SOUS-SECTION 1 EXPERTISE
b. Motivation de la décision ordonnant ou refusant l'expertise.
1° Motivation explicite ou implicite.
17 Lorsqu'il s'estime suffisamment informé en l'état du dossier pour trancher valablement le litige, le tribunal administratif n'est jamais tenu d'ordonner une expertise, même régulièrement demandée ; mais il doit normalement exposer d'une manière expresse les raisons pour lesquelles il refuse cette mesure d'instruction.
18Toutefois, le Conseil d'État considère que lorsque le tribunal omet de répondre explicitement à des conclusions à fin d'expertise, cette circonstance n'est pas, par elle-même, de nature à vicier le jugement, dès lors qu'il ressort clairement des motifs du jugement que le tribunal -qui a rejeté la demande en se fondant exclusivement sur des motifs de droit, sans mettre en cause les éléments de preuve dont le contribuable se prévalait, ni invoquer de faits autres que ceux admis par les parties- a entendu écarter l'expertise comme sans intérêt pour la solution du litige (CE, arrêts des 21 juin 1961, n° 41428, Leb. chron., p. 424, RO, p. 385 et 16 juin 1971, n° 79272, RJ, n° IV, p. 105).
Est suffisamment motivé le jugement du tribunal administratif qui s'est prononcé expressément sur la valeur probante de la comptabilité du contribuable et des pièces justificatives produites par celui-ci (CE. arrêt du 17 octobre 1979, n° 8558) ou qui indique que le juge de l'impôt a estimé l'expertise demandée inutile en l'absence d'éléments sur lesquels elle aurait pu porter (CE, arrêt du 18 mai 1979, n° 8154).
2° Contenu de la décision. Contrôle.
19Comme il a été indiqué précédemment, le tribunal peut refuser l'expertise s'il s'estime suffisamment éclairé en l'état du dossier mais sa décision est soumise au contrôle du juge d'appel.
20À cet égard, un contribuable n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement par lequel le tribunal administratif a refusé l'expertise sollicitée des lors qu'il n'est pas établi que ce refus ait été fondé sur des motifs erronés en droit ou en fait (CE, arrêt du 13 juillet 1966, n° 64247, RO, p. 229). Il en va de même en cas de refus d'ordonner une nouvelle expertise dès lors que le contribuable n'établit pas que ce refus ait été fondé sur des motifs erronés en droit ou en fait (CE, arrêt du 5 février 1968, X... André, n° 71772, RJ, 2e partie, p. 32).
Mais un contribuable est fondé à demander l'annulation d'un jugement qui refuse d'ordonner une expertise :
- pour des motifs juridiquement erronés, en ce qui concerne la valeur de la comptabilité offerte (CE, arrêt du 11 juillet 1958, n° 34010, RO, p. 197, Leb. chron., p. 884) ou la possibilité d'apporter d'autres preuves (CE, arrêt du 19 juin 1957, n° 31938, RO, p. 371, Leb. chron., p. 399) ;
- pour le motif que la comptabilité du contribuable ne serait pas probante, s'il ne l'a pas lui-même examinée (CE, arrêt du 9 novembre 1960, n° 45753, RO, p. 188) ou que seule une comptabilité régulière permettrait au contribuable d'apporter la preuve qui lui incombe, car cette preuve peut être faite par des moyens extra-comptables (CE, arrêt du 6 février 1959, n° 24652, RO, p. 356).
III. Nombre et désignation des experts
21En principe, l'expertise est faite par un seul expert. Toutefois, le tribunal peut estimer nécessaire d'en nommer plusieurs (C. TA-CAA, art. R 159).
Dans le cas où l'expertise doit être faite par un seul expert, celui-ci est désigné par le président du tribunal administratif.
Si l'expertise est confiée à trois experts, l'un d'eux est désigné par le président du tribunal administratif et chacune des parties est appelée à nommer un expert (LPF, art. R* 200-9 ).
La désignation de l'expert de l'Administration incombe donc au directeur des Services fiscaux (CE, arrêt du 22 juillet 1910. n° 31707, dame X... , RO, 4334, Leb. chron., p. 612, 1re esp.).
