SOUS-SECTION 4 CHANGEMENT DE RÉGIME MATRIMONIAL DROITS DES CRÉANCIERS
SOUS-SECTION 4
Changement de régime matrimonial
Droits des créanciers
1Pour les sommes recouvrées par les comptables de la Direction générale des Impôts, l'obligation à la dette de chacun des époux est fixée par le régime matrimonial sous lequel ils vivent
2Or les régimes de communauté (communauté légale réduite aux acquêts ou communautés conventionnelles) offrent aux créanciers un champ d'application plus étendu que les régimes de séparation de biens.
Aussi, certains redevables s'efforcent-ils de modifier leur régime matrimonial pour faire sortir de leur patrimoine leurs biens mobiliers ou immobiliers et les faire échapper à l'action de leurs créanciers parmi lesquels figure le Trésor.
A. MODALITÉS DE CHANGEMENT DU RÉGIME MATRIMONIAL
3Le régime matrimonial des époux peut être changé soit par la voie d'une procédure contentieuse, soit par celle d'une procédure gracieuse.
I. La séparation judiciaire de biens
4Déjà prévue au profit exclusif de la femme mariée par l'ancien article 1443 du Code civil, qui demeure applicable aux unions contractées avant l'entrée en vigueur de la loi du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux, la séparation de biens peut désormais être requise en justice par l'un ou l'autre des époux.
En effet, le nouvel article 1443 du Code civil énonce : « Si, par le désordre des affaires d'un époux, sa mauvaise administration ou son inconduite, il apparaït que le maintien de la communauté met en péril les intérêts de l'autre conjoint, celui-ci peut poursuivre la séparation de biens en justice ».
5Le caractère frauduleux de ce changement résulte en général du fait que le désordre des affaires de l'époux n'est qu'apparent ; le rapprochement de la date du dépôt de la demande de séparation des biens avec la date de la mise en recouvrement des impositions et de la notification des actes de poursuites, fournit souvent des éléments susceptibles d'établir le concert frauduleux des époux.
II. La modification conventionnelle du régime matrimonial (Code civil, art. 1397)
6L'article 1397 du Code civil, dont les dispositions sont applicables même aux époux dont le mariage a été célébré ou les conventions matrimoniales passées avant l'entrée en vigueur de la loi du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux, accorde aux époux, dans l'intérêt de la famille, la possibilité de changer entièrement ou de modifier leur régime matrimonial (conventionnel ou légal), après deux années d'application. Ce changement ou cette modification fait l'objet d'un acte notarié soumis à l'homologation du tribunal de grande instance de leur domicile.
7Comme la séparation judiciaire de biens, le changement conventionnel du régime matrimonial peut dissimuler une fraude. Le cas le plus fréquent est que des époux, jusqu'alors communs en biens, conviennent d'adopter la séparation de biens. Ils invoquent « l'intérêt de la famille » et demandent au tribunal l'homologation de ce changement, alors qu'en réalité il s'agit pour eux d'organiser l'insolvabilité de l'un d'eux, du mari le plus souvent (par exemple, lors du partage de la communauté, la part de l'épouse est constituée de valeurs sûres, alors que les valeurs douteuses sont attribuées au mari. ou bien des clauses rompant abusivement l'équilibre entre eux. sont insérées dans le contrat).
B. MESURES DE PUBLICITÉ DE LA DEMANDE ET DU JUGEMENT DE SÉPARATION JUDICIAIRE DE BIENS ET D'HOMOLOGATION DU CHANGEMENT DE RÉGIME MATRIMONIAL
8La protection des créanciers à l'encontre d'un changement de régime matrimonial de leur débiteur, qui est susceptible de leur causer un préjudice, est assurée en premier lieu par des mesures de publicité.
La demande et le jugement de séparation de biens doivent être publiés dans les conditions et sous les sanctions prévues par le Code de procédure civile, ainsi que par les règlements relatifs au commerce si l'un des époux est commerçant (Code civ., art. 1445, 1 er al.).
De même, la demande et la décision d'homologation doivent être publiées dans les conditions et sous les sanctions prévues au Code de procédure civile ; en outre, si l'un des époux est commerçant, la décision est publiée dans les conditions et sous les sanctions prévues par les règlements relatifs au registre du commerce (Code civ., art. 1397. 4 e al.).
I. Publicité de la demande
9A la diligence de l'avocat du demandeur, un extrait de la demande, qui doit être portée devant le tribunal de grande instance de la résidence de la famille (nouveau Code de proc. civ., art, 1292, 1 er al., et art. 1300). est transmis aux secrétariats-greffes des tribunaux de grande instance dans le ressort desquels sont nés l'un et l'autre des époux, afin de conservation au répertoire civil et de publicité par mention en marge de l'acte de naissance.
