Date de début de publication du BOI : 10/08/1998
Identifiant juridique : 13O3321
Références du document :  13O332
13O3321

SECTION 2 MESURES SPÉCIALES D'INSTRUCTION

SECTION 2

Mesures spéciales d'instruction

Mesures spéciales d'instruction pouvant être ordonnées par le tribunal administratif.

1Lorsqu'il estime que l'instruction est incomplète ou lorsqu'il ne se trouve pas suffisamment éclairé pour pouvoir prendre sa décision en toute connaissance de cause, le tribunal administratif peut ordonner certaines mesures spéciales d'instruction 1 , en application des articles R 158 et suivants du C. TA-CAA : expertise, visite des lieux, enquête, vérification d'écritures, inscription de faux...

2Conformément à l'article R* 200-1 , 1er al. du LPF, les dispositions des articles précités sont applicables aux affaires fiscales sous réserve des dispositions particulières prévues par les articles R* 200-9 à R* 200-12 du LPF.

Ces articles concernent la procédure d'expertise.

SOUS-SECTION 1

Expertise

1En application des dispositions de l'article R* 200-1 du LPF et sous réserve des dispositions particulières des articles R* 200-9 à R* 200-12 du même livre, l'expertise est ordonnée par le tribunal administratif et exécutée dans les conditions fixées par les articles R 158 à R 170 du C. TA-CAA.

Compte tenu de ces textes, les règles à suivre sont exposées ci-après.

  A. COMMENT UNE DEMANDE PEUT DONNER LIEU À EXPERTISE

2L'expertise peut être ordonnée, avant dire droit, par le tribunal administratif, soit d'office, soit sur la demande du contribuable, soit sur la demande de l'Administration sur les points déterminés par sa décision (C. TA-CAA, art. 158).

  I. Expertise ordonnée d'office

3La faculté d'ordonner d'office une expertise est absolument générale pour le tribunal administratif, qui peut prescrire cette mesure d'instruction même si le requérant et l'Administration estiment qu'il n'y a pas lieu d'y recourir, mais à condition toutefois que ladite mesure soit utile à la solution du litige (CE, arrêt du 23 février 1895, n° 79348, communauté des frères de Sainte-Marie-de-Thonon, RO, 6234, Leb. chron., p. 191, 2e esp. ; arrêt du 29 décembre 1978, n° 12039 en ce qui concerne plus particulièrement le montant des droits en jeu).

  II. Expertise demandée par le contribuable ou par l'Administration

4Le contribuable et l'Administration peuvent, chacun en ce qui le concerne, demander qu'il soit procédé avant dire droit à une vérification par expert.

1. Forme et présentation de la demande.

5La demande d'expertise peut être formulée à tout moment de la procédure avant la clôture de l'instruction (cf. 13 O 3311, n°s 8 et suiv. ).

2. Contenu de la demande.

6La demande doit être conçue en termes suffisamment précis.

À cet égard, doit être considéré comme ayant suffisamment manifesté l'intention de recourir à l'expertise le contribuable qui demande, par exemple, cette mesure d'instruction :

- en vue de sauvegarder ses intérêts et sauf règlement amiable de l'affaire (CE, arrêt du 9 janvier 1907 n° 22996, X... . RO, 4045, Leb. chron., p. 22, 2e esp.) ;

- à titre subsidiaire (CE, arrêt du 31 juillet 1908, n° 23578, société anonyme « Raffinerie de Pétrole du Nord », RO, 6257, Leb. chron., p. 841, 3e esp.).

7À défaut d'avoir manifesté clairement son intention, le contribuable n'est pas fondé à se plaindre de ce que le tribunal ait statué sans ordonner cette mesure d'instruction.

Il en va particulièrement ainsi lorsqu'il :

- n'a pas sollicité cette mesure d'instruction, d'ailleurs non obligatoire pour le tribunal (CE, arrêt du 10 janvier 1953, X... , n°s 72343 et 72344, RJCI, 1953, p. 101, Leb. chron., p. 666) ;

- s'est abstenu de renouveler devant le tribunal administratif la demande d'expertise contenue dans la réclamation adressée à l'Administration (CE, arrêt du 29 avril 1932, société John Foster, RO, 5816) ;

- n'a pas précisé sur quels points devait porter l'expertise qu'il sollicitait, celle-ci étant d'ailleurs toujours facultative pour le tribunal et en l'espèce inutile (CE, arrêt du 25 janvier 1967, n° 60994, héritiers X... Roger, RJ, 2e partie, p. 28) ;

- s'est borné à déclarer qu'il se réservait la faculté de demander cette mesure d'instruction si l'on ne faisait pas droit à ses observations (CE, arrêt du 11 février 1903, n° 9859, X... , Leb. chron., p. 114).

