Date de début de publication du BOI : 10/08/1998
Identifiant juridique : 13K2124
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SOUS-SECTION 4 DÉROGATIONS AU PROFIT DES AUTORITÉS JUDICIAIRES ET DES JURIDICTIONS

  E. JURIDICTIONS DE JUGEMENT

  I. Litiges de droit public et de droit privé

22En dehors des cas où l'Administration est plaignante ou partie civile, et où ses agents peuvent alors être appelés à témoigner devant la juridiction répressive sur les faits dénoncés faisant l'objet de la prévention, l'article L. 143 du LPF prévoit que toute juridiction de l'ordre judiciaire ou de l'ordre administratif, saisie d'une action tendant à une condamnation pécuniaire, peut, si elle l'estime opportun, ordonner tant aux parties qu'à l'administration fiscale la communication, en vue de leur versement aux débats, des documents d'ordre fiscal dont la production est utile à la solution du litige.

23Ainsi que le prévoient expressément ces dispositions, l'action engagée par les personnes concernées devant les juridictions, qu'elles soient de l'ordre judiciaire ou de l'ordre administratif, doit tendre à une condamnation pécuniaire.

Celle-ci ne peut s'entendre de la condamnation à une peine pécuniaire prononcée dans le cadre de l'exercice de l'action publique. Elle ne peut consister qu'en une indemnité ou en une réparation telle qu'une indemnité d'éviction ou de licenciement, une contribution aux charges du mariage, des subsides ou une pension alimentaire, des dommages-intérêts, etc., sans qu'il soit possible de dresser une liste limitative de telles condamnations.

C'est ainsi que la jurisprudence a assimilé à une action tendant à une condamnation pécuniaire :

- une instance en partage qui peut nécessiter, en cas de désaccord entre les co-partageants et les légataires, une condamnation pécuniaire d'un ou plusieurs détenteurs des biens composant la succession, par exemple, un paiement de soulte pour rétablir l'égalité entre co-héritiers, une obligation de délivrer un legs et, le cas échéant, une condamnation pour recel successoral (Cour d'appel de Toulouse, 21 novembre 1973, 1ère chambre) ;

- une procédure de liquidation des biens qui s'analyse en une saisie collective du patrimoine du débiteur en vue de la vente et de la distribution du prix aux créanciers admis au passif (Cour d'appel de Paris, 13 février 1978, 3ème chambre).

24Cependant, le secret professionnel doit continuer à être opposé à l'encontre des ordonnances sur requête, même fondées sur l'article L. 143 du LPF, tendant à la délivrance de documents fiscaux dès lors que les tribunaux ne sont saisis d'aucune action en condamnation pécuniaire.

25Par ailleurs, les dispositions dont il s'agit ont pour objet de permettre au juge, s'il l'estime opportun, d'ordonner le versement aux débats de documents d'ordre fiscal dont la production est utile à la solution du litige.

Les dérogations à la règle du secret professionnel étant de droit étroit, il s'ensuit que le caractère d'utilité à la solution du litige des éléments d'information réclamés à l'Administration, sur le fondement de l'article L. 143 du LPF, doit être interprété strictement. Seuls les documents d'ordre fiscal de nature à permettre au juge, le cas échéant, d'apprécier en toute connaissance de cause l'existence et l'étendue du préjudice subi par les personnes concernées sont susceptibles d'être fournis.

Tel n'est pas le cas, par exemple :

- des renseignements qui ne sont utiles que pour régler un point particulier de la procédure et non le litige principal dont la juridiction se trouve effectivement saisie ;

- des renseignements qui ne concernent que l'exécution d'une décision de justice et ne sont manifestement pas utiles à la solution du litige principal déjà intervenue par le prononcé d'une condamnation pécuniaire devenue définitive.

26En ce qui concerne plus particulièrement les juridictions de l'ordre judiciaire, on notera que l'injonction de communication, qui peut être faite aussi bien aux parties qu'aux administrations fiscales, peut ainsi émaner, notamment :

- des cours d'appel ;

- des tribunaux de grande instance ;

- des tribunaux d'instance ;

- des tribunaux de commerce ;

- des conseils de prud'hommes ;

- des tribunaux paritaires des baux ruraux, quelle que soit leur formation, civile ou pénale, y compris les conseillers et juges de la mise en état, les juges des référés, les juges des loyers commerciaux 1 , etc. 2

Mais cette injonction ne saurait, sauf décision expresse des juridictions concernées, émaner des experts commis par ces juridictions.

27En la forme, elle résultera d'une décision de justice telle qu'un arrêt, un jugement ou une ordonnance. La décision de justice portant injonction doit faire référence expresse à l'article L. 143 du LPF ou aux dispositions de la loi codifiées sous cet article.

