CHAPITRE 2 MESURES TENDANT A ÉLIMINER L'ÉVASION FISCALE INTERNATIONALE
CHAPITRE 2
MESURES TENDANT A ÉLIMINER L'ÉVASION FISCALE INTERNATIONALE
SECTION 1
Transferts indirects de bénéfices à l'étranger entre entreprises dépendantes
(CGI, art. 57)
1La croissance du commerce international a entraîné une multiplication des entreprises ayant une activité internationale. L'implantation de ces entreprises est généralement influencée par des facteurs tels que la stabilité politique et financière des États ; elle l'est également par le régime fiscal applicable au lieu du siège. Aussi les groupes internationaux, désireux de prendre des participations dans le capital de sociétés nationales, recourent-ils assez souvent au truchement de sociétés relais (base companies) créées dans les États à faible fiscalité. Ces sociétés permettent d'accumuler dans le pays refuge une partie importante des bénéfices,réalisés dans les pays où s'exerce l'activité.
Ces transferts anormaux de bénéfices peuvent revêtir les aspects les plus divers ; ils prennent généralement la forme de paiement de redevances excessives pour l'utilisation de brevets ou de marques de fabrique ou d'une participation élevée aux dépenses d'intérêt commun ou de recherche du groupe ; ils résultent aussi d'opérations de vente ou d'achat à des prix minorés ou majorés.
2Pour faire face à cette situation, les États ont été amenés à imposer les transferts indirects de bénéfices réalisés à l'occasion des échanges qui s'établissent entre sociétés faisant partie du même groupe.
Dans la législation française, l'article 57 du CGI autorise expressément l'Administration à redresser, sous le contrôle des tribunaux, les résultats déclarés par les entreprises françaises relevant de l'impôt sur le revenu ou passibles de l'impôt sur les sociétés qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France. Au plan international, les conventions tendant à éviter les doubles impositions prévoient également des dispositions similaires à celles de l'article 57.
3La mise en jeu de ces dispositions n'a pendant longtemps concerné que les entreprises de très grande dimension, relevant pour la plupart de la Direction des Vérifications Nationales et Internationales (DVNI). Mais le développement de l'activité internationale rend possible l'apparition de phénomènes de transferts occultes de bénéfices au niveau d'entreprises de taille relativement moyenne. C'est pourquoi l'attention du service est appelée sur la nécessité de surveiller attentivement les transactions entre sociétés apparentées en vue de déceler de tels transferts occultes et de mettre en jeu l'article 57 lorsque des facturations anormales auront été relevées.
4La présente section décrit les conditions légales d'application de l'article 57, puis la procédure applicable. Elle rappelle brièvement l'incidence des conventions internationales en cette matière. Elle expose ensuite les modalités de mise en oeuvre de l'article L 13 B qui prévoit, dans le cadre de la vérification de comptabilité des entreprises, la possibilité pour l'administration de demander selon une procédure spécifique écrite, des informations sur les modalités selon lesquelles a été défini le prix des transactions entre une entreprise et des entreprises situées à l'étranger. Elle expose enfin la procédure d'accord préalable mise en place par l'administration en matière de prix de transfert.
SOUS-SECTION 1
Conditions d'application de l'article 57
1Pour se prévaloir des dispositions de l'article 57 du CGI, l'Administration doit, en premier lieu, établir l'existence de liens de dépendance entre l'entreprise française et l'entreprise étrangère ; cette condition n'est toutefois plus exigée depuis le 1er janvier 1982, lorsque le transfert s'effectue avec des entreprises établies dans des pays à fiscalité privilégiée au sens de l'article 238-A, alinéa 2, du code précité. En second lieu, il convient d'apporter la preuve de la réalité du transfert indirect de bénéfices au profit de l'entreprise étrangère.
A. EXISTENCE DES LIENS DE DÉPENDANCE
2L'article 57 joue à l'égard, soit d'une entreprise française placée sous la dépendance d'une entreprise étrangère, soit d'une entreprise française ayant sous sa dépendance une entreprise étrangère, soit enfin d'une entreprise française placée, en même temps qu'une ou plusieurs entreprises étrangères, sous la commune dépendance d'une même entreprise, d'un groupe ou d'un consortium.
