B.O.I. N°131 du 17 JUILLET 2000
SECTION 2 :
La plainte pour détournement d'objets saisis
25.Le fait, pour une personne saisie, de détruire ou de détourner un objet saisi entre ses mains en garantie des droits d'un créancier et confié à sa garde ou à celle d'un tiers constitue un délit sanctionné par l'article 314-6 du nouveau code pénal, qui a remplacé l'article 400 alinéas 3 et 4 du Code pénal.
SOUS-SECTION 1 :
Conditions préalables à l'existence du délit
A. EXISTENCE D'UNE SAISIE PREALABLE
26.L'article 29 1 er alinéa de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution pose le principe général que « l'acte de saisie rend indisponibles les biens qui en sont l'objet ». Il a remplacé l'article 2092-3 du Code civil qui a été abrogé.
27.La saisie constitue donc la condition indispensable à la caractérisation du délit de détournement d'objets saisis.
28.A cet égard, la jurisprudence rendue sous l'empire de l'ancien article 400 alinéas 3 et 4 du Code pénal conserve toute sa valeur.
29.Ainsi, le délit n'est pas constitué lorsque les biens ne sont pas placés sous main de justice (Cass. crim. 9 janvier 1962, Bull. crim. n° 17).
30.Au demeurant, la notion de détournement dépasse les cas de saisies proprement dits mais conceme toutes les situations dans lesquelles des immeubles ou des meubles ont été placés sous l'autorité de la justice (pour les immeubles : Cass. crim. 16 octobre 1850 D.P. 1850.5.447 ; pour des meubles saisis-exécutés : Cass. crim. 18 juillet 1895 D.P. 1896.1.55 ; pour des meubles saisis-arrêtés : Cass. com. 6 décembre 1945, Bull. crim. n° 132 ; pour des meubles objets de saisies conservatoires : Cass. crim. 22 janvier 1953, Bull. crim. n° 23 ; pour des meubles confiés à un séquestre judiciaire, par décision de justice : Cass. crim. 14 avril 1961, Bull. crim. n° 197 ; pour des objets placés sous scellés, en dehors de toute saisie : Trib. correct. SEINE 27 janvier 1951, D 1951. p. 214).
31.Enfin, il n'appartient pas au saisi d'apprécier la validité ou la nullité de la saisie, quand bien même elle viendrait à être annulée postérieurement par une décision de justice (Trib. correct. SAINT-POL 7 septembre 1934, D.H. 1934.584).
En effet, l'infraction pénale est constituée, même si la procédure suivie pour la saisie comporte des irrégularités susceptibles d'en faire prononcer la nullité (Cass. crim. 8 novembre 1894 et 18 juillet 1895 : DP 96, 1, 55 ; 18 avril 1961, Bull. Crim. n° 209) qui conduiraient à écarter sa mise en oeuvre.
32.Les développements qui suivent seront essentiellement consacrés aux biens ayant fait l'objet d'une saisie-vente, ce qui est la situation la plus fréquemment rencontrée. On pourra se reporter en tant que de besoin à la DB 12 C 2212 décrivant cette procédure.
B. EXISTENCE D'UN GARDIEN
33.Il avait été jugé, sous l'empire des anciennes voies d'exécution, que lorsque le saisi avait refusé d'être constitué gardien de la chose saisie et quand, malgré ce refus, l'huissier n'avait pas constitué un autre gardien en la personne des tiers, aucun cas d'application de l'article 400 du Code pénal n'était possible, non à cause d'une nullité de la saisie dont le juge pénal n'a pas à connaître mais parce que l'un des éléments essentiels du délit n'était pas présent (CA MONTPELLIER 12 décembre 1951, D 1952, Somm. 48).
