SOUS-SECTION 1 EXPERTISE
B. PROCÉDURE PRÉLIMINAIRE AUX OPÉRATIONS DE L'EXPERTISE
I. Droit des parties à l'exécution de l'expertise ordonnée
35Lorsque le jugement ordonnant l'expertise est intervenu, les parties en présence (contribuable et Administration) ont droit à l'exécution de cette mesure d'instruction.
Par suite, en cas de renonciation par le requérant à l'expertise, après qu'elle a été ordonnée, ce désistement doit, pour être valable, être accepté par l'Administration (CE, arrêts des 4 août 1899, n° 84703, Blanchon, RO, 4586, Leb. chron., p. 571, 2e esp. et 25 mai 1936, n° 52209, RO, 6466 ; cf. ci-après n° 58 ).
De son côté, le tribunal qui a ordonné l'expertise ne peut statuer au fond avant qu'elle ait été exécutée, sauf si des faits nouveaux rendent la mesure manifestement inutile et à condition d'en aviser les parties (CE, arrêts des 15 novembre 1957, n° 34672, RO, p. 438, 11 mai 1962, n° 53960, RO, p. 81, 3 mai 1968, n° 46296, Ste Affinerie havraise, SARL, RJ, 2e partie, p. 113 et 25 octobre 1968, n° 73905 et 74657, RJ, 2e partie, p. 215).
Cependant, lorsque les agissements d'un contribuable tendent à retarder indéfiniment les opérations de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif, celui-ci peut légalement statuer sur le fond du litige sans qu'ait lieu cette mesure d'instruction dont il ne tenait qu'à l'interessé qu'il y fût procédé en temps utile (CE, arrêt du 23 octobre 1961, n° 50022, RO, p. 430 ; CE, arrêt du 20 octobre 1976, req. n° 91672) à condition toutefois que l'expertise ait donné lieu à un procès-verbal de clôture 1 constatant notamment la carence de l'expert du requérant et que ce dernier ait été averti de cette formalité (CE, arrêt du 9 juillet 1969, n° 70852 et 73690, RJ, 2e partie, p. 98).
Enfin, les recours devant la cour administrative d'appel n'ayant pas d'effet suspensif, le jugement ordonnant l'expertise est exécutoire, bien qu'il ait été frappé d'appel.
II. Récusation d'experts
36Conformément aux dispositions de l'article R 163 du C. TA-CAA, tous les experts peuvent être récusés. Ainsi, le contribuable a le droit de demander la récusation de l'expert de l'Administration et de celui du tribunal administratif, l'Administration pouvant de son côté exercer le même droit à l'égard de ce dernier expert et de celui du contribuable.
Quant à celui ou ceux des experts qui s'estimeraient récusables, ils doivent immediatement le déclarer au juge qui les a commis.
37Lorsque l'Administration entend faire récuser l'expert du requérant ou celui du tribunal administratif, la demande est présentée par le directeur compétent pour suivre l'instance.
38La demande de récusation doit être motivée. Elle peut invoquer soit l'un des motifs énumérés à l'article R* 200-10 du LPF, qui interdit la désignation de certaines personnes comme expert (cf. ci-dessus, n°s 22 et suiv. ), soit tout autre motif que le tribunal administratif apprécie. Peuvent notamment être invoquées les causes de récusation des juges (C. TA-CAA, art. R 163). L'article R 194 du C. TA-CAA, relatif à la récusation des juges, renvoie explicitement sur les articles 339, 341 2 à 347 et 354 du nouveau code de procédure civile.
S'il s'agit d'une personne morale, la récusation peut viser tant la personne morale elle-même que la ou les personnes physiques qui assurent en son nom l'exécution de la mesure.
39Peut être utilement récusé :
- l'expert de l'Administration au motif qu'il s'agit d'un répartiteur qui a concouru à l'établissement de l'imposition litigieuse et qui a, depuis, en la même qualité, exprimé son avis sur la réclamation (CE, arrêt du 30 janvier1892, n° 74392, X... , RO, 3614, Leb. chron., p. 94, 2e esp.) ;
- l'expert désigné par un contribuable dans un litige concernant l'impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux et l'impôt sur le revenu dès lors que l'intéressé tient la comptabilité du requérant (CE, arrêt du 18 mai 1936, n° 48870, RO, 6457, Leb. chron., p. 556, 2e esp.).
