B.O.I. N° 18 du 27 janvier 1988
BULLETIN OFFICIEL DES IMPÔTS
12 C-1-88
N° 18 du 27 janvier 1988
12 R./2 (C)
Instruction du 27 janvier 1988
Action en recouvrement. Exercice des poursuites individuelles. Incidence des régimes matrimoniaux
Commentaire du décret n° 87-637 du 5 août 1987 pris pour l'application de l'article 1414 du Code civil
NOR : BUD L 88 00012 J
[ D.G.I. - Bureau III C 3 ]
Le recouvrement des créances fiscales résultant d'opérations imposables accomplies par l'un des époux peut être poursuivi sur ses biens propres et, sous réserve des règles particulières applicables aux impositions nées avant et après le mariage, sur les biens communs.
En effet, l'article 1414 du Code civil, modifié par l'article 11 de la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 relative à l'égalité des époux dans les régimes matrimoniaux (cf. B.O.I. 12 C-1-87 ) prévoit que les gains et salaires d'un époux ne peuvent être saisis par les créanciers de son conjoint que si l'obligation a été contractée pour l'entretien du ménage ou l'éducation des enfants.
Le deuxième alinéa du même article ajoute que lorsque les gains et salaires sont versés à un compte courant ou de dépôt, ceux-ci ne peuvent être saisis que dans les conditions définies par décret.
Le décret n° 87-637 du 5 août 1987 ( annexe n° 1 ) pris pour l'application de ce texte a pour objet de protéger les gains et salaires - non saisissables pour le recouvrement de l'impôt par application de l'article 1414 du Code civil - du conjoint du débiteur lorsque le recouvrement est poursuivi par voie de saisie-arrêt ou d'avis à tiers détenteur sur un compte bancaire, postal ou autre ouvert au nom des deux époux (compte joint) ou bien du conjoint du débiteur.
Ce régime de protection consiste à laisser à la disposition du conjoint du débiteur poursuivi une somme correspondant à un mois de gains et salaires. Il s'inscrit dans la lignée des mesures réglementaires prises pour ce qui concerne les oppositions pratiquées sur des comptes alimentés, d'une part, par les traitements et salaires du débiteur (décret n° 81-359 du 9 avril 1981, B.O.D.G.I. 12 C-57-81 ) et, d'autre part, par des prestations familiales (décret n° 85-830 du 2 août 1985 ). La présente instruction a pour objet de définir les conditions dans lesquelles les nouvelles règles de protection doivent être appliquées.
I. Situations concernées
A. Nature de la créance dont le recouvrement est poursuivi.
Les nouvelles règles de protection s'appliquent lorsque les dettes, notamment fiscales, sont entrées en communauté du fait de l'un des conjoints.
Sont exclues :
- les dettes antérieures au mariage ;
- les dettes contractées pour l'entretien du ménage ou l'éducation des enfants ;
- les dettes contractées par les deux époux et au règlement desquelles ils sont solidairement tenus.
B. Compte sur lequel la saisie est pratiquée.
1. NATURE DU COMPTE.
Il peut s'agir d'un compte courant ou d'un compte de dépôt.
Rappels :
• Le compte courant est un contrat qui, passé entre deux parties effectuant entre elles des opérations de règlements, dispose que toutes ces opérations, en débit comme en crédit, seront confondues au sein d'un même compte durant un certain délai, seul le solde donnant lieu à règlement (pour une définition plus complète, B.O.D.G.I. 12 C-8-74 ) ;
• Le compte de dépôt : à défaut de restriction dans le décret, ce dernier concerne tous les comptes susceptibles de faire l'objet d'une saisie-arrêt ou d'un avis à tiers détenteur. Il s'agit des comptes qui enregistrent des dépôts, que ces dépôts soient stipulés « à vue », à terme ou encore à préavis, cela quelle que soit la finalité particulière de leur ouverture, livrets de Caisse d'épargne, des comptes dits « d'épargne-logement » et des « plans épargne-logement ».