8Dans la mesure où le tribunal a statué sans ordonner l'expertise qui avait été régulièrement demandée par le contribuable, seul ce dernier, à l'exception de l'Administration, a qualité pour s'en plaindre devant la juridiction d'appel (CE, arrêt du 1er décembre 1933, n° 35424, RO, 6062, Leb. chron., p. 1127, 2e esp.).

Enfin, le fait pour un contribuable de ne pas solliciter une expertise n'implique pas, de sa part, la renonciation aux fins de sa demande (CE, arrêt du 30 novembre 1852, X... , RO, 48, Leb. chron., p. 535).

3. Caractère facultatif de l'expertise.

9Quels que soient les motifs sur lesquels s'appuie la demande d'expertise formulée par l'une quelconque des parties en présence, le tribunal administratif a toujours la faculté de passer outre à cette demande et de statuer au fond sans ordonner, au préalable, la mesure d'instruction sollicitée, à la condition de motiver son refus.

a. L'expertise n 'est pas obligatoire.

101° D'une manière générale, lorsqu'il s'estime suffisamment éclairé sur les faits de la cause par les éléments versés au dossier ou s'il lui apparaît que l'expertise demandée n'est pas utile à la solution du litige, le tribunal administratif peut valablement statuer au fond sans faire procéder à une expertise régulièrement sollicitée.

Ainsi le tribunal administratif a, à bon droit, refusé d'ordonner l'expertise ou statue immédiatement au fond sans faire procéder à la mesure d'instruction tout d'abord prescrite :

- lorsque, pour demander une expertise aux fins de lui permettre d'apporter, par des moyens extra-comptables, la preuve qui lui incombe, un contribuable, dont la comptabilité est entachée d'erreurs et d'omissions lui enlevant tout caractère probant, s'est borné à proposer un nouvel examen de certaines pièces de ladite comptabilité sans indiquer aucun document extra-comptable susceptible de constituer la preuve requise du caractère exagéré du bénéfice retenu par l'Administration (CE, arrêt du 13 juillet 1967, n° 68985, RJ, 2e partie, p. 191) ;

- lorsqu'à la suite du jugement du tribunal administratif reconnaissant fondée la demande de dégrèvement du contribuable et ordonnant une expertise aux fins de préciser la réduction à laquelle l'intéressé avait droit, le directeur a transmis audit tribunal des éléments de calcul d'où il ressortait que, sans qu'il soit besoin de procéder à la mesure d'instruction prescrite, la réduction décidée, en principe, par le jugement précité entrainaît la décharge de l'imposition litigieuse (CE, arrêt du 25 octobre 1968, n°s 73905 et 74657, RJ, 2e partie, p. 215).

En revanche, dans une espèce où le contribuable avait demandé, devant le tribunal administratif, qu'il soit, en cas de besoin, procédé à une mesure d'instruction afin de lui permettre de justifier le bien-fondé de sa réclamation à l'aide de pièces comptables qu'il déclarait avoir en sa possession, le Conseil d'État a décidé que le tribunal était tenu soit de faire produire lesdites pièces comptables, soit d'ordonner une expertise (CE, arrêt du 3 décembre 1969, n° 77699, RJ, 2e partie, p. 150).

112° Le tribunal s'abstient également de prescrire une expertise lorsque la demande dont il est saisi se trouve entachée d'un vice de forme la rendant irrecevable, à moins, bien entendu, que la mesure d'instruction demandée ne doive précisément porter sur la réalité de ce vice de forme (CE, arrêt du 23 mars 1908, n° 28232, demoiselle X... , RO, 6256, Leb. chron., p. 315, 2e esp., arrêt rendu dans un cas où l'expertise ne portait pas sur le vice de forme).

En effet, l'irrecevabilité résultant d'un vice de forme a pour effet de rendre l'expertise superflue pour la solution du litige.

