SOUS-SECTION 2 LE PRIVILÈGE DU TRÉSOR
b. Droit de rétention fictif.
45Le droit de rétention fictif doit être expressément prévu par la loi qui a créé le gage. Ainsi, le créancier nanti sur fonds de commerce, en l'absence de disposition explicite dans la loi du 17 mai 1909 (Cass. com., 28 octobre 1971, Bull. civ. , 1971. IV, n° 260, p. 242 ; Cass. com., 13 avril 1972, ibid. IV, n° 102, p. 101 ; Cour d'Aix, 17 novembre 1971, DH 1971-727 ; Cour de Montpellier, 11 janvier 1972, Mémorial des percepteurs 1972-12 ; Cour de Paris, 20 janvier 1972, même réf.), de même que le créancier nanti sur l'outillage et le matériel d'équipement à défaut de dispositions dans la loi du 18 janvier 1951. ne bénéficient pas de cette prérogative.
Par contre, peuvent notamment exciper d'un droit de rétention les vendeurs, cessionnaires de créances, escompteurs et prêteurs de deniers pour l'achat de véhicules automobiles et autres engins visés à l'article 1 er du décret du 30 septembre 1953 (cf. Code civ., sous art. 2074).
Pour conserver leur gage, les créanciers doivent en faire mention sur un registre spécial ouvert à cet effet dans toutes les préfectures. Un reçu de cette déclaration est délivré au créancier gagiste.
Selon l'article 2, 3 e alinéa in fine, du décret « Par la délivrance de ce reçu, le créancier gagiste sera réputé avoir conservé la marchandise en sa possession », et par conséquent, bénéficiera d'un droit de rétention fictif.
La mention au registre conserve le gage pour une durée de cinq ans et peut être renouvelée une seule fois pour le même laps de temps.
c. Règlement du conflit entre le Trésor, créancier privilégié et le titulaire du droit de rétention.
1° Principe de la primauté du droit de rétention.
46Le bénéficiaire du droit de rétention peut opposer son droit aux créanciers même privilégiés.
Telle est la situation de l'ouvrier ou de l'artisan exerçant son droit de rétention sur le bien qu'il a façonné ou amélioré (Trib. civ. de Colmar. Mémorial des percepteurs de janvier 1951 ; Trib. civ. de Pontarlier, 26 novembre 1935, GP 1936-296).
De même, malgré le caractère fictif de sa possession, le créancier gagiste sur véhicules automobiles, qui a satisfait aux prescriptions du décret du 30 septembre 1953, bénéficie sur l'automobile vendue jusqu'à complet règlement de sa créance du droit de rétention qu'il peut opposer à l'Administration lorsque celle-ci a engagé des poursuites pour faire vendre le véhicule (Cass. civ., 15 janvier 1957, RJCI, 1957, n° 8, p. 20).
En cas de liquidation des biens, ce droit de rétention subsiste et se reporte sur les prix lorsque :
- en vertu de l'article 83, 2 e alinéa, de la loi susvisée, le syndic, autorisé par le juge-commissaire, procède, à la place du gagiste qui n'a pas donné suite à sa mise en demeure, à la vente de l'objet gagé (Cass. civ., sect. com., 4 juillet 1962, ibid. n° 340, p. 281) ;
- le gagiste ne poursuit la réalisation du bien gagé que sur mise en demeure du syndic (Cass. com., 26 janvier 1965, Bull. civ. 1965, III, n° 71, p. 59).
La saisie d'un véhicule gagé faisant suite à une infraction en matière de contributions indirectes puis la confiscation prononcée en justice (CGI, art. 1876) ne font pas obstacle à l'exercice du droit de rétention (Cass. com., 27 mars 1968, Bull. civ. , IV, n° 122, p. 105, G.P. 1968-1-168).
2° Limites du droit de rétention.
• Perte du droit de rétention.
