SOUS-SECTION 3 MISE EN OEUVRE
2. Les effets secondaires de la solidarité
39La solidarité " parfaite " repose sur le principe de la représentation mutuelle des codébiteurs de sorte que les poursuites engagées par le créancier à l'encontre de l'un produisent effet à l'égard de tous (articles 1205 et 1207 du Code civil).
Conséquences :
a. La prescription interrompue par le créancier à l'égard de l'un des codébiteurs se trouve interrompue à l'égard de tous (articles 1206 et 2249 du Code civil)
40Ce principe concerne tous les actes ou événements à caractère interruptif : mesures de poursuites, reconnaissance de dette ou paiements, production ou déclaration au passif d'une procédure collective...
Par ailleurs, l'article 71 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 (BOI 12 C-2-93 ) portant réforme des procédures civiles d'exécution dispose que la notification au débiteur de l'exécution d'une mesure conservatoire interrompt la prescription de la créance cause de la mesure, qu'il s'agisse d'une saisie sur biens mobiliers, corporels ou incorporels, ou d'une sûreté judiciaire (articles 74 et 77 de la loi).
Dès lors, tout acte conservatoire délivré à l'encontre d'un codébiteur aura pour effet d'interrompre la prescription à l'égard des autres coobligés.
41En revanche, l'impossibilité d'agir résultant de la suspension des poursuites provoquée par la situation particulière d'un débiteur ne profite qu'à celui-ci dès lors qu'il s'agit d'une exception purement personnelle n'affectant que le droit de poursuite à l'encontre du débiteur et non l'existence ou l'étendue de la créance (article 1208 2ème alinéa du Code civil, sur cette question, notes sous Cass. com. 19 janvier 1993, P. X... , JCP, éd. G. II.22056 ; A X... , D. 1993.331).
C'est pourquoi, en cas d'ouverture d'une procédure collective à l'encontre de la société redevable légale, l'effet suspensif de prescription qui en résulte ne s'applique pas au dirigeant qui a été condamné par une décision de justice définitive et exécutoire avant la clôture des opérations de liquidation de la société.
b. Le codébiteur poursuivi peut opposer toutes les exceptions qui résultent de la nature de l'obligation et toutes celles qui lui sont personnelles, ainsi que celles qui sont communes à tous les codébiteurs (article 1208 du Code civil)
42Si le débiteur solidaire de l'impôt est soumis aux mêmes obligations que le débiteur principal, il doit bénéficier des mêmes droits.
C'est en vertu de ce principe de droit commun que la Cour de cassation a autorisé un dirigeant poursuivi sur le fondement de l'article L 267 à faire examiner, fût-ce par renvoi préjudiciel devant la juridiction compétente, le bien-fondé ou l'établissement des impositions visées dans la demande du receveur (Cass. com. 25 mars 1991, Bull. civ. IV n° 118 p. 92 ; 17 décembre 1991, ibid. IV n° 392 p. 272 ; texte en annexe n° III ; 4 mai 1993, arrêt n° 780 D).
Par conséquent, dès lors qu'il est constitué débiteur solidaire par une décision de justice, le dirigeant a qualité pour contester devant le juge de l'impôt, selon la procédure prévue aux articles L 190, R* 196-1 et suivants du LPF, la régularité de la procédure d'imposition ou le bien-fondé des cotisations au paiement desquelles il est tenu, au même titre que le redevable légal (cf. article R* 197-4 du LPF ; CE Plénière 24 novembre 1971 n° 79565 DF 9/79 c. 289 concl. X... ; 25 avril 1979 n° 7253 DF 1980 c. 671 concl. X... ; 3 juillet 1985 n° 52011 DF 1985 c. 2160).
Ce droit peut être exercé quand bien même le redevable légal se serait abstenu de contester les impositions.
43En revanche, lorsque le juge de l'impôt a déjà rejeté la demande du contribuable, l'autorité de la chose jugée pourra être opposée au codébiteur solidaire, dès lors que sa réclamation est fondée sur la même cause (cf. CE 20 avril 1977, n° 96-249 DF 1977 c. 1988, concl. X... ).
44Traditionnellement, la jurisprudence considère que le délai de réclamation préalable court à l'encontre du débiteur solidaire de l'impôt à compter du premier acte de poursuite, lequel constitue l'événement motivant la contestation au sens des articles R* 196-1 et R* 197-4 du LPF (cf. CE 24 novembre 1971, n° 77.372, DF 1971 c. 1743 ; 21 novembre 1979, n° 86.456 DF 1974 c. 102 ; 25 janvier 1989, n°s 65.426, 65.427 et 65.428, BF 3/89 n° 419).
Cependant, il est admis, dans un souci pratique, que le débiteur solidaire puisse contester la créance fiscale sans attendre l'engagement de poursuites à son encontre (cf. n° 30 de la présente sous-section).
