B.O.I. N° 63 du 30 mars 1992
BULLETIN OFFICIEL DES IMPÔTS
4 H-9-92
N° 63 du 30 mars 1992
4 F.E. / 28
Instruction du 6 mars 1992
Impôt sur les sociétés. Dispositions particulières Bénéfices réalisés par l'intermédiaire de sociétés établies dans les pays à régime fiscal privilégié. Commentaire de l'article 20 de la loi de finances rectificative pour 1990
(C.G.I. art. 209 B)
NOR : BUD F 92 40001 J
[S.L.F. - Bureau E 1] ---
Issu de l'article 70 de la loi de finances pour 1980, l'article 209 B du CGI a pour objet de dissuader les entreprises françaises de localiser leurs bénéfices dans des pays ou territoires à régime fiscal privilégié.
En vertu du paragraphe I de cet article, une entreprise passible de l'impôt sur les sociétés, qui détient directement ou indirectement 25 % au moins des actions ou parts d'une société établie dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France dont le régime fiscal est privilégié, est soumise à l'impôt sur les sociétés sur les résultats bénéficiaires de cette société. Cette imposition est établie dans la proportion des droits sociaux ainsi détenus.
Le paragraphe II de ce texte permet toutefois à l'entreprise de s'affranchir de cette taxation à condition d'établir que les opérations de la société étrangère n'ont pas principalement pour effet de permettre la localisation des bénéfices dans un pays à régime fiscal privilégié.
Ce dispositif légal destiné à lutter contre la fraude et l'évasion fiscales internationales, a été commenté par l'instruction administrative du 15 février 1983 (B.O.I. 4 H-2-83).
Il est modifié par l'article 20, paragraphe I, de la loi de finances rectificative pour 1990 n° 90-1169 du 29-12-1990 qui restreint le champ des exceptions à l'imposition instituée par l'article 209 B.
La présente instruction a pour objet de commenter les conséquences qui résultent de cette modification pour l'application de ce régime d'imposition. Elle a également pour objet d'apporter certaines précisions relatives à l'application de cet article.
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I - Les dispositions de l'article 20 de la loi de finances rectificative pour 1990
§ 1 Contenu des dispositions
En vertu du paragraphe II de l'article 209 B, l'imposition instituée par le paragraphe I du même article n'est pas applicable si l'entreprise française établit que les opérations de la société sise hors de France n'ont pas principalement pour effet de permettre la localisation de bénéfices dans un pays à régime fiscal privilégié.
Dans sa rédaction initiale, l'article 209 B II prévoyait que la preuve exigée est considérée comme apportée par l'entreprise lorsqu'elle établit :
- que la société étrangère a principalement une activité industrielle ou commerciale effective ;
- et qu'elle réalise ses opérations de façon prépondérante sur le marché local ou avec des entreprises avec lesquelles il n'existe pas de lien de dépendance.
L'article 20 de la loi de finances rectificative pour 1990 supprime la référence aux opérations effectuées de façon prépondérante avec des entreprises non liées. Autrement dit, la circonstance que la société établie dans un Etat ou territoire à fiscalité privilégiée effectue des opérations de nature industrielle ou commerciale de façon prépondérante avec des entreprises indépendantes hors du marché local ne suffit plus pour que l'entreprise française puisse bénéficier automatiquement de l'exemption de l'imposition prévue au § I de l'article 209 B.
Désormais, seules bénéficieront de cette exemption « automatique » les entreprises françaises dont la filiale établie à l'étranger exerce une activité industrielle ou commerciale effective et réalise ses opérations de façon prépondérante sur le marché local.
La notion d'opérations réalisées de façon prépondérante sur le marché local est explicitée au paragraphe n° 87 de l'instruction du 15 février 1983. Le marché local s'entend en principe de l'Etat ou territoire où est implantée la filiale.
Mais cette notion peut être étendue à des zones situées dans le voisinage immédiat de cet Etat ou territoire lorsque, eu égard à ses caractéristiques économiques et géographiques, ces zones font partie du même marché.
Il convient de noter que les entreprises conservent en tout état de cause la possibilité d'obtenir l'exonération prévue au paragraphe II du même article en montrant que les opérations de la filiale n'ont pas principalement pour effet de permettre la localisation des bénéfices dans un pays à régime fiscal privilégié. Il conviendra de se reporter à cet égard aux indications données aux paragraphes n os 80 à 87 de l'instruction du 15 février 1983, qui conservent toute leur valeur.
Sous réserve des modifications commentées ci-dessus, l'instruction déjà citée continue à s'appliquer sans changement.
§ 2 Entrée en vigueur
Le paragraphe II de l'article 20 précise que le paragraphe I dudit article s'applique pour les exercices ouverts à compter du 1 er janvier 1991.
Conformément aux dispositions du paragraphe I de l'article 209 B du code, les bénéfices de la filiale étrangère sont réputés acquis par l'entreprise française le 1 er jour du mois qui suit la clôture de l'exercice de ladite filiale.
Dès lors, les nouvelles règles posées par le paragraphe I de l'article 20 sont en principe applicables aux entreprises françaises qui détiennent une participation dans une filiale étrangère qui a clos un exercice à compter du mois de décembre 1990.
Toutefois, il a paru possible d'exclure de leur champ d'application les filiales étrangères dont les exercices ont été clos avant le 1 er janvier 1991.
En pratique, les entreprises françaises concernées par la nouvelle rédaction du paragraphe II de l'article 209 B devront en tirer les conséquences, dans les conditions et délais prévus par l'instruction du 15 février 1983 n os 27 à 78, pour la première fois à compter des exercices clos le 1 er janvier 1991 par les sociétés établies hors de France.