C'est pourquoi lorsqu'une demande au tribunal présente à juger une question de recevabilité dont la solution pourrait rendre frustratoire une expertise sur le fond, le tribunal ne doit pas ordonner une telle mesure d'instruction sans s'être préalablement prononcé sur la recevabilité de la demande (CE, arrêt du 14 février1949, n° 99773, Electricité de France, RO, p. 148, Leb. chron., p. 75, 1re esp.).

123° Le tribunal administratif peut également s'abstenir d'ordonner une expertise lorsque, l'exactitude des faits invoqués n'étant pas contestée, le litige soulève seulement une question de principe ou de droit échappant à la compétence des experts (CE, arrêt du 8 avril 1911, n° 31029, X... , RO, 4427, Leb. chron., p. 475, 1re esp. et arrêt du 10 janvier 1938, n° 48968, société Le Henaff et Cie, Bull. n° 7, 1938, p. 199, TJCA, n° 119017, Leb. chron., p. 5, 3e esp.).

À cet égard, présentent le caractère de questions de droit échappant à la compétence des experts :

- le point de savoir si la valeur locative à retenir pour l'assiette du droit proportionnel de l'ancienne patente doit être déterminée d'après les clauses du bail en cours au 1er janvier de l'année de l'imposition (CE, arrêt du 10 décembre 1934, SARL Vincent et Cie, RO, 6161) ;

- une question d'interprétation des clauses d'un bail (CE, arrêt du 16 janvier 1920, n° 59981, société anonyme des hôtels de l'Étoile, RO, 4707, Leb. chron., p. 43, 1re esp.) ;

- le point de savoir si la pension versée par un contribuable, en vertu d'un acte dont l'existence n'est pas contestée par l'Administration, a le caractère d'une rente payée à titre obligatoire (CE, arrêt du 15 décembre 1941, n° 64727, RO, p. 347, Leb. chron., p. 222, 4e esp.) ;

- la question posée au sujet d'un litige portant, non sur les conditions d'exécution des travaux effectués par un patentable mais sur leur caractère de travaux publics (CE, arrêt du 15 novembre 1943, société « Les Fils d'Albert Collet », RO, p. 378) ;

- la question de la légalité des centimes additionnels communaux (CE, arrêt du 30 juin 1933, n°s 93911 et 95725, RO, 6015, Leb. chron., p. 713, 2e esp.) ;

- la question relative à la légalité d'un rectificatif inséré au Journal Officiel en vue de corriger une erreur matérielle commise dans la teneur d'un texte de loi (CE, arrêt du 19 juillet 1948, n° 89809, RO, p. 78) ;

- lorsqu'aucun désaccord n'existant entre les parties sur les conditions de fait dans lesquelles un contribuable a procédé aux opérations en cause, le point de savoir si l'intéressé a agi en qualité de commissionnaire ou en qualité de commerçant achetant ou revendant pour son propre compte (CE, arrêt du 22 octobre 1955, n° 56164, société A. Barthelemy et Cie, Leb. chron., p. 498) ou si le litige porte seulement sur une question d'interprétation de la loi (CE, arrêt du 6 mars 1940, n° 23499, association « La maison d'accueil », TJCA, n° 119029, Bull. n° 8, 1940, p. 128, Leb. chron., p. 89, 1re esp.) ;

- le point de savoir si un outillage industriel est ou non passible de la taxe foncière si aucun désaccord portant sur la matérialité des faits et notamment sur les conditions d'installation dudit outillage n'existe entre les parties (CE, arrêt du 28 mars 1938, société anonyme « Union d'Électricité », RO, p. 205).

13 Par contre, constituent des questions de fait susceptibles de donner lieu à une expertise :

- le point de savoir si, en raison des changements survenus dans le cours des loyers, le prix de louage résultant d'un bail ne correspond plus à la valeur locative actuelle des locaux (CE, arrêt du 27 juillet 1936, X... , RO, 6532) ;

- le point de savoir s'il existe une société de fait entre un exploitant agricole et ses deux fils majeurs (CE, arrêt du 24 janvier 1949, n° 97453, RO, p. 133) ;

- la question de la valeur à accorder aux justifications extra-comptables dont se prévaut un contribuable (CE, arrêt du 13 juillet 1967, X... , n° 69817, RJ, 2e partie, p. 197).

Dans la mesure où une demande au tribunal administratif présente à juger une question de principe dont la solution pourrait rendre frustratoire une expertise sur le surplus du litige, les premiers juges ne peuvent ordonner cette mesure d'instruction sans s'être préalablement prononcés sur le point de droit (CE, arrêt du 3 mars 1956, n° 33171, RO, p. 43).