Si les parties ont fait connaître d'avance dans leurs requêtes ou mémoires la personne qu'elles choisissent comme expert ou si elles désignent leur expert à l'audience ou l'expertise est ordonnée, le président du tribunal ratifie le choix de l'expert ainsi effectué et désigne lui-même le troisième expert.
Les parties qui n'ont pas désigné leur expert dans leurs requêtes ou mémoires et qui ne sont pas présentes à l'audience sont invitées au moyen d'une notification (C. TA-CAA, art. R 139 et R 140), à procéder à cette désignation dans un délai de huit jours à compter de ladite notification. Le président du tribunal administratif procède d'office à la nomination de l'expert dont la désignation n'est pas parvenue au greffe dans ce délai (LPF, art. R* 200-9 ).
À cet égard, une demande d'expertise ne saurait être considérée comme non avenue du fait que le contribuable n'a pas désigné son expert, si ce contribuable n'a pas été invité, par une mise en demeure spéciale, à faire ladite désignation (CE, arrêt du 3 février 1933, n°s 27392 et 27393, société L'Alimentation du Poitou, Bull., n° 8, 1933, p. 115, TJCA, n° 119005, Leb. chron., p. 154, 1re esp.).
IV. Choix des experts
22Les fonctionnaires affectés à la direction de l'Administration des impôts à laquelle a incombé l'établissement de l'imposition contestée ne peuvent être désignés comme experts (LPF, art. R* 200-10 ). En ce qui concerne la désignation comme expert de l'Administration d'un membre de la commission communale des impôts directs, voir arrêt du 30 janvier 1892, n° 74392, X... , RO, 3614, Leb. chron., p. 94, 2e esp.
Il en est de même des personnes qui ont été constituées mandataires par l'une des parties au cours de l'instruction (LPF, art. R* 200-10 ).
D'une manière générale, toutes les personnes qui ont eu à connaître de l'affaire à un titre quelconque sont tenues, avant d'accepter d'être désignées comme expert, de le faire connaître au tribunal ; celui-ci apprécie s'il y a empêchement (C. TA-CAA, art. R 162).
23Toutes les personnes autres que celles visées ci-dessus peuvent, en principe, être désignées comme expert soit par le président du tribunal administratif, soit par le requérant, soit par l'Administration, sous réserve bien entendu de l'exercice éventuel par les parties de leur droit de récusation (cf. ci-après, n°s 36 et suiv. ).
Rien ne s'oppose à ce que l'Administration choisisse notamment comme expert :
- l'architecte d'une commune, pour la vérification d'une réclamation concernant des propriétés situées dans cette commune (CE, arrêt du 27 décembre 1854, X... , RO, 113) ;
- un conseiller municipal (CE, arrêt du 18 juillet 1873, X... , RO, 2490) ;
- un vérificateur des poids et mesures (CE, arrêt du 19 décembre 1930, n° 10784, RO, 5521, Leb. chron., p. 1080, 1re esp.) ;
- les agents voyers, les conducteurs des ponts et chaussées et autres préposés des administrations publiques (CE, arrêts des 14 juin 1861, X... , RO, 1144, 7 novembre 1873, X... , RO, 2447 et 29 mai 1861, X... , RO, 1204).
Mais aucune disposition de loi n'impose au tribunal administratif [actuellement le président du tribunal] ni à l'Administration de choisir des experts résidant dans un lieu aussi rapproché que possible de celui où l'expertise doit être faite (CE, arrêt du 7 mai 1945, X... , RO, p. 266). De même, le tribunal [actuellement : le président du tribunal], étant libre du choix du tiers expert, n'est pas tenu de désigner un technicien de la profession exercée par le contribuable (CE, arrêt du 22 décembre 1967, n° 70027, Leb. chron., p. 755).
Enfin, rien ne s'oppose à ce que l'Administration nomme le même expert pour la vérification des réclamations présentées deux années de suite par le même contribuable (CE, arrêt du 19 décembre 1861, n° 32818, X... , RO, 1145, Leb. chron., p. 904) et à ce que le tribunal [actuellement : le président du tribunal] choisisse le même expert pour deux expertises successives concernant le même litige (CE, section, arrêt du 6 mars 1970, req. n° 75541, RJ, n° IV, p. 43).
