Date de début de publication du BOI : 30/04/1996
Identifiant juridique : 13O1611
Références du document :  13O1611

SOUS-SECTION 1 CONDITIONS D'EXISTENCE DES QUESTIONS PRÉJUDICIELLES

5° Cas particulier : L'inscription de faux.

11Lorsque devant la juridiction administrative une partie déclare s'inscrire en faux contre un acte, le Tribunal administratif apprécie si la pièce arguée de faux commande la solution du litige et, dans l'affirmative, il surseoit à statuer jusqu'au jugement de faux rendu par les tribunaux judiciaires.

Cette procédure qui s'apparente à une question préjudicielte est examinée dans le titre 3 consacré à la procédure devant le Tribunal administratif.

  II. Questions préjudicielles devant les juridictions judiciaires

12En principe, les tribunaux de grande instance, juges de l'impôt en matière de droits d'enregistrement et de timbre, de taxe de publicité foncière, d'impôt de solidarité sur la fortune, de contributions indirectes et de taxes assimilées, ont la plénitude de juridiction civile. Ils peuvent, le juge de l'action étant le juge de l'exception, connaître de toutes les questions se rattachant aux affaires qui leur sont soumises. Ces tribunaux peuvent même avoir à délibérer sur des questions ressortissant normalement à la compétence des tribunaux d'instance ou de commerce.

Ainsi, dans l'affaire Syndicat de copropriétaires du centre commercial du Captal, le tribunal avait sursis « à statuer, afin que la juridiction administrative interprète l'acte administratif individuel contesté, en l'espèce, une lettre par laquelle un directeur départemental de l'Équipement faisait connaître au service des impôts que la bretelle en bordure de laquelle les affiches incriminées ont été édifiées était une déviation de route nationale et non une route express ».

La Cour a annulé ce jugement au motif « qu'en vertu de l'article 1946 du Code général des impôts, applicable en la cause, dont les dispositions ont été reprises par l'article L 199 du Livre des procédures fiscales, le Tribunal de grande instance est seul compétent en matière de droits de timbre, et qu'en l'espèce, il appartenait au tribunal de se prononcer sur la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis et de statuer sur l'opposition à l'avis de mise en recouvrement collectif émis par l'administration des impôts » (Cass. Com., arrêt n° 847 du 7 novembre 1983).

Il est à noter qu'en vertu de l'ancien article 944-I du Code général des impôts, le droit de timbre des affiches était doublé lorsque celles-ci étaient visibles d'une autoroute, d'une bretelle de raccordement à une autoroute ou d'une déviation.

Le doublement de tarif dépendait donc du classement de la voie publique litigieuse.

Par ailleurs, si la Cour a visé, dans sa motivation, l'article L 199 du Livre des procédures fiscales relatif à la répartition des compétences juridictionnelles en matière fiscale, elle a cassé le jugement en énonçant que celui-ci avait violé l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 relatif à la séparation des pouvoirs.

Cette décision confirme donc le principe de la plénitude de juridiction du juge civil statuant en matière fiscale.

Cependant des questions préjudicielles peuvent également se poser devant les tribunaux judiciaires.

Ceux-ci doivent surseoir à statuer lorsqu'à l'occasion du litige pendant devant eux, est soulevée une question relevant de la compétence du juge pénal ou de la juridiction administrative 1 .

1° Question préjudicielle pénale.

13En application du principe « le criminel tient le civil en l'état », les tribunaux judiciaires doivent surseoir à statuer jusqu'à l'issue de la poursuite pénale dont fait l'objet l'une des parties.

Cette hypothèse se rencontre notamment dans les cas d'inscription de faux contre un acte authentique.

Ainsi, il a été jugé que lorsque l'Administration fait connaître qu'elle s'est inscrite en faux contre les certificats de décharge, le tribunal procède régulièrement s'il surseoit à statuer jusqu'à l'issue de la poursuite criminelle dans laquelle l'opposant est impliqué (Cass., 23 février 1886).