47Il a été jugé que le créancier gagiste perd son droit de rétention lorsque, non désintéressé, il poursuit lui-même la vente du bien gagé (Cass. civ., 15 janvier 1957, RJCI , 1957, n° 8, p. 20 ; Cass. civ., sect. com., 16 mars 1960, D.H. 1960-131 ; Bull. civ. , III, n° 100, p. 90) ou lorsqu'il donne son consentement au syndic pour la vente du bien (Cass. civ., 12 juin 1963, RJCI , 1963, II, n° 4, p. 109 ; Lyon, 7 novembre 1974, BODGI 12 C-18-75).
Dans ces cas, il reste à régler un conflit de privilèges qui se résout eu profit du Trésor si, face au privilège des taxes sur le chiffre d'affaires, le gagiste ne peut invoquer que le privilège spécial sur meubles énoncé à l'article 2101-2° du Code civil.
• Irrégularités dans la constitution du gage.
48Lorsque des formalités sont prescrites pour la constitution du gage, qu'elles ne sont pas respectées ou qu'elles le sont de façon incomplète, le créancier gagiste ne peut opposer son droit de rétention au Trésor. En outre, en matière de gage automobile notamment, le droit du créancier n'est opposable aux tiers qu'à dater de l'inscription du gage (décret, 30 septembre 1953, art. 5). Aussi, pendant le temps qui sépare le contrat de nantissement et la délivrance du récépissé d'inscription à la préfecture, le véhicule demeure dans le patrimoine du débiteur, libre de charge et sujet aux voies d'exécution que les tiers peuvent exercer. Ainsi, l'Administration qui a saisi un véhicule avant l'inscription du gage est fondée à exercer son privilège sur le prix, sans que les droits du gagiste puissent lui être opposés (Cour de Bordeaux, 19 février 1962, RJCI , n° 4, p. 165).
• Opportunité de la saisie.
49La saisie d'un bien gagé ne pouvant avoir pour effet que d'appréhender la valeur disponible de l'objet, après apurement de la créance du gagiste, il conviendra, pour éviter des frais inutiles, de ne saisir les gages, et spécialement les véhicules automobiles, que si les autres meubles saisissables du débiteur sont insuffisants pour garantir la créance du Trésor. Et la vente des biens gagés ne devra être poursuivie que si leur valeur paraît devoir couvrir à la fois la créance du gagiste et la totalité ou du moins une fraction importante de celle du Trésor.
• Attribution du gage au créancier gagiste.
50L'attribution en paiement prévue par l'article 2078 du Code civil ne vaut qu'« à due concurrence, d'après une estimation faite par experts ». Elle peut, dès lors, donner lieu à une soulte au profit du débiteur, dans l'hypothèse où la valeur estimative du gage excéderait la somme restant due au créancier. Il conviendra donc d'examiner dans chaque cas si une soulte peut être dégagée et, dans l'affirmative, de l'appréhender en pratiquant en temps utile une saisie-arrêt ou, éventuellement, un avis à tiers détenteur entre les mains du gagiste.
51• Cas particulier : créances réciproques.
La spécialité du gage s'oppose au report de ce droit d'un bien sur un autre. Par exemple, si deux véhicules automobiles font l'objet, entre un même vendeur et un même acheteur, de contrats de gage distincts et si l'expertise des véhicules, pratiquée dans le cadre de l'article 2078 du Code civil, fait apparaître un excédent de valeur pour l'un et une insuffisance pour l'autre, la soulte afférente au premier n'est pas affectée en garantie du paiement de la somme qui reste due sur le deuxième. Elle peut donc être saisie-arrêtée par l'Administration, même pour une créance chirographaire, la soulte devant, en ce cas, être partagée au marc-le-franc entre la créance du Trésor et celle du vendeur, également chirographaire.
Mais, pour éviter que les créances réciproques du vendeur et de l'acheteur ne s'éteignent à due concurrence, par l'effet de la compensation légale la saisie doit intervenir avant que lesdites créances ne soient liquides et exigibles, c'est-à-dire avant le jugement définitif d'attribution en paiement. En effet, la procédure prévue à l'article 2078 du Code civil donne lieu normalement à deux jugements :
- Par le premier, le tribunal statue sur le bien-fondé de la demande du gagiste, c'est-à-dire qu'il vérifie le quantum et l'exigibilité de la créance, ainsi que la validité du contrat de gage et, si la demande est fondée, il commet un expert ;
- Par le deuxième, il examine les conclusions de l'expert et prononce l'attribution en paiement à due concurrence.
