B.O.I. N° 86 DU 4 OCTOBRE 2010
2. EXISTENCE DE L'APPRECIATION D'UNE SITUATION DE FAIT AU REGARD D'UN TEXTE
76. Il y a appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte quand l'administration tire les conséquences juridiques d'une situation donnée .
A partir des éléments portés à sa connaissance, l'administration donne un avis juridique qui l'engage dès lors que le contribuable qui l'a sollicité se conforme à la présentation sincère des faits qu'il lui a faite.
Il s'agit d'une relation quasi-contractuelle entre le contribuable et l'administration fiscale, celle-ci pouvant même être amenée dans sa prise de position formelle à déterminer les conditions que doit satisfaire le contribuable qui l'a saisie pour que sa situation de fait entre dans le champ des dispositions dont il sollicite le bénéfice. Seul le respect de ces conditions lui permet alors de se prévaloir de la prise de position formelle.
L'approche du principe d'égalité par le Conseil d'Etat (CE du 9 juillet 2007 Syndicat des avocats de France n° 288720) peut utilement être adaptée à l'approche de la procédure de rescrit par l'administration fiscale : le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'administration fiscale règle de façon différente des situations différentes ni qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit, dans l'un comme l'autre cas, en rapport avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des différences de situations susceptibles de la justifier.
2-1. Cas où il peut y avoir appréciation d'une situation de fait qui engage l'administration (liste non exhaustive)
77.Les exemples qui suivent ne sont pas limitatifs.
- La qualification d'une activité :
• détermination du régime applicable en fonction de la catégorie des revenus ;
• fixation des conditions de taxation des profits tirés d'une opération immobilière.
A cet égard, un rescrit spécifique a été créé permettant au contribuable de demander à l'administration de prendre position :
• soit sur la catégorie de revenus dont relève leur activité professionnelle (bénéfices industriels et commerciaux ou bénéfices des professions non commerciales),
• soit sur la nature de l'impôt dû, s'agissant d'une société civile.
Pour plus d'informations, il convient de se reporter à la sous-section n° 6, n° 258 et suivants.
- La détermination de la base d'imposition :
• admission d'une déduction supplémentaire pour frais professionnels (CE, arrêt du 17 décembre 1980, n° 19221) ;
• acceptation formelle d'un taux d'amortissement ou du mode de calcul d'une provision (CE, arrêt du 3 novembre 1978, n° 5782 et 5783).
- La localisation du domicile fiscal : reconnaissance de la qualité de résident ou non-résident
- Le traitement d'une réclamation contentieuse :
• les motifs d'une décision de dégrèvement peuvent caractériser l'appréciation d'une situation de fait qui engage l'administration dès lors que la motivation est suffisamment explicite et sans ambiguïté ;
• la notification de redressement par laquelle l'administration admet que le contribuable peut compter à sa charge les enfants de sa concubine, constitue une prise de position formelle au sens de l'article L 80 B (CAA Nancy, arrêt du 27 novembre 2003, n° 99-844) ;
• la réponse par laquelle l'administration statuant sur une demande de plafonnement de la taxe professionnelle en fonction de la valeur ajoutée, admet d'exclure de la production de l'exercice certaines subventions constitue une prise de position formelle sur l'appréciation de la situation de fait du contribuable au sens de l'article L 80 B (CE, arrêt du 29 décembre 2000, n° 199296).
2-1. Cas où il n'y a pas appréciation d'une situation de fait emportant prise de position formelle (liste non exhaustive)
78.L'administration ne se livre pas à l'appréciation d'une situation de fait par exemple dans les cas suivants :
- en matière d'assiette de l'impôt :
• en remboursant un crédit de taxe à la demande d'un contribuable, l'administration ne se livre pas à une appréciation de la situation de fait du contribuable et n'est donc pas engagée par le remboursement réalisé ;
• une décision du comptable des impôts de procéder, lors de l'enregistrement d'une convention de quasi-usufruit portant reconnaissance d'un don manuel, à la liquidation du seul droit fixe, n'a pas constitué une prise de position opposable à l'administration privant celle-ci du droit d'exiger et de percevoir les droits de mutation au moment de la déclaration du donataire (Cass. com. 4 décembre 2007 n° 06-19.251 (n° 1308 F-D), Portier).
- en matière de contrôle fiscal :
• l'absence de rehaussement opéré par l'administration au titre d'une charge comptabilisée à la clôture de l'exercice précédent ne peut être regardée comme une prise de position formelle sur la situation de fait du contribuable (CE, arrêt du 28 mai 2003, n° 237967) ;
• il en est de même en cas d'absence de remise en cause par l'administration, à l'issue d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle, du caractère nouveau d'une activité au regard des dispositions de l'ancien article 44 quater du code général des impôts (CE, arrêt du 20 novembre 2002, n° 234600) ;
• plus généralement, l'absence de rehaussement lors d'un précédent contrôle ne vaut pas prise de position formelle sur une situation de fait au regard d'un texte fiscal (CE arrêt du 26 novembre 2007, n° 276262).
