B.O.I. N° 209 du 20 NOVEMBRE 2000
BULLETIN OFFICIEL DES IMPÔTS
13 N-7-00
N° 209 du 20 NOVEMBRE 2000
13 RC / 45 - N 1
COUR DE CASSATION - CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE. ARRÊTS DES 6 OCTOBRE 1998 (N° 1487 P, BULL IV, N° 230), 22 FEVRIER (N° s 479 P, BULL IV, N° 38 et 488 P, BULL. IV, N° 39), 14 JUIN (N° 1309 FS-P, BULL. IV, N° 124) ET 27 JUIN 2000 (N° 1469 FS-D).
SANCTIONS FISCALES. PRINCIPES GENÉRAUX. INCIDENCE DE L'ARTICLE 6-1 DE LA CONVENTION EUROPÉENNE
DES DROITS DE L'HOMME SUR LA MISE EN OEUVRE DES SANCTIONS AYANT LE CARACTÈRE D'UNE PUNITION.
EXCLUSION DE L'INTÉRÊT DE RETARD. DROITS D'ENREGISTREMENT, TIMBRE ET TAXES ASSIMILÉES.
(Convention européenne des droits de l'homme, art. 6-1)
[Bureau J2]
ANALYSE DES ARRETS (textes reproduits en annexe) :
1.Un système de majorations d'impôt ne se heurte pas à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) pour autant que le contribuable puisse saisir de toute décision ainsi prise à son encontre un tribunal offrant les garanties de ce texte. La majoration prévue par l'article 1728-3 du Code général des impôts constitue une sanction ayant le caractère d'une punition ; dès lors, bien que cette disposition n'ait pas institué à l'encontre de la décision de l'administration un recours de pleine juridiction permettant au tribunal de se prononcer sur le principe et le montant de l'amende, il résulte de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme que l'application de l'article 1728-3 doit être, dans cette mesure, écartée et qu'il appartenait au tribunal, sur le fondement de l'article 6-1 précité, de se prononcer en l'espèce sur le principe et le montant de l'amende (Com. 22 février 2000, n° 488 P et 27 juin 2000, n° 1469 FS-D).
2.Mais si l'article 6-1 de la CEDH ouvre ainsi un recours de pleine juridiction pour que la sanction fiscale appliquée par l'administration puisse être proportionnée au comportement du contribuable dans les circonstances de l'espèce, le juge du fond ne peut exercer le pouvoir qui lui est ainsi conféré qu'en étant mis en mesure, par la partie qui le lui demande, d'apprécier la réalité et la portée des faits sur lesquels elle se fonde (Com. 22 février 2000, n° 479 P).
3.Se prononce ainsi sur le principe et le montant de la sanction à proportion du comportement du contribuable, le tribunal qui, pour refuser de minorer la sanction appliquée par l'administration, constate que l'attitude du contribuable traduit la volonté constante de s'exonérer des droits dont il est redevable (Com. 14 juin 2000, n° 1309 FS-P).
4. L'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du Code général des impôts n'a pas le caractère d'une sanction (Com. 6 octobre 1998, n° 1487 P).
OBSERVATIONS :
1.Par les arrêts commentés, la Cour de cassation précise et complète sa jurisprudence issue des arrêts « X... » (Com. 29 avril 1997, Bull. IV, n° 110) et « X... » (Com. 15 juin 1999, Bull. IV, n° 130 ; B.O.I. 13 N-1-99 ).
Elle décide ainsi, dans les arrêts des 22 février (n° 488 P) et 27 juin 2000 1 , que la majoration de 40 % ou 80 % prévue à l'article 1728-3 du Code général des impôts en cas de défaut de souscription d'une déclaration ou de présentation d'un acte à la formalité dans les trente jours d'une première ou d'une seconde mise en demeure constitue une sanction ayant le caractère d'une punition.
Dès lors, celle-ci revêt le caractère d'une « accusation en matière pénale » au sens de l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme 2 (cf. Cour européenne des droits de l'homme, 24 février 1994, X... ; CE, avis du 31 mars 1995, n° 164008, SARL Auto-industries Méric).
