Date de début de publication du BOI : 30/04/1996
Identifiant juridique : 13O1611
Références du document :  13O16
13O161
13O1611

CHAPITRE 6 DIVERS

CHAPITRE 6

DIVERS

SECTION 1

Questions préjudicielles

Un principe traditionnel du droit français veut que le juge de l'action soit également le juge de l'exception. Ce principe est toutefois limité par l'existence de questions préjudicielles : il y a question préjudicielle lorsque la solution du différend soumis au tribunal dépend de la solution d'une autre question qui ne rentre pas dans la compétence du tribunal saisi. Ce dernier doit alors surseoir à statuer 1 jusqu'à ce que ladite question ait été tranchée.

Dans la mesure où les questions préjudicielles interrompent ainsi le déroulement de l'instance, elles figurent habituellement au rang des incidents de procédure.

En ce qui concerne le contentieux de l'impôt, cet incident se produit de manière peu fréquente.

L'explication réside dans le fait que l'interprétation de la loi fiscale est dominée par le principe d'autonomie du droit fiscal et qu'en vertu de ce principe, l'Administration n'est pas toujours liée dans l'application de l'impôt par les définitions juridiques générales, telles qu'elles sont établies en droit commun, mais peut leur substituer des définitions propres, basées sur des situations de fait. Ainsi, par exemple, le CGI donne du domicile une définition qui n'est pas celle du droit civil, et par voie de conséquence aucune question préjudicielle n'est à renvoyer sur ce point d'une juridiction administrative à une juridiction judiciaire (cf. 13 O 1611, n° 5 ).

Au demeurant, la jurisprudence exige la réalisation de certaines conditions pour qu'il y ait renvoi devant une juridiction d'un autre ordre pour question préjudicielle.

L'étude de ces conditions fera l'objet de la sous-section 1. Quant aux conséquences des questions préjudicielles, elles seront examinées dans une sous-section 2.

SOUS-SECTION 1

Conditions d'existence des questions préjudicielles

Pour qu'il y ait question préjudicielle la jurisprudence exige la réalisation de trois conditions indispensables :

- la première tient à l'incompétence du juge saisi ;

- la seconde a trait à la difficulté sérieuse de la question posée ;

- la dernière se rapporte à la nécessité pour la solution du litige de résoudre préalablement ladite question.

  A. INCOMPÉTENCE DU JUGE SAISI

1Pour qu'il y ait question préjudicielle il faut d'abord que le juge saisi ne soit pas compétent pour se prononcer sur la question litigieuse dont l'examen relève de la compétence exclusive d'une autre juridiction appartenant en pratique à un ordre différent.

Il convient donc d'examiner :

- les questions préjudicielles devant les juridictions administratives ;

- les questions préjudicielles devant les juridictions judiciaires ;

-enfin, les questions préjudicielles diplomatiques qui se posent devant les deux ordres de juridiction.

  I. Questions préjudicielles devant les juridictions administratives

2Lorsqu'elle est saisie d'une action rentrant dans sa compétence la juridiction administrative a qualité pour se prononcer, le cas échéant, sur les exceptions opposées à cette action ; il n'en est autrement que s'il s'agit d'exceptions relatives à des questions qui ressortissent à la compétence exclusive des tribunaux judiciaires ; seules les exceptions remplissant cette condition constituent des questions préjudicielles qui imposent à la juridiction administrative l'obligation de surseoir à statuer jusqu'à ce que lesdites questions aient été tranchées par le tribunal de l'ordre judiciaire compétent (Tribunal des conflits, arrêt du 23 novembre 1959, n° 1701, RO, p. 511 ; CE, arrêt du 22 février 1960, n° 24187, RO, p. 24).

Le critère déterminant est donc que la question litigieuse relève de la compétence exclusive des tribunaux judiciaires. Toutefois, il convient de remarquer que la contestation soulevée ne doit pas correspondre à un litige que le redevable aurait dû soumettre auparavant aux tribunaux judiciaires.

