore qu'il s'agisse d'une décision de condamnation.
1. Les juridictions compétentes.
9D'une manière générale toutes les juridictions sont comprises dans la règle édictée par l'article 2123. 1 er alinéa du Code civil.
Emportent donc hypothèque judiciaire les décisions rendues par :
- les tribunaux judiciaires de droit commun (tribunaux d'instance et de grande instance, cours d'appel) ;
- les tribunaux judiciaires d'exception (tribunaux paritaires de baux ruraux, tribunaux de commerce, conseils de prud'hommes, etc.) ;
10Il est sans influence sur leur validité que les décisions juridictionnelles soient prises par le tribunal tout entier, par son président ou encore par l'un de ses membres statuant par voie d'ordonnance ;
- les juridictions répressives (tribunaux correctionnels, cours d'assises) ;
- les juridictions administratives (tribunaux administratifs, Conseil d'État et Cour des comptes).
L'hypothèque judiciaire peut également résulter de décisions judiciaires rendues en pays étrangers. Dans ce cas. il est nécessaire qu'elles aient été déclarées exécutoires par un tribunal français (Code civ., art. 2123, 2 e al.).
2. Les décisions de condamnation.
11Ainsi qu'il est indiqué ci-dessus (cf. supra n° 8 ) la décision juridictionnelle prise doit comporter condamnation, c'est-à-dire constater une obligation à la charge d'une partie et lui ordonner de l'exécuter ; l'hypothèque, en effet, ne se comprendrait pas en l'absence d'une créance à garantir.
C'est pourquoi, le jugement de validité de saisie-arrêt - qui implique nécessairement l'existence d'une dette du débiteur saisi - emporte hypothèque judiciaire sur les biens de celui-ci, au profit du saisissant, bien qu'il ne prononce de condamnation que contre le tiers saisi.
De même le jugement d'admission d'une créance au passif de la liquidation des biens, ou du règlement judiciaire qui équivaut à une condamnation, permet au créancier de prendre inscription d'hypothèque judiciaire, après la dissolution de l'union.
12En revanche, un certain nombre de décisions juridictionnelles n'emportent pas hypothèque judiciaire car elles ne comportent pas de condamnation.
Il en est ainsi par exemple des jugements qui se bornent à rejeter les prétentions du demandeur, étant toutefois rappelé que la condamnation de celui-ci aux dépens emporte l'hypothèque judiciaire.
De même les jugements ordonnant une enquête, une expertise (à moins que le principe de la dette soit reconnu et qu'un expert soit nommé pour en fixer le montant) ou statuant sur une question de compétence, ne produisent pas d'hypothèque judiciaire.
II. Les sentences arbitrales
13Des sentences arbitrales sont des décisions rendues par des particuliers agissant en juges et choisis par les parties. Ces décisions n'en sont pas moins de véritables jugements (Cbde de proc. civ., art. 1020) qui emportent hypothèque judiciaire sur les biens du perdant dès lors que la force exécutoire leur a été attribuée par l'ordonnance d'exécution rendue par le président du tribunal de grande instance (Code civ., art. 2123, 2° al.).
III. Les contraintes administratives
14Les contraintes administratives, qui sont des mandements ayant force exécutoire, ne peuvent emporter hypothèque qu'autant qu'elles ont le caractère d'actes de juridiction et non d'actes de commandement.
Il en est ainsi uniquement lorsque l'opposition à contrainte ne peut être soumise à l'autorité judiciaire. Tel est le cas des contraintes délivrées par le service des Douanes et de celles délivrées par les Caisses de Sécurité sociale (Code de la Séc. soc., art. 167).
En revanche celles émanant de l'administration fiscale ne confèrent pas l'hypothèque judiciaire puisqu'elles peuvent faire l'objet d'un recours devant le tribunal administratif.
IV. Caractères de l'hypothèque judiciaire
15L'hypothèque judiciaire est générale quant à son assiette. Elle porte sur tous les biens présents et à venir du débiteur.
Toutefois ce principe est atténué, en la forme, par la règle de la spécialité de l'inscription qui oblige le créancier à désigner exactement les immeubles sur lesquels il entend faire porter l'inscription.
On notera que l'hypothèque judiciaire frappe les immeubles du débiteur alors même que ce dernier n'aurait pas la capacité requise pour les grever d'une hypothèque conventionnelle.
L'hypothèque judiciaire est spéciale quant à la créance garantie. Elle couvre le montant en principal de la condamnation ainsi que les accessoires, intérêts, dommages et frais, et le montant de la créance doit être déterminé ou évalué en vue de la formalité d'inscription.
C. L'HYPOTHÈQUE JUDICIAIRE PROVISOIRE
16L'inscription de l'hypothèque judiciaire prévue à l'article 2123 du Code civil ne peut être requise dès que le litige a pris naissance mais seulement après que le jugement de condamnation a été prononcé.
De ce fait l'hypothèque judiciaire risque de n'avoir aucun effet si le débiteur a mis à profit les délais de procédure pour organiser son insolvabilité.
17Pour prévenir ce risque, la loi du 12 novembre 1955, modifiée par celle du 6 février 1957, a créé l'hypothèque judiciaire conservatoire. Le créancier peut ainsi s'assurer une garantie dans l'attente du jugement de condamnation.
Cette hypothèque, organisée par les articles 54 et 55 du Code de Procédure civile constitue bien une hypothèque judiciaire puisqu'elle prend sa source dans la décision d'un juge.