2. TITULAIRE DU COMPTE.
La nouvelle protection ne s'applique qu'au cas où la saisie porte sur un compte joint ou un compte ouvert au seul nom de l'époux du débiteur.
Sont donc exclus du régime de protection :
- le compte ouvert au seul nom du débiteur ;
- le compte joint ouvert entre deux personnes non mariées.
3. NATURE DES SOMMES VERSÉES AU COMPTE.
La protection n'est prévue qu'en faveur des gains et salaires du conjoint de l'époux débiteur.
Par gains et salaires, il y a lieu d'entendre les revenus du travail : salaires et l'ensemble des recettes réalisées à l'occasion d'une activité professionnelle qu'elle soit commerciale, libérale ou agricole.
C. Nature de la saisie.
Les nouvelles règles doivent être mises en oeuvre lorsque le compte fait l'objet :
- d'une saisie-arrêt ( art. 557 ancien et suivants du Code de procédure civile ) ;
- d'un avis à tiers détenteur (art. L. 262 du Livre des procédures fiscales).
II. Mise en oeuvre de la mesure de protection
A. Nécessité d'une demande.
Le régime de protection ne s'applique pas de plein droit. L'article 1 er du décret du 5 août 1987 fait obligation à l'époux du conjoint débiteur qui veut en bénéficier d'en faire la demande.
B. Forme et contenu de la demande.
1. L'époux du débiteur doit exprimer sa demande par lettre recommandée avec avis de réception ou au moyen d'une déclaration écrite contre récépissé, précisant la somme qu'il entend voir laisser à sa disposition.
Cette somme doit représenter, au choix de l'intéressé :
- soit le montant des gains et salaires versés au compte dans le mois précédant la saisie ;
- soit le montant moyen mensuel des gains et salaires versés au compte dans les douze mois précédant cette mesure de poursuite.
2. La demande doit être accompagnée de tous les documents propres à justifier ce montant (par exemple, bulletin de salaire).
C. Destinataires de la demande.
La demande doit être faite simultanément :
- au créancier saisissant, c'est-à-dire en matière fiscale, au comptable chargé du recouvrement ;
- au tiers saisi, qui est l'établissement gestionnaire du compte.
D. Délai.
L'époux intéressé dispose, pour former sa demande, d'un délai de dix jours à compter :
- en cas de saisie-arrêt, de la dénonciation faite à lui-même ou à l'autre époux titulaire du compte s'il s'agit d'un compte joint ;
- en cas d'avis à tiers détenteur, de la réception de l'avis n° 3738 notifié au débiteur ou de l'imprimé spécial qui est adressé personnellement au conjoint ( cf . infra II-F-2 ).
E. Effets de la demande.
1. EN MATIÈRE DE SAISIE-ARRÊT.
Le comptable poursuivant doit attendre l'expiration d'un délai de dix jours courant de la dénonciation de la saisie pour assigner le tiers saisi en déclaration affirmative ( cf . Doc. de base 12 C-2211 , n° 38 ).
2. EN MATIÈRE D'AVIS À TIERS DÉTENTEUR.
Aux termes de l'article 5 du décret du 5 août 1987, l'exécution de l'avis à tiers détenteur est suspendue jusqu'à l'expiration du délai imparti au créancier pour contester la demande du conjoint et, en cas de contestation du créancier, jusqu'à la décision du juge.
Mais, en fait, l'établissement gestionnaire du compte ne peut être contraint de verser au Trésor les sommes saisissables dès l'expiration de ce délai de dix jours. Il ne peut être mis en cause avant que le délai de deux mois imparti pour faire opposition à poursuite soit écoulé.
F. Information des conjoints.
1. PROCÉDURE DE SAISIE-ARRÊT.
Il convient de demander aux huissiers de justice de faire figurer le texte du décret du 5 août 1987 sur l'acte de dénonciation d'assignation en validité signifié tant au débiteur qu'à son conjoint.
