B.O.I. N°131 du 17 JUILLET 2000
BULLETIN OFFICIEL DES IMPÔTS
12 C-3-00
N°131 du 17 JUILLET 2000
12 R/8
INSTRUCTION DU 10 JUILLET 2000
LES ACTIONS EN RECOUVREMENT A CARACTERE PENAL. CONTRAINTE PAR CORPS
ET DETOURNEMENT D'OBJETS SAISIS
NOR : ECO L 00 00093 J
[Bureau R 2]
PRESENTATION GENERALE
Dans l'exercice de l'action en recouvrement forcé des créances dont ils ont la charge, les comptables publics peuvent être conduits à mettre en oeuvre deux procédures à caractère pénal dont le fondement juridique renvoie à l'organisation d'insolvabilité ou aux manoeuvres tendant à faire obstacle au recouvrement. Il s'agit de l'exercice de la contrainte par corps et de la plainte pour détournement d'objets saisis. Ces deux actions, dont l'engagement était soumis à l'autorisation préalable de l'administration centrale, ont fait l'objet d'une mesure de déconcentration au profit des directeurs des services fiscaux à compter du 1 er février 2000, par l'instruction du 5 janvier 2000 (BOI *12 C-2-00) qui a également précisé leurs conditions de mise en oeuvre. La présente instruction a pour objet de décrire ces actions et de porter à la connaissance des services la jurisprudence qui en a précisé le cadre juridique. Les développements qui suivent seront ultérieurement intégrés à la documentation de base. • |
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SECTION 1 :
L'exercice de la contrainte par corps
SOUS-SECTION 1 :
Origine et évolution de la procédure
A. UNE VOIE D'ACTION PRIVEE
1.Juridiquement, la contrainte par corps est une voie d'exécution par laquelle le créancier poursuit sur la personne même de son débiteur le recouvrement de ce qui lui est dû.
Concrètement, cette mesure se traduit par l'emprisonnement du débiteur, pendant une durée plus ou moins longue. Il s'agit donc à titre principal d'un moyen de pression dirigé contre un débiteur, par hypothèse de mauvaise foi.
2.De ses origines romaines, la contrainte par corps a longtemps conservé son caractère de peine privée, destinée à s'appliquer à des créances civiles ou commerciales, pour des dettes entre particuliers ou professionnels (marchands des foires, membres des corporations).
3.La pratique est codifiée par l'ordonnance de 1667 qui la place sous le contrôle d'un juge et la transforme en mesure facultative
B. UN MOYEN DE LUTTE CONTRE LA FRAUDE
4.Abolie le 9 mars 1793 par la Convention, elle est rétablie par l'Empire pour lutter contre les banqueroutes et les scandales financiers qui se multiplient. Elle suit alors la rigueur du code de commerce de 1807.
Au milieu du XIXème siècle, elle apparaît comme la seule arme efficace contre les débiteurs de mauvaise foi qui, par l'organisation d'insolvabilité, rendent préventivement inefficace l'exercice des voies d'exécution ordinaires.
5.La loi du 22 juillet 1867 va durablement fixer sa nature juridique et ses conditions d'exercice, jusqu'à l'ordonnance du 23 décembre 1958 qui révise le code de procédure pénale.
C. UNE PREROGATIVE DE PUISSANCE PUBLIQUE
6.Cette nouvelle codification complète une série de textes spéciaux relatifs à l'exercice de la contrainte par corps en matière fiscale ou douanière.
Elle harmonise sa pratique qui est régie par des dispositions strictes du Code général des impôts.
Surtout, la réforme de 1958 réserve cette mesure d'exception aux seules créances publiques.
7.Une ultime réforme apportée par la loi n° 85-1407 du 30 décembre 1985 humanise ses conditions de mise en oeuvre en modifiant le Code de procédure pénale.
SOUS-SECTION 2 :
Champ d'application de la contrainte par corps
A. DOMAINE D'APPLICATION
8.L'exercice de la contrainte par corps prévue par les articles L 271 et suivants du LPF est ouvert aux comptables publics à rencontre de débiteurs défaillants déclaratifs qui organisent leur insolvabilité et rendent inefficaces les poursuites mises en oeuvre (Cass. com. 19 octobre 1971, Bull. civ. IV n° 243 p. 226).
Le domaine d'application de la contrainte par corps en matière de taxes sur le chiffre d'affaires est défini par les articles L 270, L 271 et L 273 du Livre des procédures fiscales.
Elle ne peut concerner que les personnes ayant fait l'objet d'une taxation d'office et qui changent fréquemment de lieu de séjour ou qui séjoument dans des locaux d'emprunt ou des locaux meublés.
9.Toutefois, cette faculté ne peut être exercée dans le cadre d'une condamnation pour fraude fiscale.
En effet, il résulte des dispositions des articles L 272 et L 273 du Livre des procédures fiscales que la contrainte par corps n'est applicable, en cas de condamnation d'un prévenu par application de l'article 1741 du CGI, que pour le recouvrement des impôts directs, des majorations et des pénalités fiscales y afférentes, à l'exclusion de la TVA qui aurait été visée dans la plainte (Cass. crim. 16 janvier 1984, Bull. crim. n° 19 p. 50 ; 21 octobre 1991, Bull. crim. n° 362 p. 902).