Actuellement, l'inscription de faux contre des actes authentiques est réglementée par les articles 303 à 316 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Dans une telle situation l'Administration peut déposer une plainte en vue de faire condamner l'auteur du faux aux peines édictées par le Code pénal en matière de falsification ou d'altération d'écriture (art. 145 à 149 de l'ancien Code pénal).

Si des poursuites pénales sont ainsi engagées contre les auteurs ou complices du faux, il est sursis au jugement civil jusqu'à ce qu'il ait été statué au pénal, à moins que le principal puisse être jugé sans tenir compte de la pièce arguée de faux ou qu'il y ait eu, sur le faux, renonciation ou transaction (art. 312 du Nouveau Code de Procédure Civile précité).

2° Question préjudicielle administrative.

14Les tribunaux de l'ordre judiciaire, saisis d'un litige sur le fond des droits, devant lesquels l'une des parties soulève une question rentrant dans la compétence du juge administratif, doivent surseoir à statuer jusqu'à la décision de la juridiction administrative.

La question préjudicielle peut concerner :

- la faute d'un agent, la responsabilité de l'Administration (Cass. Req., 15 novembre 1910, Affaire X... , BCI 1911, n° 2), la légalité ou l'interprétation d'un acte administratif ;

- l'exigibilité d'une imposition dont le contentieux ressortit à la compétence de la juridiction administrative.

Ainsi, une cour d'appel, saisie par un acheteur d'une demande en restitution de la taxe sur la valeur ajoutée facturée par le vendeur, justifie sa décision de surseoir à statuer jusqu'à ce que le Tribunal administratif ait tranché la question de l'exigibilité de ladite taxe sur la vente dont il s'agit, dès lors qu'elle constate que, pour pouvoir se prononcer sur le bien-fondé de cette demande, il est nécessaire de savoir si la taxe était bien exigible, que cette question présente une difficulté réelle et relève, suivant les termes de l'article 1852 du CGI en vigueur à l'époque (act. art. L 199 du LPF), de la compétence exclusive des tribunaux administratifs (Cass. Civ., 5 juillet 1965, Affaire X... et Y... contre Brasseries de la Meuse, RJCI, p. 140, n° 11).

Si, conformément à l'article L 199 du Livre des procédures fiscales, la demande en décharge du droit de bail relève de la compétence du juge judiciaire, le moyen tiré des dispositions de l'article 740-I du Code général des impôts - aux termes duquel sont exonérées du droit prévu à l'article 736 du même code les mutations de jouissance qui donnent lieu au paiement de la taxe sur la valeur ajoutée - soulève une question préjudicielle dont il n'appartient qu'à la juridiction administrative de connaître, dès lors que celle-ci est, en vertu de l'article L 199 précité, seule compétente en matière de taxe sur la valeur ajoutée (Tribunal des conflits, Décision n° 2381 du 24 juin 1985 ; affaire indivision X...  ; RJ, 1985, 2° partie, p. 51, n° 18).

Compte tenu de cette jurisprudence, le service doit donc inviter le Tribunal de grande instance saisi d'un litige portant sur l'exonération du droit de bail prévue à l'article 740-I du CGI à surseoir à statuer et renvoyer au Tribunal administratif la question préjudicielle relative à la taxe sur la valeur ajoutée.

  III. Les questions préjudicielles diplomatiques

1. Juridictions judiciaires.

15Il appartient aux tribunaux judiciaires d'interpréter les traités diplomatiques sauf lorsque les dispositions soumises à leur interprétation mettent en jeu des questions de droit public international (Cass. Civ., 16 décembre 1968, X... , RJ, 2e partie, p. 252).

2. Juridictions administratives.

16Le juge administratif est compétent pour interpréter une convention internationale sans renvoi d'une question préjudicielle au ministre des affaires étrangères (CE, arrêt du 29 juin 1990, n° 78519, X... ).

