Date de début de publication du BOI : 01/03/1995
Identifiant juridique : 4H1413
Références du document :  4H1413

SOUS-SECTION 3 APPLICATION DES PRINCIPES

SOUS-SECTION 3

Application des principes

PREMIÈRE PARTIE

 Entreprises ayant leur siège en France

1 Définition du siège : c'est en principe le siège social indiqué dans les statuts. Toutefois, si le siège social apparaît fictif, il y a lieu de retenir le siège réel, qui s'entend du lieu où sont, en fait, principalement concentrés les organes de direction, d'administration et de contrôle de la société. Le siège réel correspond au siège de direction effective visé dans la plupart des conventions internationales conclues avec la France (cf. H 1422, n° 6 ).

2En application de la jurisprudence du Conseil d'État et de la doctrine administrative exposées précédemment, les bénéfices réalisés par une entreprise qui a son siège en France échappent à l'impôt sur les sociétés lorsqu'ils résultent d'opérations caractéristiques de l'exercice habituel d'une activité hors de France.

3Tel est le cas de l'entreprise ayant son siège en France et qui se trouve dans l'une des situations suivantes :

- elle exploite un « établissement » hors de France ;

- elle réalise à l'étranger des opérations par l'intermédiaire d'une représentation stable n'ayant pas de personnalité professionnelle distincte de la sienne ;

- elle effectue hors de France des opérations qui forment un cycle commercial complet et qui peuvent être considérées comme se détachant des autres opérations de cette entreprise.

4Inversement, les bénéfices d'une entreprise possédant son siège en France y demeurent imposables à l'impôt sur les sociétés lorsqu'ils proviennent d'opérations qui ne sont pas caractéristiques de l'exercice habituel hors de France d'une activité au sens des indications qui précédent.

5Les bénéfices imposables en France comprennent notamment ceux qui proviennent des éléments suivants lorsqu'ils ne sont pas rattachables par nature à un établissement situé hors de France :

- immeubles situés hors de France ou droits correspondants ;

- brevets, licences d'exploitation ou autres droits incorporels cédés ou concédés hors de France ;

- placements financiers effectués hors de France.

6Le cas des sociétés qui ont leur siège social en France mais qui n'y exercent aucune activité est évoqué ci-après.

  A. EXISTENCE D'UN « ÉTABLISSEMENT » HORS DE FRANCE

7Sous réserve de l'application des dispositions de l'article 209 quinquies du CGI (cf. H 1415, n°s 1 et suiv. ), les bénéfices provenant d'opérations effectuées par les entreprises françaises dans les « établissements » qu'elles possèdent à l'étranger ne sont pas imposables à l'impôt sur les sociétés en France.

8Corrélativement les charges ou les pertes afférentes aux opérations effectuées hors de France ne sont pas déductibles des bénéfices soumis à l'impôt sur les sociétés en France.

9Il est rappelé que constituent notamment des établissements, le siège d'une entreprise, une usine, un bureau, un comptoir d'achat ou de vente, une succursale... et, d'une manière générale, toute installation fixe possédant un certain caractère de permanence et ayant une autonomie propre.

10A cet égard, un chantier à Monaco d'une société française de travaux publics doit être considéré comme une entreprise exploitée hors de France en raison de la durée, de la continuité et de l'importance des travaux alors même que certaines tâches de direction, de gestion et d'approvisionnement sont exercées en France (CE, arrêt du 29 mars 1978, req. n° 04883, RJ 1978, vol. II, p. 67).

11De même, dans le cas d'une entreprise française qui, pendant plusieurs années, a exécuté -dans un pays étranger qui n'était pas lié à la France par une convention fiscale- des opérations de forage exigeant la prise de décisions techniques par des responsables se trouvant sur le chantier, il a été jugé qu'une telle activité devait s'analyser comme celle d'une entreprise exploitée hors de France, eu égard à la continuité, à l'importance et à l'autonomie technique des opérations réalisées sur place, alors même que des tâches de direction et de gestion étaient exécutées en France (CE, arrêt du 29 juin 1981, req. n° 16095, RJ 1981, vol. II, p.91). A contrario, en ce qui concerne un chantier exploité en France par une entreprise étrangère, cf. CE, arrêt du 30 avril 1980, req. n° 05761 ; H 1413, n° 37).

  B. OPÉRATIONS RÉALISÉES HORS DE FRANCE PAR L'INTERMÉDIAIRE DE REPRÉSENTANTS

12Une entreprise qui a son siège en France est réputée exercer personnellement une activité habituelle à l'étranger lorsque les opérations caractérisant cette activité sont réalisées pour son compte par ses préposés. Les bénéfices réalisés par leur entremise échappent donc à l'impôt sur les sociétés en France.

