SOUS-SECTION 1 DÉFINITION DES PLUS-VALUES À LONG TERME
b. Les inventions brevetables.
14L'article 39 terdecies-1 du CGI est applicable au résultat d'opérations portant sur des inventions brevetables.
L'introduction de cette notion dans le dispositif permet à la fois de tenir compte des cas fréquents dans lesquels les industriels ne souhaitent pas breveter une invention pour des raisons de secret et de stratégie. et de fixer les limites du dispositif par référence à la notion juridique de brevetabilité.
Ces dispositions font donc référence à la notion de brevetabilité définie par les articles 6 à 11 de la loi n° 68-1 du 2 janvier 1968 modifiée 1 .
Pour entrer dans le champ d'application de l'article 39 terdecies-1 du code général des impôts, sous réserve qu'il ne soit pas contraire à l'ordre public ou aux bonnes moeurs, un droit de la propriété industrielle doit donc satisfaire les trois critères suivants :
- constituer une invention nouvelle ;
- impliquer une activité inventive ;
- être susceptible d'application industrielle.
Ces critères sont exposés ci-après ; les modalités pratiques d'appréciation du caractère brevetable d'une invention sont décrites aux n°s 21 à 23 .
En ce qui concerne le recours éventuel aux conseils techniques d'agents de l'État ou d'établissements publics, cf. n° 31 .
15Les demandes de brevets en cours de délivrance sont susceptibles d'entrer dans le champ d'application de l'article 39 terdecies-1 du code général des impôts, si elles satisfont aux conditions de brevetabilité. Toutefois, dès lors qu'elles auront été déposées, il ne sera pas insisté sur le critère de nouveauté de l'invention (cf. n° 17 ). Ces dernières demandes seront donc considérées comme entrant dans le champ d'application de cet article dès lors qu'elles concerneront une invention qui implique une activité inventive et est susceptible d'application industrielle.
1°. Premier critère : une invention nouvelle.
* Existence d'une invention.
16L'article 6 de la loi du 2 janvier 1968 exige l'existence d'une invention.
L'exigence d'une invention entraine l'exclusion légale du champ de la brevetabilité de certains éléments (art. 6-2 de la loi du 2 janvier 1968) ; ainsi, ne sont pas considérés comme des inventions notamment :
- les découvertes (d'un produit naturel ; les lois biologiques,...) ;
- les théories scientifiques ;
- les méthodes mathématiques ;
- les créations esthétiques ;
- les plans, principes et méthodes dans l'exercice d'activités intellectuelles, en matière de jeu ou dans le domaine des activités économiques, ainsi que les programmes d'ordinateurs 2 ;
- les présentations d'information 3 .
* Critère de nouveauté de l'invention.
17Une invention est considérée comme nouvelle si elle n'est pas comprise dans l'état de la technique (art. 8-1 de la loi du 2 janvier 1968).
Cette notion appelle les remarques suivantes.
- Divulgation de l'invention (existence d'une antériorité destructrice de son caractère nouveau).
L'état de la technique est constituée par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt d'une demande de brevet (art. 8-2 de la loi du 2 janvier 1968). L'état de la technique est apprécié sans limitation particulière.
Dès lors, toute divulgation de l'invention constitue une « antériorité » destructrice du caractère de nouveauté. C'est donc une nouveauté absolue qui est exigée. sous réserve des dispositions de l'article 9 de la loi du 2 janvier 1968 (expositions officielles).
La loi déjà citée prévoit expressément qu'est considéré comme compris dans l'état de la technique le contenu de demandes de brevets français, de demandes de brevet européen ou international désignant la France qui sont simplement déposées et non encore publiées (art. 8-3 de la même loi).
- Forme, date, lieu et contenu de la divulgation de l'invention.
La divulgation de l'invention crée une antériorité destructrice du caractère de nouveauté quelles que soient les conditions de cette divulgation.
Ainsi, la divulgation peut être établie quels que soient :
- sa forme (description écrite ou orale ; par exemple : publication datée, documents commerciaux vérifiables, témoignages de personnes ayant assisté à des essais, communication lors de colloques ou de conférences, actes de fabrication si la possession, l'observation, l'analyse de l'objet révèlent le secret de sa structure, ...) ;
- le destinataire de la divulgation (toute personne susceptible de la diffuser, sauf si celle-ci est tenue par une obligation de confidentialité) ;
- la date de la divulgation (celle-ci pourrait être très éloignée, ce qui exclut la reprise d'inventions anciennes passées dans le domaine public) ;
- le lieu de celle-ci (territoire national ou étranger).
Par ailleurs, la divulgation n'est destructrice de nouveauté que si elle porte sur tous les moyens caractéristiques de l'invention brevetable réunis (notion « d'antériorité de toutes pièces ») 4 .
- Date de l'appréciation du critère de nouveauté.
Le critère de nouveauté est apprécié à la date du dépôt de la demande d'un brevet (art. 8-2 de la loi du 2 janvier 1968) ou à sa date de priorité.
