SOUS-SECTION 4 DÉTERMINATION DU BÉNÉFICE IMPOSABLE EN FRANCE ACTIVITÉ EXERCÉE CONJOINTEMENT EN FRANCE ET À L'ÉTRANGER
C. PERTES ET DÉFICITS SUBIS HORS DE FRANCE
45En vertu des règles de la territorialité et conformément à la jurisprudence du Conseil d'État, les résultats d'une entreprise imposable en France ne sauraient être affectés, sous quelque forme que ce soit, par les pertes et déficits qui se rattachent à une exploitation étrangère dont les profits échappent à l'impôt français.
Bien entendu, ce principe ne vaut que sous réserve de l'application, le cas échéant, des dispositions de l'article 209 quinquies du CGI (cf. H 1415, n°s 1 et suiv. ).
46En particulier, les méthodes de ventilation exposées plus haut n'ont de portée qu'à l'égard des charges présentant un intérêt pour l'ensemble de l'entreprise. Elles ne sauraient permettre à une entreprise française, par dérogation au principe de territorialité, de retenir, pour la détermination du bénéfice soumis à l'impôt en France, des pertes ou charges résultant de l'activité exercée par un établissement stable à l'étranger (CE, arrêt du 18 mars 1985, req. n° 38036).
I. Pertes affectant l'actif net d'une société imposable en France mais imputables à une activité exercée hors de France
47Lorsqu'une société dont le siège est en France, exerce hors de France une activité industrielle ou commerciale distincte, elle ne peut pas tenir compte, pour la détermination du bénéfice imposable en France, des variations de l'actif net imputables à des événements ou opérations qui se rattachent à l'activité exercée hors de France. Il n'y a pas lieu de distinguer à cet égard entre les différentes causes des variations de l'actif net selon que celles-ci sont imputables notamment aux résultats de l'exploitation proprement dite, aux amortissements pratiqués ou aux plus-values ou moins-values constatées.
Par suite, la constatation, sous quelque forme que ce soit, de pertes affectant l'actif net comptable, imputables à une activité exercée à l'étranger, n'est pas de nature à modifier les résultats imposables en France.
Le Conseil d'État a ainsi jugé qu'une société ne peut être admise à déduire de ses bénéfices la perte constatée lors du remboursement d'un emprunt en monnaie étrangère, pour lequel elle avait donné son aval mais qui avait été contracté à l'étranger par une de ses succursales sise hors de France. L'emprunt avait été conclu au profit exclusif de cette succursale qui constituait un établissement fiscalement autonome et dont les résultats n'étaient pas imposables dans notre pays (CE, arrêt du 21 avril 1958, req. n° 39603, RO, p. 108).
Jugé également qu'une société dont le siège est en France qui possédait en Algérie des succursales se livrant à une activité distincte, ne pouvait déduire de ses résultats imposables en France, ni les pertes résultant de la destruction d'éléments d'actif immobilisé en Algérie, ni les pertes provenant du non-recouvrement de créances sur les clients, ni les autres pertes d'exploitation subies par ses succursales algériennes (CE, arrêt du 25 octobre 1972, req. n° 81999, RJ II, p. 129).
Cette jurisprudence a été confirmée par un arrêt du 14 novembre 1984, dans lequel la Haute Assemblée a estimé qu'une société française possédant une succursale en Algérie se livrant à une activité distincte, ne pouvait valablement déduire de son bénéfice imposable en France les pertes correspondant à la fraction estimée irrécouvrable d'avances de fonds consenties à sa succursale algérienne, qui connaissait des difficultés économiques (CE, arrêt du 14 novembre 1984, réq. n° 40368).
La Haute Assemblée a jugé encore que lorsqu'une société dont le siège est en France, exerce hors de France une activité industrielle ou commerciale distincte, les seules provisions qu'elle peut déduire de ses bénéfices imposables en France sont celles constituées en vue de faire face à des pertes ou charges qui se rattachent à l'activité exercée en France.
En effet, ne sont pas considérées comme telles et ne peuvent donc justifier la constitution d'une provision déductible, les pertes résultant de l'impossibilité pour une banque française de récupérer des fonds qu'elle a envoyés à ses succursales d'Algérie dès lors que l'activité de ces succursales est distincte de l'activité de l'établissement français (CE, arrêt du 20 novembre 1974, req. n° 85191, RJ II, p. 160).
De même, une banque, qui a créé en Guinée une succursale se livrant à une activité distincte, n'est pas fondée à déduire de ses propres résultats une provision constituée en vue de faire face à la perte de la dotation mise à la disposition de la succursale, dès lors que cette perte rendue probable par la liquidation de ladite succursale est imputable à des événements ou opérations se rattachant à l'activité exercée hors de France (CE, arrêt du 25 octobre 1972, req. n° 82309, RJ II, p. 126).