Ainsi, une société immobilière qui a son siège en France ne peut y être taxée à raison du gain qu'elle réalise sur la vente d'un immeuble qu'elle possède dans un pays étranger, dès lors qu'elle a habilité dans ce pays un représentant qualifié, chargé par elle d'y gérer ses immeubles et, le moment venu, d'en opérer l'aliénation devant notaire (CE, arrêt du 5 juin 1937, req. n° 42274, RO, p. 351). Il y a lieu, en pareil cas, de réintégrer dans la base d'imposition en France, la quote-part correspondante des frais généraux d'administration.

13Les opérations effectuées à l'étranger devraient toutefois être regardées comme non détachables de l'activité française et, par suite, ne constitueraient pas l'exercice habituel d'une activité à l'étranger, si elles étaient organisées, contrôlées et gérées par le siège de l'entreprise en France.

14En revanche, une entreprise ayant son siège en France qui effectue des opérations à l'étranger par l'entremise d'intermédiaires ayant une personnalité distincte de la sienne (commissionnaires, courtiers et, d'une manière générale, tous intermédiaires à statut indépendant) doit être considérée comme n'exerçant personnellement aucune activité à l'étranger. Les bénéfices retirés des opérations effectuées hors de France doivent, dès lors, être regardés comme réalisés en France et soumis, à ce titre, à l'impôt sur les sociétés.

C'est ainsi qu'une société qui, sans posséder à l'étranger d'agence ou de succursale, y vend par l'intermédiaire d'une maison de commission ayant une personnalité indépendante de la sienne, les produits qu'elle fabrique en France, doit être regardée comme exploitant une seule entreprise sise en France : elle est par suite imposable à raison de l'ensemble des bénéfices afférents à cette entreprise (CE, arrêt du 18 mars 1932, req. n°s 16452, 21607 et 24688, RO, 5797).

Tel est le cas, également, d'une société effectuant en France -où elle a son siège et ses bureaux- des opérations de courtage de réassurance ; les opérations de même nature qu'elle réalise à l'étranger où elle ne dispose d'aucune succursale, ni d'aucun établissement, et qu'elle effectue, soit par correspondance émanant de son bureau en France, soit par l'intermédiaire de sous-courtiers installés à l'étranger et ayant une personnalité indépendante, doivent être regardées comme se rattachant à l'activité exercée en France (CE, arrêt du 18 juin 1969, req. n° 68042, RJCD 1re partie, p. 135).

  C. LA NOTION DE « CYCLE COMMERCIAL COMPLET »

  I. Opérations formant à l'étranger un cycle commercial complet et se détachant des autres opérations de l'entreprise

15Même en l'absence de tout établissement hors de France ou de représentant qualifié à l'étranger, une entreprise française échappe à l'impôt sur les sociétés à raison des opérations qu'elle effectue à l'étranger dès lors que celles-ci forment un cycle commercial complet et se détachent, par leur nature ou leur mode d'exécution, des opérations faites en France.

16Les opérations détachables par leur nature sont, en principe, facilement identifiables lorsqu'aucun lien ne les rattache à celles qui constituent habituellement l'objet même de l'entreprise.

17Dans certains cas, cependant, il convient de procéder à une appréciation objective des conditions matérielles dans lesquelles les opérations en cause ont été réalisées.

18A cet égard, le Conseil d'État a jugé que ne pouvaient être imposés en France les profits réalisés par une entreprise à l'occasion d'actes de commerce faits exclusivement à l'étranger, dès lors que ces actes se détachaient, par leur mode d'exécution, des opérations -pourtant de même nature-effectuées en France par cette entreprise et caractérisaient l'exercice habituel d'une activité commerciale à l'étranger. Il s'agissait, au cas particulier, d'une société qui se livrait habituellement à l'expédition de fruits et primeurs tant en France qu'à l'étranger. Le Gouvernement anglais ayant interdit en 1935 l'importation des pommes de terre françaises, la société s'était vue dans l'obligation, pour conserver ses marchés, de se procurer des pommes de terre d'autre provenance. A cet effet, deux associés s'étaient rendus en Espagne pendant quelques semaines en vue de procéder aux achats nécessaires. En même temps, un autre associé assurait en Angleterre la vente des marchandises au fur et à mesure de leur importation d'Espagne. Aucun des intéressés n'avait d'installation fixe à l'étranger (CE, arrêt du 14 février 1944, req. n° 67442, RO, p. 38).

