SECTION 2 ORGANISATION DU REFUS COLLECTIF DE L'IMPÔT INCITATION DU PUBLIC À REFUSER OU À RETARDER LE PAIEMENT DE L'IMPÔT
SECTION 2
Organisation du refus collectif de l'impôt
Incitation du public à refuser ou à retarder le paiement de l'impôt
1L'article 1741 du Code général des Impôts, qui réprime le délit général de fraude fiscale, atteint notamment ceux qui se soustraient frauduleusement au paiement total ou partiel de l'impôt ou tentent de s'y soustraire frauduleusement en organisant leur insolvabilité ou en mettant obstacle, par d'autres manoeuvres, à son recouvrement.
Mais, ce délit ne peut être imputé à charge qu'au contribuable lui-même, personnellement ou ès-qualité, et à ses complices au sens de l'article 60 du Code pénal. Pas plus que les articles 1737 et 1746 du Code général des Impôts, qui visent plus spécialement les oppositions à l'exercice du contrôle fiscal et à l'établissement de l'assiette de l'impôt, l'article 1741 ne concerne les personnes qui organisent ou prônent la grève de l'impôt.
2Aussi, l'article 1747 du Code général des Impôts, reprenant les dispositions de l'ancien article 1839, lesquelles tirent leur origine de l'article 65 de la loi du 31 décembre 1936, prévoit-il des sanctions pénales à l'encontre des personnes organisant ou tentant d'organiser le refus collectif de l'impôt ou incitant le public à refuser ou à retarder le paiement de l'impôt.
SOUS-SECTION 1
Éléments constitutifs des délits
Les deux délits prévus par l'article 1747 du Code général des Impôts, distincts dans leurs éléments matériels et légaux, supposent tous deux l'existence de l'élément intentionnel caractéristique de tous les délits de droit commun.
A. ORGANISATION DU REFUS COLLECTIF DE L'IMPÔT
L'existence du délit est subordonnée :
1 a. À la mise en oeuvre de moyens limitativement énumérés par la loi et consistant soit en des voies de fait, soit en des menaces, soit en des manoeuvres concertées, les voies de fait et menaces pouvant atteindre aussi bien les agents chargés de l'assiette, du contrôle ou du recouvrement de l'impôt que les contribuables eux-mêmes ;
b. Au fait que la mise en oeuvre de ces moyens doit concourir au refus du paiement de l'impôt par un ensemble de personnes ou une catégorie entière de contribuables ;
c. À la circonstance que le tout doit constituer une véritable organisation antifiscale.
2La tentative du délit étant punissable au même titre que le délit lui-même, on se reportera pour la caractériser à ce qui est énoncé du sujet de la tentative d'escroquerie en matière de taxe sur la valeur ajoutée (cf. 13 N 44).
B. INCITATION DU PUBLIC À REFUSER OU À RETARDER LE PAIEMENT DE L'IMPÔT
3Contrairement au précédent ce délit, n'exige pas la manifestation d'une véritable organisation antifiscale.
Il peut être le fait d'un individu pris isolément qui sans être un meneur, enjoint ou conseille au public, c'est-à-dire aux contribuables, de ne pas payer l'impôt ou tout au moins d'en différer le paiement, que ce soit verbalement ou par écrit notamment par la voie de la presse, ou au moyen de tracts.
C. JURISPRUDENCE
4La nature même des délits évoqués ci-dessus fait que la jurisprudence est encore rare en la matière. On citera toutefois trois arrêts de la Cour de Cassation.
1° Le fait individuel et non concerté d'un commerçant qui, pour empêcher les agents de l'Administration de procéder à des vérifications comptables dans son établissement, réunit dans son magasin un certain nombre de personnes se présentant comme des clients et prend prétexte de cet afflux d'acheteurs éventuels pour différer la communication de ses livres, ne saurait constituer l'infraction prévue par l'article 65 de la loi du 31 décembre 1936 (art. 1747) qui punit quiconque, par voies de fait, menaces ou manoeuvres concertées, aura organisé ou tenté d'organiser le refus collectif de l'impôt. (Cass. crim., arrêt du 22 novembre 1955 ; Bull. crim. 1955, n° 507, p. 888).
2° L'article 65 de la loi du 31 décembre 1936 (CGI, art. 1747 ) punit quiconque aura incité le public à refuser ou à retarder le paiement de l'impôt.
Justifie dès lors légalement sa décision de condamnation la Cour d'appel qui, par adoption des motifs du jugement entrepris, constate qu'après le passage des gendarmes sur un marché de l'ancienne A.O.F. où ils réclamaient le paiement de la patente aux tailleurs fabriquant et vendant des vêtements, le prévenu s'adressa à ces artisans et leur enjoignit de ne pas payer les patentes et d'attendre les ordres d'une tierce personne. (Cass crim., arrêt du 5 février 1958 ; Bull. crim. 1958 n° 124 p. 212).
53° Caractérisent les délits d'organisation du refus collectif de l'impôt et d'incitation du public à refuser ou à retarder le paiement de l'impôt, prévus et punis par l'article 1839 1 , § 1 et 2, du Code général des Impôts le jugement et l'arrêt qui, par adoption des motifs non contraires, relèvent :
« Qu'une motion invitant à la grève totale des impôts a été lue le 24 janvier 1955 par Pierre Poujade, fondateur de l'Union de défense des commerçants et artisans (U.D.C.A.), aux membres de cette association réunis en un meeting géant au parc des expositions à Paris, que Rozieres, vice-président de cette Union, a déclaré, dans le journal du groupement L'UNION de février 1955, que cette motion a été adoptée dans l'enthousiasme par les 200 000 commerçants et artisans qui ont juré leur indéfectible volonté de poursuivre jusqu'au bout la lutte entreprise le 24 janvier, que Poujade rendant compte de ce meeting dans ce même journal écrivait : « confiance dans la valeur des mots d'ordre lancés qui devront être scrupuleusement suivis par tous », que le bureau national de l'U.D.C.A. a ordonné le 3 avril 1955 la continuation de la grève de l'impôt décidée le 24 janvier précédent et qu'au cours du congrès extraordinaire des 4, 5 et 6 juillet suivant la commission de la fiscalité a envisagé le non-paiement de la patente 1955 dans sa totalité, qui a été d'abord appliqué sur ses consignes dans certains départements puis étendu à tous les adhérents, et a décidé que le paiement de la taxe mobilière devait être refusé à partir du 16 août 1955 ; que Pierre Poujade a pris ses responsabilités aussi bien à l'instruction qu'à l'audience et que son exemple a été suivi à l'instruction par plusieurs membres du bureau national et à l'audience par tous ».
6Constitue, en effet des manoeuvres concertées, le fait de réunir des commerçants et des artisans dans un vaste meeting pour les inviter à jurer leur indéfectible volonté de refuser le paiement de l'impôt et de les inciter, par des mots d'ordre lancés à la suite de ce meeting et diffusés par la voie de la presse, à continuer la grève de l'impôt (Cass. crim., arrêt du 6 mars 1958, R.J.C.I. 1958, n° 25, p. 65) ;
1 L'article 1839, § 1 et 2, ancien du Code général des impôts a été repris sous l'article 1747 du même code.