34.La réforme des procédures civiles d'exécution a supprimé cette difficulté. Ainsi, l'article 29 alinéa 2 de la loi du 9 juillet 1991 dispose que si la saisie porte sur des biens corporels, le débiteur saisi ou le tiers détenteur entre les mains de qui la saisie a été effectuée est réputé gardien des objets saisis sous les sanctions prévues par l'article 314-6 du Code pénal.
La modification ci-dessus est entrée en vigueur le 1 er mars 1994.
SOUS-SECTION 2 :
Personnes susceptibles d'être poursuivies : l'auteur du délit et les complices
35.La répression du délit n'est applicable qu'au saisi lui-même ou à ses complices (Cass. crim. 23 mai 1930, Bull. crim. n° 159 ; 7 novembre 1973, ibid. n° 406). Le conjoint du débiteur, ses descendants et ascendants qui l'ont aidé dans le détournement sont punissables des mêmes peines.
36.Lorsque le saisi est une société, seul le mandataire social peut être poursuivi comme auteur principal (Cass. crim. 7 novembre 1973 précité).
Le simple préposé d'une personne morale qui n'a reçu copie du procès-verbal de saisie qu'en tant que représentant local de la société sur laquelle il n'exerce aucun contrôle ne saurait être assimilé au saisi et poursuivi comme tel (Cass. crim. 10 octobre 1974, Gaz. Pal. 1975.1 Somm. 97).
SOUS-SECTION 3 :
Les éléments constitutifs du délit
A. LE TEXTE DEFINISSANT ET REPRIMANT LE DELIT
37.L'article 314-6 du nouveau code pénal, entré en vigueur le 1 er mars 1994, dispose que le fait par le saisi, de détruire ou de détourner un objet saisi entre ses mains en garantie des droits d'un créancier et confié à sa garde ou à celle d'un tiers, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 2 500 000 F d'amende.
La tentative de l'infraction prévue au présent article est punie des mêmes peines.
B. L'ELEMENT MATERIEL DU DELIT
38.Il y a détournement lorsque l'objet saisi est enlevé et déplacé.
Constitue un détournement le déplacement de l'objet saisi en vue de gêner l'exercice de la saisie et de mettre le bien hors d'atteinte du créancier saisissant (Cass. crim. 23 juin 1965, GP 1965-2-220 ; 10 octobre 1973, ibid. 1974-1-8 et 28 avril 1982, Bull. crim. n° 107). Il n'est pas nécessaire qu'il y ait en outre dissipation.
Ainsi, il a été jugé qu'il y a détournement punissable lorsque le saisi a donné en gage à l'un de ses créanciers un des objets compris dans la saisie (Crim. 7 février 1844, Bull. crim. n° 54).
39.A été également sanctionnée l'aliénation des biens sans l'accord des créanciers (Cass. crim. 18 janvier 1950, JCP 1950 II 5422). Le délit peut être constitué même s'il n'y a pas déplacement. Il en est ainsi lorsque le fonds de commerce et ses accessoires est vendu à un tiers de bonne foi à l'insu du créancier saisissant, même si les objets n'ont pas été déplacés de l'endroit où ils se trouvaient au moment de la saisie (Crim. 1 er avril 1954, D. 1954.439).
Le délit est également constitué dès lors qu'une résistance non motivée et persévérante est opposée à la mise en demeure du créancier qui fait suite à la saisie (Cass. crim. 6 novembre 1956, Bull. crim. n° 711).
C. L'ELEMENT MORAL
40.L'intention frauduleuse existe dès lors que le prévenu avait connaissance de la saisie (Cass. crim. 22 janvier 1953, Bull. crim. n° 23 ; 29 octobre 1957, ibid. n° 679 ; 25 mars 1958, ibid. n° 303 ; 28 avril 1982, ibid. n° 107).
SOUS-SECTION 4 :
Engagement de l'action
A. LA CONSTATATION DU DELIT
41.Le plus souvent, c'est à l'occasion de l'établissement d'un procès-verbal de vérification des biens saisis établi soit par l'officier ministériel chargé de la vente dans les conditions prévues à l'article 113 du décret du 31 juillet 1992, soit par un créancier du débiteur lors de son opposition à la première saisie diligentée par le créancier saisissant, qu'est constaté la disparition, la détérioration ou le détournement d'un des objets saisis confiés à la garde du débiteur ou d'un tiers.
