SOUS-SECTION 2 QUALITÉ DE GÉRANT
SOUS-SECTION 2
Qualité de gérant
1L'imposition des rémunérations allouées aux gérants de sociétés à responsabilité limitée dans la catégorie prévue par les articles 62 et 211 du CGI concerne en premier lieu les gérants nommés par les statuts ou par des décisions ultérieures des associés.
2Mais, il y a lieu également de rechercher si certains associés, bien que non désignés comme gérants, exercent en fait les fonctions de gérant.
L'appréciation du caractère majoritaire d'une gérance dépend, en effet, de l'ensemble des parts détenues au sein d'une même société par le collège des gérants qu'il s'agisse de gérants statutaires ou de gérants de fait.
A. GÉRANT STATUTAIRE OU DE DROIT
3Sont gérants statutaires ceux qui sont désignés comme tels par les statuts ou par une décision collective des associés.
Il importe peu que les gérants soient de nationalité française ou étrangère. La circonstance que le gérant de nationalité étrangère ne posséderait pas la carte d'identité de commerçant étranger et ne pourrait, par suite, remplir les fonctions de gérant de société en France, est sans influence sur la nature de son activité au regard de la loi fiscale (CE, arrêt du 27 avril 1960. req. n° 44534, RO, p. 66).
D'autre part, en application du principe énoncé ci-dessus, doit être considéré comme gérant pour l'appréciation du caractère majoritaire du collège de gérance :
4- le gérant statutaire qui a cessé effectivement d'exercer ses fonctions, dès lors qu'aucun acte ne lui a retiré cette qualité et qu'il continue à percevoir son traitement (CE, arrêt du 9 décembre 1932) ;
5- dans une société à responsabilité limitée ne comprenant que deux associés, également gérants statutaires, mais dont un seul assume en fait la gestion quotidienne de l'entreprise, le second associé, dès lors que celui-ci, du fait qu'il a le titre de gérant dispose statutairement, comme son co-associé, de la signature sociale et possède les pouvoirs les plus étendus pour agir au nom de la société (CE, arrêt du 18 octobre 1937, req. n° 58007, RO, p. 552) ;
6- les deux associés seuls membres d'une société à responsabilité limitée qui possèdent chacun la moitié des parts sociales et sont alternativement nommés gérant pour un an.
Cas particuliers.
1. Gérant suppléant.
7Il n'y a pas lieu, en principe, d'opérer une distinction entre gérant suppléant et gérant titulaire. C'est ainsi que, pour l'appréciation du nombre de parts détenu par le collège des gérants, il convient de faire état de celles détenues par un associé -gérant suppléant- qui a été désigné pour suppléer le gérant en titre en cas de démission, interdiction, absence ou révocation, encore qu'il n'aurait pas eu à exercer en fait les fonctions de gérant au cours de l'exercice concerné.
8En revanche, la clause des statuts qui prévoit que si le gérant vient à cesser ses fonctions pour quelque cause que ce soit, la société sera administrée par une autre personne nominativement désignée dans l'acte social, n'est pas suffisante pour que les parts détenues par cette personne soient retenues pour l'appréciation du nombre de parts détenues par la gérance.
2. Gérant adjoint.
9Lorsque l'acte constitutif d'une société prévoit que la gérance comprend des gérants en chef ou principaux et des gérants adjoints, les gérants adjoints doivent, pour l'appréciation du caractère majoritaire du collège de gérance, être considérés comme des gérants dès lors qu'ils interviennent dans la gestion quand ils le jugent à propos, qu'ils doivent être consultés pour les actes importants et qu'en cas de désaccord entre les gérants principaux, tous les gérants décident à la majorité absolue (CE, arrêt du 4 mai 1936, req. n° 49696, RO, n° 6441).
B. GÉRANT DE FAIT
10Les rémunérations allouées à certains associés (sur la qualité d'associé au sens des articles 62 et 211 du CGI, cf. H 1111 ) qui n'ont pas la qualité de gérant statutaire, mais qui exercent en fait de telles fonctions, sont imposables dans la catégorie visée à l'article 62 du CGI, lorsque le décompte des parts détenues par le(s) gérant(s) statutaire(s) et par le(s) gérant(s) de fait montre que la gérance est majoritaire
La qualité de gérant de fait est établie par l'Administration sous le contrôle du Juge de l'impôt.