Il s'ensuit que la mise en oeuvre de l'article 1728-3 précité du CGI n'est conciliable avec les dispositions de l'article 6-1 de la CEDH relatives au procès équitable que dans la mesure où le juge saisi de la contestation portant sur la sanction appliquée exerce, sur le fondement de ce dernier texte, un contrôle de pleine juridiction lui permettant de se prononcer sur le principe et le montant de cette sanction.
2.Il résulte des termes de l'arrêt du 22 février 2000 (n° 479 P) qu'investi d'un tel pouvoir de modulation, le juge judiciaire de l'impôt est cependant tenu de l'exercer dans le cadre d'une appréciation concrète, dans les circonstances de l'espèce, de la proportionnalité de la sanction au regard du comportement du contribuable.
A cet égard, il découle de l'article 12 du nouveau Code de procédure civile que les juridictions ne peuvent statuer en équité (Cass. civ. 2ème, 22 avril 1992, Bull. II, n° 129).
Une réduction de la sanction appliquée justifiée par une motivation abstraite ou d'ordre général, ou par des considérations d'équité, ne satisferait ainsi nullement aux exigences des principes sus-évoqués.
La Cour de cassation précise encore que la charge de la preuve des faits et circonstances invoqués par le redevable à l'appui de sa requête incombe à ce dernier.
3.Statuant, par l'arrêt du 14 juin 2000, dans une affaire de vignette automobile, la Cour de cassation met en oeuvre ces règles et approuve le jugement qui, pour refuser toute minoration des sanctions appliquées relève que l'attitude du redevable traduit la volonté constante de s'exonérer des droits dont il est redevable.
Ainsi la réitération d'une même infraction 3 (refus successifs d'acquérir la vignette automobile, défaut répété de souscription d'une déclaration périodique ...), son caractère intentionnel (par opposition au cas fortuit ou de force majeure) sont autant de circonstances s'opposant à toute modulation de la sanction.
4.S'agissant de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du CGI, la Cour de cassation a, dans un arrêt du 6 octobre 1998, rappelé que celui-ci n'a pas le caractère d'une sanction.
La Cour Suprême adopte ainsi la même analyse que le Conseil constitutionnel (décision 82-155 DC du 30 décembre 1982, considérant n° 34, rec. 149) et le Conseil d'Etat (9 novembre 1988, req. n° 68.965), laquelle découle au demeurant de la rédaction même du texte en cause selon laquelle l'intérêt de retard est dû indépendamment de toutes sanctions.
L'intérêt de retard, dont la mise en oeuvre n'implique aucune appréciation du comportement du contribuable, présente ainsi exclusivement le caractère d'une réparation pécuniaire.
Il s'ensuit que les intérêts de retard n'ont pas à être motivés (rappr. DB 13 L 161, n° 2 ; 13 N 3221, n° 5), pas plus qu'ils ne peuvent faire l'objet d'une modulation par le juge au regard de l'article 6-1 de la CEDH.
Remarque : les principes jurisprudentiels commentés aux paragraphes 1 à 3 n'ont de portée qu'au regard des seuls impôts soumis au contrôle juridictionnel du juge judiciaire (droits d'enregistrement, impôt de solidarité sur la fortune, timbre et taxes assimilées).
Annoter : D.B. 13 N 1, n° 2 ; 13 N 3221, n° 5.