Ainsi, une requérante, qui sollicite le dégrèvement de la contribution foncière des propriétés bâties prévu par l'article 1398 du CGI (act. art. 1390) 2 en faveur des titulaires de la carte sociale des « économiquement faibles », ne peut obtenir satisfaction en alléguant que cette carte lui a été refusée à tort car « il n'appartient pas au juge de l'impôt de se prononcer sur cette contestation qui aurait dû être portée par l'intéressée devant la juridiction compétente pour en connaître » (CE, arrêt du 24 mars 1956, Dame X... , RO, p. 60).

De même, un contribuable n'a pas, à l'occasion d'un litige relatif à la contribution foncière des propriétés non bâties, à faire trancher sous forme de question préjudicielle une contestation sur la contenance de sa propriété figurant au plan cadastral, qu'il lui appartenait de soumettre au tribunal compétent (CE, arrêt du 25 janvier 1960, X... , RO, p. 7).

3Sous ces réserves, la jurisprudence offre une assez grande variété d'exemples dans lesquels des questions préjudicielles ont été ou non soulevées, selon le cas, par le juge administratif de l'impôt, et qui se rapportent notamment à l'état des personnes, au droit de propriété, à certaines interprétations en matière de droit civil ... 3 .

1° Questions préjudicielles relatives à l'état des personnes.

Les solutions suivantes ont été retenues par la jurisprudence.

4 - en matière de nationalité :

Selon les prescriptions du code de la nationalité (art. 124), la juridiction civile de droit commun est seule compétente pour connaître des contestations sur la nationalité française ou étrangère des personnes physiques, les questions de nationalité étant préjudicielles devant toute autre juridiction de l'ordre administratif ou judiciaire à l'exception des juridictions répressives comportant un jury criminel.

Ainsi, la question de savoir quelle est la nationalité qui a pu être acquise par un contribuable à la suite de son mariage relève de la compétence exclusive de l'autorité judiciaire. Lorsqu'une requête présente à juger une telle question, la juridiction administrative doit surseoir à statuer jusqu'à ce que la question préjudicielle ait été résolue par le tribunal compétent (CE, arrêt du 11 octobre 1954, n° 32335, dame X... , RO, p. 132).

Mais les prescriptions susvisées du code de la nationalité ne sont applicables qu'aux questions préjudicielles de nationalité concernant les personnes physiques. Les personnes morales ne pouvant exercer l'action principale en reconnaissance de nationalité française, ou d'extranéité, prévue à l'article 129 du même code, aucune disposition législative n'attribue aux tribunaux judiciaires une compétence exclusive pour se prononcer soit par voie d'action principale, soit par voie de question préjudicielle sur la détermination de la nationalité des personnes morales.

Dès lors, la question de la nationalité d'une société doit être tranchée par la juridiction qui a compétence pour connaître de l'action à l'occasion de laquelle elle est soulevée et ne saurait constituer une question préjudicielle imposant à ladite juridiction l'obligation de surseoir à statuer (Tribunal des conflits, arrêt du 23 novembre 1959 et CE, 22 février 1960, cités ci-dessus n° 2 ).

5 - en matière de domicile :

La notion de domicile en fiscalité étant différente de la notion de domicile en droit civil (cf. 13 O 161 ), la juridiction administrative est compétente pour apprécier si au regard des dispositions du CGI un contribuable de nationalité française est ou non domicilié en France (CE, arrêts du 13 juillet 1962, n° 53373, RO, p. 156 et du 11 mars 1970, n° 69588, RJ, n° III, p. 59) ; il en est de même pour un contribuable de nationalité étrangère (CE, arrêt du 22 mars 1937, n° 44935, RO, p. 192).

2° Questions préjudicielles concernant le droit de propriété.