Ex : Une filiale située dans un pays à fiscalité privilégiée clôt son exercice le 31 janvier 1991. Les bénéfices correspondants sont réputés acquis par la société mère le 1 er février 1991. Ils devront faire l'objet de la déclaration visée au n° 94 de l'instruction déjà citée dans le même délai que la déclaration de ses propres résultats soit, si la société mère clôt son exercice de 12 mois au 31 décembre 1991, en principe avant le 31 mars 1992.
II - Précisions concernant l'application de l'article 209 B
§ 1 Notion d'Etat ou territoire dont le régime fiscal est privilégié
La question a été posée de savoir si le régime fiscal privilégié visé par l'article 209 B doit s'apprécier :
- au niveau de l'Etat ou territoire dans lequel est imposable la société étrangère ;
- ou au niveau de la société étrangère elle-même.
Il résulte des dispositions combinées des articles 209 B et 238 A du C.G.I. que le critère tenant au régime privilégié doit s'apprécier au niveau de la société étrangère elle-même. La question à trancher consiste donc à rechercher si la filiale est ou non soumise dans l'Etat ou le territoire considéré à un impôt notablement inférieur à celui qu'elle aurait supporté en France à raison des mêmes bénéfices ou revenus.
Cette approche est au demeurant la seule compatible avec l'objet de l'article 209 B qui est de combattre l'évasion fiscale consistant pour les entreprises résidentes de France à localiser leurs bénéfices dans un pays où ils bénéficient d'un traitement fiscal privilégié.
§ 2 Compatibilité des dispositions de l'article 209 B avec les engagements internationaux
Des questions ont été posées en ce qui concerne la compatibilité de l'article 209 B du code avec les conventions fiscales et les règles de la Communauté Economique Européenne.
A - Les conventions fiscales
Conformément à la position prise par le Comité des Affaires fiscales de l'O.C.D.E., dans son rapport sur l'évasion et la fraude fiscales internationales (v. « Questions de fiscalité internationale - n° 1 - L'évasion et la fraude fiscales internationales - Quatre études, OCDE - 1987 »), l'existence d'une convention fiscale n'empêche pas l'application des dispositions de l'article 209 B.
En effet :
1) l'objet des conventions est tout d'abord de lutter contre l'évasion et la fraude fiscales ; les conventions ne peuvent dès lors empêcher les Etats d'appliquer une législation qui permet précisément d'atteindre ce but ;
2) les conventions fiscales ont par ailleurs pour finalité l'élimination des doubles impositions juridiques, c'est-à-dire des situations dans lesquelles une même personne est imposable au titre d'un même revenu par plus d'un Etat. Les commentaires du modèle de convention de double imposition de l'O.C.D.E. de 1977 relatifs aux articles 23 A et 23 B du modèle concernant l'élimination des doubles impositions, précisent qu'il peut y avoir double imposition juridique dans trois cas :
a) lorsque chaque Etat contractant assujettit la même personne à l'impôt pour son revenu et sa fortune totaux (assujettissement fiscal intégral concurrent) ;
b) lorsqu'une personne est un résident d'un Etat contractant et reçoit des revenus ou possède de la fortune dans l'autre Etat contractant et que les deux Etats imposent ces revenus ou cette fortune ;
c) lorsque chaque Etat contractant assujettit la même personne qui n'est pas un résident d'un Etat contractant à l'impôt pour des revenus provenant d'un Etat contractant ou pour de la fortune qu'elle y possède ; ce peut être le cas par exemple lorsqu'un non-résident a un établissement stable ou une base fixe dans un Etat contractant par l'intermédiaire desquels il tire des revenus ou possède de la fortune dans l'autre Etat contractant (assujettissement fiscal partiel concurrent).
Or, l'application de l'article 209 B du C.G.I. ne correspond à aucune de ces trois situations :
- deux contribuables et non pas un seul sont en présence : la société française et la société étrangère ;
- la société établie dans le pays ou territoire à régime fiscal privilégié n'est pas assujettie à l'impôt en France sur ses résultats, excepté si elle y dispose d'un établissement stable.
Dès lors, l'imposition par la France des résultats de la société étrangère dans la proportion des droits sociaux détenus par la société française n'est pas constitutive d'une double imposition juridique. Elle n'est pas davantage constitutive d'une double imposition économique puisque les dispositions du droit interne français (v. art 209 B-I - 3° alinéa et articles 102 W à 102 Y de l'annexe II au C.G.I.) éliminent cette double imposition économique.
3) Enfin, la clause généralement incluse dans les conventions bilatérales, selon laquelle les bénéfices d'une entreprise d'un Etat ne sont imposables que dans cet Etat (sauf établissement stable dans l'autre Etat) ne trouve pas à s'appliquer dans le cas de l'article 209 B.
En effet, cette règle de rattachement de la matière imposable concerne la situation des entreprises d'un Etat qui réalisent des bénéfices à raison d'activités exercées dans l'autre Etat et a pour objet de définir les règles d'imposition applicables à ces bénéfices. Or, telle n'est pas la situation visée par l'article 209 B.
B - Le droit communautaire
La question de savoir si les dispositions de l'article 209 B sont compatibles avec le droit communautaire appelle une réponse positive.
Il n'est pas possible de considérer que la liberté d'établissement au sein de la Communauté exclut l'application des dispositions destinées à lutter contre l'évasion fiscale lorsque celle-ci motive l'implantation dans tel ou tel Etat membre. Au contraire, les directives récemment adoptées relatives au régime fiscal des fusions, scissions et apports d'actifs, et au régime fiscal applicable entre sociétés mères et filiales reconnaissent au niveau européen le bien fondé des mesures nationales ou conventionnelles de cette nature.
- Annoter B.O.I. 4 H-2-83.
Le Directeur
Chef du Service de la Législation Fiscale
M. TALY