Le Chef de Service,
Ph. DURAND
•
ANNEXE
Com. 6 octobre 1998, n° 1487 P, Bull. IV, n° 230 :
« Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :
Attendu, selon le jugement déféré (tribunal de grande instance de Paris, 15 mai 1996) que la société Sofon, marchand de biens (la société), a acquis le 4 août 1987 des biens immobiliers en s'engageant à les revendre dans le délai de cinq ans, bénéficiant ainsi du régime fiscal prévu par l'article 1115 du Code général des impôts ; que, n'ayant pas tenu entièrement cet engagement le 4 août 1992, de sorte qu'elle se trouvait déchue de cet avantage fiscal, elle a payé le 23 septembre 1992 les droits d'enregistrement différés et une amende fiscale de 6 % ; que l'administration fiscale lui a réclamé les intérêts de retard ayant couru depuis le 4 août 1987 jusqu'au 23 septembre 1992 ;
Attendu que la société reproche au jugement d'avoir rejeté sa demande de nullité de l'avis de mise en recouvrement de la somme correspondant à ces intérêts alors, selon le pourvoi, d'une part, que, lorsqu'une mutation est placée sous le régime de l'article 1115 du Code général des impôts, elle est exonérée de tous droits, hormis la taxe de publicité foncière ; que dans le cas où l'acquéreur n'a pas pu revendre les biens qui faisaient l'objet de l'acte dans le délai imparti, l'article 1840-G quinquies du Code général des impôts prévoit qu'il est tenu d'acquitter le montant des impositions dont la perception a été différée et un droit supplémentaire de 6 % et que les sommes ainsi dues doivent être versées dans le mois suivant l'expiration dudit délai ; qu'il résulte de ces dispositions que l'imposition dont la perception avait été ainsi régulièrement différée en application de l'article 1115 du même Code doit être acquittée au plus tard à cette date ; que le défaut de paiement ou le versement tardif ne peut être constaté qu'à l'expiration du délai ainsi institué et que l'intérêt de retard prévu par l'article 1727 du Code ne court en conséquence qu'à compter de la fin du mois suivant l'expiration dudit délai imparti à l'acquéreur pour revendre et pendant lequel il a légalement bénéficié d'une exonération ; qu'en estimant néanmoins que l'application de l'article 1115 du Code général des impôts n'a pas pour effet de reporter le fait générateur de l'imposition, le Tribunal en a violé les dispositions, ainsi que celles des articles 1727 et 1840-G quinquies du même Code ; alors, d'autre part, que lorsqu'un contribuable a bénéficié de l'exonération instituée à l'article 1115 et qu'il n'a pas revendu le bien qui faisait l'objet de l'acte ainsi exonéré dans le délai imparti, l'article 1840-G quinquies du même Code lui impose d'acquitter le montant des impositions dont la perception a été différée ; que si l'article 1727 du Code sanctionne par l'application d'un intérêt de retard le défaut ou l'insuffisance de paiement, ainsi que le paiement tardif, il n'impose pas un tel intérêt en cas de paiement légalement différé ; que le paiement différé exigé en application des articles 1115 et 1840-G quinquies susmentionnés ne peut être assimilé ni à un défaut ou une insuffisance de paiement ni à un paiement tardif, le contribuable n'étant tenu d'aucune obligation d'acquitter l'impôt avant l'expiration du délai imparti pour revendre et aucun délai de paiement ne courant avant l'expiration de ce délai imparti pou revendre ; qu'en faisant cependant application de l'intérêt de retard, le Tribunal a violé par fausse application les dispositions de l'article 1727 du Code général des impôts ; et alors, enfin, que l'article 1840-G quinquies du Code général des impôts sanctionne par un droit supplémentaire de 6 % le défaut de revente dans le délai institué par l'article 1115 du même Code ; que cette sanction est exclusive de toute autre sanction, pénalité ou intérêt ; qu'en décidant cependant que doit en outre s'appliquer en pareil cas l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du Code général des impôts, le Tribunal a violé les dispositions de l'article 1840-G quinquies de ce Code ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'intérêt de retard n'a pas le caractère d'une sanction ;
qu'aux termes de l'article 1840-G quinquies du Code général des impôts le défaut de revente dans les cinq ans entraîne l'exigibilité des droits qui auraient dus être payés lors de la formalité de l'enregistrement si, du fait de l'engagement de revente, le paiement de ces droits avait été différé ;
Attendu, en second lieu, que le jugement retient à bon droit que le fait générateur des droits d'enregistrement est l'acte de mutation ; qu'il en résulte que l'inobservation de l'engagement de revente, en considération duquel le paiement de ces droits a été différé, entraîne la déchéance du régime de faveur prévu par l'article 1115 du Code général des impôts et que cette déchéance rend exigibles les droits de mutation qui auraient été dus au jour de la présentation de l'acte à la formalité ; qu'ainsi les intérêts de retard afférents aux droits en principal sont dus à compter du premier jour suivant le mois au cours duquel ils auraient dû être acquittés, à savoir celui de l'enregistrement de l'acte de mutation ;
Que le moyen n'est fondé en aucune de ses trois branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ».