Le texte légal étant conçu en termes généraux, on admettra que l'Administration puisse être invitée à fournir ces documents par simple lettre émanant de la juridiction compétente, portant référence à la décision prise et donnant toutes indications utiles sur la personne ou le service chargé de recevoir, contre décharge, les documents en question, ainsi que sur le lieu où la remise doit être faite.

28Étant donné, par ailleurs, que les litiges visés par l'article L. 143 ne mettent pas en cause les questions de responsabilité pénale, il n'apparaît pas, sauf disposition expresse de la décision de justice, qu'il soit indispensable de produire les documents en original. Le but recherché étant de permettre aux juridictions de se prononcer sur l'action dont elles sont saisies en s'appuyant éventuellement sur les renseignements détenus par les administrations fiscales, ces renseignements doivent, en règle générale, pouvoir être fournis sans inconvénient sous forme de copies de déclarations ou d'actes, voire de relevés de comptes ou de simples extraits, le tout daté, signé et revêtu d'un cachet d'authenticité.

29En ce qui concerne l'usage pouvant être fait des éléments d'information versés aux débats, il est précisé qu'aux termes de l'article 1753 bis A du CGI, toute personne qui, en dehors de la procédure relative à l'action considérée, aura, de quelque manière que ce soit, publié ou divulgué tout ou partie des renseignements figurant dans des documents d'ordre fiscal versés aux débats, ou fait usage desdits renseignements sans y être légalement autorisée, sera punie d'un emprisonnement de six mois et d'une amende de 40 000 F ou de l'une de ces deux peines seulement.

30Enfin, l'attention du service est appelée sur le fait que les dispositions du premier alinéa de l'article L. 143 du LPF sont applicables aux procédures prévues à l'article 7 de la loi n° 69-992 du 6 novembre 1969 instituant des mesures de protection juridique en faveur des rapatriés et des personnes dépossédées de leurs biens outre-mer et aux articles 55, 60 et 61 de la loi n° 70-632 du 15 juillet 1970 relative à une contribution nationale à l'indemnisation des Français dépossédés de biens situés dans un territoire antérieurement placé sous la souveraineté, le protectorat ou la tutelle de la France, modifiée et complétée par la loi n° 78-1 du 2 janvier 1978 relative à l'indemnisation des Français rapatriés d'outre-mer dépossédés de leurs biens.

  II. Expropriation publique

31La fixation des indemnités dues par l'expropriant aux expropriés relève, à défaut d'accord amiable, de la compétence de la juridiction de l'expropriation définie aux articles L. 13-1 et suivants du Code de l'expropriation.

Cette juridiction doit notamment tenir compte, dans l'évaluation des indemnités allouées aux propriétaires, commerçants, industriels et artisans, de la valeur résultant des déclarations faites par les contribuables ou des évaluations administratives rendues définitives en vertu des lois fiscales, avant l'ouverture de l'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique.

32Dans ce but, l'article L. 144 du LPF prévoit que les juridictions d'expropriation peuvent recevoir de l'administration des Impôts communication de tous les renseignements sur les déclarations et évaluations fiscales nécessaires à la fixation des indemnités d'expropriation prévue par les articles L. 13-13 à L. 13-17 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

33Étant donné que le service des Domaines est rattaché à la Direction Générale des Impôts et que, au demeurant, les directeurs des Services fiscaux exercent les fonctions de commissaire du Gouvernement auprès des juridictions de l'expropriation, conformément aux dispositions de l'article R. 13-7 du Code de l'expropriation, aucun obstacle ne saurait s'opposer à ce que les juridictions de l'expropriation obtiennent rapidement de l'Administration tous renseignements utiles à l'accomplissement de leur mission.

34Compte tenu de la rédaction très générale des dispositions de l'article L. 144 précité, ce texte paraît devoir être interprété comme autorisant la communication aux juridictions concernées, non seulement des éléments d'information concernant les déclarations et évaluations fiscales des expropriés eux-mêmes mais également, le cas échéant, des renseignements de même nature se rapportant à des tiers cités comme termes de comparaison.

  III. Protection et défense des agents des Impôts

1. Dérogation à la règle du secret professionnel en cas d'instance engagée devant les tribunaux.

a. Portée de la dérogation.

35Aux termes de l'article L. 147 A du LPF, lorsqu'elle intervient pour la défense de ses agents mis en cause dans les termes de l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, l'administration des Impôts peut produire tous renseignements utiles devant la juridiction 3 saisie du litige.

L'adoption de ce texte a mis un terme à une situation dans laquelle, tenue par le secret professionnel, l'Administration n'était pas en mesure d'assurer avec toute l'efficacité souhaitable la défense de ses agents.