V. Jugement concernant l'expertise
1. Contenu du jugement concernant l'expertise.
24Le tribunal administratif rend un ou plusieurs jugements avant dire droit par lesquels il ordonne l'expertise soit d'office, soit sur la demande du contribuable ou de l'Administration, sur les points déterminés par sa décision. Il fixe la mission des experts (cf. ci-après n°s 28 et suiv. ) et définit, le cas échéant, les moyens dont ils disposent pour effectuer leurs investigations 1
Le président du tribunal choisit les experts 2 et fixe le délai dans lequel le ou les experts seront tenus de déposer leur rapport au greffe (C. TA-CAA, art. R 159 modifié par le décret n° 97-563 du 29 mai 1997) 3 .
2. Forme du jugement concernant l'expertise.
25Les jugements concernant l'expertise doivent être rendus en audience publique.
26Le jugement par lequel le tribunal administratif statue au fond sur le litige opposant le requérant à l'Administration fiscale, constitue une décision juridictionnelle distincte du jugement avant dire droit par lequel ce tribunal avait, dans le même litige, ordonné une expertise. Ainsi, la circonstance que la composition du tribunal aurait été différente à l'occasion de ces deux jugements est sans influence sur la régularité de la décision statuant sur le fond du litige (CE, arrêt du 17 mai 1961, n° 39006, X... , Leb. chron., p. 324).
L'autorité de la chose jugée ne s'attache pas aux dispositions des jugements par lesquels les tribunaux administratifs définissent les modalités des expertises qu'ils ordonnent (CE, arrêt du 29 juin 1966, n° 67034, RO, p. 199).
3. Notification des jugements concernant l'expertise.
27Le ou les jugements intervenus sont notifiés au contribuable et à l'Administration dans les conditions indiquées ci-après 13 O 358 .
Par ailleurs, le greffier en chef notifie dans les dix jours à l'expert ou aux experts la décision qui les commet et fixe l'objet de leur mission (C. TA-CAA, art. R 160).
VI. Mission des experts
28D'une manière générale, la mission des experts consiste essentiellement à vérifier les faits, évaluations, revenus ou chiffre d'affaires sur lesquels porte le litige.
29Elle doit être utile à la solution de ce litige.
30La mission confiée aux experts est soumise au contrôle de la juridiction d'appel (CE, arrêts des 3 mars 1956, n° 33171, RO, p. 43, 5 mars 1956, n° 34779, RO, p. 47, Leb. chron., p. 650 et 6 avril 1959, n° 43398).
31 En aucun cas, la mission des experts ne doit porter sur des questions de principe. Lorsque l'instance pose à la fois des questions de fait et des questions de droit, seules les questions de fait doivent être comprises dans la mission des experts.
32La mission des experts est déterminée par l'état du litige.
Lorsqu'il ressort des pièces du dossier et des déclarations du contribuable que la méthode d'inscription des recettes et l'absence de pièces justificatives ne permet pas de contrôler le montant des ventes et, par suite, de regarder la comptabilité comme probante, c'est à tort que le tribunal administratif s'estime insuffisamment informé sur la valeur probante des documents comptables et qu'il charge les experts de donner leur avis sur ce point (CE, arrêt du 13 juillet 1967, X... , n° 69817, RJ, 2e partie, p. 197).
Dans le cas où le requérant se prévaut de déficits anciens, aucune disposition de loi ou de règlement, en particulier l'article 11 du Code de commerce relatif à la conservation de certains documents comptables, n'interdit au tribunal de faire porter les investigations des experts sur une période antérieure de plus de dix ans à la date de son jugement (CE, arrêt du 8 février 1967, n° 66716, RJ, 2e partie, p. 42).
Lorsque les redressements apportés à la déclaration de bénéfices d'un officier ministériel n'affectent que les dépenses professionnelles déduites par l'intéressé, ce dernier a seulement à démontrer, en cas de contestation devant la juridiction contentieuse, que le montant desdites dépenses est en réalité supérieur à celui qui a été retenu par l'Administration. Dès lors, en l'absence de conclusions expresses de l'Administration à fin de compensation dans les conditions prévues à l'article 1946-1 du CGI (actuellement LPF, art. L 203), le tribunal administratif qui ordonne l'expertise doit en limiter l'objet à l'examen des justifications produites par le contribuable en vue d'établir l'importance des dépenses professionnelles litigieuses (CE, arrêt du 3 avril 1968, n° 70766, RJ, 2e partie, p. 99).