11La question de savoir s'il y a ou non gérance de fait est sans intérêt au regard de la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires dès lors que, en toute hypothèse, il n'y a aucune incidence sur la détermination du bénéfice social.
12Par ailleurs, cette question ne relève pas davantage de la compétence du comité consultatif pour la répression des abus de droit prévue à l'article L. 64 du LPF dans la mesure où l'Administration se borne à apprécier les conséquences fiscales de faits ou situations découlant de l'exécution de contrats ou conventions dont elle ne conteste pas la validité (cf. 13 RC, L 143).
13Pour déterminer dans quelle mesure un associé entendu au sens de l'article 211 du CGI peut être considéré comme un gérant de fait, divers critères peuvent être retenus.
À cet égard, il convient principalement de s'attacher à rechercher si certains associés exercent des fonctions analogues à celles d'un gérant statutaire ou encore s'ils exercent un « contrôle effectif et constant sur la direction » de l'entreprise.
14En revanche, l'exercice des pouvoirs normaux de contrôle attachés à l'état d'associé ne confère pas en lui-même la qualité de gérant. Il en est ainsi de l'approbation par les associés du rapport de gestion, de l'inventaire et des comptes annuels ou encore du droit qu'a tout associé d'obtenir à tout moment communication des documents sociaux concernant les trois derniers exercices.
15Par ailleurs, la circonstance qu'un associé soit employé en qualité de salarié de la société et exerce des fonctions de direction, ne constitue pas un obstacle à ce que la qualité de gérant de fait lui soit reconnue. Tel sera le cas lorsque les pouvoirs qu'il peut exercer, en fait, au sein de la société, excèdent les fonctions d'un directeur salarié.
16Outre le critère essentiel des fonctions effectivement exercées et du pouvoir d'engager la société envers les tiers, la jurisprudence retient un certain nombre de circonstances qui, prises isolément, ne sont pas déterminantes, mais ont valeur d'indication et constituent des éléments d'appréciation pour attribuer ou non à un associé la qualité de gérant de fait.
C'est ainsi que la notion de gérant de fait est, en principe, indépendante de la répartition des parts du capital social entre les associés. Cependant, le fait de posséder un nombre important de parts peut venir corroborer un rôle de gestion étendu.
De même, le niveau de la rémunération, comparée à celle du gérant statutaire est d'une importance secondaire, mais peut également constituer un élément d'appréciation.
Enfin, la qualité d'ancien propriétaire de l'entreprise ou d'ancien gérant peut être un critère accessoire.
17En définitive, pour apprécier si un associé peut être considéré comme un gérant de fait, la jurisprudence utilise simultanément divers critères en vue de déterminer si l'intéressé participe effectivement à la gestion, notamment par le pouvoir de conclure des affaires engageant la société ou, même si, en dehors de ce pouvoir, il participe étroitement à la direction de l'entreprise.
Pour illustrer ces principes, les développements ci-dessous comportent un certain nombre de décisions intervenues en la matière.
Pour la commodité de l'exposé, ces décisions sont classées sous trois rubriques :
- associé disposant de pouvoirs spéciaux ;
- associé exerçant une activité ou des fonctions salariées dans l'entreprise ;
- associé ancien propriétaire de l'entreprise ou ancien gérant.
