Date de début de publication du BOI : 01/02/1985
Identifiant juridique : 12C2245
Références du document :  12C2245

SOUS-SECTION 5 DÉTOURNEMENT D'OBJETS SAISIS


SOUS-SECTION 5

Détournement d'objets saisis



PRÉAMBULE


Le débiteur saisi demeure propriétaire, jusqu'à la vente aux enchères publiques, des biens placés sous la main de la justice mais il ne peut en disposer au préjudice du créancier saisissant. Cette règle, d'origine doctrinale et jurisprudentielle, a été consacrée par l'article 2092-3 nouveau du Code civil (cf. loi n° 72-626 du 5 juillet 1972, art. 2) qui stipule :

« Les biens saisis sont indisponibles ;

« Les baux consentis par le saisi sont, quelle que soit leur durée, inopposables aux créanciers poursuivants ;

« Les mêmes règles sont applicables aux biens saisis, hypothéqués ou nantis à titre conservatoire. »

L'indisponibilité dont sont ainsi frappés les biens saisis doit être entendue en ce sens que les actes de disposition (aliénation à titre gratuit ou onéreux, constitution de gage, etc.) accomplis par le débiteur, bien que valables entre les parties, sont inopposables au créancier saisissant.

De plus en disposant des biens saisis, sans avoir obtenu la mainlevée de la saisie ou le consentement à l'acte du créancier saisissant, le débiteur commet une faute qui engage sa responsabilité civile et le rend passible de dommages-intérêts.

L'inopposabilité de l'acte entraîne son inefficacité à l'égard du créancier saisissant ; toutefois, si le bien saisi a été livré par le débiteur à un acquéreur de bonne foi, celui-ci se trouve protégé contre l'action en revendication du créancier par la règle « en fait de meubles, la possession vaut titre » édictée par l'article 2279, premier alinéa, du Code civil. En pareille hypothèse, il n'est pas davantage possible au saisissant d'invoquer les dispositions du second alinéa de cet article qui autorise la revendication en cas de perte ou de vol puisqu'il n'y a pas eu vol au sens strict de l'article 379 du Code pénal, dès lors que le débiteur est censé demeurer propriétaire des biens saisis jusqu'à la vente aux enchères publiques.

La bonne foi de l'acquéreur doit être présumée et il suffit qu'elle ait existé au moment de l'acquisition (cf. Code civ., art. 2268 et 2269).

Mais si la preuve de la mauvaise foi de l'acquéreur peut être rapportée, notamment s'il est prouvé qu'au moment de l'acquisition il avait eu connaissance de la saisie ou qu'il a agi de connivence avec le débiteur saisi, il n'est plus en mesure de se prévaloir des dispositions du premier alinéa de l'article 2279 précité pour s'opposer à la revendication entre ses mains des objets saisis. En outre, dans ce cas, en raison de la faute commise par l'acquéreur, le créancier poursuivant est en droit de demander la condamnation de celui-ci à des dommages-intérêts.

Les actions en inopposabilité ou en revendication et, éventuellement, en dommages-intérêts sont normalement de la compétence des tribunaux civils. Cependant, ces actions sont généralement exercées, en vertu des articles 2 et 3 du Code de procédure pénale, devant les tribunaux répressifs en même temps que l'action publique en détournement d'objets saisis (Affaire X... et Y... , TGI Guingamp, 6 mars 1970, RJ IV, 1970, p. 185, et affaire X... Paul. Cass. crim., 4 juillet 1974, RJ IV. 1974, p. 176).

L'indisponibilité qui frappe les biens saisis comporte, en effet, non seulement des sanctions civiles mais aussi des sanctions pénales dont l'application relève de la compétence exclusive des tribunaux répressifs.

La présente sous-section a plus précisément pour objet d'exposer les règles permettant la mise en oeuvre de la répression pénale en cas de détournement d'objets saisis.


GÉNÉRALITÉS


1 Textes de base. - L'article 600 du Code de procédure civile dispose : « Ceux qui, par voie de fait, empêcheraient l'établissement du gardien, ou qui enlèveraient et détourneraient des effets saisis, seront poursuivis conformément au code d'instruction criminelle » (Code de procédure pénale).

L'article 400 (3 e et 4 e al.) du Code pénal prévoit que « le saisi qui aura détruit, détourné ou tenté de détruire ou de détourner des objets saisis sur lui et confiés à sa garde, sera puni des peines portées en l'article 406 ».