144° Le tribunal administratif peut également statuer sans ordonner d'expertise lorsqu'il n'existe pas de contestation sur les faits.

Il en va particulièrement ainsi :

- lorsqu'un litige ne comporte aucune contestation sérieuse sur la matérialité des faits de la cause (CE, arrêt du 24 janvier 1944, n° 70395, X... , Rec., 1944, p. 103, TJCA, n° 119045, Leb. chron., p. 29) ;

- lorsque, en matière de contribution foncière des propriétés bâties, tous les points sur lesquels porte le désaccord ont déjà fait l'objet d'une vérification par experts à la suite d'un litige relatif à l'imposition d'une année précédente et que le contribuable ne conteste ni la persistance de l'état des lieux, ni l'exactitude des constatations des experts (CE, arrêt du 12 février 1947, n° 77246, société anonyme des Galeries modernes, RO, p. 164, Leb. chron., p. 57) ;

- lorsque, en l'absence de tout désaccord sur les faits, l'imposition dépend de l'interprétation des statuts de la société requérante et de la qualification juridique des opérations réalisées par elle, ces questions n'étant pas de la compétence des experts (CE, arrêt du 22 mai 1940, n° 40546, société « La Syndicale des cochers et chauffeurs de la Seine », Bull., n° 9, 1940, p. 190, TJCA, n° 119034, Leb. chron., p. 176, 2e esp.) ;

- lorsque le tribunal prend pour base de sa décision les faits mêmes articulés par le requérant, et le moyen tiré de ce que ce tribunal aurait omis de statuer sur la demande d'expertise manque en fait si le jugement attaqué précise que « tous autres moyens et conclusions des parties sont rejetés » (CE, arrêt du 17 avril 1937, n° 34675, société Beraud, Sudreau et Cie, Bull., n° 13, 1937, p. 319, TJCA, n° 119015) ;

- à l'égard d'un directeur général de société anonyme qui, n'étant pas commerçant, ne tient aucune comptabilité, dès lors qu'en l'espèce une expertise a l'effet de rechercher si la comptabilité de l'intéressé peut être regardée comme probante est dénuée d'objet (CE, arrêt du 3 mai 1954, n° 15498, RO, p. 51, Leb. chron., p. 764).

155° Le tribunal administratif peut valablement statuer au fond sans ordonner d'expertise lorsque les faits invoqués ne sont pas de nature, même si l'exactitude en était reconnue, à motiver l'admission de la demande.

Il en est ainsi lorsque cette mesure d'instruction s'avère inutile parce que le contribuable a limité sa demande à une vérification sans intérêt pour trancher la question de fait en litige (CE, arrêt du 22 mai 1940, n° 34196, X... , Bull., n° 9, 1940, p. 181, TJCA, n° 119033, Leb. chron., p. 175, 1re esp.). Ainsi jugé dans une espèce où un étranger demandait qu'il soit procédé à une expertise en vue d'établir qu'il n'avait pas effectivement résidé en France, alors que son assujettissement à l'impôt sur le revenu était justifié par le seul fait qu'il disposait en France d'une habitation à titre de propriétaire (CE, arrêt du 24 juillet 1939, n° 65912, RO, p. 432).

De même, les frais de réparation d'un véhicule automobile détérioré dans un accident n'entrent dans les charges déductibles du bénéfice imposable que si cet accident est survenu au cours d'un déplacement professionnel. Dès lors, est frustratoire l'expertise ordonnée par le tribunal administratif à l'effet de déterminer si le véhicule était utilisé de manière habituelle par le contribuable pour l'exercice de sa profession puisque cette circonstance ne suffirait pas pour établir le caractère professionnel du déplacement au cours duquel a eu lieu l'accident (CE, arrêt du 12 mars 1962, n° 53699, RO, p. 48).

166° Le tribunal administratif peut refuser d'ordonner l'expertise sollicitée par un contribuable lorsque l'interessé n'a fourni aucune précision sur la nature des éléments de preuve qu'il pourrait soumettre utilement à des experts (CE, arrêt du 22 juin 1983, n° 32438).

1   Bien entendu. ces mesures spéciales d'instruction ne sauraient être ordonnées lorsqu'il s'agit de trancher une question de principe ou lorsque la solution à donner au litige découle de l'application d'une disposition législative.