S'agissant de l'appréciation de la brevetabilité d'une invention n'ayant pas fait l'objet d'une demande de brevet, la condition de nouveauté doit être satisfaite au moment où l'on se situe c'est-à-dire à la date de la cession des droits ou, s'agissant de concessions, pendant la période d'imposition considérée.
2°. Deuxième critère : une invention impliquant une activité inventive.
18Une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique (art. 10 de la loi du 2 janvier 1968).
* État de la technique.
Sur cette notion on se reportera aux développements du n° 17.
* Référence à l'homme de métier.
L'homme de métier est une personne relevant du ou des secteurs techniques auxquels se rattache l'invention.
L'homme de métier est présumé être un praticien normalement qualifié, au courant de ce qui formait les connaissances générales communes dans la technique à la date considérée. Il est également présumé avoir eu accès à tous les éléments de « l'état de la technique » et avoir eu à sa disposition les moyens et la capacité dont on dispose normalement pour procéder à des travaux et expériences courants. Si le problème suggère à l'homme de métier de rechercher la solution dans un autre domaine de la technique, le spécialiste compétent pour trouver la solution est le spécialiste dans ce domaine. En conséquence, les connaissances et les possibilités de ce spécialiste doivent être prises comme base pour apprécier si la solution implique une activité inventive 5 .
* Appréciation de l'existence d'une activité inventive d'après un faisceau d'indices.
L'existence d'une activité inventive résulte de l'appréciation d'indices parmi lesquels il est possible de citer les suivants :
- l'existence, l'ampleur, la durée des opérations de recherche-développement ayant abouti au résultat sur lequel pourrait porter une demande de brevet 6 ;
- le fait que l'invention surmonte un préjugé résultant des enseignements de l'état de la technique ;
- l'existence d'un perfectionnement ou d'un progrès technique ;
- le nombre et la dispersion des éléments connus qui sont combinés ;
- l'élimination d'opérations longues et coûteuses ;
- la durée nécessaire à la gestation de l'invention.
* Date de l'appréciation de la condition d'existence d'une activité inventive.
S'agissant du résultat d'un processus de recherche, celui-ci s'apprécie lors de la conclusion des opérations de cession ou de concession portant sur de tels droits.
3°. Troisième critère : une invention susceptible d'application industrielle
19Une invention est considérée comme susceptible d'application industrielle si son objet peut être fabriqué ou utilisé dans tout genre d'industrie, y compris l'agriculture (art. 11 de la loi du 2 janvier 1968).
Cette condition suppose l'existence d'un résultat industriel de l'invention, c'est-à-dire un effet technique que produit un moyen déterminé dans la fonction qui lui est assignée 7 .
L'invention doit être réalisable à la date d'appréciation de la condition.
4°. Éléments non brevetables en application de la loi
20La loi déjà citée du 2 janvier 1968 prévoit en outre des exclusions du domaine de la brevetabilité. Il s'agit :
1. des inventions dont la publication ou la mise en oeuvre serait contraire à l'ordre public ou aux bonnes moeurs ;
2. des droits protégés par un autre texte : les obtentions végétales bénéficiant de la protection instituée par la loi n° 70-489 du 11 juin 1970 (en ce qui les concerne. cf. n° 13 ), les programmes d'ordinateurs susceptibles d'être protégés dans le cadre de la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985 ;
3. des races animales, et des procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux ou d'animaux ; en revanche un produit obtenu par un procédé microbiologique est suceptible d'être breveté.
5°. Modalités pratiques de l'appréciation du caractère brevetable d'une invention
21Le caractère brevetable d'une invention doit être apprécié par référence aux critères exposés ci-dessus, et compte tenu des exclusions expresses prévues par la loi.
Cela dit, en pratique, il conviendra de rechercher le caractère brevetable en retenant les phases d'investigation suivantes.
* Investigations relatives aux conditions de brevetabilité directement vérifiables.
Il s'agit de s'assurer de la réalité d'éléments objectifs pour conduire à une stricte appréciation d'une « invention » au regard des critères légaux de brevetabilité correspondants, exposés plus haut.
Il s'agit des éléments suivants :
- Réalité de l'existence d'une invention.
Cette notion est définie au n° 16 .
- Appréciation du caractère industriel de l'application de l'invention.
Sur ce point, cf. n° 19 .
- Réalité d'une activité inventive ayant eu cette invention pour résultat.
En pratique, l'existence d'opérations de recherche, entrainant une invention ne découlant pas de la simple application de l'état des techniques existantes, est le critère essentiel (sur cette notion, cf. n° 28 ).
* Appréciation du critère de nouveauté.
22L'appréciation du critère de nouveauté peut être délicate s'agissant d'une invention qui, par hypothèse, a été gardée secrète.
Par ailleurs, il n'y a pas lieu d'exiger un rapport de recherche destiné à démontrer l'absence d'antériorité destructrice du caractère de nouveauté, dès lors qu'il s'agit d'une invention pour laquelle l'entreprise considérée souhaite conserver le secret.