40Par contre, ne saurait valablement être récusé :
- l'expert de l'Administration dès lors qu'il n'est allégué aucun fait qui soit de nature à porter atteinte à l'honorabilité de cet expert (CE, arrêt du 20 mars 1931, n° 14649, X... , RO, 5582, Leb. chron., p. 321, 2e esp.) ;
- l'expert désigné par un contribuable au motif que ce dernier l'aurait chargé de suivre sa réclamation alors qu'en réalité le contribuable a présenté lui-même sa demande et que l'expert choisi n'a pas été constitué mandataire au cours de l'instruction (CE, arrêt du 12 février 1932, X... , RO, 5736) ;
- l'expert qui selon le contribuable ne présenterait pas de garanties suffisantes de compétence (CE, arrêt des 11 mars 1932, X... , RO, 5787, 5 novembre 1934, X... , RO, 6304, 20 mars 1961, n° 51129) ou serait un ancien fonctionnaire (CE, arrêt du 5 novembre 1934, X... , RO, 6304).
41La demande de récusation est adressée au greffe du tribunal administratif, où elle doit parvenir avant le début des opérations ou dès la révélation de la cause de la récusation (C. TA-CAA, art. R 163).
Ainsi un contribuable n'est pas recevable à pretendre pour la première fois devant le Conseil d'État que la participation d'un expert aux opérations de l'expertise entacherait de nullité cette mesure d'instruction (CE, arrêt du 1er décembre 1941, X... , RO, p. 328), ou que la composition du collège des experts serait irrégulière, dès lors que ce moyen, ne pouvant s'analyser que comme une demande de récusation, n'a pas été invoqué devant le tribunal administratif dans le délai prévu par les textes (CE, arrêt du 22 mai 1974, X... Gaston, n° 88668, RJ, n° IV, p. 62).
42En tout état de cause, si la partie assiste à ces opérations sans formuler ni protestation, ni réserve, elle est définitivement déchue du droit de récusation.
C'est pourquoi :
- un contribuable avisé des noms de l'expert de l'Administration et de celui du tribunal administratif, avant l'ouverture des opérations d'expertise, opérations auxquelles son mandataire a d'ailleurs assisté, n'est pas recevable à demander postérieurement à l'expertise, la récusation desdits experts (CE, arrêt du 22 décembre 1911, dame X... , RO, 4594) ;
- le défaut de notification au requérant de la nomination de l'expert de l'Administration n'est pas un cas de nullité lorsque le contribuable, au cours de l'expertise à laquelle il a assisté, n'a pas protesté contre cette nomination (CE, arrêt du 18 juillet 1873, X... , RO, 2490) ;
- une lettre adressée par un requérant au directeur pour le prévenir qu'il entend récuser un expert, ne constitue pas une demande de récusation valable, alors que l'intéressé n'a soumis au tribunal aucune demande à cet effet et qu'il a d'ailleurs pris part aux opérations de l'expertise sans formuler aucune observation (CE, arrêt du 23 juin 1911, n° 43022, X... , RO, 4429, Leb. chron., p. 718).
43Saisi d'une demande en récusation d'expert, le tribunal administratif doit statuer sur cette demande avant jugement sur le fond du litige.
44Si la récusation est admise, il est pourvu au remplacement de l'expert.
45En cas de rejet de la demande en récusation d'expert, la partie qui a présenté cette demande peut être condamnée à des dommages et interêts, même envers l'expert, s'il le requiert ; mais, dans ce dernier cas, l'expert ne peut exécuter sa mission et il doit être pourvu à son remplacement.
L'expert récusé, même indûment, n'a pas qualité pour prendre part à l'expertise alors même qu'il aurait fait appel du jugement prononçant sa récusation tant que la décision qui le récuse n'a pas été réformée (CE, arrêt du 1.2 juin 1874, req. n° 47041, X... , RO, 2493, Leb. chron., p. 547).