- en matière contentieuse :
• une décision de dégrèvement prise à la suite d'une procédure irrégulière : un dégrèvement prononcé aux motifs de l'irrégularité de la procédure menée à l'encontre du contribuable ne constitue pas une appréciation de la situation de fait dans laquelle se trouvait ce contribuable ; dès lors, des rehaussements peuvent à nouveau être notifiés au contribuable en cause, d'une part, pour la même période (sous réserve du délai de reprise) et d'autre part, s'il y a lieu, pour les années suivantes ;
• une décision de dégrèvement ne comportant aucune motivation (CE, arrêt du 8 mars 2002, n° 221667 ; CE, arrêt du 18 mai 2005, n° 264718 ; CE, arrêt du 25 mai 2005, n° 253199) ;
• une décision de dégrèvement d'office (CE, arrêt du 18 février 2008, n° 295460) ;
• la suite donnée à un jugement de première instance : le fait pour l'administration de ne pas avoir relevé appel d'un jugement de première instance ayant donné satisfaction au contribuable ne peut pas être regardé comme une prise de position formelle de la situation de fait de ce contribuable au regard d'un texte fiscal (rapprocher CE, arrêts du 2 juin 1976, n os 89308 et 89361).
2-1. Une situation strictement identique à celle formellement appréciée
79.Dans les cas où l'administration a tiré les conséquences fiscales de l'appréciation d'une situation de fait, la garantie prévue par l'article L 80 B 1° ne peut être invoquée par le contribuable concerné, pour une imposition postérieure à la prise de position de l'administration, que si la situation en cause est strictement identique à celle qui a été formellement appréciée par l'administration et si le contribuable satisfait l'ensemble des conditions d'application de l'interprétation qu'elle a admise appliquer dans sa rédaction littérale et dans tous ses termes portant sur un même objet. Le contribuable doit donc se conformer, sans restriction, à la solution admise.
L'interprétation dont le contribuable entend se prévaloir ne peut pas être étendue à d'autre(s) situation(s) que celle(s) qu'elle vise. Ainsi, par exemple, l'interprétation qu'il invoque n'est opposable à l'administration que pour autant qu'elle concerne l'impôt contesté et, au sein de cet impôt, le même texte fiscal.
3. NOTION DE TEXTE FISCAL
80.Le texte fiscal est celui qui se rapporte à l'assiette, au taux, à la liquidation de l'impôt ou aux règles de prescription (CE, arrêts du 28 novembre 1997, n os 125920 et 165287). Il peut s'agir d'une convention internationale, d'un texte législatif ou réglementaire ou de l'interprétation que l'administration en a fait connaître au sens du 2 nd alinéa de l'article L 80 A.
81.Conformément à la jurisprudence du Conseil d'État déjà évoquée (cf. ci-dessus n° 25 et 26 ) rendue pour l'application du L 80 A mais transposable en ce qui concerne l'article L 80 B, ne constituent pas des « textes fiscaux » pour l'application de l'article L 80 B, notamment, les prises de position relatives :
- à la procédure d'imposition 11 : sans qu'il soit possible d'établir une liste exhaustive, la procédure d'imposition s'entend, par exemple, de la saisine de la commission départementale ou de la mise en demeure préalable ; le Conseil d'Etat a rappelé dans un arrêt du 31 mars 2006 (arrêt n° 265953, 9ème s/s) que l'article L 80 A n'était pas applicable en matière de procédure d'imposition notamment lors d'une mise en demeure préalable à la procédure de taxation d'office pour défaut de déclaration ;
- au recouvrement de l'impôt 12 ;
- aux modalités d'application des pénalités 13 (majorations et intérêts de retard) ;
- à la procédure contentieuse 14 ;
- et aux obligations comptables des contribuables.
4. MODIFICATIONS ISSUES DE L'ARTICLE 5 DE LA LOI DE MODERNISATION DE L'ECONOMIE
82.L'article 5 de la loi de modernisation de l'économie (LME) n° 2008-776 a instauré de nouvelles possibilités pour le contribuable qui veut demander l'appréciation de l'administration fiscale sur sa situation de fait au regard des dispositions générales.
83.Cette demande est désormais assortie d'un délai de réponse de l'administration fiscale de trois mois. Le contribuable doit pour cela déposer une demande écrite selon des modalités particulières (Art. R* 80 B-11 à 14).
4-1. Saisine écrite de l'administration
4-1-1. Contenu de la demande (Art. R* 80 B-11)
84.La demande doit préciser le nom ou la raison sociale et l'adresse de son auteur. De plus, elle doit comporter une présentation précise complète et sincère de la situation de fait en distinguant, le cas échéant, selon les dispositions concernées, les catégories d'informations nécessaires pour permettre à l'administration fiscale d'apprécier si les conditions requises par la loi sont effectivement satisfaites.
85.Le contribuable qui saisit l'administration fiscale doit indiquer les dispositions qu'il entend appliquer.
4-1-2. Modalités de dépôt de la demande (Art. R* 80 B-12)
86.La demande doit être adressée par pli recommandé avec demande d'avis de réception postal.