L'article 57 ne donne pas de définition de la notion de dépendance qui peut être juridique ou simplement de fait.
I. Dépendance juridique
3Une entreprise française est placée sous la dépendance d'une entreprise étrangère, lorsque cette dernière possède une part prépondérante de son capital ou la majorité absolue des suffrages susceptibles de s'exprimer dans ses assemblées. Il en est de même lorsque l'entreprise étrangère exerce, au sein de l'entreprise française, directement ou par personnes interposées, des fonctions comportant le pouvoir de décision.
C'est ainsi qu'un lien de dépendance a été considéré comme établi entre deux sociétés dont l'une détenait la majorité des actions ou des parts de l'autre et qui, par ailleurs, étaient administrées par les mêmes dirigeants ou administrateurs (CE, arrêt du 3 janvier 1946, req. n° 71963. RO, p. 3).
4Par personne interposée, il faut comprendre :
- les gérants, administrateurs, directeurs de l'entreprise dirigeante (et les membres de leur famille) ;
- toute entreprise placée elle-même sous la dépendance de l'entreprise dirigeante ;
- toute personne qui possède un intérêt dans le commerce ou l'industrie de chacune des entreprises, ou une part de leur capital.
Ainsi par exemple l'existence d'un lien de dépendance entre deux sociétés est établi lorsque la quasi-totalité du capital de la société française est détenu indirectement par la société étrangère, cette dernière exerçant en outre un contrôle sur les produits fabriqués par la société française (CE, arrêt du 25 janvier 1989, req. n° 49847).
5L'article 57 est susceptible de trouver application notamment dans les relations entre sociétés mères et filiales (CE, arrêts du 23 mai 1960, req. n° 42218 ; du 23 février 1966, req. n° 64449. RO, p. 73 ; du 18 avril 1966. req. n° 63621). Toutefois, la notion de dépendance étant également une question de fait, on ne saurait être tenu par la définition restrictive de l'article 145 du CGI qui conditionne l'application du régime fiscal prévu en faveur de ces sociétés.
II. Dépendance de fait
6Si la dépendance juridique ne peut être démontrée, il faut s'en tenir à la constatation d'une dépendance de fait. Le lien de dépendance peut être contractuel ou découler des conditions dans lesquelles s'établissent les relations entre deux entreprises.
Une jurisprudence abondante illustre cette notion de dépendance de fait.
C'est ainsi qu'un lien de dépendance a été constaté dans le cas d'une société française liée par contrat à une société étrangère qui fixait les prix d'achat et de vente pratiqués par la première, laquelle devait rendre compte de ses opérations et verser des redevances importantes pour le seul usage de la marque dont l'entreprise étrangère était propriétaire (CE, arrêt du 23 mars 1953, req. n° 75326, RO, p. 226).
De même, dans un arrêt du 6 mai 1966 (req. n° 62129, RO, p. 159), il a été jugé qu'une société française, obtenant certains de ses marchés par l'intermédiaire d'une société marocaine à laquelle elle verse sur la totalité de ses bénéfices, y compris ceux provenant de marchés dans la conclusion desquels la société marocaine n'est pas intervenue, des sommes hors de proportion avec les services rendus par cette dernière société, doit être regardée comme se trouvant sous la dépendance de la société étrangère au sens de l'article 57 du code.
L'existence d'un lien de dépendance a également été reconnue par le Conseil d'État, dans une espèce où une entreprise française et une entreprise étrangère dont les raisons sociales étaient les mêmes, avaient pour objet la fabrication d'objets de même nature, utilisaient le concours des mêmes représentants et se partageaient, le cas échéant, entre elles les commandes recueillies par lesdits représentants (CE, arrêt du 29 janvier 1964, req. n° 47515, RO, p. 20).
Dans un arrêt du 3 août 1942 (req. n° 65810, RO, p. 117), le Conseil d'État a jugé qu'une entreprise française devait être considérée comme placée sous la dépendance d'une entreprise étrangère lorsque, n'ayant pu fonctionner au cours de ses premiers exercices, avec un capital modique, que grâce aux avances très importantes qui lui avaient été consenties par cette dernière, elle se bornait à exploiter en France les brevets et procédés appartenant à la société étrangère qui, par ses représentants, contrôlait régulièrement son activité et sa comptabilité.
