SOUS-SECTION 1 RÉGIME FISCAL NORMAL DES SOCIÉTÉS DE CAPITAUX ET ASSIMILÉES
B. SOCIÉTÉS DE CAPITAUX ET ASSIMILÉES AYANT UN OBJET CIVIL
I. Sociétés concernées
22Les personnes morales qui ont adopté la forme de sociétés de capitaux sont, sous réserve de certaines exceptions (cf. ci-après H 12 ), assujetties à l'impôt sur les sociétés, quel que soit leur objet.
Le Conseil d'État a jugé que cette règle est notamment applicable dans les cas suivants :
- société anonyme concessionnaire de tramways qui, ayant cessé son exploitation, ne perçoit plus d'autres sommes que les annuités forfaitaires correspondant au prix de rachat de sa concession (CE, arrêt du 24 janvier 1949, req. n° 82874, RO, p. 135) ;
- société anonyme qui se borne à donner en location des immeubles dont elle est propriétaire, c'est-à-dire à effectuer des actes purement civils (CE, arrêt du 24 mars 1947, req. n° 67560, RO, p. 187) ;
- société anonyme formée par une communauté religieuse pour l'exploitation d'un préventorium (CE, arrêt du 2 mars 1942, req. n° 65596, RO, p. 71).
23Diverses solutions administratives intervenues également en ce sens se rapportent aux principales situations évoquées ci-après :
- société anonyme constituée entre jurisconsultes et ayant pour objet principal de donner des consultations de droit, de rédiger des actes et d'assister ses clients de ses conseils à l'occasion de la constitution de sociétés, qui ne reçoit aucun mandat et se borne à préparer les dossiers contentieux et litigieux, sans représenter elle-même les parties en justice ;
- société de capitaux chargée des fonctions de liquidateur de sociétés, pour les sommes perçues en cette qualité ;
- sociétés auxiliaires de matériel créées par certaines sociétés de travaux publics lorsqu'elles prennent la forme de sociétés à responsabilité limitée, ce qui paraît être le cas général.
Enfin, sont également passibles de l'impôt sur les sociétés à raison de leur forme les sociétés de capitaux et assimilées constituées en vue de la gestion d'un portefeuille de valeurs mobilières, sous réserve des exonérations prévues à l'égard des sociétés d'investissement par l'article 208 du CGI (cf. H 133 ).
II. Sociétés d'exercice libéral
24La loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 (JO du 5 janvier 1991) permet, à compter du 1er janvier 1992, l'exercice des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, sous la forme de sociétés d'exercice libéral.
Le décret n° 92-909 du 28 août 1992 a ensuite prévu que, malgré son caractère commercial, l'activité de pharmacien pouvait être exercée dans le cadre des sociétés d'exercice libéral.
Ces sociétés, même si elles ont un objet civil, sont commerciales par leur forme.
En effet, elles sont constituées sous la forme de sociétés à responsabilité limitée, de sociétés anonymes ou de sociétés en commandite par actions et sont régies par la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, sous réserve des dispositions du Titre I de la nouvelle loi précitée, dérogatoires au droit commun afin d'assurer le respect des règles essentielles des professions libérales.
Les sociétés d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL), les sociétés d'exercice libéral à forme anonyme (SELAFA) et les sociétés d'exercice libéral en commandite par actions (SELCA) sont soumises au régime fiscal de droit commun correspondant à leur forme juridique et leur objet. L'impôt sur les sociétés leur est donc applicable.
Il est à noter que, dans la mesure où elles ont pour objet l'exercice d'une profession libérale, les SELARL de famille ne pourront pas opter pour le régime des sociétés de personnes prévu à l'article 239 bis AA du CGI, qui réserve cette faculté aux seules activités industrielles, commerciales ou artisanales.
Seules les SELARL constituées pour l'exercice de l'activité de pharmacien pourront bénéficier de cette possibilité (RM FOSSET, JO déb. Sénat, 19 mai 1994, n° 1222).
C. SOCIÉTÉS DE CAPITAUX ET ASSIMILÉES DONT LA SITUATION JURIDIQUE EST IRRÉGULIÈRE
25D'une manière générale, l'administration est fondée, dès l'instant que la doctrine et la jurisprudence lui reconnaissent la qualité de tiers vis-à-vis des redevables, à exercer, conformément aux règles de droit commun, une option consistant, selon qu'elle le juge préférable, soit à se prévaloir de l'existence apparente d'une société en situation juridique irrégulière, soit au contraire, sous certaines conditions, à invoquer sa nullité.
Ce principe est susceptible de recevoir des applications qui seront examinées dans plusieurs cas.
I. Sociétés dont le terme statutaire est échu
26Sauf circonstances exceptionnelles, une société qui a laissé échoir son terme statutaire sans se proroger préalablement peut, dès lors qu'elle continue à se conformer aux obligations fiscales lui incombant, être considérée comme n'ayant pas cessé d'exister.