A noter que le jugement ne peut être rendu qu'un mois après la mention portée en marge des actes de naissance (nouveau Code de proc. civ., art. 1293 et 1303).
Un extrait de la demande peut, en outre, être publié dans un journal diffusé dans le ressort du tribunal saisi (nouveau Code de proc. civ., art. 1292, 2 e et 3 e al., et 1303).
10Lorsque l'un des époux est commerçant, la demande en séparation de biens doit être déclarée au greffe du tribunal de commerce par le conjoint demandeur dans le délai de trois jours pour être mentionnée au registre du commerce et-des sociétés (art. 29 du décret n° 67-237 du 23 mars 1967 relatif au registre du commerce et des sociétés et art. 18-7° de l'arrêté du 29 août 1978 relatif au registre du commerce et des sociétés ; cf. également art. 9-6° du décret et art. 3-6° de l'arrêté).
Le tribunal ne peut également statuer que s'il est justifié que cette mention a été portée au registre du commerce et des sociétés (art. 29 précité).
11En application de l'article 8 du décret n° 67-238 du 23 mars 1967 instituant le Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, la demande d'inscription modificative au registre du commerce et des sociétés est publiée audit bulletin dans la mesure où elle modifie l'une des énonciations de la demande d'immatriculation primitive.
II. Publicité du jugement
12 La décision qui accepte la demande est obligatoirement publiée dans un journal diffusé dans le ressort du tribunal qui l'a rendue.
13Le dispositif du jugement doit être signifié à l'officier d'état civil du lieu où le mariage a été célébré aux fins de mention en marge de l'acte de célébration et, éventuellement, si un contrat de mariage a été passé entre les époux, au notaire détenteur de la minute du contrat (nouveau Code de proc. civ., art. 1294 et 1303).
14 La décision qui rejette la demande est, suivant les articles 1296 et 1303 du nouveau Code de procédure civile. publiée conformément à l'alinéa 2 de l'article 1292 du même code, c'est-à-dire par voie de mention en marge de l'acte de naissance de chacun des époux.
15Lorsque l'un des époux est commerçant, le jugement définitif recevant (ou rejetant) la demande en séparation de biens, ou homologuant l'acte notarié de changement ou de modification du régime matrimonial, doit être déclaré au greffe du tribunal de commerce dans le délai d'un mois, pour être mentionné au registre du commerce et des sociétés (art. 30-4° du décret n° 67-237 relatif au registre du commerce et des sociétés et art. 18-8° de l'arrêté du 21 août 1978 relatif au registre du commerce et des sociétés ; cf. également art. 9-6° du décret et art. 3-6° de l'arrêté).
16Le jugement est publié au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (art. 8 du décret n° 67-238 du 23 mars 1967 instituant le Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales ).
III. Opposabilité aux tiers du jugement
1. Opposabilité aux tiers du jugement de séparation judiciaire de biens ou de changement de régime matrimonial d'un commerçant.
17Lorsque l'un des époux est commerçant, il ne peut opposer aux tiers ni aux administrations publiques, qui peuvent toutefois s'en prévaloir, les jugements sujets à mention que si ces derniers ont été publiés au registre du commerce. Cette disposition n'est pas applicable si les assujettis établissent qu'au moment où ils ont traité, les tiers ou administrations en cause avaient connaissance des faits et actes dont il s'agit (art. 43 du décret n° 67-237 du 23 mars 1967 relatif au registre du commerce et des sociétés).
2. Opposabilité aux tiers du changement de régime matrimonial d'un non-commerçant.
18En outre, le changement homologué a effet à l'égard des tiers, trois mois après que mention en aura été portée en marge de l'un et de l'autre exemplaires de l'acte de mariage. Toutefois, en l'absence même de cette mention, le changement n'en est pas moins opposable aux tiers si. dans les actes passés avec eux, les époux ont déclaré avoir modifié leur régime matrimonial (Code civ., art. 1397, 3 e al.).
C. INTERVENTION EN COURS D'INSTANCE ET EXERCICE DE VOIES DE RECOURS A L'ENCONTRE DU JUGEMENT DE SÉPARATION JUDICIAIRE DE BIENS OU DE CHANGEMENT DE RÉGIME MATRIMONIAL
I. Intervention en cours d'instance
19Quand l'action en séparation judiciaire de biens prévue à l'article 1443 du Code civil a été introduite, les créanciers peuvent sommer les époux par acte d'avocat à avocat de leur communiquer la demande et les pièces justificatives. Ils peuvent même intervenir à l'instance pour la conservation de leurs droits (Code civ., art. 1447, 1 er al.).