Enfin, la Haute Assemblée s'est prononcée sur le cas d'une société qui fabriquait en France des électrophones automatiques sous une marque commerciale dont le propriétaire résidait en Suisse. Ce dernier n'était lié par aucun contrat à la société fabriquante et il pouvait à tout moment lui interdire l'usage de la marque. Il était, en outre, le principal acheteur étranger des produits fabriqués et il intervenait dans la gestion et dans la commercialisation en France des appareils vendus à d'autres clients, conjointement avec son fils qui possédait 69 % des parts de la société fabriquante et assumait les fonctions de directeur commercial.
Il a été jugé qu'il résultait de ces circonstances que la société se trouvait sous la dépendance de l'exploitant suisse, propriétaire de la marque. Comme, d'autre part, la société consentait à celui-ci des prix inférieurs à ceux qu'elle pratiquait à l'égard des autres clients sans établir que les conditions de vente étaient justifiées par son intérêt commercial, le Conseil d'État a décidé que les sommes correspondant à ces diminutions de prix constituaient des bénéfices transférés à l'étranger (CE, arrêt du 2 juin 1976, req. n° 94758, RJ, n° II, p. 67).
III. Exception : transferts effectués avec des entreprises établies dans des pays à régime fiscal privilégié
7La preuve du lien de dépendance est souvent difficile, voire même impossible à apporter, lorsque des relations s'établissent entre des entreprises françaises et des entreprises étrangères domiciliées dans des pays à régime fiscal privilégié, compte tenu du secret généralement maintenu par les propriétaires réels de ces dernières.
8Pour remédier à cette difficulté, l'article 90 de la loi de Finances pour 1982, dont les dispositions codifiées sous le deuxième alinéa de l'article 57 du CGI sont entrées en vigueur à compter du 1er janvier 1982, dispense dorénavant l'Administration de prouver le lien de dépendance ou de contrôle pour les transferts de bénéfices effectués au profit d'entreprises établies dans un État étranger ou dans un territoire situé hors de France dont le régime fiscal est privilégié.
9Dans cette hypothèse, la condition relative au lien de dépendance est supprimée purement et simplement. L'entreprise n'est pas fondée à établir l'absence de lien de dépendance.
1. Entreprises concernées.
10Les dispositions du deuxième alinéa de l'article 57 du CGI trouveront à s'appliquer dès lors que l'opération commerciale susceptible de donner lieu à un transfert de bénéfice aura été réalisée avec une entreprise domiciliée dans un pays à fiscalité privilégiée ou l'établissement installé dans un pays à fiscalité privilégiée, d'une entreprise dont le siège se trouve dans un pays à fiscalité normale.
11La forme de l'entreprise ou de l'établissement et la nature de son activité resteront sans incidence sur la mise en oeuvre des nouvelles dispositions.
2. Notion de régime fiscal privilégié.
12La notion de régime fiscal privilégié est explicitée au deuxième alinéa de l'article 238-A du CGI, qui précise que les personnes domiciliées ou établies hors de France « sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l'État ou le territoire considéré si elles n'y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus notablement moins élevés qu'en France ».
Les difficultés relatives à l'application de la notion de « régime fiscal privilégié » seront soumises au service de la Législation fiscale (sous-direction E).
13C'est, bien entendu, au service qu'il appartiendra d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'impôt, si l'entreprise bénéficiaire se trouve dans cette situation. En ce qui concerne les recherches à entreprendre pour parvenir aux constatations de fait sur lesquelles le service devra fonder son estimation, cf. DB 4 C 9113 .
B. EXISTENCE D'UN TRANSFERT DE BÉNÉFICES À L'ÉTRANGER
14Pour opérer les redressements prévus par l'article 57 du code, l'Administration doit démontrer non seulement que l'entreprise française,est placée sous la dépendance d'une entreprise étrangère ou en possède le contrôle, mais encore que les opérations faisant l'objet de redressement sont constitutives d'un transfert indirect de bénéfices à l'étranger ne relevant pas de la gestion normale de l'entreprise.