Dans ces conditions, l'appréciation du caractère nouveau d'une invention sera réalisée en pratique selon les critères suivants.
- Il existe objectivement une antériorité.
Tel est le cas si une antériorité a effectivement été révélée, dans des conditions qui permettent à l'homme de métier d'y avoir directement accès.
Ce serait le cas notamment :
- si l'antériorité résulte d'actes de fabrication d'un bien qui est sur le marché, et que ce bien révèle, par observation ou analyse, le secret de sa structure ;
- si l'invention a fait l'objet, par une autre entreprise, d'une demande de brevet publiée ;
- si l'invention a fait l'objet d'une communication suffisamment ostensible de la part d'une autre entreprise l'ayant parallèlement mise au point.
Dans une telle situation, une invention, même effectivement mise au point par l'entreprise au terme d'un véritable processus de recherche, ne saurait objectivement être regardée comme nouvelle.
À cet égard, une entreprise qui, à la date du dépôt d'une demande de brevet par un tiers, est en possession d'une invention objet de cette demande, a le droit, à titre personnel, d'exploiter l'invention malgré l'existence d'un brevet. Mais la transmission de ce droit ne peut se faire que conjointement à la transmission de l'entreprise à laquelle ce droit est attaché (art. 31 de la loi du 2 janvier 1968). L'utilisation de l'invention à la suite d'une transmission par un autre moyen constitue un acte de contrefaçon.
- Il n'existe pas d'antériorité apparente.
23Tel est le cas lorsque l'entreprise met au point une invention pour son compte, sans nécessairement être en mesure de démontrer l'absence d'antériorité, et en l'absence d'antériorité objective (cf. n° 22 ).
Dans cette situation, il est admis que l'invention en cause soit regardée comme nouvelle pour l'application de l'article 39 terdecies-1 du code général des impôts si les conditions suivantes sont satisfaites :
- « l'invention » ne résulte pas d'une simple application de l'état des techniques existantes, ce qui n'exclut pas les applications nouvelles de moyens connus ;
- « l'invention » a été mise au point dans le cadre d'opérations de recherche ou de développement nettement précisées et dont la réalité peut être démontrée à l'aide d'un dossier technique précis quant à l'objectif poursuivi et à ses résultats, et aux moyens (matériels et en personnels) mis en oeuvre (sur cette notion, cf. n° 28 ) ;
- le résultat des opérations de recherche présente un caractère innovant soit par son objet même (bien nouveau, ... ), soit par l'amélioration technique de la fabrication, soit par l'amélioration de la compétitivité qu'il entraîne. Il doit donc être susceptible de conférer un avantage économique sur le marché considéré, c'est-à-dire une avance par rapport à la concurrence ;
- « l'invention » n'a pas été divulguée par l'entreprise elle-même ;
- « l'invention » n'est pas susceptible d'être exclue de la brevetabilité, ni en vertu d'une disposition expresse, ni compte tenu de ses caractéristiques propres (cf. notamment n°s 24 et suivants ).
Cela étant, les conditions exposées ci-dessus pourraient :
- être démontrées au vu d'un rapport d'étude réalisé par un conseil en propriété industrielle spécialisé en brevets d'invention et concluant à la brevetabilité ;
- être au contraire privées d'effet, à compter de la date à laquelle l'invention serait éventuellement divulguée par une autre entreprise qui l'a parallèlement mise au point (divulgation, par exemple, du fait du dépôt d'une demande de brevet).
Il est précisé que l'administration peut avoir recours aux conseils techniques d'agents de l'État ou d'établissements publics pour l'appréciation du caractère brevetable d'une invention (sur cette procédure, cf. n° 31 ).
1 Cf à cet égard, le rapport n° 2255 de la Commission des Finances de l'Assemblée Nationale relatif à l'examen du projet de loi de finances pour 1992, pages 236 et s., et les débats correspondants (Débats A.N. du 15 novembre 1991, page 6142).
2 Sont donc exclus du champ de la brevetabilité : les méthodes financières, comptables, les règles de jeux, les systèmes à caractère abstrait, les méthodes de commercialisation, les idées publicitaires, les règles d'organisation du travail, de comptabilité, de gestion financière,... les logiciels.
3 Formalisation d'information par schémas, signaux, ...
4 Cf. notamment Paris 22 mars 1982, G.P. 1983 som 275, et Paris 24 mars 1983, Dal. 1984, 212.
5 Cf. également Paris 24 mars 1983, Dal. 1984, 212 et Com. 10 novembre 1982, Bull IV, p. 290.
6 Sur la notion de recherche en matière fiscale, cf. B.O.D.G.I. 4 A-8-83 et B.O.D.GJ. 4 C-7-84 en ce qui concerne la recherche appliquée et le développement expérimental et n° 28.
7 Cf. notamment Paris 1er février 1978, G.P. T.T. 1977-1979, voir Brevets n° 19