1. Recevabilité de l'intervention.
20L'intervention volontaire principale n'est recevable que si son auteur a le droit d'agir relativement à cette prétention (nouveau Code de proc. civ., art. 329). Au cas particulier, c'est en application de l'article 1447, 1 er alinéa du Code civil que les créanciers peuvent intervenir à l'instance en séparation judiciaire de biens pour la conservation de leurs droits.
21En outre, la doctrine et la jurisprudence reconnaissent aux créanciers le droit d'intervenir à l'instance d'homologation du changement de régime matrimonial (TGI, Chaumont, 12 juillet 1969, JCP 1969, II. 16075 ; TGI Avesnes-sur-Helpe, 23 mai 1967, JCP ed. not., 1966, II, 154601.
2. Formes et délais de l'intervention.
22L'intervention doit exposer les prétentions et les moyens de la partie qui la forme et indiquer les pièces justificatives (nouveau Code de proc. civ., art. 63 et 67).
Elle est formée à l'encontre des parties à l'instance de la même manière que sont présentés les moyens de défense (art. 68, 1 er al. de ce code).
L'acte par lequel est formée l'intervention est dénoncé aux autres parties (art. 69 de ce code).
23Il s'ensuit que l'intervention est formée par voie de conclusions contenant les prétentions et les moyens, appuyées des pièces justificatives. Ces conclusions sont adressées au magistrat de la juridiction saisie par l'avocat de l'intervenant et signifiées aux avocats de la partie adverse.
24En outre, l'article 783 du nouveau Code de procédure civile relatif à la procédure devant le tribunal de grande instance, dispose que l'intervention volontaire est recevable, même lorsqu'elle est faite après l'ordonnance de clôture. Peuvent même intervenir en cause d'appel dès lors qu'elles y ont intérêt les personnes qui n'ont été ni parties, ni représentées en première instance ou qui ont figuré en une autre qualité [art. 554 du même code] 1 .
3. Objet de l'intervention.
25L'objet de l'intervention est de démontrer que la demande de séparation judiciaire de biens ou d'homologation de changement de régime matrimonial n'est pas fondée au regard respectivement de l'article 1443 ou 1397 du Code civil.
26A cet égard, en cas de séparation judiciaire de biens, l'aveu de l'époux défendeur ne fait pas preuve, même s'il n'y a pas de créanciers (nouveau Code de proc. civ., art. 1299).
II. Tierce opposition
1. Recevabilité de la tierce opposition.
27L'appel est ouvert aux créanciers qui sont intervenus à l'instance.
28Par contre, ceux qui ne sont pas intervenus à l'instance ont encore la faculté de former tierce opposition.
29En effet, si la séparation judiciaire de biens a été prononcée en fraude de leurs droits, les créanciers peuvent se pourvoir contre elle par voie de tierce opposition, dans les conditions prévues du Code de procédure civile (Code civ., art. 1447, 2 e al.).
30De même, les créanciers, s'il a été fait fraude de leurs droits, pourront former tierce opposition contre le jugement d'homologation dans les conditions du Code de procédure civile (Code civ., art. 1397, 6 e al.).
31A cet égard, il est admis que la tierce opposition dirigée par les créanciers contre un jugement homologuant le changement de régime matrimonial de leurs époux doit être accueillie même si la fraude que ce changement de régime est destiné à permettre s'est matérialisée dans l'acte de partage, qui a été la suite de cette décision (Cass., 1 re civ., 2 mars 1982, Dalloz 1984. J. p. 184 ; cf. également cour de Rennes, 14 juin 1982. BODGI *12 C-5-83).
2. Conditions de la tierce opposition.
32Les créanciers sont tenus d'apporter la preuve de la fraude commise par l'époux (cf. pour la séparation judiciaire de biens : Cass, 1 re civ., 8 novembre 1976, Dalloz 1977, IR, p. 39 ; pour l'homologation du changement de régime matrimonial : Cass.. 1 re civ., 4 janvier 1977. Dalloz 1977, IR. p. 254).
33Ils doivent établir également le préjudice que leur cause le jugement. Ce préjudice résulte d'ailleurs du changement de régime matrimonial, et le cas échéant, de la dissolution de la communauté et de ses conséquences.
1 En appel, l'intervention est faite par voie d'assignation (nouveau Code de proc. civ., art. 68.2 e al.).