Cette décision rompt avec la règle jurisprudentielle antérieure selon laquelle lorsqu'un litige présentait à juger une question concernant soit l'interprétation à donner, soit la portée à attribuer à un traité, accord ou convention diplomatiques, le ministre des Affaires étrangères était compétent pour résoudre cette question qui était préjudicielle (CE, arrêts des 25 octobre 1937, ministre des Finances C. Société « UNITED STATES LINES », RO, p. 562 ; 16 janvier 1939, mêmes parties, RO, p. 20 ; 20 mars 1944, Société NIPPON YUSEN KAISHA et Société ANCHOR LINE, RO, p. 72 et 73 et 19 mai 1972, req. n° 76534) 2 .

Il en était, toutefois, autrement lorsque le Conseil d'État estimait que le sens de la convention était clair et certain (CE, arrêts des 29 mai 1957, n° 36458, RO, p. 355 et 21 février 1966, req. n° 63013). C'est ainsi que dans une espèce, faisant ressortir une difficulté quant à l'interprétation d'une expression de la convention franco-canadienne du 16 mars 1951, le Conseil d'État avait tranché directement sans avoir recours au ministre des Affaires étrangères, considérant que les dispositions qui lui étaient soumises avaient « un sens clair et certain » (CE, arrêt du 26 novembre 1975, req. n° 93187).

3. Questions préjudicielles communautaires.

17 . L'intégration du droit communautaire dans les ordres juridiques nationaux est conditionnée par deux principes essentiels : l'applicabilité directe et immédiate et la primauté du droit communautaire.

La Cour de Justice des Communautés Européennes, en se fondant sur la spécificité de l'ordre juridique communautaire, a fait apparaître une théorie générale de l'applicabilité directe, distincte de la notion classique des dispositions « self executing » des traités internationaux.

La prééminence du droit communautaire sur le droit national résulte de certaines des dispositions des actes constitutifs, comme l'article 5 du traité de la Communauté Économique Européenne (Traité de Rome), ainsi que de la finalité même de la construction européenne.

La nécessité d'assurer une uniformité dans l'application des textes de la Communauté exige une unité d'interprétation qui ne peut être obtenue qu'en sauvegardant l'effet direct et la primauté du droit communautaire dans les ordres juridiques nationaux.

Ainsi, la Cour de Justice est amenée à connaître, en vertu de l'article 177 du traité, de questions préjudicielles, sur renvoi des juridictions nationales, soit pour apprécier la validité d'actes du droit dérivé, soit pour donner une interprétation de ces actes ou du traité. D'autre part, certains protocoles ont confié à la Cour l'interprétation des deux conventions conclues sur le fondement de l'article 220 du traité : convention concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale et convention relative à la reconnaissance mutuelle des sociétés. Ces dispositions doivent être complétées par celles de l'article 20 du protocole sur le statut de la Cour.

Ainsi, est irrecevable le pourvoi dirigé contre le jugement qui se borne à user de la faculté qui est ouverte au tribunal par l'article 177 du Traité instituant la Communauté Économique Européenne de demander à la Cour de Justice de Luxembourg de statuer sur une question d'interprétation du Traité (Affaire X... , Cass. Com., arrêt du 16 juillet 1985).

De même, est irrecevable le pourvoi dirigé contre un jugement rendu en dernier ressort qui se borne à rejeter une fin de non-recevoir tendant à l'irrecevabilité d'une partie de la demande 3 et à saisir la Cour de Justice des Communautés Européennes, à titre préjudiciel, d'une question d'interprétation du Traité de Rome 4 et qui, par ailleurs, ne met pas fin à l'instance (Affaire société C..., Cass. Com., arrêt du 11 juillet 1988, RJ, p. 91).

La frontière entre l'interprétation du traité et son application ou entre l'interprétation et l'application du droit interne est souvent délicate à établir.

