Date de début de publication du BOI : 13/02/1996
Identifiant juridique : 12C-1-96
Références du document :  12C-1-96

B.O.I. N° 30 du 13 FEVRIER 1996


BULLETIN OFFICIEL DES IMPÔTS

12 C-1-96

N° 30 du 13 FEVRIER 1996

12 R / 2

COUR DE CASSATION. CHAMBRE COMMERCIALE. ARRETS DES 10 JUIN 1992 ET 4 JUILLET 1995. ACTION EN
RECOUVREMENT. AVIS A TIERS DETENTEUR. EFFETS. FONDS DETENUS EN VUE DE LEUR TRANSFERT AU
CREANCIER DU VENDEUR. CONVENTION OPPOSABLE AUX TIERS (NON).

(L.P.F., art. L 262 et L 263)

[D.G.I. - Bureau III C 3]

ANALYSE DES ARRETS (texte des décisions joint en annexe)

Un accord contractuel sur l'affectation du prix de vente par lots d'un immeuble liait une entreprise de promotion immobilière (une SCI) à un établissement bancaire qui devait recevoir en remboursement de son prêt le produit des ventes directement des mains du notaire.

La responsabilité professionnelle de l'officier ministériel a été mise en cause par le banquier qui lui reprochait d'avoir méconnu les termes du contrat et du mandat subséquent en ayant déféré à un avis à tiers détenteur émis pour le recouvrement de la TVA non acquittée sur les opérations réalisées antérieurement.

La Cour de cassation a été amenée à statuer deux fois à l'occasion du même litige, le demandeur s'étant pourvu contre l'arrêt de la cour de renvoi.

• Un notaire détenant des sommes appartenant à un vendeur d'immeubles et ayant reçu mandat de les transmettre au créancier de celui-ci est néanmoins tenu de déférer aux avis à tiers détenteur de l'Administration fiscale et devenus définitifs, émis pour recouvrer des sommes dues par ce vendeur au titre de la TVA (1er arrêt).

• L'avis à tiers détenteur ne peut avoir d'effet qu'à l'égard des fonds appartenant au redevable de l'impôt ; celui-ci ne peut prétendre qu'à la partie hors taxe des prix de vente puisque la TVA, qu'elle soit partiellement exigible à la date de la vente ou perçue ultérieurement après établissement d'un compte, n'est pas un élément du prix mais un impôt dû au Trésor public (2ème arrêt).

OBSERVATIONS :

1° Le litige est né des relations contractuelles établies entre le prêteur et l'emprunteur qui avaient fixé les modalités de remboursement au moyen du transfert des fonds reçus par le notaire à l'occasion de la signature des actes de vente.

Bien qu'une stipulation de cette nature équivaille à une véritable cession de créance et qu'elle soit doublée d'un mandat irrévocable donné au notaire de transmettre les fonds à la société prêteuse, elle ne peut faire échec à un avis à tiers détenteur destiné à recouvrer la TVA non acquittée spontanément sur les opérations en cause (1ère décision).

2° La Cour d'appel de renvoi l'ayant déboutée au motif que la convention ne pouvait concerner que la partie hors taxe des prix de vente, la banque a tenté de porter la discussion sur le terrain de l'incidence de la TVA sur le prix.

Selon la banque, puisque le vendeur était personnellement redevable de la taxe, il pouvait disposer de l'intégralité des prix de vente, faisant son affaire du paiement de la TVA au Trésor par d'autres sources.

La Cour de cassation n'acceptant pas d'entrer dans cette logique, a coupé court à tout débat en confirmant que la TVA n'est pas un élément du prix, en sorte que les fonds correspondant aux droits n'appartiennent pas au redevable qui ne peut en disposer par avance.

Dès lors, à défaut de versement spontané une fois le compte de la taxe due établi, la TVA étant authentifiée et ayant fait l'objet d'un avis à tiers détenteur, le notaire était tenu d'y déférer (2ème décision).

CONSEQUENCES PRATIQUES :

- Lorsque le montant d'une transaction assujettie à la TVA est appréhendé par voie de saisie chez un tiers, le créancier saisissant revendique le versement de la totalité du prix, y compris la partie correspondant à la TVA collectée, si la créance cause de la saisie dépasse ce montant.

Cette pratique n'est pas remise en cause par les arrêts commentés.

- En revanche, s'agissant de créances qui ont déjà fait l'objet d'un transport-cession dans le cadre du droit commun (art. 1689 et s. du Code civil) ou de la loi du 2 janvier 1981, dite loi DAILLY, il y a lieu de considérer que cette cession a opéré pour le montant hors taxe.