Il va sans dire que l'Administration peut intervenir à l'instance si elle justifie d'un intérêt et si elle peut opposer à la demande du gagiste des arguments valables, telle que la nullité du contrat de gage.
• Attribution du gage au créancier gagiste.
52En vertu de la jurisprudence de la Cour de cassation, les créanciers gagistes disposent désormais en toute hypothèse d'un moyen sûr de réaliser leur gage sans subir le concours des privilèges du Trésor. En effet, quand le gage leur est attribué en paiement par le tribunal, ils passent sans transition de la possession matérielle (gage de droit commun) ou fictive (gage spécial sur automobile) à la propriété pleine et entière de l'objet. L'Administration n'a donc plus la possibilité d'exercer ses privilèges.
Dans ces conditions, lorsqu'il s'agira d'apprécier la solvabilité des redevables, notamment quand ceux-ci auront demandé des délais de paiement, les biens gagés ne devront désormais être pris en considération que dans la mesure où leur valeur sera nettement supérieure aux sommes restant dues aux créanciers gagistes.
d. Attribution du gage en justice.
53Aux termes de l'article 2078, 1 er alinéa, du Code civil, le créancier gagiste « ne peut, à défaut de payement, disposer du gage : sauf à lui faire ordonner en justice que ce gage lui demeurera en paiement et jusqu'à due concurrence, d'après une estimation faite par experts, ou qu'il sera vendu aux enchères ».
Par les arrêts du 31 mai 1960 ( JCP , 1960, II, 11676) et du 9 janvier 1961 (Bull. civ. , 1961, III, n° 15, p. 13), la Cour de cassation (Chambre civile, sect. com.) a décidé, d'une part, que le créancier gagiste du droit commercial et, d'autre part, le créancier gagiste sur véhicule automobile, disposent, comme le gagiste du droit civil, de la faculté de faire ordonner en justice que le gage lui demeurera en paiement jusqu'à due concurrence après estimation faite par les experts. Ces créanciers gagistes conservent ce droit malgré la faillite du débiteur (Cass. civ., 20 mars 1961, RJCI, n° 14, p. 43) et nonobstant la saisie du bien et plus particulièrement du véhicule par l'Administration (Cass. com., 16 juin 1964, RJCI , II, n° 5, p. 100).
e. Directives à observer par les services.
54Compte tenu des solutions ainsi adoptées par la Cour Suprême, les comptables peuvent faire procéder à la saisie des véhicules automobiles des redevables malgré les inscriptions de gage prises par les vendeurs à crédit ou les organismes de financement. Cependant, étant donné les difficultés à prévoir pour la réalisation de ces automobiles, les receveurs doivent chaque fois qu'ils envisagent d'en faire saisir une, se préoccuper de savoir si elle est grevée d'un droit de gage (cette précision peut être obtenue auprès de la préfecture). Si la voiture est grevée d'un gage, le receveur ne doit pratiquer la saisie du véhicule qu'à défaut de l'existence, dans le patrimoine du redevable, d'autres biens meubles saisissables d'une valeur suffisant à assurer le recouvrement des droits dus.
Mais la vente des véhicules saisis ne doit être poursuivie que si leur valeur paraît devoir couvrir à la fois la créance du gagiste et celle du Trésor ou tout au moins une partie importante de cette dernière créance.
Si, au contraire, la valeur des véhicules était nettement inférieure au total des deux créances, il conviendrait de s'abstenir de faire procéder à leur vente.
Si la vente était effectuée par le créancier gagiste, le comptable devrait immédiatement faire valoir ses droits sur le prix en faisant pratiquer entre les mains de l'officier ministériel chargé de la vente une saisie-arrêt ou, s'il s'agit de recouvrer des taxes privilégiées sur le chiffre d'affaires, en délivrant à cet officier ministériel un avis à tiers détenteur. Dans ce cas, en effet, le créancier gagiste, en prenant l'initiative de la vente du véhicule, perdrait son droit de rétention et l'Administration pourrait exercer à son encontre ses privilèges des articles 1926 et 1927 du CGI. Il est précisé que cette solution s'appliquerait même si le créancier gagiste avait demandé auparavant au tribunal l'autorisation de procéder à la réalisation du gage.
