Date de début de publication du BOI : 30/04/1996
Identifiant juridique : 13O1332
Références du document :  13O1332

SOUS-SECTION 2 LIMITES AU PRINCIPE ET AUX EFFETS DE L'AUTORITÉ DE LA CHOSE JUGÉE LA RELATIVITÉ DE LA CHOSE JUGÉE


SOUS-SECTION 2

Limites au principe et aux effets de l'autorité de la chose jugée
La relativité de la chose jugée


La décision juridictionnelle, en dépit de la chose jugée qui s'y attache, n'a cependant qu'une autorité relative.

Cette relativité se manifeste d'abord à l'égard des personnes qui n'ont pas été parties à l'instance, la chose jugée ne leur étant pas opposable.

D'autre part, l'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'à des décisions de fond.

En outre, elle ne s'attache qu'à la question spécialement tranchée par le juge.

Enfin, le principe de l'annualité de l'impôt constitue l'un des aspects particuliers de la relativité de la chose jugée dans le contentieux fiscal.


  A. L'AUTORITÉ DE LA CHOSE JUGÉE N'EST PAS OPPOSABLE AUX TIERS


1L'autorité de la chose jugée ne vaut que pour les parties en cause et n'a pas d'effet à l'égard de tous. Ceux qui n'ont été ni parties, ni représentés aux débats ne peuvent se voir opposer une décision à laquelle ils sont demeurés étrangers (CE, arrêt du 18 mars 1963, n° 54726, X... ).

2L'application de cette règle présente un intérêt lorsque le jugement a été rendu entre particuliers et que l'Administration se trouve alors dans la position de tiers.

À cet égard, une jurisprudence constante a posé que la chose jugée dans une instance à laquelle l'Administration n'a pas pris part ne peut lui être opposée (Cass. Ch., req. 17 novembre 1847, Cass. civ., 17 novembre 1857).

Ainsi, par exemple, il a été jugé que la décision homologative d'un règlement qui liquide les droits et reprises d'une veuve sur la succession de son mari, n'a pas l'autorité de la chose jugée vis-à-vis de l'Administration de l'enregistrement qui n'y a pas été partie. En conséquence, on ne peut lui opposer cette décision pour la détermination de la nature et de la quotité des droits à percevoir (Cass. civ., 12 décembre 1853).

3On notera néanmoins que, contrairement à la règle énoncée ci-dessus, les jugements d'annulation rendus en matière d'excès de pouvoir ont l'autorité absolue de la chose jugée et valent à l'égard de tous, la décision administrative mise à néant étant censée n'avoir jamais eu d'existence juridique.

Cette autorité s'impose à l'Administration comme aux particuliers même s'ils n'ont pas pris part à l'instance.


  B. L'AUTORITÉ DE LA CHOSE JUGÉE NE S'ATTACHE QU'À UNE DÉCISION DE FOND


4L'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'à ceux des jugements qui tranchent un point de fond (cf. également 13 O 131 n° 10 ).

À remarquer que ce point de fond peut être relatif à la procédure d'imposition ou à la charge de la preuve.

Lorsqu'il statue sur le fond, un tribunal épuise sa juridiction et il ne lui appartient plus de se prononcer sur la même affaire (CE, arrêt du 30 novembre 1928, n°s 96510 et 97030, X... , RO, 5264, Leb. chron., p. 1233, 2e esp.).

5En revanche, s'il écarte une première demande du contribuable pour vice de forme, il peut, sans méconnaître l'autorité de la chose jugée statuer au fond sur une nouvelle demande relative à la même imposition.

Dès lors, si dans ce cas le Tribunal se borne à constater qu'il n'y a lieu de statuer, son jugement doit être annulé.

Si, ayant rejeté pour vice de forme une demande qui aurait dû être présentée en premier lieu devant le service des impôts, le Tribunal administratif est saisi régulièrement d'une deuxième demande, il ne peut l'écarter pour le motif qu'il aurait épuisé sa juridiction, et le jugement doit être annulé s'il se borne à constater qu'il n'y a lieu de statuer (CE, arrêt du 31 janvier 1938, dame veuve X... , RO, p. 65).

6D'une manière générale, le fait qu'un tribunal ait déclaré non recevable une première requête pour un motif de forme ne prive pas le contribuable du droit de rouvrir de nouveau le débat sur le fond par une seconde requête contre une nouvelle décision du directeur, à condition bien entendu que la seconde réclamation au service des impôts soit encore présentée dans les délais légaux (CE, arrêts des 12 juillet 1974, n° 87076, RO, n° IV, p. 99 et du 25 juillet 1975, n° 86984 ; cf. 13 O 132, n° 7 ).


  C. L'AUTORITÉ DE LA CHOSE JUGÉE NE S'ATTACHE QU'À LA QUESTION TRANCHÉE PAR LE JUGE



  I. Principe


7L'autorité de la chose jugée « n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement » (Code civil, art. 1351).