B. CONDITIONS D'APPLICATION
10.Elles sont cumulatives.
I. Tenant au mode d'établissement des impositions
11.Les impositions visées par la contrainte par corps doivent avoir été établies par voie de taxation d'office (Cass. com 16 mai 1977, Bull. civ. IV n° 143 p. 121 ; 24 novembre 1987, ibid. IV n° 247 p. 183).
II. Tenant à la résidence du redevable
12.La contrainte par corps ne peut être exercée à l'encontre du redevable que si celui-ci a fait obstacle au recouvrement dans les circonstances suivantes.
1. Changement fréquent de lieu de séjour
- une personne ayant séjoumé à six adresses différentes en six ans (Cass. com. 16 mai 1977 précité) ;
- un redevable ayant vendu tous les biens qu'il possédait en France, ne résidant qu'occasionnellement dans ce pays à des adresses différentes et ayant plusieurs adresses à l'étranger (Cass. com. 9 février 1981, Bull. civ. IV n° 72, p. 56) ;
- un redevable changeant fréquemment de domicile, peu important la qualification des locaux et les causes du changement (Cass. com. 24 novembre 1987 précité).
2. Séjour dans des locaux d'emprunt ou des locaux meublés appartenant à des tiers
- une personne résidant dans un local dont il n'est pas locataire, garni de meubles ne lui appartenant pas (Cass. com. 6 mars 1984, Bull. civ. IV, n° 90, p. 75) ;
- un redevable qui après avoir vendu ses immeubles, est hébergé par sa soeur sans payer de loyer (Cass. com. 22 mai 1984, Bull. civ. IV, n° 177, p. 148) ;
- un redevable résidant dans un studio « minuscule », garni d'un mobilier incompatible avec une résidence durable et n'ayant procédé à des règlements de sa dette fiscale qu'au moyen de mandats émis dans des bureaux de poste de villes différentes (Cass. com. 19 mai 1987, Bull. civ. IV, n° 118, p. 90).
III. Tenant à l'âge et à la solvabilité du redevable et au montant de la créance fiscale concernée
13.La loi du 30 décembre 1985, dans ses articles 76 et 77, a humanisé les conditions de mise en oeuvre de la contrainte par corps en modifiant les articles 749 et suivants du Code de procédure pénale (dispositions entrées en application le 1er février 1986).
La contrainte par corps ne peut être mise en oeuvre, pour une durée maximum de 4 mois, que pour des sommes égales ou supérieures à 80 000 F (art. L 272 A du LPF et 750 du CPP).
La contrainte par corps ne peut être exercée ni contre des mineurs à l'époque des faits ni contre des personnes âgées d'au moins 65 ans au moment de la condamnation (art. 751 du CPP).
Elle ne peut être exercée contre des personnes justifiant de leur insolvabilité en produisant un certificat du percepteur de leur domicile constatant qu'ils ne sont pas imposés ou un certificat du maire ou du commissaire de police de leur commune (art. 752 du CPP). Toutefois, l'insolvabilité ne s'oppose qu'à l'exécution de la contrainte par corps et non à son prononcé (Cass. crim. 18 décembre 1989, Bull. crim. n° 484).
Mais la preuve que le condamné est en réalité solvable peut être apportée par tous moyens.
SOUS-SECTION 3 :
Mise en oeuvre de la contrainte par corps
A. ENGAGEMENT DE L'ACTION
I. Personne compétente pour engager l'action
14.S'agissant d'une mesure de poursuite, cette action s'inscrit dans le cadre de l'action en recouvrement menée par le comptable des impôts en application de l'article L 252 du LPF. Le receveur des impôts est juridiquement compétent, après autorisation donnée par le directeur des services fiscaux (art. L 272 A), pour saisir le président du tribunal de grande instance d'une requête aux fins de contrainte par corps puis après signification d'un commandement de payer suivant la décision de justice favorable et en l'absence de paiement, pour établir une requête au Parquet aux fins d'incarcération.
II. Engagement de l'action - la procédure sur requête -
15.La contrainte par corps est prononcée par ordonnance du président du tribunal de grande instance saisi sur simple requête, conformément aux dispositions des articles 493 et suivants du nouveau code de procédure civile (Cass. com. 5 mai 1982, Bull. civ. IV, n° 153, p. 137 ; 6 mars 1984, ibid. IV, n° 90, p. 75).
16.L'article L 271 du LPF permet donc au comptable public de saisir le président de la juridiction, par simple requête, sans débat contradictoire, c'est-à-dire sans avoir à appeler la partie adverse (Cass. com. 6 mars 1984 précité).
17.S'il n'est pas fait droit à sa requête, le comptable est recevable à interjeter appel en application de l'article 496 du NCPC (Cass. com. 6 mars 1984 précité).
Inversement, le redevable peut obtenir la rétractation de l'ordonnance, conformément aux dispositions de l'article 496 du NCPC (Cass. com. 5 mai 1982 précité).