Bien entendu, les directives ci-dessus ne sont applicables que dans la mesure où les gages ont été régulièrement constitués et sont opposables à l'Administration. A cet égard, il conviendra de vérifier d'abord si les conditions de validité du gage sont remplies, étant précisé notamment qu'en dehors des cas expressément prévus par la loi le gage n'est valable que si l'objet affecté en nantissement est mis en la possession du créancier ou d'un tier convenu, et qu'en outre les dérogations aux principes généraux du gage sont de droit étroit
En particulier, l'énumération des véhicules donnée par l'article premier du décret du 30 septembre 1953 est limitative. Seuls, peuvent donc être gagés dans les formes prévues par ce décret les véhicules automobiles, les tracteurs agricoles, les cycles à moteur et les remorques tractées ou semi-portées assujettis à la déclaration de mise en circulation et à l'immatriculation. Le gage constitué sur tout autre engin suivant lesdites formes serait sans valeur.
Au surplus, il résulte expressément de l'article 5 du même décret que le droit du créancier gagiste n'est opposable aux tiers qu'à dater de l'inscription de gage. Dès lors, si un véhicule appartenant à un redevable était saisi à la requête de l'Administration avant que le vendeur ou le prêteur de deniers pour l'achat de ce véhicule ait pris inscription de gage à la préfecture, la vente pourrait être valablement poursuivie sans que le gagiste puisse invoquer d'autres droits que ceux d'un créancier chirographaire ou, le cas échéant, le privilège du vendeur (Code civil, art 2102-4°).
F. CONFLIT PORTANT SUR LE PRIVILÈGE RÈGLES DE COMPÉTENCE
55Suivant un principe constamment rappelé par la Cour de cassation (16 mars 1927, deux arrêts, S. 1927-I-228 ; 28 novembre 1934, S. 1934-1-64), les règles ordinaires de la compétence demeurent applicables aux instances qui mettent en jeu les principes relatifs à l'existence de sûretés spéciales au profit du Trésor public pour le recouvrement de certains impôts.
Seuls les tribunaux de grande instance ont donc à connaître des litiges concernant les privilèges fiscaux.
Même en cas de liquidation des biens ou de règlement judiciaire, les tribunaux de commerce sont incompétents pour statuer sur de tels litiges qui soulèvent une question de droit civil (arrêts cités ; cours d'Amiens, 15 juin 1953, RJCI , 1953 n° 24, p. 66 et 23 avril 1963 ; cour de Riom, 4 octobre 1954, RJCI, n° 35, p. 35, p. 88 ; Trib. com. de Limoges, 1 er juin 1966, RJCI , II, n° 11, p. 128). L'article 112 du décret n° 1120 du 22 décembre 1967 sur le règlement judiciaire et la liquidation des biens, selon lequel les tribunaux saisis d'une telle procédure « connaîtront de tout ce qui concerne le règlement judiciaire, la liquidation des biens... » ne peut être considéré comme modifiant le principe et le sens des décisions intervenues sous l'empire de l'article 635 ancien du Code de Commerce.
Les litiges relatifs à l'existence, à l'assiette ou à l'exercice et au rang du privilège échappent également à la compétence du juge des référés (Cass. 24 octobre 1938, Mémorial des percepteurs, 1939, p. 38) et du juge administratif (Conseil d'État, 9 novembre 1966).
L'incompétence de ces juridictions doit donc être soulevée, comme il est de règle, par voie d'exception avant toutes autres exceptions, fin de non-recevoir et défense au fond.
Observation importante. - Figurant parmi les plus difficiles à résoudre, les litiges relatifs au privilège, quelle que soit leur cause, doivent toujours être soumis à la direction générale (bureau IV A 3).