C'est ainsi que :

- une décision rejetant une réclamation pour un motif de forme (cf. ci-dessus n° 4 ) n'emporte pas chose jugée quant au montant des impositions contestées ;

La décision par laquelle le Tribunal administratif a rejeté comme non recevable une réclamation présentée par un contribuable contre l'imposition qui lui a été assignée au titre d'une année déterminée n'emporte pas chose jugée quant au montant des cotisations dont l'intéressé est passible au titre de ladite année. Cette décision ne peut, par suite, priver l'Administration du droit d'établir, s'il y a lieu, une imposition supplémentaire (CE, arrêt du 6 novembre 1931, n°s 9387 à 9389, RO, p. 5700).

- une décision annulant une contrainte décernée contre un contribuable, par suite du dégrèvement de l'imposition qui lui était réclamée, n'emporte pas chose jugée quant à l'exigibilité de ladite imposition.

En se basant exclusivement, pour annuler une contrainte décernée contre un contribuable, sur ce que celui-ci aurait précédemment obtenu le dégrèvement intégral de l'imposition qui lui était réclamée, le Tribunal administratif n'a pas statué sur l'exigibilité de ladite imposition. L'intéressé ne peut dès lors se fonder sur cette décision, en lui attribuant l'autorité de la chose jugée, pour demander la décharge de la nouvelle cotisation qui lui a été assignée ultérieurement au titre de la même année (CE, arrêt du 5 avril 1933, n° 22048, RO, 5991).

- de même une décision par laquelle le tribunal déclare qu'il n'y a pas lieu à statuer sur l'imposition contestée en raison du dégrèvement d'office accordé par l'Administration n'a pas l'autorité de la chose jugée quant au bien-fondé de ladite imposition.

Lorsque le directeur, a, en raison de l'irrégularité de la procédure d'imposition, prononcé d'office la décharge d'une cotisation d'impôt sur le revenu, ce dégrèvement doit être considéré comme entraînant une omission au rôle, au sens de l'article 139 de l'ancien code général des impôts directs. D'autre part, la circonstance que le Tribunal administratif saisi d'une demande dirigée contre cette cotisation s'est, en raison du dégrèvement intervenu, borné à rendre un jugement de non-lieu à statuer ne confère pas à la décision du Tribunal administratif l'autorité de la chose jugée. Il s'ensuit que l'Administration peut valablement établir, dans le délai de répétition prévu à l'article 139 précité, une nouvelle imposition pour la même année et sur les mêmes bases (CE, arrêts des 30 octobre 1950, n° 3941, RO, p. 100 et 7 juillet 1952, n° 9284, RO, p. 85).

Un Tribunal administratif ne peut se fonder, pour écarter une demande, sur l'autorité de la chose jugée dans une autre instance qui n'avait pas le même objet que le litige qui lui est soumis (CE, arrêt du 25 novembre 1970, n° 78100, RJ, n° IV, p. 146).


  II . Conséquences


Le fait que l'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'à la question tranchée par le juge emporte les conséquences suivantes.

À l'égard du juge.

8La même juridiction peut être appelée à se prononcer valablement en ce qui concerne une nouvelle imposition établie au titre de la même année quand la première imposition a fait l'objet d'une précédente décision prononçant un dégrèvement pour un motif d'irrégularité de procédure.

Ainsi, lorsque le Tribunal administratif a prononcé la décharge d'une cotisation en se fondant uniquement sur l'irrégularité de la procédure d'imposition, il peut, sans méconnaître l'autorité de la chose jugée qui s'attache à sa décision, statuer au fond à l'égard d'une nouvelle cotisation établie au titre de la même année et pour la même contribution, suivant une procédure régulière (CE, arrêt du 29 juin 1936, n° 35947, RO, 6490).

Par ailleurs, l'autorité de la chose jugée ne s'impose pas au juge administratif s'il n'y a pas eu constatation de fait, mais simple appréciation portée par une juridiction civile sur une situation à l'occasion d'un litige de caractère non fiscal.

Ainsi jugé par le juge administratif de l'impôt à propos d'une décision d'une cour d'appel (juridiction civile) en matière d'expropriation.

Celle-ci, pour accorder une indemnité complémentaire de remploi à une société civile expropriée de ses terrains, avait considéré que les terrains en cause n'étaient pas « notoirement destinés à la revente » étant donné que la société civile avait pour objet statutaire la construction de logements individuels et collectifs.

Mais l'appréciation ainsi portée par le juge de l'expropriation n'a que l'autorité relative de la chose jugée et ne fait pas obstacle à ce que la juridiction administrative appelée à trancher un litige fiscal formule une appréciation différente (CE, arrêt du 9 mars 1977, n° 98505, SCI Le Portzou Immobilier).

À l'égard de l'Administration.