Lorsque ceux-ci sont mis en cause dans les termes de l'article 11 de la loi précitée du 13 juillet 1983 et que l'Administration, choisissant la voie judiciaire, intervient pour remplir la mission de protection à laquelle elle est tenue, elle est en effet autorisée à fournir au tribunal tous les éléments d'information dont elle dispose et qui lui paraissent utiles à la défense de l'affaire.

C'est ainsi, notamment, que dans une instance en diffamation, où conformément à l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881, la vérité du fait diffamatoire peut être établie lorsqu'il est relatif aux fonctions, l'Administration peut combattre les affirmations et les moyens de la partie adverse en versant aux débats tous les renseignements lui paraissant utiles pour emporter la conviction du juge et notamment ceux relatifs à la situation fiscale du contribuable concerné.

b. Condition d'exercice de la dérogation.

36La dérogation à la règle du secret professionnel ouverte par l'article L. 147 A du LPF n'est susceptible de s'appliquer que si deux conditions sont remplies, qui tiennent, d'une part, à la nature de la mise en cause des agents et, d'autre part, aux circonstances dans lesquelles leur défense est assurée.

1° Nature de la mise en cause des agents.

37Les agents concernés doivent être mis en cause dans les termes de l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, c'est-à-dire faire l'objet d'attaques de toutes natures subies dans ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions, telles que menaces, violences, voies de fait, injures, outrages ou diffamations, ou se trouver poursuivis par un tiers pour faute de service ou, le cas échéant, pour faute personnelle. À cet égard, il y a lieu de considérer que les poursuites qui seraient dirigées contre un agent des Impôts sur le fondement notamment des articles 432-1 et 432-10 du nouveau Code pénal qui visent respectivement la coalition de fonctionnaires et la concussion, entrent de la même façon dans le champ d'application de ces dispositions dès lors qu'au plan de la réparation, la faute pénale éventuellement commise par un fonctionnaire constitue également, selon le cas, une faute de service ou une faute personnelle.

2° Nécessité d'une défense en justice.

38La dérogation jouant exclusivement au profit de la juridiction saisie du litige, sa mise en oeuvre exige que la défense des agents soit assurée devant le juge. À cet égard, il est toutefois précisé que cette dérogation peut trouver à s'appliquer que l'Administration soit à l'origine, sous quelque forme que ce soit - dénonciation au Parquet en vertu de l'article 40 du Code de procédure pénale, citation directe, plainte assortie ou non d'une constitution de partie civile 4 - d'une action en justice en vue d'assurer la protection de ses agents, ou au contraire qu'elle agisse en tant que défendeur à la suite des poursuites exercées par un tiers contre ces derniers.

De même, les informations utiles à la défense des agents peuvent être produites spontanément par l'Administration c'est-à-dire sans qu'il soit nécessaire d'attendre que le juge ait invité le service à les fournir, remarque étant faite que cette production peut aussi bien revêtir un caractère verbal (déposition) que se traduire par la remise de documents.

3 ° Modalités pratiques.

39Le droit de production visé par l'article L. 147 A du LPF est exercé par le directeur dont relève l'agent mis en cause, après consultation de la Direction Générale (bureau I B 3).

1   Juridictions connaissant des affaires de sécurité sociale.

2   Pour sa part, le juge d'instruction dispose uniquement des pouvoirs propres d'investigation prévus par le Code de procédure pénale. Il lui appartient, en conséquence, de procéder comme indiqué ci-dessus n°s 14 et suivants pour obtenir les documents fiscaux nécessaires à l'information.

3   Dans le domaine répressif, il convient de considérer que le terme « juridiction » employé par l'article L. 147 A du LPF vise non seulement les juridictions de jugement mais également les juridictions d'instruction (juge d'instruction, chambre d'accusation). En ce qui concerne le juge d'instruction, il est à noter que lorsque l'Administration a porté plainte contre un redevable pour une affaire de droit commun et qu'une information a été ouverte, l'article L. 142 du LPF autorise déjà les agents à répondre aux questions de ce magistrat lorsque celui-ci les interroge sur les faits faisant l'objet de la plainte. En effet, si ce dernier texte est essentiellement applicable en matière de fraude fiscale, laquelle constitue naturellement le principal chef des poursuites pénales engagées par l'administration des Impôts contre les contribuables, il reste que les dispositions qu'il contient sont rédigées en termes très généraux et ne prévoient aucune restriction quant à l'objet de la plainte ayant été déposée.

4   Étant observé que le secret ne peut être levé que devant une juridiction d'instruction ou de jugement.