15S'agissant d'entreprises apparentées, contrôlées par des groupes industriels et financiers ayant des ramifications au plan international, les procédés de transfert utilisés conduisent généralement à localiser la majeure partie des bénéfices du groupe dans les pays où l'impôt est le moins élevé.
16Aux termes de l'article 57, ces transferts indirects de bénéfices peuvent être opérés, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen.
Parmi ces autres moyens, on peut citer notamment :
- le versement de redevances excessives ou sans contrepartie ;
- l'octroi de prêts sans intérêt ou à un taux réduit ;
- les remises de dettes (renonciation aux intérêts stipulés par les contrats de prêt) ;
- l'attribution d'un avantage hors de proportion avec le service obtenu.
I. Achats à prix majorés ou ventes à prix minorés
17Dans le cadre des relations d'affaires qui s'établissent entre sociétés affiliées, les sociétés de vente constituent des débouchés naturels pour l'écoulement de la production du groupe.
Il convient dans ce cas de s'assurer que les achats de la filiale auprès de l'entreprise étrangère ne sont pas faits à des prix majorés ou que les ventes à l'entreprise étrangère ne sont pas effectuées à des prix minorés. Ces moyens peuvent être, en effet, utilisés pour transférer indirectement à l'étranger une partie des bénéfices réalisés par la société française (CE, arrêt du 29 janvier 1964, req. n° 47515, RO, p. 20 ; 13 avril 1964, req. n° 56173, RO, p. 69).
Pour apprécier l'existence d'un tel transfert, il faut se référer aux prix auxquels le fabricant étranger vend généralement les mêmes produits à des sociétés indépendantes. Il sera souvent utile de consulter, à cet égard, les services de la Direction générale des Douanes et Droits indirects.
Dans un arrêt du 17 juin 1959 (req. n° 38476, RO, p. 446), le Conseil d'État a jugé que constituait un transfert de bénéfices, au sens de l'article 57, l'avantage qu'une société française procurait à sa filiale étrangère en lui vendant ses produits à des prix sensiblement inférieurs, tant à ceux pratiqués sur le marché français qu'aux cours internationaux des mêmes produits (cf. également CE, arrêt du 23 mai .1960, req. n° 42218 ; du 29 janvier 1964, req. n° 47515, RO, p. 20).
En ce qui concerne une société française, filiale d'une société étrangère, qui, agissant en qualité de commissionnaire exclusif de cette dernière, lui a facturé, à l'occasion de l'exportation de marchandises, des commissions calculées sur une base insuffisante et selon un taux inférieur aux usages de la profession, il a été jugé qu'en raison des liens de dépendance mutuelle existant entre les deux entreprises, une telle pratique avait eu pour effet de transférer indirectement hors de France des bénéfices que l'Administration a pu, à bon droit, réintégrer dans les résultats imposables de la société française, par application de l'article 57 du CGI, alors même qu'ils auraient été taxés à l'étranger (CE, arrêt du 5 février 1975, req. n° 90788 et 91255, RJ, n° II p. 16 ; voir aussi l'arrêt du 2 juir 1976, req. n° 94758, ci-dessus n° 6 ).
18Mais pour démontrer la sur-facturation (ou la sous-facturation), l'Administration se heurte à des difficultés qui tiennent :
- en premier lieu, à la spécificité des produits importés qui rend souvent délicat l'emploi des termes de comparaison ;
- en second lieu, et surtout, au fait que l'Administration n'est pas autorisée à rechercher auprès de l'entreprise étrangère si celle-ci pratique ou non, à l'égard de sa filiale, des prix de vente différents de ceux qu'elle consent à ses autres clients.
Au cas où le service se heurterait à des difficultés de cette nature, il est invité à en saisir l'Administration centrale.
En ce qui concerne la possibilité pour l'administration de demander des informations sur les modalités selon lesquelles a été défini le prix des transactions entre une entreprise et des entreprises situées à l'étranger, cf. DB 4 A 1214 .