« Il sera puni des peines portées en l'article 401 si la garde des objets saisis et qu'il aura détruits ou détournés ou tenté de détruire ou de détourner avait été confiée à un tiers. »


  A. CONDITIONS NÉCESSAIRES POUR QU'IL Y AIT DÉTOURNEMENT



  I. Existence d'une saisie


2Par le terme de « saisie », la loi vise les multiples procédures tendant à mettre sous la main de la justice des objets dont on peut craindre la disparition. Et à cet égard, il n'y a pas à distinguer entre les différentes saisies ; les dispositions de l'article 400, alinéas 3 et 4, sont générales et s'appliquent même aux saisies pratiquées en matière de contributions indirectes en vue de faire prononcer la confiscation (cf. CGI. art. 1791). Elles s'appliquent également aux saisies conservatoires. Toutefois, dans la présente sous-section, on s'en tiendra au détournement de biens saisis-exécutés.

3Le délit de détournement, qui suppose l'existence préalable d'une saisie-exécution, peut être réprimé même si « la saisie est entachée d'une nullité de forme ou de fond... » dès lors que l'acte considéré a les apparences d'une saisie pratiquée par un officier ministériel ayant qualité pour ce faire (Juris-classeur de proc. civ., art. 594-606. n° 30).

4Par contre, si on a donné mainlevée pure et simple de la saisie-exécution, il n'y a pas de délit. Si, au contraire, la mainlevée est soumise à des conditions (autorisation donnée au débiteur de vendre une partie des biens, sous la réserve expressément notifiée, soit de remplacer les objets en nature dans un certain délai, soit de verser le prix de cession au Trésor) qui ne seraient pas respectées, on doit admettre que le débit est consommé et qu'il doit être, par conséquent, réprimé.


  II. Existence d'un gardien


5Il ne peut y avoir détournement que dans la mesure où les objets saisis ont été confiés à la garde de la partie saisie ou d'un tiers.


  B. PERSONNES SUSCEPTIBLES D'ÊTRE POURSUIVIES : L'AUTEUR DU DÉLIT, LES COMPLICES


6Les dispositions de l'article 400 précité du Code pénal ne visent que la soustraction des biens commise par le saisi lui-même ou, si la partie saisie est une personne morale, par son représentant légal ou un dirigeant de fait (rappr. Cass. crim., 21 décembre 1971, BODGI 13 RC. 13 N-3-72). Les complices et les recéleurs sont punissables au même titre que l'auteur principal (Trib. corr. de Châteauroux, 11 décembre 1968, BOCI 1969-1-132 ; trib. corr. de Guimgamp. 6 mars 1970, BODGI du 17 juin 1960. 12 R-12 C-8-70).

A noter que lorsque les biens saisis ont été détournés par le conjoint, les descendants ou les ascendants du débiteur saisi, ou par un tiers quelconque, les peines de vol prévues par l'article 379 du Code pénal sont applicables (Cass. crim., 8 janvier 1885. Sir. 1885-1-96).

Le conjoint du débiteur ne peut. s'il est l'auteur du détournement, bénéficier de l'immunité pénale de l'article 380 du Code pénal (Cass. crim., 18 avril 1857, DP 1857-1-226 : trib. corr. Seine du 27 janvier 1951. DH 1951-214).


  C. LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DU DÉLIT



  I. L'élément matériel du délit


7L'élément matériel est constitué par tout acte du saisi, tel que le déplacement ou l'aliénation frauduleuse, tendant à soustraire les biens placés sous la main de la justice à l'emprise du créancier saisissant.

Tel est le cas notamment du déplacement de l'objet saisi en vue de gêner l'exercice de la saisie et de mettre le bien hors d'atteinte du créancier saisissant (Cass. crim., 23 juin 1965). Il n'est pas nécessaire, en effet, que l'objet mis sous la main de la justice ait été dissipé (Cass. crim., 6 février 1875, Bull. crim. n° 43 ; 29 janvier 1891. DP 1891-1-394). Ont été également sanctionnés, non seulement la destruction matérielle complète des biens saisis (trib. corr. de Riom. 30 octobre 1959) et l'aliénation des biens sans l'accord du créancier (Cass. crim., 18 janvier 1950, JCP 1950-II-5422), mais également le déplacement, à l'insu du créancier, des objets saisis rendant de ce fait la saisie inefficace (Cass. crim., 23 juin 1965. GP 1965-2-220 : cf. aussi Cass. crim., 19 février 1964. GP 1964-1-406 ; trib. corr. de Guingamp. 6 mars 1970 précité).

