Date de début de publication du BOI : 30/04/1996
Identifiant juridique : 13O131
Références du document :  13O13
13O131

CHAPITRE 3 AUTORITÉ DE LA CHOSE JUGÉE

CHAPITRE 3

AUTORITÉ DE LA CHOSE JUGÉE

1L'expression « chose jugée » dans le langage juridique s'applique à la décision prise par un jugement. Dès que celui-ci est rendu, on lui reconnaît « autorité de chose jugée », en ce qu'il met fin au litige. Le point sur lequel il a été statué ne peut plus, en principe, être remis en question dès lors qu'une présomption de vérité est attachée au jugement rendu.

2Le principe de l'autorité de la chose jugée a été posé par les articles 1350 et 1351 du Code civil. En effet, aux termes de l'article 1350 dudit code :

« La présomption légale est celle qui est attachée par une loi spéciale à certains actes ou à certains faits : tels sont :

l'autorité que la loi attribue à la chose jugée ... » ;

L'article 1351 du même code énonce que :

« L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formées par elles et contre elles en la même qualité ».

Ainsi, l'autorité de la chose jugée par une décision rendue dans un litige de plein contentieux est subordonnée à la triple identité des parties, d'objet et de cause.

3L'autorité de la chose jugée peut être ou non définitive selon que les décisions auxquelles elle s'attache sont devenues ou non inattaquables.

C'est pourquoi, on distingue ;

- les jugements passés en force de chose jugée irrévocable qui ne peuvent être remis en question devant aucun tribunal (lorsque les délais des voies de recours ordinaires et extraordinaires sont expirés ou qu'il a été fait usage en vain de ces voies de droit) ;

- les jugements qui ont acquis simplement la force de chose jugée, lesquels ne peuvent être attaqués que par des voies de recours extraordinaires 1  ;

- les jugements qui n'ont que l'autorité de la chose jugée, et sont susceptibles d'être attaqués par les voies de recours ordinaires 2 .

Ces distinctions n'ont qu'une importance secondaire en droit fiscal dans la mesure où certaines voies de recours (opposition, tierce opposition, recours en révision) n'y sont qu'assez exceptionnellement utilisées. Ce n'est d'ailleurs pas tant l'autorité plus ou moins définitive de la chose jugée qui fait question en pratique, mais plutôt sa portée exacte et ses limites, ce que l'on a coutume de désigner sous l'expression de « relativité de la chose jugée » (cf. 13 O 1332 ).

4La notion d'autorité de la chose jugée répond à un souci de sécurité juridique et de paix sociale : il est en effet primordial que les relations entre les particuliers eux-mêmes ou entre les particuliers et l'Administration demeurent stables et ne soient pas sans cesse remises en cause devant les juridictions.

À cet égard, la chose jugée constitue une fin de non-recevoir et peut être opposée par l'une des parties pour empêcher que la partie adverse ne remette en question un point litigieux déjà tranché.

Mais, d'autre part, elle est rangée par l'article 1350 du Code civil parmi les présomptions légales et par suite peut être invoquée par une partie qui entend en faire tirer par le juge de nouvelles conséquences. Elle dispense alors de toute preuve celui au profit duquel elle existe (Code civil, art. 1352).

5Issu des dispositions du Code civil, le principe de l'autorité de la chose jugée trouve à s'appliquer non seulement en matière civile, mais également en matière administrative et répressive.

6On aperçoit dès l'abord l'intérêt pratique que peut présenter ce principe de l'autorité de la chose jugée dans le contentieux de l'impôt. En effet, dans cette matière où le contribuable est presque toujours le demandeur, le Service peut invoquer la chose jugée en tant que fin de non-recevoir, ce qui lui permet d'éviter qu'une même contestation présentée par un même contribuable soit jugée plusieurs fois 3 et de s'exonérer ainsi des moyens dilatoires employés par un redevable procédurier ou de mauvaise foi.

À l'inverse, il est important de connaître quelles sont les limites de ce principe, sa « relativité », afin d'apprécier dans quelle mesure l'Administration est habilitée à faire usage de son droit de reprise lorsqu'une imposition primitive contestée a déjà donné lieu à décision du juge de l'impôt ; on verra qu'une imposition supplémentaire est possible lorsqu'elle n'a pas le même fondement juridique (cf. 13 O 1332, n° 9 ).

Enfin, dans le domaine des incidences respectives des jugements rendus par des juridictions différentes dans des litiges connexes, il est utile de savoir que seule la matérialité des faits établis par une décision de la juridiction répressive s'impose au juge de l'impôt de l'ordre administratif ou de l'ordre judiciaire jugeant au civil (cf. 13 O 134, n° 3 ).

7S'agissant des litiges fiscaux qui sont susceptibles de faire l'objet d'un contentieux administratif au judiciaire , les règles gouvernant le domaine, les éléments constitutifs, la portée et les effets ainsi que les diverses incidences de la chose jugée et qui s'inscrivent dans le cadre du droit commun avec leur spécificité propre, sont examinées dans les quatre sections ci-après.