En effet, chacun des époux doit être partie à l'instance, que la saisie porte sur un compte joint ou sur un compte ouvert au seul nom du conjoint du redevable de l'impôt.
2. AVIS À TIERS DÉTENTEUR.
L'imprimé n° 3738 (« notification au redevable d'un avis à tiers détenteur ») doit être adressé au débiteur selon les règles habituelles.
Concomitamment, un avis sera notifié au conjoint du redevable afin de porter à sa connaissance l'opposition pratiquée sur le compte joint ou sur son compte personnel par le receveur, ainsi que l'y autorise l'article 1413 nouveau du Code civil.
Dans l'attente de la mise en service d'un imprimé spécialement conçu à cet effet, une lettre dont le modèle figure en annexe II sera adressée au conjoint concerné, portant au verso le texte du décret du 5 août 1987.
III. Contestation du créancier
A. Objet de la contestation.
Le créancier saisissant, et notamment le receveur des Impôts, élève une contestation lorsqu'il entend s'opposer à la demande du conjoint du débiteur, soit qu'il estime que :
- les documents qui lui sont présentés sont impropres à justifier le montant revendiqué ;
- la nature des sommes inscrites au compte est hors du champ d'application du régime de protection, ces dernières ne s'analysant pas en des gains ou salaires, par exemple ;
- le montant est lui-même excessif.
B. Délai.
La contestation du créancier saisissant doit être formée dans les dix jours de la notification de la demande du conjoint du débiteur.
C. Procédure.
1. CAS DE LA SAISIE-ARRÊT.
La contestation est portée par voie d'assignation devant le juge des référés de la juridiction compétente pour connaître de l'instance en validité de la saisie.
2. CAS DE L'AVIS À TIERS DÉTENTEUR.
La contestation est portée par voie d'assignation dirigée contre le conjoint du débiteur devant le Tribunal d'instance du domicile du conjoint qui a demandé à bénéficier de la protection prévue par le décret (art. 42 du nouveau Code de procédure civile).
Dans les deux cas, une copie de l'assignation est adressée dans le même délai de dix jours au tiers saisi ou tiers détenteur (l'établissement de crédit).
D. Voies de recours.
À défaut de dispositions particulières et compte tenu du caractère non contentieux du dispositif mis en place par le décret du 5 août 1987, il y a lieu de considérer que, lorsque l'appel est recevable (compte tenu du taux de la demande), le délai d'appel est de quinze jours, qu'il s'agisse ( cf. annexe III ) :
- de la décision du juge des référés en cas de saisie-arrêt (art. 490, dernier alinéa, du nouveau Code de procédure civile ) ;
- de la décision du juge d'instance en cas d'avis à tiers détenteur ( art . 538 du nouveau Code de procédure civile ).
Il conviendra dès le prononcé d'une décision défavorable à l'Administration de régulariser les formalités d'un appel dans le délai de quinzaine susvisé et de saisir la Direction générale, sous le timbre du bureau III C 3.
IV. Cas particulier où le cantonnement d'une saisie a été ordonné
A. Situation concernée.
L'article 6 envisage l'hypothèse où le débiteur saisi a demandé en justice le cantonnement de la saisie opérée sur le compte joint dont il est titulaire avec son époux commun en biens, sans que ce dernier ait été appelé à l'instance.
Il est rappelé que le cantonnement a pour objet de réduire l'étendue de la saisie en levant l'indisponibilité qui pèse sur le montant excédant la cause de la saisie.
B. Règle applicable.
La décision de cantonnement est inopposable au conjoint de celui qui en a demandé le bénéfice si ce conjoint n'a pas été appelé en la cause.
Le conjoint, s'il intervient, peut saisir sur-le-champ le juge des référés de la demande prévue par l'article 1 er du décret du 5 août 1987.
V. Entrée en vigueur
Les nouvelles dispositions sont applicables aux saisies pratiquées et aux avis à tiers détenteur notifiés après l'entrée en vigueur du décret du 5 août 1987 publié au Journal officiel du 7 août 1987.