Mais malgré la netteté avec laquelle ce principe est affirmé, il se vérifie à la lecture du second arrêt que le Trésor ne peut revendiquer le versement de sa créance de TVA qu'après authentification et exercice de la mesure de poursuite auprès du tiers (le débiteur cédé ou un mandataire).

En pratique, la solution sera susceptible d'être appliquée en cas de distribution d'un prix ou dans un cadre contentieux.

Le Sous-Directeur,

Alain FONT


ANNEXE


1. Cass. com. 10 juin 1992, Bull. civ. IV n° 177, p. 121

Attendu que, par acte authentique du 21 mars 1979, la société A.B.N.V. (la banque) a consenti à la SCI Boulouris Habitation (la SCI) un prêt de 4 807 692 F destiné à financer la réalisation d'un ensemble immobilier ; que ce prêt a été notamment consenti aux conditions suivantes : prix de vente des immeubles entièrement affecté au remboursement du crédit, mandat irrévocable donné par la société emprunteuse au notaire qui reçoit les actes de vente de verser à la société prêteuse la partie des prix dont le paiement aura été constaté dans sa comptabilité, transfert à la société prêteuse de tous les droits et actions de la société emprunteuse contre les futurs acquéreurs de lots et constitution d'une hypothèque ; que la société civile professionnelle Poisson, Plessy, Heret et Schmitt, titulaire d'un office notarial (la SCP), s'est vue conférer la mission de prendre et renouveler l'inscription hypothécaire, de recevoir les actes de vente et de transférer les fonds remis par les acquéreurs à la banque jusqu'à complet remboursement du prêt ; qu'ayant reçu de l'administration fiscale des avis à tiers détenteur, M. X... a versé le 6 août 1982 à la recette des impôts, en paiement de sommes dues par la SCI, au titre de la TVA, 387 776,86 F provenant du produit de la vente d'un appartement ; qu'estimant que le notaire avait agi contre sa volonté et commis une faute en se dessaisissant des fonds, la banque a assigné M. X... et la SCP en règlement de la somme susvisée ainsi qu'en paiement de dommages-intérêts ;

Attendu que pour condamner in solidum M. X... et la SCP à payer à la banque ladite somme la cour d'appel énonce que l'acte de prêt du 21 mars 1979 prévoyait que le prix de vente des immeubles serait entièrement affecté au remboursement du prêt consenti par la banque à la SCI, que le notaire avait reçu de la SCI mandat irrévocable de verser à la banque prêteuse la partie du prix dont le paiement comptant avait été « constaté par sa comptabilité » et que le notaire, en obtempérant aux avis à tiers détenteur, avait agi en dépit des termes précis d'actes rédigés par lui et au mépris de l'interdiction de payer notifiée par la banque le 19 juillet 1981, commettant ainsi une faute de nature quasi délictuelle ;

Attendu qu'en se prononçant par ces motifs qui caractérisent le mandat donné par la SCI, redevable de la TVA, au notaire de régler les sommes qu'il avait reçues pour son compte sans constater que les sommes dont l'officier public s'est dessaisi au profit de l'administration fiscale étaient devenues la propriété de la banque au moment où ces avis étaient devenus définitifs et alors que le notaire, détenteur de sommes appartenant au vendeur de l'immeuble, était tenu de déférer à ces avis tendant au recouvrement des sommes dues par ce vendeur au titre de la TVA, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations.

2. Cass. com. 4 juillet 1995, n° 1473 D, RJF 12/95, n° 1437

Attendu que (...) la cour d'appel de renvoi a débouté la banque, au motif que ce mandat ne pouvait concerner que la partie hors taxes du prix de cession ;

