Date de début de publication du BOI : 01/10/1973
Identifiant juridique : 12C2241
Références du document :  12C224
12C2241

SECTION 4 RECONSTITUTION ET SURVEILLANCE DU PATRIMOINE DES DÉBITEURS


SECTION 4

Reconstitution et surveillance du patrimoine des débiteurs



SOUS-SECTION 1

L'action paulienne


1L'action révocatoire ou action paulienne est prévue par l'article 1167 du Code civil dans les termes suivants : « Ils (les créanciers) peuvent aussi, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits ».

« Ils doivent néanmoins, quant à leurs droits énoncés au titre « des successions  » et au titre « du contrat de mariage et des régimes matrimoniaux », se conformer aux règles qui y sont prescrites ».

2Réserve faite des exceptions prévues par le 2 e alinéa de l'article 1167, le créancier peut donc, sous certaines conditions, attaquer, en exerçant l'action paulienne, tous les actes à titre onéreux, sauf les paiements, et tous les actes à titre gratuit faits par son débiteur.

3Ayant pour effet de rendre un acte réel inopposable au créancier qui l'a exercée, et dirigée contre le tiers qui a profité de la fraude (Cass. 4 juin 1969, Bull. civ. 1969.IV, n° 207, p. 199), cette action présente le caractère d'un acte d'exécution (Cass. 18 décembre 1957, D.H. 1958.224) ; elle a pour but de préparer et de faciliter « l'emploi des voies d'exécution et la réalisation du gage » (Paris, 19 décembre 1866, D.P. 1866.2.156) réintégré dans le patrimoine du débiteur.


  A. CONDITIONS D'EXERCICE DE L'ACTION PAULIENNE


a. A l'égard du créancier.

1. Existence d'une créance antérieure ou non à l'acte attaqué.

4En principe, l'acte critiqué par le créancier doit être postérieur à la naissance de sa créance. Toutefois, il n'en est plus ainsi lorsqu'il est démontré que cet acte a été effectué en vue de la créance à naître, pour priver par avance un créancier futur des garanties sur lesquelles il pouvait compter. Suivant la Cour de cassation (15 février 1967, Bull. civ. I, n° 66, p. 49 ; 22 novembre 1968, Bull. civ. III, n° 484, p. 370 ; 27 juin 1972, Bull. civ. III, n° 420, p. 305) lorsque la fraude a été concertée et pratiquée à l'effet de nuire à un créancier, il importe peu qu'elle soit ou non antérieure à la créance. L'action paulienne est également ouverte au créancier qui ne dispose que d'un principe de créance antérieur à la fraude du débiteur (Cass. 22 novembre 1968 précité). En particulier, il a été jugé que la victime d'une infraction consommée possède, contre l'auteur de celle-ci, un principe certain de créance qui lui permet d'engager l'action paulienne contre un acte postérieur fait en fraude de ses droits à réparation (Cass. 14 juin 1961, Bull. civ. I, n° 312, p. 246 ; 23 avril 1971, Bull. civ. III, n° 255, p. 182).

5A cet égard, on rappellera qu'en matière de taxes sur le chiffre d'affaires notamment, la créance fiscale prend naissance au moment où la dissimulation est commise et non à celui où elle est constatée ou liquidée par l'Administration.

2. Nécessité d'un préjudice.

6Cette condition, non énoncée par l'article 1167 du Code civil, résulte de la règle : pas d'intérêt pas d'action. L'action paulienne suppose que l'acte attaqué a rendu le débiteur insolvable ou a augmenté son insolvabilité préexistante. Ce résultat est en général obtenu par un acte d'appauvrissement, faisant sortir une valeur du patrimoine de l'intéressé. Cependant, la jurisprudence tend de plus en plus à admettre l'exercice de l'action paulienne contre un acte par lequel le débiteur a simplement diminué la valeur de ses biens de manière à rendre impossible ou inefficace l'exercice des droits du créancier sans pour autant créer, de façon générale, son insolvabilité (cf. Cass. 19 décembre 1941, D.C. 1942.65). Plus spécialement, la Cour suprême a estimé que peut être attaquée par la voie de l'article 1167 du Code civil la cession, bien que consentie à un prix normal, qui a eu pour effet de faire échapper un bien aux poursuites du créancier en le remplaçant par un autre facile à dissimuler (arrêt du 21 novembre 1967, D. 1968.317 ; 18 février 1971, D. 1972.53).