Com. 22 février 2000, n° 479 P, Bull. IV, n° 38 :
« Attendu, selon le jugement attaqué (tribunal de grande instance de Paris, 3 juin 1997), que la Société centrale immobilière du 71, rue Albert - SNC - (la société) a acquis un immeuble à Paris, par acte notarié du 13 juin 1987, en se plaçant sous le régime des marchands de biens prévu par l'article 1115 du Code général des impôts ; qu'étant apparu, à la suite d'un contrôle fiscal, qu'elle ne l'avait pas vendu dans le délai de cinq ans, elle a fait l'objet d'un redressement portant sur un complément de droits et sur la pénalité de 6 % prévue par l'article 1840 G du même Code ; que sa réclamation contre l'avis de mise en recouvrement ayant été rejetée, elle a assigné le directeur des vérifications de la région Ile-de-France pour faire déclarer la procédure irrégulière et obtenir le remboursement de la somme versée ;
Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches :
...
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la société reproche au jugement attaqué d'avoir rejeté en totalité les demandes de décharge des droits d'enregistrement litigieux alors, selon le pourvoi, que le droit supplémentaire prévu par l'article 1840 G du Code général des impôts constitue une sanction ayant le caractère d'une punition et que cette disposition n'a pas institué à l'encontre de la décision de l'administration qui l'inflige un recours de pleine juridiction permettant au tribunal de se prononcer sur le principe et le montant de ce droit supplémentaire ; d'où il suit que le tribunal devait écarter ce texte comme contraire à l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et qu'en ne le faisant pas, il a violé cette disposition conventionnelle ;
Mais attendu que si l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme ouvre un recours de pleine juridiction pour que la sanction fiscale appliquée par l'administration puisse être proportionnée au comportement du contribuable dans les circonstances de l'espèce, le juge du fond ne peut exercer le pouvoir qui lui est ainsi conféré qu'en étant mis en mesure, par la partie qui le lui demande, d'apprécier la réalité et la portée des faits sur lesquels elle se fonde ; que par suite le moyen tiré de la violation de l'article 6-1 de la Convention qui n'a pas été invoqué devant le juge du fond est irrecevable comme nouveau et mélangé de fait et de droit ;
Sur le troisième moyen :
...
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi. »
Com. 22 février 2000, n° 488 P, Bull. IV, n° 39 :
« Sur le moyen unique :
Vu l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
Attendu, selon le jugement déféré, que Mme X... , propriétaire avec son fils pour moitié indivise d'emplacements de stationnement à Paris qu'elle considérait comme ayant la nature de biens professionnels, a omis, malgré plusieurs mises en demeure, de déposer les déclarations d'impôt de solidarité sur la fortune pour les années 1989 à 1991 ; qu'elle a fait l'objet d'une procédure de taxation d'office et que des pénalités au taux de 80 % ont été mises en recouvrement à son encontre ; qu'après le rejet de sa réclamation présentée le 25 mai 1993, elle a assigné le directeur des services fiscaux de Paris Ouest devant le tribunal de grande instance pour obtenir le dégrèvement des droits et pénalités ainsi mis à sa charge ;
Attendu que, pour condamner Mme X... au paiement de la majoration prévue à l'article 1728-3 du Code général des impôts sans se prononcer sur le principe et le montant de la sanction, le Tribunal retient que l'application de l'article 1728-3 ne nécessite pas de porter une appréciation quant à l'attitude du contribuable pour la détermination des majorations de 40 à 80 % des droits simples et ces sanctions fiscales ne contiennent pas d'aspects d'ordre pénal ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qu'un système de majorations d'impôt ne se heurte pas à l'article 6 de la Convention pour autant que le contribuable puisse saisir de toute décision ainsi prise à son encontre un tribunal offrant les garanties de ce texte ; que la majoration prévue par l'article 1728-3 du Code général des impôts constitue une sanction ayant le caractère d'une punition ; que, dès lors, bien que cette disposition n'ait pas institué à l'encontre de la décision de l'administration un recours de pleine juridiction permettant au tribunal de se prononcer sur le principe et le montant de l'amende, il résulte de l'article 6, paragraphe 1, susvisé que l'application de l'article 1728-3 doit être dans cette mesure écartée et qu'il appartenait dès lors au tribunal, sur le fondement de l'article 6, paragraphe 1, précité, de se prononcer en l'espèce sur le principe et le montant de l'amende, le tribunal a violé cette disposition ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté le moyen de Mme X... relatif à l'application de l'article 6 paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, le jugement rendu le 6 septembre 1995, entre les parties, par le tribunal de grande instance de Paris. »