9Les limites que l'on vient d'indiquer au principe de l'autorité de la chose jugée, à savoir que celle-ci ne s'attache qu'à la question tranchée par le juge, permettent à l'Administration de faire usage, éventuellement, de son droit de reprise, alors qu'une imposition a déjà donné lieu à une décision juridictionnelle, à condition que le redressement ait un autre fondement juridique.

Ainsi, l'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'à la question spécialement tranchée par les juges. Il en résulte que, postérieurement à un jugement du Tribunal administratif qui a maintenu l'impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux primitivement assigné à un contribuable, l'Administration est en droit d'établir une imposition supplémentaire, sous réserve que celle-ci ne remette en question aucun des points sur lesquels le Tribunal administratif a été appelé à statuer (CE, arrêts des 3 novembre 1933, n° 31040, RO, 6045 et 6 novembre 1931, cité ci-dessus n° 7 )

Et dans le même ordre d'idées, lorsque, pour rejeter la demande dont il était saisi, le Tribunal administratif s'est borné à constater que, par suite du dégrèvement accordé par le directeur, le contribuable s'est trouvé imposé d'après un revenu inférieur à celui déclaré, le Tribunal ne s'est nullement prononcé sur le bien-fondé de ce dégrèvement et l'Administration peut rétablir l'imposition par voie de rôle supplémentaire sans porter atteinte à l'autorité de la chose jugée (CE, arrêt du 26 avril 1937, n° 55074, RO, p. 233).


  D. LES CONSÉQUENCES DES REGLES PROPRES À L'ANNUALITÉ DE L'IMPÔT



  I. Principe


10La relativité de la chose jugée trouve en droit fiscal une importante application en raison des règles édictant l'annualité de l'impôt.

En effet, les impositions de même nature établies au titre d'années différentes doivent, éventuellement, donner lieu à des actions indépendantes les unes des autres, car elles sont considérées comme ayant des objets distincts.

Par conséquent, une décision rendue sur une imposition relative à une année déterminée n'a pas l'autorité de la chose jugée au regard des impositions des années antérieures ou postérieures.

Il n'en serait autrement que si une situation était rendue permanente par l'effet d'une disposition législative ; c'était le cas pour les anciennes contributions foncières (des propriétés bâties et non bâties) en ce qui concernait la fixité des évaluations, principe abandonné avec l'établissement des taxes foncières sur les propriétés bâties et non bâties.


  II. Conséquences


À l'égard de l'Administration.

11L'Administration peut valablement maintenir une imposition pour une année postérieure, alors qu'un jugement favorable au contribuable serait déjà intervenu en ce qui concerne un litige de même nature pour une année précédente.

Ainsi, lorsque, statuant sur une demande d'exemption temporaire de la contribution foncière des propriétés bâties, le Tribunal administratif a reconnu au propriétaire d'un immeuble nouvellement édifié le droit à l'exemption non seulement pour l'année visée dans la demande, mais encore pour les années postérieures non visées dans cette demande et que le ministre a introduit, contre le jugement, un recours devant le Conseil d'État, l'Administration, sans attendre la décision du juge d'appel, est en droit de maintenir le contribuable intéressé sur les rôles des années postérieures (CE, arrêt du 4 janvier 1937, n° 55623, Sté « Selz et Cie », RO, p. 2).

À l'égard du juge de l'impôt.

12Le Tribunal administratif ne peut, sans violer le principe de la relativité de la chose jugée, se borner à déclarer, pour accorder la décharge d'une imposition (en l'espèce la contribution foncière) concernant une année déterminée que c'est en méconnaissance du jugement qu'il a rendu à l'égard de l'imposition de l'année antérieure, que l'Administration a maintenu le contribuable sur les rôles de l'année suivante (CE, arrêt du 16 mars 1959, n° 44917, Entreprise de travaux publics de l'ouest, RO, p. 379).

À l'égard du contribuable.

13La demande (en mutation de cote) 1 d'un contribuable doit être considérée comme recevable, eu égard au principe de l'annualité de l'impôt, encore bien qu'une demande semblable concernant l'année précédente aurait été rejetée par un jugement du Tribunal administratif passé en force de chose jugée (CE, arrêt du 10 janvier 1938, n° 29737, Sté du gaz franco-belge, RO, p. 4).

En application du même principe, un contribuable ne peut se prévaloir, à l'occasion d'un litige relatif à une imposition (en l'espèce la contribution des patentes, actuellement supprimée) qui lui a été assignée pour une année déterminée, d'un jugement du tribunal administratif rendu pour une année antérieure (CE, arrêt du 2 février 1942, n° 65709, Sté concessionnaire du port et des magasins publics de Paris-Austerlitz, RO, p. 35)

 

1   La procédure de mutation de cote est supprimée depuis le 1er août 1994 (loi de finances pour 1994, art. 85) [cf. 13 Q 312].