Attendu que la banque reproche à l'arrêt d'avoir ainsi statué alors, selon le pourvoi, d'une part, que la mention d'un prix sans indication de TVA est présumée comprendre le montant de la taxe due sur l'opération en cause et s'entendre « toutes taxes comprises » ; qu'en énonçant au contraire que la mention « du prix de vente des immeubles » ne pouvait que désigner le prix hors taxes des appartements à l'exclusion de la TVA due par la SCI, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil, ensemble l'article 285-1° et 2° du Code général des impôts ; alors, d'autre part, que la part du prix de vente versée par l'acquéreur au titre de la TVA due par la SCI venderesse ne constituait pas un impôt dû au Trésor que celui-ci aurait été chargé de prélever ; que, par suite, le prix de vente « toutes taxes comprises » entrait intégralement dans le patrimoine de la SCI et pouvait être entièrement cédé sans que la cession ne porte atteinte à l'impôt dont la SCI était personnellement redevable et qu'elle acquittait en qualité de redevable habituel par une déclaration mensuelle en déduisant le montant de la TVA à récupérer ; qu'en excluant que la cession de créance pût porter sur la part du prix de vente des appartements afférents à la TVA au prétexte qu'il s'agirait d'une imposition perçue par le vendeur, la cour d'appel a violé les articles 1134 du Code civil, ensemble les articles 257-7° et 281-1° et 2° du Code général des impôts ; alors encore, que la banque avait fait valoir dans ses conclusions que, contrairement aux clauses de l'acte du 21 mars 1979 stipulant que les « prix de vente seront intégralement affectés » au remboursement du prêt, les parties par l'intermédiaire de M. X... lui-même, avaient appliqué la cession de créance pendant plus de trois années en transmettant l'intégralité du prix de vente des appartements, y compris la part afférente à la TVA et que la SCI pouvait acquitter par ailleurs, faits que la cour d'appel de Paris, dans son arrêt cassé du 4 juillet 1988, avait d'ailleurs expressément constatés ; qu'en s'abstenant de rechercher si, en l'espèce, le transfert de l'entier prix de vente ne correspondait pas à la commune intention des parties, telle qu'elle résultait des termes mêmes de l'acte du 21 mars 1979 et de son exécution, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ; alors, en outre, qu'en vertu des articles L 262 et L 263 du Livre des procédures fiscales, un avis à tiers détenteur ne peut avoir d'effet, à l'expiration du délai ouvert pour former opposition, qu'à l'égard des fonds qui appartiennent au redevable d'impôts ; qu'il résulte des propres énonciations de la cour d'appel que « le prix de vente des appartements » était cédé à la banque par l'acte du 21 mars 1979 et que seule la part afférente à la TVA due sur la vente, qui n'était pas « concernée » par cette cession, pouvait être réclamée par l'administration fiscale au notaire, sans que celui-ci dispose alors des fonds appartenant à la banque cessionnaire ; qu'en déclarant dès lors régulier le paiement des 387 776,86 F qui provenaient pourtant du « produit de la vente d'un appartement » et non pas seulement du montant de la TVA afférente à cette vente, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres énonciations en violation des textes susvisés ; alors, de surcroît, qu'en statuant ainsi, sans relever en quoi le prix de vente de l'appartement à l'aide duquel le notaire a réglé les avis à tiers détenteur, appartenait à la SCI au moment où les avis sont devenus définitifs en dépit de la cession dont il faisait l'objet et que la cour d'appel a constaté de même que les droits résultant de ladite cession pour la banque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L 262 et L 263 du Livre des procédures fiscales ; et alors, enfin, que les conclusions d'appel de la banque et des notaires indiquaient que la somme de 387 776,86 F a été imputée sur le produit de la vente des lots 149-146 et 126 dont le prix avait été, selon les conclusions des notaires, de 500 000 F dont 425 170,06 F pour le prix hors taxes et 74 829,94 F pour la TVA ; que la somme de 387 776,86 F versée au Trésor ne constituait donc pas la TVA afférente à la vente dont le notaire détenait le prix et que la cour d'appel ne pouvait décider le contraire qu'en violant l'article 4 du nouveau code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que, n'étant pas discuté que les prix de vente des appartements ont été stipulés TVA comprise, le grief de la première branche du premier moyen est sans portée ;

Attendu, en second lieu, qu'il n'est pas discuté que l'avis à tiers détenteur ne peut avoir d'effet qu'à l'égard des fonds appartenant au redevable de l'impôt ; que l'arrêt relève justement que ce dernier, la SCI, ne peut prétendre qu'à la partie hors taxes des prix de vente, puisque la TVA, qu'elle soit partiellement exigible à la date de la vente ou perçue ultérieurement après établissement d'un compte, n'est pas un élément du prix mais un impôt dû au Trésor public ; que le tribunal a retenu que les sommes acquises à celui-ci par l'effet des avis à tiers détenteur correspondaient exactement au montant de la TVA restant due par la SCI au titre des ventes d'appartements déjà intervenues ; que, par ce seul motif, abstraction faite de la mention erronée d'une vente unique dans l'exposé du litige, la cour d'appel, qui n'a méconnu ni l'objet du litige ni le contenu des accords conclus entre la banque et la SCI, a légalement justifié sa décision au regard des autres griefs formulés.