ANNEXE I
Décret n° 87-637 du 5 août 1987 pris pour l'application de l'article 1414 du Code civil
NOR : JUS C 87 20453 D
LE PREMIER MINISTRE,
Sur le rapport du ministre d'État, ministre de l'Économie, des Finances et de la Privatisation, et du garde des Sceaux, ministre de la Justice,
Vu l'article 1414 du Code civil,
DÉCRÈTE :
ARTICLE PREMIER. - Lorsque le paiement d'une dette de communauté née du chef d'un conjoint est poursuivi sur un compte courant ou de dépôt alimenté en tout ou partie par les gains et salaires de l'autre époux, celui-ci peut demander que soit laissée à sa disposition une somme correspondant, à son choix, soit au montant de ses gains et salaires versés au compte dans le mois précédant la saisie, soit au montant moyen mensuel de ses gains et salaires versés au compte dans les douze mois précédant la saisie.
Ces dispositions s'appliquent dans tous les cas où le compte, qu'il soit ouvert au seul nom de l'époux qui n'a pas contracté la dette ou qu'il s'agisse d'un compte joint, fait l'objet d'une saisie-arrêt ou d'un avis à tiers détenteur.
Elles ne sont pas applicables lorsque la dette dont le paiement est poursuivi a été contractée pour l'entretien du ménage ou l'éducation des enfants, ni lorsqu'il s'agit d'une autre dette dont les conjoints sont tenus solidairement.
ART. 2. - L'époux intéressé doit former la demande prévue à l'article 1 er dix jours au plus tard après que la dénonciation de la saisie a été faite à lui-même ou à un autre titulaire du compte.
Sa demande est formée par lettre recommandée, avec demande d'avis de réception, ou par déclaration écrite contre récépissé ; elle doit préciser le montant de la somme qu'il entend voir laisser à sa disposition et être accompagnée de documents justifiant de ses gains et salaires versés au compte. Elle doit être faite simultanément au créancier poursuivant et au tiers saisi.
ART. 3. - Si le créancier entend s'opposer à la demande de l'époux, il porte la contestation, dans les dix jours suivant la notification de la demande, devant le juge des référés de la juridiction compétente pour connaître de l'instance en validité de la saisie.
Une copie de l'assignation est adressée dans le même délai au tiers saisi.
ART. 4. - À défaut de contestation du créancier, dans le délai fixé à l'article 3, le tiers saisi laisse à la disposition de l'époux intéressé la somme mentionnée dans la demande de celui-ci.
ART. 5. - En cas d'avis à tiers détenteur, si un époux forme la demande prévue à l'article 1 er , l'exécution de l'avis demeure suspendue pour les sommes mentionnées dans la demande jusqu'à l'expiration du délai imparti au créancier pour contester celle-ci et, en cas de contestation du créancier, jusqu'à la décision du juge. La contestation est portée devant le Tribunal d'instance dans le délai prévu à l'article 3, une copie de l'assignation devant être adressée dans le même délai au tiers détenteur.
ART. 6. - La décision ordonnant le cantonnement d'une saisie pratiquée sur un compte joint entre époux communs en biens est inopposable au conjoint de celui qui a demandé le cantonnement, si le conjoint n'a pas été appelé en cause ; l'intéressé, s'il intervient, peut saisir sur-le-champ le juge des référés de la demande prévue à l'article 1 er .
ART. 7. - Le ministre d'État, ministre de l'Économie, des Finances et de la Privatisation, le garde des Sceaux, ministre de la Justice, le ministre de l'industrie, des P. et T. et du Tourisme, le ministre délégué auprès du ministre de l'Économie, des Finances et de la Privatisation, chargé du Budget, et le ministre délégué auprès du ministre de l'industrie, des P. et T. et du Tourisme, chargé des P. et T., sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.
Fait à Paris, le 5 août 1987.