19En outre, en ce qui concerne les sociétés françaises qui effectuent à l'étranger des opérations d'installation d'usines -accompagnées de prestations annexes (maintenance, formation technique du personnel)- connues sous le nom de « livraisons d'usines clefs en main », la Haute Assemblée s'est prononcée pour la non-imposition de la part des bénéfices correspondant aux opérations effectivement réalisées sur place à l'étranger par les sociétés françaises.

Ainsi, il a été jugé, dans le cas de la livraison à l'étranger d'un ensemble industriel par une société ayant son siège et ses bureaux d'études en France, que l'ensemble des opérations effectivement réalisées dans le pays d'implantation de l'usine, tels les travaux de construction des bâtiments et de montage des machines ainsi que la formation, sur place, des personnels chargés du fonctionnement de l'usine, devait être regardé, en l'absence de convention applicable à l'époque entre la France et le pays considéré comme constituant une activité exercée à l'étranger dont les résultats échappaient, par conséquent, à l'impôt français sur les sociétés (CE, arrêt du 23 juin 1978, req. n° 99444, RJ 1978, vol. II, p. 92).

Depuis lors, cette solution a été confirmée, à l'occasion de décisions rendues par le Conseil d'État en 1989 et 1991.

Ainsi, il a été jugé que dans le cas de la vente d'une usine clés en main à l'étranger, les études réalisées en France ainsi que les opérations faites à l'étranger dans la mesure où elles ne sont que l'accessoire de ces études constituent une activité exercée en France. En revanche, doit être regardée comme constituant une activité exercée à l'étranger par l'entreprise l'ensemble des opérations effectivement réalisées dans le pays d'implantation de l'usine, telles que la passation et le suivi des contrats, la réalisation des installations sur le site, la mise en place de l'infrastructure de chantier, les études d'ingénierie complémentaires exigées sur le site, les modifications des installations en résultant ou décidées à la suite de défaillance du matériel, la direction, la supervision et le contrôle du déroulement des opérations de construction, les opérations de mise en service et les essais de performance, l'étude et les négociations du financement de l'ensemble du marché ainsi que les opérations relatives à l'exportation des matériels nécessaires constituent une activité exercée à l'étranger (CE, arrêt du 17 mai 1989, n° 34 380, 9e et 8e ss.).

De même, une société qui réalise dans le cadre d'une vente d'une usine clés en main, des travaux d'ingénierie en France ainsi que les études accessoires réalisées sur le site, exécute en France ses opérations. En revanche, les études réalisées sur place d'équipements supplémentaires non prévues aux contrats initiaux, la direction des opérations de construction et de montage par des sociétés étrangères auxquelles la société accorde une assistance technique constituent des opérations exécutées à l'étranger (CE, arrêt du 11 juillet 1991, n° 57 391, 7e et 9e ss.).

  II. Opérations réalisées à l'étranger non détachables des autres opérations de l'entreprise

1. Opérations commerciales.

20Les opérations qu'une société française réalise à l'étranger dans le cadre d'un cycle commercial complet sont imposables à l'impôt sur les sociétés si elles n'apparaissent pas détachables, par leur nature ou par leur mode d'exécution, de celles effectuées en France (RM à M. Jean Valleix, JO, AN 22 septembre 1980, p. 4019).

21Le Conseil d'État se montre généralement très strict dans l'appréciation du caractère « détachable » des opérations caractérisant l'exercice habituel d'une activité commerciale à l'étranger par une entreprise française.

22C'est ainsi que demeurent imposables les opérations suivantes :

Dans le cas d'une entreprise sise en France qui, ayant cédé une usine qu'elle exploitait au Japon, a consenti à l'acquéreur la location de certains éléments de son matériel industriel moyennant une redevance en partie fonction des bénéfices, la Haute Assemblée a estimé que la société ne pouvait être regardée, par le seul fait de ce contrat, comme exerçant habituellement une activité commerciale à l'étranger, qu'au contraire cette opération rentrait par sa nature, bien que le matériel fût loué hors de France, dans le cadre de l'exploitation de l'entreprise en France, et ne pouvait, dans les conditions où elle avait été réalisée, en être détachée, nonobstant la circonstance qu'un représentant ait été spécialement chargé de surveiller sur place l'exécution dudit contrat (CE, arrêt du 5 février 1945, req. n°s 68348, 72132 et 73150, RO, p. 234).