Mais les juges du fond doivent rechercher si, à l'époque où l'action est engagée, le reste des biens du débiteur ne suffirait pas à désintéresser le demandeur (Cass. civ. 27 juin 1972, Bull. civ. I, n° 163, p. 142). L'action paulienne n'est, en effet, possible, en principe, que si les autres biens composant le patrimoine du débiteur ne permettent pas aux créanciers d'être payés. Ce caractère subsidiaire de l'action paulienne confère au tiers contre lequel elle est dirigée, une sorte de bénéfice de discussion, grâce auquel il peut exiger du demandeur qu'il commence par saisir les biens encore entre les mains de son débiteur.

b. A l'égard du débiteur.

1. Intention de la fraude.

7En plus de l'élément matériel (le préjudice), il faut encore un élément moral (la fraude). Celle-ci doit être recherchée à la date de l'acte critiqué.

8Selon certains auteurs, dont l'opinion est confirmée par de nombreuses décisions de justice, la fraude réside, dans la connaissance que le débiteur a eue, en accomplissant l'acte litigieux, de créer ou d'augmenter son insolvabilité (Cass. 25 juin 1895, S. 1899.1.491 ; Cour d'Aix-en-Provence, 17 décembre 1957, R.J.C.l. 1957, n° 78, p. 226). Selon d'autres auteurs et arrêts (Cass. 21 novembre 1967, 18 février 1971, précités), l'acte devrait avoir été intentionnellement accompli « dans le but de nuire » au créancier.

9En réalité, la controverse devient sans objet si, comme le proposent certains auteurs (H., L. et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, 3 e éd., tome 2, p. 858, n° 994), on prend soin de « distinguer les deux procédés qu'utilise le débiteur pour frauder ses créanciers » :

« Tantôt il remplace un bien facilement saisissable par un autre bien de même valeur, mais qu'il pourra facilement dissimuler. Dans ce cas, il est évident que l'acte n'est critiquable que si le débiteur l'accomplit dans le but de nuire à ses créanciers, et pour soustraire les biens cédés à leurs poursuites.  »

« Tantôt le débiteur donne un bien, ou le cède, en n'exigeant pas une contrepartie suffisante : il diminue volontairement son patrimoine. Dans ce cas, la simple connaissance de son insolvabilité ou du fait que cette insolvabilité est aggravée par l'acte suffit pour qu'il y ait fraude. »

2. Preuve de la fraude.

10Conformément aux principes généraux régissant la charge de la preuve (cf. art. 1315, Code civ.), il appartient au créancier demandeur d'établir que toutes les conditions d'exercice de l'action paulienne sont réunies et, plus spécialement, qu'en accomplissant l'acte attaqué, le débiteur ou bien a eu l'intention de lui nuire, ou bien a su qu'il créait ou augmentait son insolvabilité. Cette preuve se fait par tous les moyens, y compris par présomptions ou par témoins.

c. A l'égard du tiers acquéreur.

11Le créancier qui poursuit la révocation d'un acte doit établir la complicité personnelle du tiers acquéreur à titre onéreux, c'est-à-dire, suivant la distinction indiquée ci-dessus, l'intention de nuire ou la connaissance de l'existence ou de l'aggravation de l'insolvabilité du débiteur avec qui il a traité. Cette preuve se fait par tous les moyens. La complicité du tiers n'a pas à être prouvée lorsque l'acte attaqué est un acte à titre gratuit, la fraude paulienne étant alors présumée, sans que le tiers puisse d'ailleurs être admis à faire tomber cette présomption.