Une société dont le siège est en France mais qui dispose d'un établissement stable en Allemagne où elle exerce une activité industrielle et commerciale distincte ne peut déduire de ses bénéfices imposables en France les pertes de change, les provisions constituées en vue de faire face à des pertes de change et les pertes sur les éléments d'actifs qu'elle possédait en Allemagne dès lors que ces provisions et pertes sont imputables à des évènements ou opérations qui se rattachent à l'activité exercée par cet établissement stable hors de France (CE, 18 mars 1985 n° 38 036).
48La jurisprudence analysée ci-dessus est relative à la situation de sociétés françaises dont les succursales, établies à l'étranger, exercent une activité distincte mais ne possèdent ni personnalité juridique, ni autonomie patrimoniale par rapport au siège.
49En revanche, les principes ainsi définis ne peuvent être retenus dans le cas des rapports d'une société française avec une filiale ou toute autre entreprise établie hors de France et possédant une personnalité juridiquement indépendante de la sienne. Dans cette situation, la perte subie par la société française est déductible si elle ne trouve pas son origine dans une gestion commerciale anormale.
C'est ainsi qu'une société dont les résultats sont imposables en France est susceptible de constituer des provisions pour risques :
- d'une part à raison des créances qu'elle détient sur une filiale étrangère ou des prêts qu'elle lui a consentis, lorsque l'irrécouvrabilité des sommes correspondantes apparaît probable ;
- et, d'autre part à raison des engagements qu'elle a pris en garantie des emprunts et dettes de cette même filiale à condition que ces engagements aient constitué des opérations de gestion normale et s'il apparaît probable qu'ils devront être exécutés.
Elle peut également, sous certaines conditions, constater par voie de provisions les dépréciations éventuellement subies par sa participation au capital de la filiale. Enfin, en cas de dissolution de la filiale suivie de la liquidation et du partage de l'actif net en résultant, la société peut, d'une part, déduire de son bénéfice d'exploitation les pertes subies à cette occasion tant du fait de l'irrécouvrabilité des créances qu'elle détenait sur la société dissoute et des prêts qu'elle lui avait consentis, que de la mise en jeu des garanties qu'elle lui avait données et, d'autre part, tenir compte de la moins-value éventuellement subie sur ses titres de participation.
Le Conseil d'État a également jugé que l'aide à fonds perdu consentie par une banque à une filiale algérienne sous forme d'avances en compte courant -pour éviter une cessation de paiement qui eût été préjudiciable à son renom bancaire en France- constitue un acte de gestion normale pouvant justifier en partie la constitution d'une provision en vue de couvrir le risque de non-recouvrement desdites avances (CE, arrêt déjà cité du 20 novembre 1974, req. n° 85191, RJ II, p. 160).
II. Déficits provenant d'exploitations situées hors de France
50Les déficits provenant d'entreprises exploitées à l'étranger ne peuvent pas être pris en considération pour la détermination du bénéfice passible en France de l'impôt sur les sociétés.
51Il convient donc d'envisager isolément les résultats de la seule activité exercée en France. Par exemple, ne sera pas imposée une entreprise dont l'exploitation en France est déficitaire alors même que, dans son ensemble, ladite entreprise serait bénéficiaire.
52Dans l'hypothèse inverse, il y a lieu d'établir une imposition à raison des seuls profits réalisés en France, compte non tenu des déficits qui auraient été subis dans des établissements situés hors de France ou lors de la réalisation à l'étranger d'opérations dont les résultats échappent à l'impôt français en vertu du principe de la territorialité.
C'est ainsi que, pour la détermination du bénéfice imposable d'une compagnie de navigation ayant son siège en France, il n'y a pas lieu de retrancher des bénéfices que cette entreprise réalise dans notre pays, le déficit d'exploitation d'une agence qu'elle possède à l'étranger lorsque cette agence, bien qu'elle soit placée sous la dépendance et le contrôle du siège et que sa comptabilité soit reprise dans la comptabilité générale de l'affaire, n'en exerce pas moins, en ce qui concerne tant la recherche et la réception du fret que la mise en oeuvre du matériel de déchargement, une activité commerciale distincte de celle exercée en France par la compagnie (CE, arrêt du 6 juillet 1957, req. n° 40035, RO, p. 391).
De même une société ne saurait imputer sur ses bénéfices le déficit afférent à une agence établie par elle à l'étranger, dès lors que ladite agence ne constitue pas un simple bureau d'achats mais exerce en fait à l'étranger une activité autonome (les opérations effectuées à l'étranger comportaient à la fois des achats et des ventes sur place) [CE, arrêt du 12 novembre 1969, req. n° 75 410, RJCD 1re partie, p. 288].