Une compagnie de navigation ayant à l'étranger son siège social où elle ne possède ni local spécial ni préposé et où elle ne traite aucune affaire, alors qu'elle a en France le siège de sa direction, où sont installés ses services techniques, administratifs et commerciaux ainsi que ceux du contentieux et de la comptabilité, doit être assujettie à l'impôt sur les sociétés au lieu de ce dernier siège pour l'ensemble de ses activités. Jugé à cet égard, que les opérations de transport de la compagnie doivent être considérées comme effectuées en France dès lors :

- d'une part, que ladite compagnie ne possède à l'étranger, ni agence, ni succursale et que, si elle traite certaines opérations de fret par l'intermédiaire d'entreprises étrangères, celles-ci n'ont pas qualité pour l'engager et gardent une personnalité commerciale distincte de la sienne ;

- d'autre part, que l'exploitation de ses navires, bien qu'immatriculés hors de France et effectuant d'un port étranger à un autre port étranger des transports dont le prix est payé à l'étranger, ne représente pas une activité détachable des autres opérations de l'entreprise (CE, arrêt du 3 mars 1958, req. n° 41135, RO, p. 78).

Une société française qui exploitait une verrerie avait conclu un contrat relatif à la construction, à l'équipement et à la mise en fonctionnement d'une usine de même nature dans un pays d'Asie. Le contrat comportait une clause d'assistance technique au cours de la première période de fonctionnement de l'usine, clause en vertu de laquelle la société percevait des redevances. Au cas d'espèce il a été jugé que :

- d'une part, ni la construction -d'ailleurs exécutée en sous-traitance par une tierce entreprise- ni l'équipement de ladite usine ne constituaient, pour la société intéressée, l'exercice habituel à l'étranger d'une activité commerciale détachable de son activité en France ;

- d'autre part, les prestations fournies au titre de l'assistance technique, ayant été exécutées à l'aide d'un personnel mis temporairement à la disposition de son cocontractant, devaient être regardées comme une extension occasionnelle de son activité, alors même que celle-ci n'aurait pas comporté jusqu'alors de prestations de l'espèce (CE, arrêt du 3 avril 1968, req. n° 70822, RJCD, 1re partie, p. 121).

23La Haute Assemblée a également jugé que les opérations commerciales réalisées matériellement à l'étranger, mais décidées, traitées et contrôlées directement en France ne pouvaient être détachées de celles qui sont effectuées dans ce pays ni, par conséquent, être considérées comme constituant un cycle commercial distinct échappant à l'impôt français.

Une société, concessionnaire exclusif en France pour la vente, le montage et la réparation de matériels d'une firme allemande, avait constitué dans les anciens territoires de l'union française un réseau de concessionnaires indépendants avec qui elle avait, en tant qu'agent général de la firme allemande, passé des contrats aux termes desquels, moyennant le paiement d'une commission, elle faisait livrer auxdits concessionnaires les matériels, fixait les prix, établissait les factures « pro-forma » et procédait éventuellement aux démarches nécessaires pour l'obtention des licences d'importation. Le Conseil d'État a considéré que les opérations effectuées outre-mer étant organisées, contrôlées et gérées par le siège de l'entreprise en France devaient, bien qu'elles fussent réalisées selon des modalités différentes de celles utilisées dans notre pays, être regardées comme constituant, non un cycle commercial distinct, mais le simple prolongement des opérations effectuées par ladite entreprise en France, où se situait le centre de décision (CE, arrêt du 5 février 1968, req. n° 62333, RJCD, 1re partie, p. 26).

Dans le même ordre d'idées, il a été jugé que les bénéfices résultant d'opérations d'importation en Algérie de blés en provenance des États-Unis, réalisées dans le cadre d'une association en participation avec une société étrangère par une société française d'importation, d'exportation, de négoce et de courtage, provenaient d'une entreprise exploitée en France, dès lors que lesdites opérations avaient obtenu l'autorisation de l'Office français des céréales, à la suite de démarches faites en France et avaient bénéficié de subventions également encaissées dans notre pays (CE, arrêt du 3 mars 1976, req. n° 98680 ; dans le même sens : CE, arrêt du 4 juillet 1973, req. n° 78179).

24Cette jurisprudence a été confirmée dans le cas de sociétés françaises achetant, entreposant et vendant en gros des vins à l'étranger sans y posséder d'établissement stable. Il a été en effet jugé que ces opérations de commerce international, bien que matériellement exécutées hors de France, ne pouvaient être regardées comme réalisées par une entreprise exploitée hors de France dès lors que toutes les décisions relatives à ces opérations étaient prises en France, où les sociétés avaient leur siège et leur seul établissement, et que tous les mouvements financiers correspondant à ces transactions étaient également décidés et réalisés à partir des sièges sociaux (CE, arrêt du 14 mars 1979, req. n° 07098, RJ 1979, vol. II, p. 46).