6Lorsqu'au cours d'un litige survient un désaccord sur le droit de propriété, la question soulevée relève de la compétence des tribunaux judiciaires.

Il en est spécialement ainsi, en matière d'impôts directs, lorsque, à l'occasion d'une demande en mutation de cote 4 de taxe foncière il y a contestation sur le droit de propriété (CGI, art. 1404-11-2e al.), et d'une manière générale, toutes les fois qu'il s'agit d'apprécier quels sont, au point de vue de la translation de propriété, les effets d'un acte ou d'une convention (CE, arrêt du 18 janvier 1988, n° 6490).

Le point de savoir si la préemption exercée sur un immeuble par le service des impôts et à laquelle ce service a ultérieurement renoncé avec effet rétroactif, a eu ou non pour conséquence de déposséder le propriétaire de son bien constitue une question préjudicielle de la nature de celles dont la juridiction administrative doit attendre la solution par l'autorité judiciaire compétente, avant de statuer elle-même sur la demande en décharge ou en mutation de cote de la contribution foncière présentée par l'intéressé (CE, arrêt du 13 juillet 1961, X... , n° 49980, RO, p. 409).

7Par ailleurs, il convient de signaler que le droit de propriété en question doit être entendu au sens large et non limité à la propriété d'immeubles.

Ainsi, lorsqu'un contribuable se prétend propriétaire d'un véhicule automobile et qu'il y a litige à cet égard, c'est l'autorité judiciaire qui est compétente pour trancher cette question de propriété (CE, arrêt du 16 juin 1967, n° 70108, RJ, 2e partie, p. 154), ou encore, lorsqu'un ingénieur prétend que la somme reçue par lui à la suite de son départ d'une société dont il était le salarié représente non pas un revenu imposable mais le prix de cession à ladite société des droits de copropriété qu'il détenait sur divers brevets pris au nom de cette dernière, il appartient à l'autorité judiciaire, eu égard au caractère sérieux de la contestation soulevée, de trancher la question de savoir si, à la date du versement de la somme susvisée, l'intéressé était ou non effectivement copropriétaire des brevets en cause (CE, arrêt du 30 octobre 1968, n° 71732, RJ, 2e partie, p. 218).

3° Questions préjudicielles de droit civil.

8 En matière d'obligation :

Aux termes du 4e alinéa de l'article 1846 du CGI transféré sous l'article L 282 du LPF dans des termes analogues, lorsqu'un tiers, mis en cause en vertu des dispositions du droit commun, contestera son obligation à la dette du contribuable inscrit au rôle, le tribunal administratif surseoira à statuer jusqu'à ce que la juridiction civile ait tranché la question de l'obligation.

Ainsi, il a été jugé que lorsqu'une personne, qui s'était portée caution conjointe et solidaire du paiement de droits et intérêts de retard dus en matière de taxes sur le chiffre d'affaires par une société, a formé opposition aux actes de poursuites engagés à son encontre, en contestant l'obligation résultant pour elle du cautionnement, le tribunal administratif doit surseoir à statuer jusqu'à ce que la juridiction civile ait tranché la question de l'obligation (CE, arrêt du 6 décembre 1967, n° 70626, X... René, RJ, 2e partie, p. 240).

9 En matière d'interprétation d'un contrat :

Le juge de l'impôt, ayant à résoudre la question de savoir si le bailleur d'un immeuble à usage d'hôtel, en raison de l'existence d'un contrat antérieur de cession du nom commercial, avait consenti une location civile ou bien la location d'un ensemble d'éléments constitutifs d'un fonds de commerce, et éprouvant un doute sérieux sur la portée des contrats d'où est issue la situation soumise à son appréciation, a estimé devoir, en conséquence, renvoyer à l'autorité judiciaire la question d'interprétation du contrat (CE, arrêt du 13 mai 1964, n° 60894).