SECTION 1

Domaine de l'autorité de la chose jugée

L'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'à des décisions qui émanent d'une juridiction.

Ces décisions doivent trancher d'une manière définitive les questions litigieuses.

Enfin, l'autorité de la chose jugée ne s'applique en principe qu'au dispositif des jugements.

  A. L'AUTORITÉ DE LA CHOSE JUGÉE NE S'ATTACHE QU'À UNE DÉCISION JURIDICTIONNELLE

1La décision qui produit l'autorité de la chose jugée doit émaner d'une juridiction, ce qui conduit à exclure :

- d'une part, les décisions prises en matière gracieuse ;

- d'autre part, les décisions prises en matière contentieuse par le directeur ou un agent délégataire ;

- enfin, les avis et décisions rendus par les diverses commissions qui interviennent en matière fiscale.

  I. Exclusion des décisions émanant de la juridiction gracieuse

2En principe, l'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'aux décisions contentieuses. Elle n'est pas produite par des décisions prises en matière gracieuse (sur le domaine des juridictions contentieuse et gracieuse, cf. 13 O 1 ).

3Toutefois, par exception à ce principe, l'ancien article 1852-7° alinéa du CGI dans sa rédaction en vigueur antérieurement au 1er avril 1964, prévoyait :

« Les transactions exécutées par les redevables et approuvées par l'autorité compétente ont l'autorité de la chose jugée, tant en ce qui concerne les droits que les pénalités ».

Selon ces dispositions, qui s'appliquaient uniquement aux taxes sur le chiffre d'affaires, il a été jugé qu'une transaction exécutée par le redevable et approuvée par l'autorité compétente ayant mis fin au litige né à l'occasion des redressements opérés à l'encontre de ce redevable, c'est à bon droit que le Tribunal administratif a rejeté comme irrecevable une demande tendant à la restitution des sommes versées en exécution de cette transaction (CE, arrêts des 13 juillet 1967, n° 70807, Dame X... , RJ, 2e partie, p. 119 et 8 novembre 1972, n° 80514, Société Age-France, RJ, n° IV, p. 92).

Les dispositions dudit article 1852-7° alinéa ont été reprises sous une autre forme par les paragraphes 2 et 3 de l'article 1965 H du CGI, transféré sous l'article L 251 du LPF qui s'applique en toutes matières fiscales pouvant donner lieu à transaction 4 et aux termes duquel :

« Lorsqu'une transaction est devenue définitive après accomplissement des obligations qu'elle prévoit et approbation de l'autorité compétente, aucune procédure contentieuse ne peut plus être engagée ou reprise pour remettre en cause les pénalités qui ont fait l'objet de la transaction ou les droits eux-mêmes ».

La jurisprudence citée ci-dessus qui confère l'autorité de la chose jugée à une transaction définitive conserve donc toute sa valeur au regard des dispositions légales en vigueur (CE, arrêt du 24 novembre 1976, n° 94835, Félix X... ).

Il faut d'ailleurs remarquer que les dispositions rapportées ci-dessus constituent la traduction, au plan fiscal, du principe général énoncé par l'article 2052 du Code civil selon lequel « les transactions ont, entre les parties, l'autorité de la chose jugée en dernier ressort ».

  II. Exclusion des décisions prises en matière contentieuse par le directeur ou un agent délégataire

4L'autorité de la chose jugée ne peut s'attacher qu'aux décisions rendues par les tribunaux, elle ne s'étend pas aux décisions qui sont prises en matière contentieuse par le directeur (CE, arrêt du 22 février 1929, n° 2243, RO, 5294).

5En effet, l'Administration peut toujours - pourvu bien entendu que son action ne soit pas prescrite - revenir sur une imposition ayant fait l'objet d'une décision contentieuse du directeur.

C'est ainsi que l'Administration est en droit d'établir une autre imposition, à l'issue d'une procédure régulière, après avoir prononcé le dégrèvement d'office de l'imposition primitive établie au titre de la même année, en raison de l'irrégularité de la procédure d'imposition (CE, arrêt du 17 décembre 1969, n° 73350, RJ, 2e partie, p. 152).

6De son côté, le contribuable est recevable à présenter une nouvelle réclamation concernant la même imposition que celle faisant l'objet de sa réclamation initiale 5 .

Jugé à cet égard que la circonstance que l'Administration a déjà statué sur la réclamation d'un contribuable n'interdit pas à celui-ci, s'il est encore dans les délais prévus 6 , de présenter utilement une nouvelle réclamation contre la même imposition. Aucune irrecevabilité tirée du rejet de la réclamation précédente ne peut être opposée à cette nouvelle réclamation (CE, arrêt du 12 juillet 1974, n° 87076, RJ, n° IV, p. 99).

  III. Exclusion des avis et décisions rendus par les diverses commissions qui interviennent en matière fiscale

7Les avis ou décisions rendus par les diverses commissions qui interviennent en matière fiscale n'ont pas un caractère juridictionnel emportant autorité de la chose jugée.

C'est notamment le cas pour les avis ou décisions émis par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires qui ne lient pas le juge de l'impôt bien qu'ils puissent produire des effets juridiques en particulier au regard de la charge de la preuve (cf. 13 O 1211 ).