Dans ce cas, le jugement de première instance qui fait naître la créance à l'encontre du dirigeant en prononçant la solidarité au paiement, doit être considéré comme l'événement motivant la réclamation au sens de l'article R* 196-1 du LPF.
45 Le dirigeant peut également engager un contentieux par voie d'opposition à l'acte de poursuite délivré contre lui, conformément aux articles L 281, R* 281 et suivants du LPF.
La contestation portera soit sur la régularité en la forme de l'acte, soit sur l'exigibilité de la somme réclamée, ou tout autre motif ne remettant pas en cause l'assiette de l'impôt.
Bien entendu, le débiteur solidaire ne peut remettre en cause le principe ou l'étendue de sa solidarité, points sur lesquels le juge civil s'est définitivement prononcé.
Il a la possibilité, en revanche, de critiquer les conséquences que l'Administration tire de la décision du juge quant au recouvrement de l'impôt ; par exemple, une méconnaissance des limites de l'obligation résultant du jugement (CE 3 juillet 1985, n° 52.011, RJF 1985 p. 728), l'existence de paiements déjà effectués, l'obtention du sursis de paiement en vertu d'une réclamation d'assiette, la prescription de l'action en recouvrement.
II. Exécution de la décision
46La décision de justice qui, sans entraîner de novation dans la nature de la créance, donne au Trésor un débiteur supplémentaire constitue le titre exécutoire sur le fondement duquel le receveur des impôts pourra exercer toutes mesures de poursuites prévues tant par le droit commun que par le droit fiscal.
Le prononcé de la solidarité s'analyse en une condamnation à caractère civil qui trouve sa source dans le jugement. C'est pourquoi, il n'y a pas lieu de décerner un avis de mise en recouvrement à l'encontre du dirigeant condamné (cf. Doc de base 12 C-1212 n° 25 ).
1. Procédure d'exécution
47L'exécution d'un jugement ne peut intervenir qu'après sa signification (article 503, al. 1 du NCPC) et à l'expiration du délai prévu pour exercer les voies de recours (article 501 du NCPC).
Il est rappelé que les voies de recours ordinaires (opposition et appel) sont suspensives d'exécution (article 539 du NCPC) alors que les voies de recours extraordinaires (tierce-opposition et pourvoi en cassation) ne le sont pas.
On dit d'une décision de justice qu'elle est définitive lorsque le tribunal est dessaisi définitivement du litige (elle acquiert simplement l'autorité de la chose jugée) ;
Une décision est dite exécutoire lorsque les voies de recours ordinaire sont épuisées (elle est passée en force de chose jugée).
Elle n'est irrévocable que lorsqu'elle ne peut plus faire l'objet de voies de recours, même extraordinaires.
a. Exécution provisoire
48S'agissant de la responsabilité solidaire des dirigeants sociaux, il est recommandé de solliciter du Président du Tribunal de grande instance, saisi d'une demande fondée sur les articles L 266 et L 267, le bénéfice de l'exécution provisoire prévue à l'article 514 du NCPC.
Lorsque le receveur obtient une décision de première instance assortie d'une telle mesure, il est conseillé de procéder à l'exécution de la décision uniquement par voie de commandement de payer, l'objectif étant principalement d'interrompre le délai de prescription de l'action en recouvrement de la créance fiscale qui continue de courir contre la personne morale, redevable légale de l'impôt (cf. Cass. com. 23 février 1993, arrêt n° 337 P).
Si le juge refuse l'exécution provisoire, il n'y a pas lieu d'exercer la voie de recours.
b. Exécution d'une décision passée en force de chose jugée
49Dès lors que la décision de justice est devenue exécutoire (jugement non frappé d'appel ou arrêt - cf. n° 44 ), il convient d'engager sans attendre les poursuites à l'encontre du dirigeant.
Ces dernières devront être précédées de la signification d'un commandement de payer accompagné d'une copie de la décision.
A cet égard, si les circonstances permettent l'emploi de mesures proprement fiscales, telles que l'avis à tiers détenteur, et pour prévenir tout contentieux ultérieur, il est conseillé de délivrer en outre l'avis de mise en demeure prévu à l'article L 257 du LPF. Dans ce cas, il y aura lieu de respecter le délai de vingt jours visé par l'article L 258 du même Livre.
50A noter que, dans le cas d'un pourvoi en cassation formé contre un arrêt d'appel favorable au comptable public, l'article 1009-1 du NCPC permet au Premier Président de la Cour de cassation, sur demande du défendeur au pourvoi, de retirer du rôle l'affaire dans laquelle le demandeur (à la cassation) ne justifie pas avoir exécuté la décision attaquée.
Un dirigeant condamné ne pourrait donc se pourvoir en cassation sans avoir au préalable commencé d'exécuter la décision de justice en procédant au paiement des sommes exigibles au titre de la solidarité.
En pratique, le receveur qui procède à l'exécution de la décision d'appel pourra proposer au service central, chargé de suivre l'instance devant la Cour de cassation, l'application de l'article 1009-1 précité dès lors que le dirigeant qui a formé pourvoi ne défère pas au commandement de payer délivré par l'Administration.