L'Administration, qui ne fournit en appel aucun élément précis de nature à mettre en doute la sincérité des recettes non commerciales déclarées par un contribuable, n'est pas fondée à demander que la mission de l'expert limitée par le tribunal à l'examen des justifications produites en ce qui touche les dépenses professionnelles soit étendue à l'examen des justifications tendant à établir le montant des recettes encaissées par l'intéressé (CE, arrêt du 30 juin 1971, n°s 80123 et 80124, RJ, n° IV, p. 112).
33La mission confiée aux experts ne doit pas, en tout état de cause, méconnaître les règles relatives à la charge de la preuve.
Lorsqu'il incombe à l'Administration de prouver le bien-fondé des redressements opérés, le tribunal administratif peut à bon droit, dans son jugement ordonnant une expertise, donner mission aux experts de rechercher si les griefs formulés par l'Administration, quant au caractère probant de la comptabilité du contribuable sont fondés et, dans l'affirmative, leur prescrire de déterminer, exercice par exercice, si les redressements sont justifiés par la comparaison des éléments retenus par le service et de ceux résultant de l'expertise. Pour ce faire, l'examen des experts peut valablement s'étendre tant aux documents que le contribuable serait tenu de présenter à l'occasion de l'exercice du droit de communication de l'Administration que de ceux spontanément produits par lui (CE, arrêt du 27 octobre 1967, n° 71911, RJ, 2e partie, p. 218).
Le tribunal administratif qui a admis que la charge de la preuve incombe au contribuable et qui ordonne une expertise afin de lui permettre d'établir l'exagération de l'évaluation administrative, peut charger l'expert de rechercher selon quelle méthode a été établie cette évaluation pour apprécier ensuite les justifications de toute nature produites par le contribuable en vue de critiquer ladite évaluation et d'en établir l'exagération En revanche, il ne peut donner mission à l'expert de recueillir les observations de l'Administration tendant à justifier le bien-fondé de son évaluation, et mettre ainsi partiellement à la charge de l'Administration la preuve qui incombe au seul contribuable (CE, arrêt du 1er juillet 1970, n° 78751, RJ, n° IV ; p. 101 ; voir également, sur le premier point, CE, arrêt du 10 novembre 1971, n° 81263, RJ, n° IV, p. 148).
En cas de taxation d'office, le tribunal administratif peut, à bon droit, définir la mission des experts de façon à autoriser ces derniers à obtenir de l'Administration les éléments ayant servi de base à l'imposition contestée, celle-ci étant tenue, s'il y a contestation, de faire connaître devant le juge de l'impôt, la méthode adoptée par elle et les calculs précis pour déterminer la base d'imposition.afin de permettre au contribuable de la discuter et d'en établir, le cas échéant, l'exagération (CE, arrêt du 14 juin 1972, n° 81863, RJ, n° IV, p. 34).
34Enfin, la circonstance que l'Administration procède, ainsi que le contribuable, à la désignation de l'un des trois experts ne saurait conférer à la mesure d'instruction prescrite par le juge le caractère d'une vérification administrative de la comptabilité litigieuse prévue par l'article 1649 septies B ancien du CGI (CE, arrêt du 27 octobre 1967, n° 71911, RJ, 2e partie, p. 218) quand bien même le représentant de l'Administration -qui peut être un inspecteur autre que le vérificateur- serait conduit à examiner les documents produits par le contribuable (CE, arrêt du 6 février 1970, n° 75832, RJ, n° IV, p. 22).
1 Le tribunal peut à cette occasion prévoir que les experts peuvent entendre toutes personnes qu'ils estiment utiles pour l'accomplissement de leur mission.
2 Le cas échéant, il donne aux parties acte de la désignation qu'elles ont faite de leur expert, nomme s'il y a lieu l'expert de la partie défaillante et désigne l'expert de son choix.
3 Le délai imparti à l'expert pour la remise de son rapport est donc désormais fixé par le président de la juridiction - qui désigne l'expert - et non plus par la décision juridictionnelle ordonnant l'expertise.