I. Associé disposant de pouvoirs spéciaux
La qualité de gérant de fait a été reconnue :
18- à deux associés d'une société à responsabilité limitée qui ayant reçu du troisième associé, nommé seul gérant statutaire, mandat de gérer et d'administrer tant activement que passivement toutes les affaires de la société, disposent ainsi des pouvoirs les plus étendus pour assurer la marche normale de l'entreprise dans les mêmes conditions que l'associé gérant statutaire (CE, arrêt du 27 avril 1938, req. n° 59895, RO, p. 249) ;
19- dans une société à responsabilité limitée qui ne comprend que deux associés, dont l'un est seul gérant statutaire, au second associé, dès lors que -possesseur de plus des 4/5 des parts sociales, disposant de pleins pouvoirs pour effectuer toutes opérations bancaires au nom de la société et appelé à donner son consentement à toute convention engageant l'entreprise au-delà d'un certain chiffre- il participe à la direction de l'affaire et exerce un contrôle constant et effectif sur sa marche commerciale (CE, arrêt du 16 mai 1949, req. n° 92915, RO, p. 173) ;
20- à un associé qui est appelé à donner son avis sur toute opération du gérant statutaire de nature à engager la société au-delà d'une certaine somme et disposant de droits d'examen et d'investigation les plus absolus dans les affaires sociales ainsi que du droit de se faire communiquer à tout moment les documents concernant la gestion de l'entreprise, reçoit en outre une rémunération sensiblement égale à celle du gérant statutaire (CE, arrêt du 18 décembre 1954, req. n° 33605, RO, p. 171) ;
21- à un associé d'une société à responsabilité limitée exploitant une entreprise de bâtiments et de travaux publics, qui pour assurer la marche d'un chantier représentant une part importante de l'activité de la société, a reçu du gérant statutaire une procuration l'habilitant notamment à signer tous marchés, à délivrer toutes quittances, à embaucher et débaucher le personnel et, d'une manière générale, à faire tout ce qui peut être utile et nécessaire dans l'intérêt de la société (CE, arrêt du 21 décembre 1959 req. n° 44461, RO, p. 532) ;
22- à l'associé, propriétaire de plus des 9/10e des parts d'une société à responsabilité limitée exploitant un entrepôt de bières, qui s'occupe personnellement des opérations d'achat et de vente traitées par la société, exerce un contrôle effectif et constant sur la marche de l'entreprise et perçoit des rémunérations plus de quatre fois supérieures à celles versées au gérant statutaire bien qu'il ne dispose pas d'une procuration générale dudit gérant à son profit (CE, arrêt du 15 mai 1968, req. n° 72556, RO, p. 17) ;
23- à l'associé d'une société à responsabilité limitée qui dispose d'une procuration bancaire, a le pouvoir de signer les déclarations fiscales, passe les commandes de matériel et après avoir effectué l'étude des marchés, décide avec le gérant statutaire, dont la rémunération est sensiblement inférieure à la sienne, des programmes de fabrication. Dans ces conditions, l'intéressé ne limitait pas son activité à la gestion courante de l'entreprise, mais exerçait sur la marche de celle-ci un contrôle effectif et constant et participait à son administration (CE, arrêt du 21 janvier 1972, req, n° 83879. RJ. 1972, vol n° 111, p 41) ;
24- à l'actionnaire majoritaire et président-directeur général d'une société anonyme, détenant également 70 % du capital de quatre sociétés à responsabilité limitée liées à la précédente par des accords techniques et commerciaux et dirigées par des gérants salariés :
. qui disposait sur l'ensemble de ces sociétés d'une prépondérance financière en vertu de laquelle non seulement il assurait les fonctions de président-directeur général de la société anonyme, mais encore présidait les assemblées des sociétés à responsabilité limitée auxquelles n'assistaient pas les gérants ;
. qui bénéficiait d'une procuration bancaire pour agir au nom de ces dernières sociétés et a accompli, à plusieurs reprises, des actes de gestion tels que la souscription de déclarations fiscales (CE, arrêt du 26 novembre 1975, req. n° 95170, RJ-III, p 204) ;
25- à un associé détenant avec son épouse, gérante statutaire, la totalité du capital d'une société à responsabilité limitée, dès lors qu'il est titulaire d'une procuration générale, dispose de la signature bancaire et souscrit les déclarations fiscales. Exerçant des fonctions de représentation auprès de la clientèle, l'intéressé ne peut, par ailleurs, prétendre à la qualité de VRP, en l'absence de tout lien de subordination avec l'entreprise (CE, arrêt du 25 novembre 1985, req. n° 44800) ;
26- dans une SARL constituée par trois associés à parts égales, dont un seul est gérant statutaire, aux deux autres associés, dès lors :
. que ces deux associés non gérants de droit disposent en fait, d'une procuration sur tous les comptes de l'entreprise qu'ils utilisent couramment et pour des sommes très importantes, et que leurs rémunérations ont évolué en fonction des résultats sociaux ;
. qu'enfin, par ailleurs, les trois associés se partagent de concert la responsabilité des relations avec les fournisseurs et les clients et prennent ensemble les décisions d'investissement importantes (CE, arrêt du 12 mai 1989, req. n° 75259) ;
27- à l'associé d'une SARL détenant avec son épouse, gérante statutaire, 90 % du capital de la société, dès lors :
. qu'il dispose d'une procuration bancaire dont il use régulièrement ;
. qu'il perçoit une rémunération largement supérieure à celle allouée à son épouse au titre de ses fonctions de gérante de droit ;
. qu'il représente la société vis-à-vis des tiers, exerce des pouvoirs de décision et signe les documents fiscaux pour le compte de celle-ci. En effet, compte tenu de ces éléments, l'intéressé est réputé exercer au sein de l'entreprise, des responsabilités qui excédent celles lui incombant dans l'accomplissement de ses fonctions de directeur commercial (CE, arrêt du 18 octobre 1989, req. n° 48608).
