SOUS-SECTION 3 QUALITÉ ET MANDAT
SOUS-SECTION 3
Qualité et mandat
1Il résulte des termes du 1er alinéa de l'article R* 190-1 du Livre des procédures fiscales que les réclamations contestant tout ou partie d'un impôt doivent être introduites par le contribuable lui-même.
Ce principe est toutefois tempéré par plusieurs exceptions. En effet, de nombreuses personnes ont qualité pour agir sans mandat, à la place du contribuable :
- de par une disposition expresse de la loi ;
- en cas de force majeure ;
- en raison de l'existence d'un lien juridique vis-à-vis du contribuable ;
- de par leurs fonctions.
Dans tous les autres cas, les réclamations ne peuvent être introduites par une personne autre que le contribuable lui-même que dans la mesure où cette personne peut justifier d'un mandat régulier, délivré à cet effet (LPF, art. R* 197-4).
A. PERSONNES AYANT QUALITÉ POUR AGIR SANS MANDAT
I. Dispositions légales
Sont habilitées à présenter des réclamations pour autrui sans avoir à justifier d'un mandat :
21°) En matière d'impôts directs 1 , le preneur d'un bien rural donné à ferme ou à bail peut, conjointement avec le bailleur ou séparément, présenter une réclamation tendant à obtenir une réduction ou une exonération d'impôt foncier pour cause de calamité agricole (LPF, art. R* 197-1 , dernier al.).
32°) En matière de droits d'enregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre, les officiers publics ou ministériels visés à l'article 1705-1° à 3° du CGI -notaires, huissiers, greffiers- sont habilités à introduire ou soutenir, sans mandat exprès, une réclamation relative aux impôts, droits ou taxes, dus à raison des actes ou jugements de leur ministère et qu'ils sont tenus d'acquitter aux termes dudit article 1705, en soumettant ces actes ou jugements à la formalité (LPF, art. R* 197-4, 3e al.).
En outre, le notaire qui a été chargé par un tribunal de liquider une succession a qualité pour former sans mandat spécial une réclamation au nom des héritiers contre les impositions du défunt (CE, 7 novembre 1930, n° 7355, RO, 5488).
Enfin, par mesure de simplification et afin de faciliter la tâche des notaires, le service doit s'abstenir d'exiger de ces officiers ministériels la présentation d'un mandat en ce qui concerne les demandes en restitution de droits de mutation par décès qu'ils sont amenés à formuler pour le compte de leurs clients. Cette solution ne peut toutefois être étendue aux réclamations faisant suite à un redressement (RM à M. BOLO, JO du 9 avril 1976, AN, p. 1555, cf. également n° 47 ).
43°) En toute matière fiscale, les avocats 2 régulièrement inscrits au barreau sont dispensés de l'obligation de justifier d'un mandat lorsqu'ils réclament pour le compte d'un contribuable (LPF, art. R* 197-4, 2e al.).
54°) En toute matière fiscale également, les personnes qui ont été mises en demeure d'acquitter les impositions établies au nom d'un tiers (LPF, art. R* 197-4, 2e al.).
Cette dérogation concerne les tiers qui, en vertu d'une disposition légale ou d'une décision de justice, sont solidairement responsables avec le contribuable des impositions établies au nom de celui-ci.
Il s'agit :
- des tiers mis en cause en application des dispositions des articles 1682 et suivants du CGI : cessionnaire d'un fonds de commerce pour paiement des impôts dus par le cédant (CGI, art. 1684-1) ; propriétaire du fonds de commerce pour le paiement des impôts dus par l'exploitant à raison de l'exploitation de ce fonds (CGI, art. 1684-3) ; époux pour le paiement des impôts établis au nom de son conjoint (CGI, art. 1685 ; cf. n° 8 ), etc. ;
- des personnes déclarées par le juge pénal solidairement tenues au paiement d'impôts fraudés avec le redevable légal (CE, arrêt du 25 avril 1979, n°s 7253 et 7254, RJ, IV, p. 21 ; rapprocher de l'arrêt du 24 novembre 1971, cf. n° 6 ).
Les tiers solidairement responsables peuvent réclamer sans mandat, même s'ils n'ont fait l'objet d'aucune poursuite (CE, 13 mars 1950, n° 1887, RO, p. 30).