De même, lorsque se pose une question touchant à l'interprétation d'un cahier des charges d'une vente immobilière - qui relève de la compétence de l'autorité judiciaire - il y a lieu pour le Conseil d'État de surseoir à statuer jusqu'à ce que la juridiction compétente se soit prononcée sur la question préjudicielle dont il s'agit (CE, arrêt du 4 juin 1965, n° 64516).

En revanche, le juge administratif est compétent :

- pour apprécier si la somme encaissée par un contribuable constitue le prix d'une vente. Il s'ensuit que doit être annulé le jugement qui renvoie l'administration et le contribuable devant l'autorité judiciaire pour faire interpréter, à titre de question préjudicielle, les clauses du contrat en vertu duquel a été payée la somme sur laquelle l'impôt est réclamé (CE, arrêt du 6 novembre 1931, n° 19705, Société des Aciéries de LONGWY, BCI n° 2, 1932, p. 32, TJCA n° 53005) ;

-pour résoudre la question de savoir si un contribuable qui a exécuté un lot de travaux soumissionnés par une société doit, pour l'application de la loi fiscale, être considéré comme ayant agi en qualité de membre d'une association en participation formée entre lui-même et la société susvisée ou comme sous-traitant. Dès lors, c'est à tort qu'en pareil cas le tribunal administratif surseoit à statuer jusqu'à ce que la juridiction compétente se soit prononcée sur la question préjudicielle de savoir quelle est la nature exacte de l'association alléguée (CE, arrêt du 2 mars 1942, n° 70285, X... , RJCI 1942, p. 177, TJCA n° 53011) ;

- pour interpréter les actes pour lesquels l'administration s'est réclamée des dispositions de l'article L 64 du LPF (abus de droit, en matière d'impôts directs ou de taxes sur le chiffre d'affaires).

4° Questions diverses.

10Il a été décidé que :

- s'agissant du lieu d'imposition d'une maison située sur la ligne séparative de deux communes, c'est à la juridiction administrative qu'il appartient de statuer sur le litige dès lors qu'il n'existe sur les limites mêmes des communes, aucune contestation présentant à juger une question préjudicielle (CE, arrêt du 23 mai 1960, n° 35333, Demoiselle X... , RO, p. 89) ;

- le juge administratif est compétent pour interpréter l'article 1561 du CGI 5 concernant l'exonération de taxe sur les spectacles dont dépend l'exonération de taxe locale et il n'y a pas lieu à renvoi pour question préjudicielle devant la juridiction compétente pour connaître des litiges concernant la taxe sur les spectacles (CE, section, arrêt du 21 novembre 1975, n° 95740) ;

- il appartient au juge de l'impôt, en vue de déterminer le régime d'imposition des divers éléments d'une indemnité, de rechercher, en se fondant sur les termes du jugement du Tribunal de grande instance, rapprochés si besoin est, des pièces au vu desquelles ce jugement a été rendu, la nature des différents préjudices que le tribunal a entendu réparer par l'allocation d'une indemnité d'éviction globale, ainsi que la part de cette indemnité que le tribunal doit être réputé avoir affectée à la réparation de la perte, subie par le bénéficiaire de l'indemnité, sur certains éléments de son actif immobilisé (CE, arrêt du 27 mai 1983, n° 27921).

1   Un tribunal peut également surseoir à statuer pour d'autres motifs, mais sans en avoir l'obligation (cf. 13 O 162 ).

2   L'article 21 de la loi de finances pour 1992 a substitué aux dégrèvements totaux de taxe foncière sur les propriétés bâties des exonérations.

3   Les questions préjudicielles afférentes à l'interprétation d'une convention diplomatique sont étudiées ci-après n° 15 .

4   La procédure de mutation de cote est supprimée depuis le 1er août 1994 (loi n° 93-1352 du 30 décembre 1993, art. 85) [cf. 13 Q 312].

5   Voir Recueil des contributions indirectes et des réglementations assimilées.