28La jurisprudence évoquée ci-dessus fait apparaître, notamment, que les pouvoirs spéciaux dont disposent certains associés peuvent trouver leur origine dans une procuration générale ou limitée. Toutefois, l'absence d'une telle procuration ne suffit pas à écarter la qualification de gérant de fait (cf. arrêt du 15 mai 1968 précité).
Celle-ci découle des pouvoirs effectivement exercés et qui ont pour effet de placer un associé dans une situation analogue à celle du gérant statutaire pour ce qui est de la marche commerciale de l'entreprise.
Si tel n'est pas le cas, l'intéressé ne peut en principe être regardé comme un gérant de fait.
29Il en est ainsi de l'associé qui, ayant reçu du gérant statutaire tous pouvoirs pour traiter au nom de la société avec les administrations, les banques, les caisses publiques et même les tiers, ainsi que pour leur donner ou en recevoir quittance et, d'autre part pour recruter et congédier le personnel, dispose d'une délégation qui, loin d'être générale et de lui conférer des pouvoirs identiques à ceux du gérant statutaire, ne l'habilite, au contraire, qu'à effectuer des opérations d'administration courante et journalière. L'intéressé ne peut, s'il n'exerce effectivement aucun autre pouvoir que ceux qui lui sont délégués, être considéré comme un gérant de fait (CE, arrêt du 8 décembre 1958, req. n° 41459, RO, p. 255).
30Il a toutefois été jugé qu'un membre d'une société à responsabilité limitée à qui le gérant statutaire a donné une procuration générale pour agir au nom de la société, doit -encore qu'il prétende n'avoir, en fait, accompli aucun acte de gérance proprement dit- être regardé comme un associé-gérant dès lors qu'aucune circonstance particulière ne justifie l'octroi et le maintien d'une procuration aussi large et qu'au surplus l'intéressé perçoit un traitement égal à celui du gérant statutaire (CE, arrêt du 19 novembre 1955, req. n° 32669, RO, p. 441).
31Par ailleurs, la qualité de gérant de fait n'a pas été reconnue à un associé qui tenait seulement des statuts des pouvoirs de contrôle sur l'activité du gérant, distincts de la gestion proprement dite et qui, s'il exerçait certaines fonctions en raison desquelles il lui était servi une rémunération et donné procuration pour signer les chèques et les déclarations fiscales, ne possédait pas la signature sociale et n'exerçait pas un contrôle effectif et constant sur la marche commerciale de la société (CE, arrêt du 25 octobre 1948, req. n° 93509, RO, p. 93).
32Au demeurant, l'existence d'une délégation de pouvoirs étendue au profit d'un associé ne lui confère pas nécessairement la qualité de gérant de fait. Il en a été ainsi jugé pour un associé qui s'était vu reconnaître, par résolution de l'assemblée générale extraordinaire, la qualité de fondé de pouvoir comportant les pouvoirs les plus étendus pour gérer les affaires sociales, dès lors que l'intéressé n'avait en fait jamais exercé les fonctions qui lui avaient été ainsi confiées ni participé aux décisions prises par le gérant désigné par les statuts qui, seul, avait exercé un contrôle effectif et constant sur la marche de l'entreprise (CE, arrêt du 7 décembre 1964, req. n° 59021, RO, p. 207).