65°) En toute matière fiscale enfin, les personnes non solidairement responsables sont dispensées de la production d'un mandat si elles ont été personnellement mises en demeure d'acquitter les impositions mentionnées dans la réclamation (LPF, art. R* 197-4, 2e al.).
Ont ainsi été jugées recevables les réclamations formulées par :
- un contribuable contre une cotisation qui ne le concerne pas, mais qu'il a payée pour éviter les poursuites dont il était menacé (CE, 13 avril 1867, X... , RO, 1916) ;
- une personne tenue de payer une cotisation établie au nom d'un autre contribuable à la suite d'une sommation sans frais 3 . En effet, cette dernière constitue une mise en demeure et son destinataire est dès lors recevable à réclamer contre ladite cotisation, sans avoir à produire de mandat (CE, 24 novembre 1971, n° 79565, RJ, IV, p. 155).
De même, si le paiement de l'impôt foncier afférent à un immeuble vendu avant le 1er janvier a été réclamé à l'acquéreur, celui-ci peut demander la décharge ou la réduction desdits impôts, bien qu'ils soient encore inscrits au nom du précédent propriétaire (CE, 24 juillet 1902, X... , RO, 3801, p. 557).
Dans le même sens, le Conseil d'État a jugé que :
- l'acquéreur d'une propriété restée imposée sous le nom du vendeur a qualité pour demander la mutation de cote 4 (CE, 31 janvier 1856, X... , RO, 221 ; CE, 22 avril 1857, X... , RO, 468) ;
- l'acquéreur peut, sans mandat du vendeur, demander, sur l'impôt afférent à l'année de la vente, un dégrèvement pour un fait survenu en cours d'année (CE, 9 avril 1956, SARL « Allard et fils », RO, p. 72).
II. Cas de force majeure
7Il a toujours été admis que le tiers à l'intervention duquel une personne illettrée ou physiquement incapable a dû recourir pour rédiger sa demande ne peut être considéré comme un mandataire astreint à la production d'un mandat (cf. également 13 O 2132, n° 19 ).
Ainsi, la production d'un mandat n'est pas exigible à l'appui :
- d'une réclamation signée par un tiers pour le compte d'un contribuable illettré (CE, 9 novembre 1904, X... , RO, 3933) ;
- d'une réclamation que l'intéressé, atteint de cécité, a dû faire rédiger par un tiers qui l'a signée (CE, 17 avril 1905, X... , RO, 3933) ;
- d'une réclamation qu'un fils a présentée au nom de sa mère, s'il est reconnu qu'en fait celle-ci se trouvait dans l'impossibilité de donner le mandat dont il s'agit (CE, 22 mars 1909, X... , RO, 4246).
Également lorsque, par suite d'un cas de force majeure, un contribuable s'est trouvé dans l'impossibilité matérielle et absolue de correspondre avec le tiers qui a assuré l'exploitation de son fonds de commerce et qui a produit notamment ses déclarations fiscales ; ce tiers a qualité pour contester sans mandat écrit l'impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux et l'impôt général sur le revenu établis au nom de l'intéressé (CE, 1er mars 1945, n° 70673, RO, p. 250).
III. Existence d'un lien juridique
1. Époux.
8Chaque époux a qualité pour contester :
1° Les impositions relatives aux biens qu'il administre.
Il s'agit, par exemple, des impositions relatives aux biens dont cet époux est propriétaire (taxe foncière des propriétés bâties ou non bâties) ou relatives à l'activité exercée (taxe professionnelle, taxe sur le chiffre d'affaires ...).
Dans cette situation, l'exploitant individuel a donc, en principe, seul qualité pour agir. Par suite, s'il s'agit d'impositions afférentes à des biens administrés par son conjoint, l'époux réclamant doit présenter un mandat régulier (cf. n°s 18 et 45 ).
En pratique, dans un domaine où le conjoint d'un contribuable n'a pas qualité pour agir, lorsque ce conjoint, signataire de la réclamation, ne peut justifier d'un mandat régulièrement établi, il conviendra d'inviter le contribuable à présenter lui-même une réclamation régulière en la forme.
2°) Les cotisations dont il est solidairement responsable en application de l'article 1685 du CGI.
Ce texte vise la taxe d'habitation et l'impôt sur le revenu.