  B. CAS D'APPLICATION


12 A titre d'exemples, ont été considérés comme faits en fraude des droits du créancier :

a. Les actes à titre onéreux suivants :

- une vente d'immeubles réalisée à un prix fictif au profit du gendre du débiteur (Cass. 2 août 1932, B.C.I. 24) ;

- une création fictive de société (Trib. civ. de Saint-Étienne, 16 février 1939, B.C.I. 11) ;

- des apports en société faits par des débiteurs en vue de soustraire leurs biens à l'action du Trésor (Dijon, 24 juin 1958, R.J.C.I. 1958, n° 78, p. 213) ;

- une cession de créance (Trib. civ. de Lisieux, 23 février 1939, B.C.I. 23) ;

- une cession de droits immobiliers consentie à un prix normal dans l'intention de faire échapper les biens aux poursuites en les remplaçant par d'autres plus faciles à dissimuler (Cass. 21 novembre 1967, Bull. civ. I n° 336, p. 252 ; D. 1968. 317 ; rapprocher : Cass. 14 novembre 1970, Bull. civ. III, n° 602, p. 440, vente d'appartements, à un prix normal, par une société civile au préjudice d'un constructeur, la société débitrice ayant rapidement disposé du produit de la vente).

b. Les actes à titre gratuit suivants :

- une donation d'immeubles à un enfant en bas âge (Trib. civ. de Saint-Julien-en-Genevois, 20 décembre 1955, R.J.C.I. 1955, n° 47, p. 250) ;

- des donations-partages (Aix-en-Provence, 17 décembre 1957, R.J.C.I. 1957, n° 78, p. 226).


  C. EFFETS DE L'ACTION PAULIENNE


13L'action paulienne a pour effet de rendre l'acte litigieux inopposable au créancier poursuivant et de faire réintégrer à son seul profit dans le patrimoine du débiteur des biens qui en étaient frauduleusement sortis. Il n'a donc pas à craindre le concours des autres créanciers, s'ils ne sont pas intervenus dans le procès. Toutefois, en cas de règlement judiciaire ou de liquidation des biens, si les créanciers sont recevables à agir individuellement, leur action profite à toute la masse.

14Lorsque cette réintégration est devenue impossible, notamment en cas de vente du bien à un sous-acquéreur de bonne foi par le tiers acquéreur à titre onéreux, ce dernier doit désintéresser le créancier poursuivant.

15De même, le tiers acquéreur à titre gratuit, dont la complicité n'a pas à être démontrée peut, si celle-ci est prouvée, être condamné non seulement à la restitution intégrale du bien reçu, mais également au paiement de dommages-intérêts (Trib. grande instance d'Abbeville, 1 er octobre 1968, R.J.C.I. 1968.111, p. 46).


  D. PRESCRIPTION


16L'action de l'article 1167 du Code civil se prescrit par trente ans.


  E. OBSERVATIONS ET RECOMMANDATIONS


17Il est rappelé que l'action paulienne doit être dirigée non pas seulement contre le redevable fautif mais essentiellement contre le tiers acquéreur (cf. ci-dessus, n° 3 ). Dès lors, il convient de désigner nommément ce tiers dans l'assignation introductive d'instance et de lui faire signifier cet acte par copie séparée.

18Avant de soumettre le projet d'assignation introductive d'instance à l'approbation de la Direction générale (Bureau IV A 3), le Service doit rassembler tous les éléments de fait de nature à emporter la conviction des juges, qui disposent en la matière d'un large pouvoir d'appréciation. Il importe également que l'action soit engagée dans un délai raisonnable après la conclusion de l'acte litigieux.

19Il est à noter que cette action, si elle tend à obtenir la résolution, la révocation ou l'annulation d'une convention portant sur un immeuble, doit obligatoirement être publiée au bureau des hypothèques de la situation du bien immobilier (décret du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière, ch. III, art. 28, 4 c).

20On ajoutera, enfin, que la Cour de cassation est loin d'être hostile à l'exercice de l'action paulienne. Disposée à assurer aux créanciers une protection vigilante contre les débiteurs de mauvaise foi, il n'est pas rare qu'elle interprète assez largement l'article 1167 du Code civil. Le Service, à qui il incombe de surveiller l'évolution de la consistance du patrimoine des contribuables débiteurs, portera donc une attention particulière aux actes susceptibles de l'amoindrir et n'hésitera pas à adresser des propositions tendant à l'exercice de l'action révocatoire toutes les fois que les éléments d'information en sa possession justifieront cette procédure.

21Le directeur des Services fiscaux a seul qualité pour introduire l'action en justice et en suivre tous les développements (instances et voies de recours). Il agit au vu d'un rapport établi par le comptable chargé du recouvrement et complété par les observations et l'avis du receveur divisionnaire.