Seules, les juridictions nationales peuvent saisir la Cour de Justice et formuler les questions.

La Cour de Justice surseoit à statuer sur la demande en interprétation formulée par la juridiction nationale dès lors que cette décision de renvoi préjudiciel fait l'objet d'un recours juridictionnel de droit interne (Affaire 31/68, arrêt du 16 juin 1970, Rec. des arrêts de la Cour de Justice 1970, p. 403).

L'obligation pour les juridictions statuant en dernier ressort de saisir la Cour de Justice peut disparaître si une interprétation du texte communautaire a déjà été donnée (aff. 28 à 30/62, arrêt du 27 mars 1963, Rec. des arrêts de la Cour de justice 1963, p. 75).

Bien entendu, la Cour de Justice n'est pas compétente pour interpréter les dispositions du droit international qui lient les États membres en dehors du cadre du droit communautaire.

C'est ainsi par exemple que dans le domaine fiscal, elle n'a pas à connaître des conventions bilatérales conclues entre les États membres en matière d'impôts sur le revenu.

En revanche, le recours à la procédure du renvoi préjudiciel institué par l'article 177 tend à se généraliser en matière de contributions indirectes 5 et de réglementations assimilées (législation viti-vinicole, régime économique de l'alcool, céréales).

  B. DIFFICULTÉ SÉRIEUSE DE LA QUESTION POSÉE

18Pour que la question soulevée par les parties ou reconnue par le juge soit préjudicielle, il faut qu'elle présente, aux termes de la jurisprudence, un « caractère sérieux », « une difficulté réelle » (CE, arrêt du 20 avril 1942, Société Paris-France Immobilier, RO, p. 104).

Il en est ainsi notamment lorsque la contestation soulevée est subordonnée à une question d'attribution de propriété (cf. n° 6 ) :

- par suite d'un apport à une société (CE, arrêt du 20 avril 1942, précité) ;

- par suite de donation ou de licitation (CE, arrêt du 6 février 1970, n° 75534) ;

- par suite d'un acte de partage de succession (CE, arrêt du 13 juillet 1966, ministre des Finances contre Société des Établissements Vidal, n° 61085).

Mais le Tribunal administratif surseoit illégalement à statuer jusqu'au jugement d'une question préjudicielle par l'autorité judiciaire, dès lors que la solution des questions relatives au bien fondé des redressements contestés n'implique le règlement d'aucune difficulté sérieuse de droit privé (CE, arrêt du 13 décembre 1968, n° 70821).

On citera les exemples suivants où le juge de l'impôt a décidé que cette condition n'était pas réalisée et a refusé le renvoi pour question préjudicielle :

1. Lorsque l'acte ou la disposition dont l'interprétation est nécessaire est suffisamment clair par lui-même.

19Ainsi, il appartient au juge de l'impôt de trancher lui même la question de savoir quand est intervenu le fait générateur de l'imposition contestée, établie au titre de l'ancien article 150 ter du CGI, dès lors que la date de cession à retenir pour l'application de ce texte ressort clairement de l'acte passé entre les parties (CE, 11 octobre 1974, n° 92921)

1   Les questions préjudicielles afférentes à l'interprétation d'une convention diplomatique sont étudiées ci-après n° 15 .

2   Voir 13 O 113 n° 20 .

3   Les décisions en dernier ressort qui, sans mettre fin à l'instance, statuent sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident ne peuvent être frappées de pourvoi en cassation indépendamment des jugements sur le fond que dans les cas spécifiés par la loi (art. 607 et 608 du Nouveau Code de Procédure Civile).

4   Cf. ci-dessus, affaire X... . Le pourvoi formé contre un jugement qui ne fait qu'user de la faculté ouverte au Tribunal par l'article 177 du Traité C.E.E. est, en tout état de cause, irrecevable.

5   Cf. 13 O renvoi n° 2.