3°) L'impôt dû à raison de l'ensemble des revenus du foyer fiscal dans le cadre du régime issu de l'article 2-VIII-2 de la loi de finances pour 1983, codifié aux articles 6-1 du CGI et L. 54 A du LPF.
Ainsi, il résulte des dispositions de l'article L. 54 A du LPF, que les époux, soumis à une imposition commune tant en raison de leurs bénéfices et revenus que de ceux de leurs enfants et des personnes considérés comme à charge, ont chacun qualité pour suivre les procédures relatives à l'impôt dû à raison de l'ensemble des revenus du foyer, à compter de l'imposition des revenus de 1982. Chaque conjoint peut donc introduire valablement et soutenir une réclamation en matière d'impôt sur le revenu 5 .
4°) L'impôt de solidarité sur la fortune.
Il résulte des dispositions de l'article 885 W du CGI que les époux doivent conjointement signer la déclaration annuelle de leur fortune Chaque époux peut donc, sans avoir à justifier d'un mandat, introduire et soutenir une réclamation portant sur cet impôt.
2. Héritiers et légataires.
9L'héritier ou le légataire universel peuvent réclamer au nom du contribuable décédé.
En ce sens, le Conseil d'État a jugé que :
- l'héritier a qualité pour réclamer contre la contribution imposée au nom du contribuable décédé (CE, 17 septembre 1854, X... , RO, 98) ;
- des héritiers qui justifient, au moyen d'un acte de notoriété, du décès de leur auteur et de leur qualité d'héritiers en état d'indivision sont recevables à demander décharge de la taxe imposée sur un immeuble au nom de leur auteur (CE, 19 juin 1908, X... ) ;
- le légataire universel d'un contribuable décédé a qualité pour réclamer un degrèvement sur les impôts afférents à un immeuble dépendant de la succession de ce contribuable, encore bien qu'antérieurement à la réclamation, mais postérieurement au 1er janvier, ledit immeuble aurait été délivré à un légataire particulier (CE, 7 avril 1916, veuve X... , RO, 4644).
3. Indivision.
10L'un quelconque des propriétaires d'un immeuble indivis a qualité pour présenter, sans mandat des autres, une réclamation :
- visant la contribution foncière (actuellement taxe foncière) afférente à la totalité de l'immeuble (CE, 12 janvier 1973, ministère des finances contre Société d'aménagement de Port-la-Nouvelle, n° 77633, RJ, IV, p. 5) ;
- visant la contribution mobilière (actuellement taxe d'habitation) à laquelle lesdits propriétaires indivis ont été assujettis conjointement (CE, 25 juillet 1975, sieurs X... Antoine et X... Emmanuel, n°s 92401 et 92402, RJ, IV, p. 57).
IV. Qualité résultant des fonctions exercées
1. Collectivités publiques.
11Les réclamations concernant des cotisations établies au nom de l'État sont valablement introduites par les fonctionnaires qualifiés de l'Administration qui supporte l'impôt. De même, le représentant qualifié des collectivités locales peut contester devant le service des Impôts les cotisations établies au nom de ces collectivités même sans justifier d'une autorisation de l'assemblée (conseil général, conseil municipal...). Ainsi, le Conseil d'État a jugé que le maire, représentant légal de la commune, a qualité pour introduire, au nom de celle-ci, une réclamation sans avoir à justifier d'une autorisation du Conseil municipal, dès lors que les réclamations adressées au directeur (actuellement service des Impôts) ne présentent pas le caractère d'actions en justice (CE, 26 mars 1948, commune de Roumare, RO, p. 33).
2. Entreprises.
a. Personnes tenant de leurs fonctions ou de leur qualité le droit d'agir au nom d'une société.
12En l'état actuel de la jurisprudence, la production d'un mandat régulier n'est pas exigée des membres ni des employés d'une société, qui à la date où ils agissent, tiennent de leurs fonctions délégation permanente pour réclamer ou ester en justice au nom de la société, lesdites fonctions étant définies :
- soit par la loi ou par les statuts ;
- soit par une décision régulièrement prise par les organes compétents de la personne morale.