Le Conseil d'État a été ainsi amené à juger qu'une société à responsabilité limitée parvenue à son terme statutaire et non mise en liquidation ne peut être considérée comme dissoute dès lors qu'elle a poursuivi l'exploitation de la même entreprise et continué à verser des acomptes d'impôt sur les sociétés. Par suite, elle doit rester soumise à l'impôt sur les sociétés à raison des bénéfices qu'elle réalise (CE, arrêt du 18 juin 1975, req. n°s 93861 et 94360, RJ, II, p. 85).
27Cette doctrine conduit, en règle générale, à traiter comme n'ayant pas été dissoutes et comme ayant conservé vis-à-vis des tiers leur personnalité juridique originaire les sociétés dont le terme statutaire est échu et qui n'ont pas expressément procédé à leur prorogation préalable lorsque :
- d'une part, elles ont, depuis l'échéance du terme, poursuivi sans modification significative leur activité antérieure entrant dans les prévisions de leur objet statutaire et continué de fonctionner d'après les règles applicables aux sociétés non dissoutes ;
- d'autre part, aucune modification révélatrice d'une dissolution n'a été apportée aux comptes du bilan, ni à la suite de l'échéance du terme statutaire ni, le cas échéant, à l'occasion d'une prorogation tardive.
28Ces conditions étant supposées satisfaites, l'administration ne serait fondée à invoquer l'existence d'une dissolution -et, éventuellement, la constitution d'une société nouvelle- que dans l'hypothèse et à compter du moment où elle aurait eu connaissance (ou serait réputée avoir eu connaissance) d'une délibération, d'un contrat ou d'un acte quelconque, judiciaire, extrajudiciaire ou amiable, impliquant une telle dissolution, la constatant ou la prononçant.
Seraient notamment considérées comme révélateurs d'une dissolution opposable aux tiers et dont l'administration aurait à tenir compte :
- la désignation d'un ou plusieurs liquidateurs ;
- la mention d'une dissolution contenue dans un acte présenté à la formalité de l'enregistrement, dans un document déposé en vertu des articles 222 ou 223 du CGI ou dans une déclaration fiscale ;
- la radiation du registre du commerce.
29Bien entendu, les solutions qui précédent ne concernent que les sociétés constituées par un acte authentique ou sous signatures privées.
Le Conseil d'État a jugé, dans le même sens, qu'une société à responsabilité limitée ayant poursuivi son activité au-delà du terme fixé par ses statuts et continué à exercer en qualité de société à responsabilité limitée jusqu'à la date de la liquidation et de la dissolution de la société -nonobstant l'effet rétroactif qu'aurait pu comporter l'acte de dissolution à l'égard des seuls associés- a été à bon droit assujettie à l'impôt sur les sociétés (CE, arrêt du 4 juin 1958, req. n° 38574, RO, p. 152).
Au cas d'espèce, il n'était pas contesté que l'être moral constitué par la société eût survécu à l'arrivée du terme prévu au contrat social. Mais la question était de savoir s'il s'était prolongé sous la forme d'une société de fait qui n'aurait pas été, à l'époque, passible de l'impôt sur les sociétés, à défaut d'option régulièrement notifiée ou sous la forme de société à responsabilité limitée. Le commissaire du gouvernement avait fait valoir à l'appui de cette thèse -retenue, en définitive, par la Haute Assemblée- que la société avait continué à fonctionner sans changement et qu'elle avait, notamment, souscrit sa déclaration dans les formes prévues pour l'impôt sur les sociétés ; il estimait, dès lors, que cette dernière avait continué à produire, à l'égard de l'administration, des effets juridiques identiques à ceux qui s'étaient manifestés avant la survenance du terme prévu par le contrat. Il avait rappelé, en outre, que la jurisprudence civile semble admettre, en l'absence d'acte exprès de prorogation, que la société dont le fonctionnement se prolonge continue de produire, à l'égard des tiers de bonne foi, les mêmes effets juridiques que par le passé. Enfin, se référant à un arrêt antérieur (CE, arrêt du 21 juin 1948, req. n° 85406, RO, p. 62), il avait indiqué que la rétroactivité de la dissolution n'est pas opposable à l'administration.
II. Sociétés conservant une activité après leur dissolution
30Si, après sa dissolution et jusqu'à la date de sa liquidation définitive, une société anonyme a conservé la propriété de son fonds de commerce, au demeurant mis en gérance, elle doit être considérée comme ayant gardé son caractère de société commerciale au sens de la loi fiscale, nonobstant sa dissolution et sa radiation du registre du commerce et bien que son activité se soit limitée, pendant la période susvisée, à la seule gestion des immeubles sociaux (CE, arrêt du 27 novembre 1964, req. n° 63238, RO, p. 198).