87.Elle peut également faire l'objet d'un dépôt contre décharge.
88.Il est précisé, comme le mentionnent les paragraphes n°41 et 42, que les courriers électroniques (courriels) ne sont, en principe, pas assimilés à des demandes écrites et signées.
4-1-3. Lieu de dépôt (Art. R* 80 B-12 et R* 80 B-14)
89.La demande doit être adressée à la direction dont dépend le service auprès duquel le contribuable est tenu de souscrire ses obligations déclaratives en fonction de l'objet de la demande. Elle peut également faire l'objet d'un dépôt auprès des services centraux de la direction générale des finances publiques.
90.Lorsque la demande parvient à un service incompétent, ce service la transmet sans délai au service compétent et en informe l'auteur de la demande. Dans ce cas, le délai prévu au 1° de l'article L 80 B court à compter de la date de réception par le service compétemment saisi.
91.En principe, un contribuable (ou son représentant) de bonne foi, au sens des articles L 80 A et L 80 B, n'a pas à saisir, pour une même demande ou l'application d'une même disposition, plusieurs services différents, d'autant que, dans l'hypothèse d'une erreur du contribuable sur le lieu de dépôt, il appartient à l'administration de transmettre sa demande au service compétent et de l'en informer.
Par conséquent, la saisine par un contribuable (ou son représentant) de plusieurs services, simultanément ou successivement, sans que chacun en soit expressément informé, pourra, en règle générale, être considérée comme abusive, en particulier, s'il est relevé, par exemple, l'absence manifeste de tout fondement à agir ainsi ou le caractère malintentionné d'une telle démarche visant notamment à rechercher la multiplication des prises de position de l'administration sur une même demande. Dans une telle situation, la bonne foi du contribuable, au sens des articles L 80 A et L 80 B, ne pourrait être retenue : sa demande ne pourrait alors recevoir une suite favorable et les réponses obtenues ne seraient pas opposables.
4-1-4. Demande incomplète (Art. R* 80 B-13)
92.Lorsque la demande adressée par le contribuable est incomplète, l'administration adresse, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception postal, un courrier sollicitant les renseignements complémentaires nécessaires à sa prise de position formelle.
93.Les éléments produits par le contribuable doivent être adressés selon les modalités prévues pour le dépôt de la demande aux n° 86 et suivants.
4-1. Délai de réponse de l'administration
94.Lorsqu'elle est saisie d'une demande écrite, précise et complète par un contribuable de bonne foi, l'administration se prononce dans un délai de trois mois à compter de la réception de la demande ou, si la demande était incomplète, à compter de la réception des compléments demandés. Seule une réponse expresse de l'administration fiscale l'engage.
5. EXISTENCE D'UN REHAUSSEMENT
95.Conformément au texte du 1 er alinéa de l'article L 80 A, l'article L 80 B 1° ne concerne que les cas où l'administration procède à un rehaussement d'impositions antérieures. La garantie prévue par cet article ne peut donc faire échec qu'aux compléments d'imposition venant s'ajouter aux impositions initiales précédemment mises en recouvrement (cf. n° 30 et s. ).
96.La jurisprudence a, à plusieurs reprises, rappelé et confirmé ces principes :
- un contribuable ne peut pas se prévaloir des dispositions de l'article L 80 B lorsqu'il fait l'objet d'une imposition primitive (notamment, CE, arrêt du 3 juin 1998, n° 157667 ; CE, arrêt du 2 octobre 2006, n° 270954 ; CE, arrêt du 6 juin 2007, n° 284826 ; plus récemment, CE 26 mars 2008, n° 278858, Association Pro-Musica) ;
- le rehaussement qui vise à remettre en cause l'exonération de droits de mutation dont bénéficiait l'opération litigieuse initialement soumise à la TVA ne constitue pas un rehaussement d'impositions antérieures au sens des articles L 80 A et L 80 B (par exemple, CE, arrêt du 11 juillet 2006, n° 1016) ;
- un contribuable dont les bénéfices professionnels ont été évalués d'office à défaut de déclaration ne peut se prévaloir des dispositions de l'article L 80 B puisque la condition relative au rehaussement d'une imposition primitive n'est pas satisfaite (CE, arrêt du 26 octobre 1979, n° 7962 ) . Il en est de même pour les contribuables taxés d'office pour défaut de souscription des déclarations visées à l'article L 66.
97.Cela étant, il est admis de considérer comme des cas de rehaussement auxquels la garantie du 1 er alinéa de l'article L 80 A s'applique, le rehaussement d'une base d'imposition régulièrement déclarée mais n'ayant pas fait l'objet d'une imposition, ou la taxation initiale d'un contribuable de bonne foi placé, conformément à une prise de position formelle de l'administration à la suite d'une demande écrite de sa part, hors du champ d'application de l'impôt et n'ayant en conséquence pas souscrit de déclaration. Dans ces deux situations dérogatoires, l'interprétation revendiquée par le contribuable doit avoir été exprimée antérieurement à l'expiration du délai de déclaration dont il disposait (cf. n° 31 ).