Du fait même qu'il devient débiteur direct au même titre que le redevable légal, le dirigeant condamné voit ses biens meubles grevés du privilège du Trésor.
Ses immeubles peuvent également être grevés de l'hypothèque légale du Trésor (article 1929 ter du CGI).
Lorsque cette dernière ne peut être requise, notamment à la suite d'un jugement de condamnation qui n'a pas acquis force de chose jugée (article 500 du NCPC), le receveur a toujours la possibilité d'inscrire l'hypothèque judiciaire qui découle de plein droit d'une décision de justice même frappée d'appel (article 2123 du Code civil, Doc. de base 12 C-5213 n° 7 et 12 C-524 ).
L'hypothèque judiciaire prend rang au jour de son inscription. Elle ne doit pas être confondue avec l'hypothèque provisoire conservatoire inscrite en application des articles 54 et suivants de l'ancien code de procédure civile (depuis le 1er janvier 1993, articles 67 et 77 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution).
2. Mesures conservatoires
51Le prononcé du jugement statuant au fond entraîne nécessairement des conséquences sur les mesures conservatoires qui ont été prises antérieurement sur le patrimoine du dirigeant social en vue de garantir la créance fiscale.
Dans les cas où la décision a acquis force de chose jugée, c'est-à-dire lorsqu'elle n'est susceptible d'aucun recours suspensif d'exécution, il appartient au receveur de reprendre les poursuites en veillant à l'exécution des saisies antérieures prises à titre conservatoire ou en procédant à l'inscription définitive des hypothèques provisoires.
52Il est rappelé que l'inscription définitive doit impérativement intervenir dans les deux mois à compter du jour où la décision statuant au fond a force de chose jugée, sur présentation de la grosse de cette décision. Elle se substitue alors à l'inscription provisoire et prend rang rétroactivement à la date d'inscription de celle-ci.
53Dans le cas où le dirigeant condamné a interjeté appel de la décision de première instance, le receveur peut continuer à prendre des garanties sur son patrimoine.
En effet, conformément à l'article 68 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution, tout créancier est habilité, sans autorisation préalable du juge de l'exécution, à prendre des mesures conservatoires lorsqu'il se prévaut d'une décision de justice qui n'a pas encore force exécutoire.
L'attention est appelée sur le fait que cette possibilité est distincte des mesures conservatoires prises en vertu de l'article 67 de la même loi (antérieurement, article 48 du CPC) ou de l'exécution provisoire visée à l'article 515 du NCPC.
3. Prescription
54Sous réserve de l'appréciation des tribunaux, il y a lieu de considérer que l'intervention de la décision de justice n'a pas pour effet de substituer la. prescription trentenaire de droit commun à la prescription quadriennale applicable aux créances fiscales.
Par conséquent, les poursuites résultant de l'exécution de la décision de justice devenue définitive doivent être entreprises avant l'expiration du délai de prescription de l'action en recouvrement, prévu par l'article L 275 du LPF.
Celui-ci court à compter de la date à laquelle le jugement ou l'arrêt a acquis force de chose jugée, c'est-à-dire, s'agissant du jugement, à l'expiration du délai de recours ordinaire si ce dernier n'a pas été exercé.
55A noter que dans cette hypothèse, l'existence d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la personne morale, redevable légale de l'impôt, n'a aucun effet suspensif à l'égard du délai de l'action en recouvrement contre le dirigeant (cf. 12 C 2253, n° 35 )
56La situation est différente si le débiteur solidaire est lui-même placé sous le régime d'un redressement judiciaire.
Dès lors que le jugement de condamnation est devenu exécutoire avant l'ouverture de la procédure collective, la créance de solidarité doit être déclarée à titre définitif comme une créance normale contre le dirigeant.
Si la décision de justice n'est pas en état d'être exécutée (jugement non rendu ou frappé d'appel), les dispositions des articles 47 et 48 de la loi du 25 janvier 1985 trouvent à s'appliquer. La créance de solidarité sera déclarée à titre provisionnel dans l'attente de sa confirmation par le juge.
57En application de l'article 169 de la loi de 1985, qui prévoit que les créanciers recouvrent leur droit de poursuite individuelle lorsque le débiteur ou la personne morale dont il a été dirigeant, a été déclaré antérieurement en état de cessation des paiements et que la procédure a été clôturée pour insuffisance d'actif, le comptable des impôts retrouvera finalement son droit de poursuite dans les conditions suivantes :
- les impositions correspondant à la condamnation ont été régulièrement déclarées à la liquidation personnelle du dirigeant ;
- la procédure collective à laquelle a été soumise la société doit avoir été ouverte avant la liquidation personnelle du dirigeant ;
- les poursuites ne peuvent être exercées qu'après le prononcé de la clôture pour insuffisance d'actif des deux procédures.