En cas d'aliénation frauduleuse, le délit est caractérisé, même s'il n'y a pas eu encore déplacement (Cass. crim., 1 er avril 1954. Bull. crim. n° 137. p. 238). Enfin, le détournement peut découler d'une résistance injustifiée et persévérante opposée au saisissant.


  II. L'élément moral


8Le délit n'est constitué qu'à la condition que la partie saisie ait eu l'intention de soustraire les objets mis sous la main de la justice à l'action du saisissant. Mais l'intention frauduleuse existe dès lors que le prévenu avait connaissance de la saisie (Cass. crim., 29 novembre 1888. Bull. crim. n° 1888. n° 341 ; 22 janvier 1953. ibid , n° 23 ; 29 octobre 1957. ibid. n° 679 ; 25 mars 1958. ibid ., n° 303). Ainsi, la décision qui qualifie de détournement le transport par le débiteur, d'un lieu à un autre, des objets saisis et ajoute que le prévenu a voulu, par tous les moyens en son pouvoir, se soustraire aux responsabilités mises à sa charge constate suffisamment l'existence de l'intention frauduleuse (Cass. crim., 7 juillet 1916. Bull. crim. n° 149).


  D. TENTATIVE


9La tentative de détournement, ou de destruction, de l'objet saisi est punissable comme le fait consommé.


  E. PRESCRIPTION


10La prescription, qui est de trois ans, court du jour où le détournement est commis, sauf si le saisissant démontre que des manoeuvres frauduleuses l'ont empêché de connaître le délit. Dans ce cas le point de départ de la prescription est le jour où le délit a pu être connu.


  F. RÔLE DU SERVICE



  I. Constatation du délit


11La constatation du délit peut résulter d'un exploit d'huissier, dressé à l'occasion, par exemple, du récolement précédant la vente mobilière (Code de proc. civ., art. 616).

Lorsque, au vu d'un acte de cette nature, le comptable chargé du recouvrement relève des manquants, il lui appartient d'établir un rapport circonstancié aux fins du dépôt d'une plainte pour détournement d'objets saisi. Ce rapport est adressé au receveur divisionnaire qui fait procéder à une enquête en vue de s'assurer que les éléments constitutifs du délit sont bien réunis. S'il en est ainsi, il le transmet au directeur des Services fiscaux avec avis favorable pour la suite à donner.


  II. Constitution de partie civile


12L'administration, qui est représentée dans chaque division par les directeurs des Services fiscaux, est en droit de porter plainte. Elle a également pris pour règle de se constituer partie civile (Code de proc. pén., art. 2 et 3 ; CGI, art. 1753 bis ) en vue d'obtenir des dommages-intérêts destinés à réparer le préjudice que lui cause le détournement 1 . Ces dommages-intérêts comprennent la somme correspondant au trouble, au dérangement et aux frais occasionnés par le délit et la valeur des biens détournés s'ils ne peuvent être restitué. En outre, l'Administration demande au tribunal de fixer la durée de la contrainte par corps pour le cas où la condamnation aux dommages-intérêts ne serait pas exécutée.


  III. Consultation de la Direction générale


13Le projet de la plainte à déposer auprès du tribunal dans le ressort duquel a été commis le délit de détournement ainsi que le projet des conclusions de partie civile à produire devant la juridiction répressive doivent être soumis à l'approbation de la Direction générale (bureau BV 3).

 

1   Depuis un arrêt de principe rendu le 7 juin 1982 par la chambre criminelle de la Cour de cassation ( Bull. crim. n° 150, p. 422), l'Administration n'est plus fondée à demander la restitution d'une somme d'argent ou de tout autre objet placé sous main de justice au cours d'une procédure de saise-exécution, dès lors que la juridiction correctionnelle est incompétente pour statuer sur une telle demande qui se rattache à une procédure distincte des poursuites dont elle est saisie.

L'Administration ne peut donc que solliciter l'octroi de dommages-intérêts étant rappelé que le recouvrement de ces sommes allouées par le juge n'est pas assorti de la contrainte par corps (Cass. crim., 19 juin 1978, Bull. crim. n°201, p.516).