  B. DÉCISIONS AUXQUELLES EST ATTACHÉE OU NON L'AUTORITÉ DE LA CHOSE JUGÉE

8Aux termes de l'article 480 du Nouveau Code de procédure civile « Le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal 7 , ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche ».

Et aux termes de l'article 482 du même code « Le jugement qui se borne, dans son dispositif, à ordonner une mesure d'instruction ou une mesure provisoire, n'a pas au principal, l'autorité de la chose jugée ».

Ces dispositions, spéciales à la procédure civile, énoncent des principes généraux que les juridictions administratives appliquent également.

Il faut donc pour qu'il y ait chose jugée, que la décision tranche de façon définitive un point du litige.

Il n'est pas nécessaire pour autant que la décision ait été prononcée en dernier ressort.

D'autre part, l'autorité de la chose jugée peut s'attacher à certains jugements avant-dire droit lorsqu'ils statuent définitivement sur une ou plusieurs des questions posées, aux jugements rendus par défaut et aux jugements de donné-acte ; quant au non-lieu à statuer, il replace les parties dans la même situation que s'il n'y avait pas eu d'instance juridictionnelle, et il n'emporte pas autorité de la chose jugée.

  I. La décision n'a pas à être prononcée en dernier ressort

9L'autorité de la chose jugée s'attache à une décision sans qu'il soit nécessaire que cette décision ait été prononcée en dernier ressort. Dès le jour où il a été rendu, un jugement a l'autorité de la chose jugée lorsqu'il met fin au litige ou à certains points du litige de sorte que le Tribunal épuise son pouvoir de juridiction. Sans doute, si ce jugement est susceptible d'une voie de recours, cette autorité n'est que provisoire, mais elle persiste tant que le recours n'a pas été formé et si aucun recours n'est formé dans les délais, le jugement passera en force de chose irrévocablement jugée.

  II. Jugements avant-dire droit

a. Jugements ayant tranché explicitement certains points du litige.

10Aux termes d'une première décision, une SCI a été reconnue redevable du droit de bail et de la taxe additionnelle à ce droit, en raison de l'occupation, par son principal associé, de certains locaux lui appartenant, le Tribunal de grande instance ordonnant, en outre, une expertise en vue de fixer la catégorie et la valeur locative de ces locaux.

La société ne s'est pas pourvue contre cette décision mais elle a formé un recours en cassation contre le second jugement, statuant sur l'expertise, en argumentant sur le principe même de l'exigibilité des droits qui avait déjà été tranché.

Elle a été jugée irrecevable à présenter un moyen dirigé contre une décision antérieure devenue irrévocable faute d'avoir fait l'objet d'un recours (Cass. com., arrêt du 13 novembre 1984, affaire SCI « Babylone IV », RJ, 3ème partie ; cf. également 13 O 6111 n°s 5 et 6).

S'agissant des jugements rendus par les tribunaux administratifs, il convient de distinguer deux périodes :

- avant l'intervention du décret n° 84-819 du 29 août 1984 dont les dispositions ont, d'abord, été codifiées à l'article R 192 de l'ancien Code des TA et CTA puis reprises à l'article R 229 du CTA et CAA.

Selon la jurisprudence, deux conditions devaient être réunies pour que l'autorité de la chose jugée s'attache à un jugement avant-dire droit. Il fallait :

. d'une part, que le jugement ait tranché explicitement certains points de la contestation ;

. d'autre part, que ce jugement n'ait pas été frappé d'appel dans le délai normal de deux mois courant à compter de la date de sa notification.

Dès lors que cette décision réunissait les deux conditions précitées, la force qui s'y attachait faisait obstacle à ce que le contribuable remette en cause devant le tribunal statuant au fond les questions définitivement tranchées.

- depuis l'intervention du décret précité.

Le délai d'appel contre un jugement avant-dire droit, qu'il tranche ou non une question au principal, court jusqu'à l'expiration du délai d'appel contre le jugement qui règle définitivement le fond du litige ( article R 229 du CTA et CAA).

1   Tierce opposition, recours en révision, pourvoi en cassation.

2   Appel et opposition.

3   Tout autant que le contribuable est toujours dans les délais pour engager une nouvelle instance juridictionnelle.

4   Impôts sur les revenus, taxes sur le chiffre d'affaires, droits d'enregistrements et contributions indirectes (sur ce demier point, cf. 13 O renvoi n° 2).

5   Mais en cas de recours au juge de l'impôt, le principe de l'autorité de la chose jugée s'opposera, s'il y a identité en cause, à ce que le même litige concernant le même impôt établi au titre de la même année soit jugé une seconde fois (cf. 13 O 132, n° 7 )

6   Qu'il s'agisse du délai général des articles R* 196-1 et R* 196-2 du LPF ou du délai spécial prévu à l'article R* 196-3 du LPF.

7   Constitué par les prétentions respectives des parties, le principal s'entend de l'objet du litige tel qu'il est déterminé par l'article 4 du NCPC.