III. Nullité des sociétés
1. Contre-lettres.
31La nullité d'une société, prononcée par un tribunal de l'ordre judiciaire, en raison de contre-lettres faisant échec au pacte social, ne concerne que les parties contractantes et n'est pas opposable à l'administration. Cette décision de justice ne peut donc entraîner la décharge des impôts directs auxquels la société a été régulièrement soumise antérieurement (CE, arrêt du 1er juin 1964, req. n° 59591, RO, p. 105).
Au cas particulier, par une contre-lettre intervenue le même jour que celui de la constitution de la société, deux associés avaient cédé leurs parts à leur coassocié entre les mains duquel se trouvait ainsi réunie, dès l'origine, la totalité du capital social. La décision du Conseil d'État s'appuie, d'une part, sur l'article 1321 du code civil, selon lequel les contre-lettres ne peuvent avoir d'effet qu'entre les parties contractantes, mais n'en ont pas contre les tiers, d'autre part, sur les termes mêmes de l'arrêt de la Cour d'appel duquel il résultait expressément que la nullité de la société ne concernait que les parties en cause.
2. Convention de prête-nom.
32Une convention de prête-nom grâce à laquelle l'associé d'une société a dissimulé aux tiers la réunion entre ses mains de l'ensemble des parts sociales n'est pas opposable à l'administration dès lors qu'elle est restée occulte jusqu'à l'intervention du jugement constatant la cessation d'existence de la société. Dans ces conditions, l'administration est en droit d'imposer à l'impôt sur les sociétés les profits provenant de la liquidation en se fondant sur la situation apparente et en considérant que la société n'a cessé d'exister et n'a été liquidée qu'à la date dudit jugement (CE, arrêt du 12 mai 1976, req. n° 93185, RJ, II, p. 55).
3. Cession des droits sociaux entraînant la réunion en une seule main de toutes les parts ou actions d'une société.
33L'article 1844-5 du code civil prévoit que la réunion de toutes les parts sociales en une seule main n'entraîne pas la dissolution de plein droit de la société. Cependant, tout intéressé peut demander cette dissolution si la situation juridique n'a pas été régularisée dans le délai d'un an. Le tribunal peut accorder à la société un délai maximal de six mois pour régulariser la situation. Il ne peut prononcer la dissolution si, au jour où il statue sur le fond, cette régularisation a eu lieu.
Il s'ensuit que les bénéfices de l'entreprise ne pourraient être soumis à l'impôt sur le revenu au nom de l'associé unique considéré comme seul exploitant sans que la nullité de la société ait été constatée au préalable par l'autorité judiciaire.
34Deux exceptions à la dissolution judiciaire ont été apportées par la loi n° 85-697 du 11 juillet 1985.
En effet, les articles 3 et 11 de cette loi précisent que les dispositions de l'article 1844-5 du code civil ne sont pas applicables aux entreprises unipersonnelles à responsabilité limitée (EURL) et aux exploitations agricoles à responsabilité limitée (EARL) constituées par une (EURL et EARL) ou plusieurs personnes (EARL).
IV. Sociétés non immatriculées au registre du commerce
35À défaut d'immatriculation au registre du commerce, une société commerciale (SARL) n'est pas dotée de la personnalité morale. Elle revêt, par suite, le caractère d'une société de fait. Faute d'avoir été informée de cette situation, l'administration est en droit d'opposer à la société son caractère apparent de SARL, qui a pour effet de la rendre passible de l'impôt sur les sociétés.
Mais, elle ne peut refuser à un associé, en ce qui le concerne personnellement, de se prévaloir de la situation réelle, c'est-à-dire de sa qualité d'associé d'une société de fait fondé à imputer sur son revenu global, dans les mêmes conditions qu'un membre d'une société de personnes, une somme égale à la fraction correspondant à ses droits dans la société du déficit subi par celle-ci (CE, arrêt du 18 juin 1980, req. n° 15186, RJ, II, p. 67).
De même, une société anonyme que ses associés ont omis de faire immatriculer au registre du commerce n'a pas de personnalité morale ; elle doit donc être considérée comme étant en réalité une société en participation.
Ainsi, l'administration est en droit d'opposer à cette société son caractère apparent de société anonyme (et ainsi de la soumettre à l'impôt sur les sociétés). Cependant, les membres de cette société peuvent se prévaloir de la situation réelle et, notamment, de leur qualité d'associés d'une société en participation (pour déduire leur quote-part des déficits de la société) [CE, arrêt du 25 janvier 1989, n° 65429, 9e et 8e ss.].
Bien entendu, l'exploitant individuel d'une affaire ne saurait s'exonérer d'impôt sur les résultats en prétendant que l'activité est exercée par une SARL dont il est associé alors que celle-ci n'a pas été inscrite au registre du commerce (CE, arrêt du 9 mai 1990, n° 57 085, 8e et 9e ss.).