Il en résulte, dans les différentes formes de sociétés, que peuvent agir sans mandat spécial :
131° Dans les sociétés anonymes :
- le président du conseil d'administration (président-directeur général), l'administrateur provisoirement délégué dans les fonctions de président ainsi que le ou les directeurs généraux chargés d'assister le président dans les sociétés anonymes de type classique (avec conseil d'administration) ;
- le président du directoire ou le directeur général unique ainsi que le ou les membres du directoire chargés des fonctions de directeur général dans les sociétés anonymes de type nouveau (avec directoire et conseil de surveillance).
Il s'agit là des personnes visées à l'article 117 de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales.
Pour sa part, le Conseil d'État a jugé :
- que dans une société anonyme dont les statuts prévoient que le conseil d'administration est investi des pouvoirs les plus étendus pour l'administration et la gestion des affaires sociales, sans aucune limitation ni réserve, et est autorisé à déléguer tout ou partie de ses pouvoirs soit à un ou plusieurs de ses membres, soit, par un mandat spécial, à une ou plusieurs personnes étrangères à la société, pour des objets déterminés, l'administrateur délégué, en raison tant de l'étendue du mandat que suppose son titre que des attributions conférées au conseil d'administration, a qualité pour former une réclamation au nom de la société (CE, 18 octobre 1937, n° 55831, RO, p. 540 ; CE, 20 décembre 1940, Société anonyme des chaussures Rousset, RO, p. 50) ;
- qu'il résulte des dispositions de l'article 117 de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales que les directeurs généraux des sociétés anonymes ont les mêmes pouvoirs, à l'égard des tiers, que le président du conseil d'administration ; qu'ils ont donc qualité pour présenter une réclamation sans justifier d'un mandat régulier (CE, arrêt du 5 mars 1980, n° 14611).
142° Dans les sociétés à responsabilité limitée :
Seul le gérant en exercice a qualité pour réclamer sans mandat spécial au nom de la société.
153° Dans les sociétés de personnes (société en nom collectif, société en commandite simple, société en participation) :
D'une manière générale, les membres des sociétés de personnes sont habilités à réclamer sans mandat contre les impositions établies au nom de la société ou mises à sa charge.
164° Dans les associations :
La requête présentée, sans mandat enregistré préalablement à la demande par la directrice d'une clinique exploitée par une association est régulière dès lors que l'intéressée tient des fonctions qui lui ont été conférées par le conseil d'administration, le droit d'agir au nom de l'association (CE, 16 juillet 1974, n° 85986, Association du Bon Secours)
175° Dans les sociétés mutuelles :
Le directeur général d'une société mutuelle qui, d'après les statuts, tient de ses fonctions le droit d'agir au nom de la société, est recevable à présenter une réclamation pour celle-ci (CE, 19 janvier 1968, n° 71487, RJCD, 1ère partie, p. 13).
1 Sous l'ancien régime de la patente, le cessionnaire d'un établissement avait également qualité pour contester la quotité des droits de patente mis à sa charge par voie de mutation de cote ou de transfert (CE, 17 novembre 1911, X... , RO, 5514). Cette jurisprudence est applicable en matière de taxe d'habitation et de taxe foncière ; étant précisé que la procédure de mutation de cote en matière de taxes foncières et celle de transfert en matière de taxé d'habitation ont été supprimées respectivement par l'article 85 de la loi de finances pour 1994 et par l'article 44 de la loi de finances rectificative pour 1990 (cf. 13 Q 312).
2 Et également, à compter du 1er janvier 1992, les conseils juridiques faisant partie de la nouvelle profession d'avocat (loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990) [cf. n° 33 ].
3 Remplacée par une « lettre de rappel » (art. 14-II de la loi n° 72-1121 du 20 décembre 1972).
4 Procédure supprimée depuis le 1er août 1994, par l'article 85 de la loi de finances pour 1994.
5 Dans le régime antérieurement applicable (années d'imposition des revenus antérieurs à 1982), le Conseil d'État avait déjà jugé que, lorsqu'elle vivait sous le même toit que son mari et ne faisait dès lors pas l'objet d'une cotisation distincte au titre de l'impôt sur le revenu, la femme mariée, étant civilement tenue de contribuer aux dépenses du ménage, pouvait réclamer contre l'imposition établie au nom de son mari sans justifier d'un mandat régulier (CE, arrêt du 17 mars 1972, n° 76654, RJ, IV, p. 19).