42.Quel que que soit la décision qui serait ultérieurement prise par le comptable public d'engager la procédure pénale de détournement d'objets saisis, l'officier ministériel, qui constate, au moyen d'un procès-verbal, ce délit, a l'obligation aux termes de l'article 40 du Code de procédure pénale d'en informer sans délai le procureur de la République en lui transmettant ledit procès-verbal.
43.La prescription de l'action qui est de trois ans, court du jour où le détournement est commis, sauf si le saisissant démontre que des manoeuvres frauduleuses l'ont empêché de connaître le délit. Dans ce cas, le point de départ de la prescription est le jour où le délit a pu être connu.
B. LA NATURE DE L'ACTION EN JUSTICE
44.Le détournement d'objets saisis constituant un délit, l'action en justice permet une condamnation pénale et comme telle, a un caractère d'exemplarité.
Toutefois, cette procédure vise également à l'allocation de dommages-intérêts au Trésor afin de compenser un préjudice qui ne saurait être confondu avec la créance, cause de la saisie (Cass. crim. 13 novembre 1969, Gaz. Pal. 1970.1.85 ; 11 octobre 1972, Bull. crim. 1972 n° 278 ; 9 juin 1980, ibid. 1980 n° 179).
45.Dans ces conditions, ces dommages-intérêts constituent une créance chirographaire, qui ne peut être recouvrée que par la mise en oeuvre de voies d'exécution de droit commun (saisie-attribution au lieu de l'avis à tiers détenteur).
C. LES CONSEQUENCES A L'EGARD DU TIERS ACQUEREUR DES BIENS DETOURNES
46.Le tiers acquéreur des meubles saisis qui ignorait la saisie et qui a donc acheté de bonne foi est protégé par les dispositions de l'article 2279 du Code civil. Les créanciers saisissants et opposants ne pourront pas agir contre le tiers acquéreur, mais seulement poursuivre le débiteur saisi en dommages-intérêts lors de sa citation devant la juridiction pénale en détournement d'objets saisis.
47.En revanche, le tiers acquéreur qui connaissait l'existence de la saisie est réputé de mauvaise foi, et peut être obligé à restituer les meubles acquis, sans pouvoir exiger la restitution par les créanciers saisissants et opposants du prix qu'il a payé au saisi, restitution qu'il ne pourrait même pas poursuivre contre le saisi en raison de l'irrecevabilité de son action en application de l'adage « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ».
D. L'OPPORTUNITE D'ENGAGER L'ACTION
48.D'une manière générale, il apparaît inopportun d'alourdir par le biais d'une condamnation pénale, le montant des restes à recouvrer d'un débiteur insolvable.
Le préjudice allégué par un comptable doit correspondre à la valeur des biens saisis et détournés mais si cette valeur est plus élevée que le montant de la créance fiscale, il ne saurait être supérieur à celle-ci.
49.Toutefois, sous ces réserves et lorsque par le détournement d'objets de valeur certaine, un redevable fait obstacle au recouvrement d'une créance d'un montant significatif, cette procédure peut utilement être engagée, compte tenu de son caractère d'exemplarité.
E. MISE EN OEUVRE DE L'ACTION
50.Cette action s'inscrit dans le cadre de l'action en recouvrement menée par le comptable en application de l'article L 252 du Livre des procédures fiscales. Le receveur des impôts est juridiquement compétent pour saisir le procureur de la République d'une plainte puis pour produire ensuite devant le tribunal de grande instance, statuant en matière correctionnelle, des conclusions de partie civile visant à obtenir la condamnation à des dommages-intérêts.
Le Sous-Directeur,
Marc WOLF