I. L'inscription provisoire
18L'autorisation de prendre inscription provisoire de l'hypothèque est accordée par le président du tribunal de grande instance ou le juge du tribunal d'instance - par voie d'ordonnance, sans entendre le débiteur.
Le juge saisi est, soit celui du domicile du débiteur, soit celui dans le ressort duquel est situé l'immeuble.
19L'autorisation n'est accordée qu'à deux conditions :
- d'une part il faut, conformément à l'article 48 1 er alinéa du Code de procédure civile, qu'il y ait urgence et que le recouvrement de la créance semble en péril ;
- d'autre part, toujours d'après le même article, il est nécessaire que le créancier justifie d'une créance paraissant fondée dans son principe.
L'ordonnance rendue énonce le montant de la créance garantie, désigne les immeubles grevés et fixe le délai dans lequel le créancier doit saisir la juridiction compétente au fond. Par ailleurs cette ordonnance judiciaire est exécutoire en dépit de l'opposition ou de l'appel du débiteur à qui elle est signifiée dans la quinzaine de son inscription à la conservation (Code de proc. civ., art. 55).
L'inscription autorisée et opérée en conséquence est valable trois ans.
20A l'expiration de ce délai, la décision sur le fond doit avoir été rendue et si elle ne l'a pas été, le créancier doit recourir à la procédure de renouvellement de l'inscription (cf. infra 5215, n os 15 et suiv.). Chacun des renouvellements a effet pendant trois ans à compter de sa date mais l'inscription reste provisoire, son sort étant lié au procès engagé par le créancier.
II. L'inscription définitive
21L'inscription provisoire doit normalement être suivie soit, d'une inscription définitive. soit d'une radiation :
- si le créancier n'a pas engagé la procédure au fond ou s'il a perdu le procès contre son débiteur, l'inscription provisoire disparait. Le magistrat qui a ordonné cette inscription en prononce, en référé, la radiation ;
- si le créancier obtient gain de cause, il est tenu de prendre une inscription définitive dans les deux mois à dater du jour où la décision judiciaire a acquis l'autorité de la chose jugée (voir infra C 524 n° 14 ).
22L'inscription définitive se substitue purement et simplement à l'inscription provisoire et son rang est fixé rétroactivment à la date d'inscription de cette dernière.
Toutefois, cette substitution n'est valable que dans la limite des sommes conservées et sur les Immeubles grevés par l'inscription provisoire.
Dans l'hypothèse où le montant de la créance admise par le jugement est supérieur à celui mentionné dans l'inscription provisoire, une deuxième inscription doit être requise pour la différence et qui prendra effet de sa date.
D. L'HYPOTHÈQUE CONVENTIONNELLE
23Aux termes de l'article 2117 du Code civil, l'hypothèque conventionnelle est celle qui résulte des conventions. Elle est créée par un contrat conclu entre le créancier (le stipulant), qui désire obtenir une sûreté, et le débiteur (le constituant) qui la concède sur ses biens.
Ce contrat est soumis non seulement aux règles générales de formation des contrats mais aussi à des conditions de validité particulières.
I. Conditions de forme du contrat
24Le contrat d'hypothèque doit revêtir la forme authentique que le décret du 4 janvier 1955 impose à tous les actes soumis aux formalités de la publicité foncière.
Mais, en outre, l'article 2127 du Code civil exige que l'acte constatant l'hypothèque conventionnelle soit passé en forme authentique devant deux notaires ou devant un notaire et deux témoins. Toutefois, aux termes de la loi du 12 août 1902 modifiant l'article 9 de la loi du 25 ventôse an XI, l'acte constatant l'hypothèque conventionnelle peut être passé devant un seul notaire ; la présence d'un second notaire ou de deux témoins n'est exigée que lorsque le constituant de l'hypothèque ne sait ou ne peut signer.
25La jurisprudence admet, cependant, la validité d'un acte sous seing privé déposé au rang des minutes d'un notaire, avec reconnaissance des écritures et des signatures des parties ; mais le point de départ des effets de l'hypothèque ne peut se situer avant la date de l'acte de dépôt.
26Il est à noter que le contrat d'hypothèque est un des rares contrats solennels dont le monopole est confié aux notaires. Ce monopole absolu est confirmé par l'article 2128 du Code civil qui précise que les contrats passés en pays étranger ne peuvent donner d'hypothèque sur les biens situés en France. Toutefois, lesdits contrats sont valables pour les Français se trouvant à l'étranger, s'ils sont passés devant un consul français. Il est donc nécessaire que l'acte constitutif d'hypothèque soit rédigé en France. Ce formalisme se justifie car il importe que, d'une part, le constituant soit informé, avec précision, par un spécialiste du droit civil, sur la gravité de l'acte passé et, d'autre part, que le créancier, qui peut ignorer les règles de fond du contrat, soit avisé des droits du constituant sur l'immeuble.
Dans l'hypothèse où le constituant se fait représenter par un mandataire, la procuration doit être spéciale et notariée. Par suite, l'hypothèque est nulle si elle est constituée par un mandataire muni seulement d'un pouvoir sous seing privé. Toutefois, les représentants légaux des sociétés dont les statuts ont été établis par acte sous seing privé peuvent consentir hypothèque au nom de celles-ci en ne représentant que lesdits statuts ou un extrait des délibérations leur donnant pouvoir (Code civ., art. 1860, 2 e al.).