46Mais, si la demande de récusation a été rejetée par le tribunal administratif, l'expertise peut être effectuée, même si le jugement a été attaqué devant la juridiction d'appel.
III. Démission ou empêchement d'un expert et remplacement
47Lorsqu'un expert n'accepte pas la mission qui lui a été confiée ou donne sa démission, il doit être pourvu à son remplacement. Il en est de même lorsque, par suite d'un empêchement sérieux tel qu'une maladie dûment constatée, il ne peut accomplir sa mission, comme aussi dans le cas ou il ne remplit pas celle-ci bien que, l'ayant acceptée, il n'en soit pas empêché (C. TA-CAA, art. R 161). Il est alors procédé à la nomination du nouvel expert dans les conditions indiquées ci-dessus, n° 21 . En effet, l'expertise effectuée en l'absence de l'expert du requérant n'aurait pas le caractère contradictoire et serait, par suite, irrégulière.
Il en est ainsi par exemple :
- lorsque l'expert du contribuable a prévenu en temps utile et justifié par un certificat du médecin qu'il ne pourrait assister aux opérations au jour primitivement fixé (CE, arrêt du 23 novembre 1908, n° 27838, dame X... , RO, 4155, Leb. chron., p. 950, 1re esp.) ;
- lorsque cet expert a fait connaître, en temps utile, qu'il donnerait sa démission (CE, arrêt du 22 juillet 1910, n° 31707, dame X... , RO, 4335, Leb. chron., p. 612, 1re esp.).
C. OPÉRATIONS DE L'EXPERTISE
I. Fixation de la date de l'expertise. Convocations
48Les parties (ou leur mandataire) doivent être averties par le ou les experts des jours et heures auxquels il sera procédé à l'expertise ; cet avis leur est envoyé au moins quatre jours à l'avance, par lettre recommandée (C. TA-CAA, art. R 164, 1er al.).
Le délai fixé pour la convocation aux opérations de l'expertise est un délai franc, c'est-à-dire qu'il n'y a lieu de comprendre, dans la computation de ce délai, ni le jour qui sert de point de départ, ni celui de l'écheance [CE, arrêt du 22 décembre 1909, n° 31510, ville de Marchiennes, RO, 4242, Leb. chron., p. 1013, 2e esp.] 3 .
Devant les tribunaux administratifs de Mamoudzou, de Papeete et de Nouméa, le président du tribunal fixe, par ordonnance, les délais dans lesquels les parties doivent être averties ainsi que les moyens par lesquels cet avis est porté à leur connaissance (C. TA-CAA, art. R 164, 2e al.)
49En principe, les irrégularités constatées sur ce point ont pour effet de vicier les opérations d'expertise. Ainsi, est entachée de nullité l'expertise opérée sans la participation du requérant et de son expert, lorsque ceux-ci n'ont pas été convoqués au moins dix jours à l'avance (ancien délai) [CE, arrêt du 9 janvier 1874, n° 46614, X... , RO, 2445, Leb. chron., p. 6] 4 .
50Par contre, ne constituent pas des irrégularités de nature à entraîner la nullité de l'expertise :
- la circonstance que la lettre de convocation adressée au requérant comporterait une erreur matérielle touchant l'année d'établissement de l'imposition contestée, une telle erreur n'ayant pu conduire l'intéressé à se méprendre sur l'objet de la mesure d'instruction ordonnée sur sa demande (CE, arrêt du 15 novembre 1955, X... , RO, p. 432) ;
- la circonstance que la même lettre ne mentionnerait pas le lieu de l'expertise, cette mention n'étant imposée par aucun texte et son absence n'ayant pu avoir pour effet, au cas particulier, d'empêcher le requérant d'assister ou de se faire représenter à l'opération (ibid.) ;
- l'absence du représentant de l'Administration régulièrement convoqué aux opérations de l'expertise (CE, arrêt du 10 janvier 1968, n° 69050, RJ, 2e partie, p. 12) ;
- la circonstance que le représentant de l'Administration n'a pas été convoqué à deux réunions tenues par les experts à leur bureau après le début de leurs opérations, dès lors que l'Administration n'a pas protesté contre cette omission lors des réunions postérieures auxquelles elle a participé (CE, arrêt du 26 juin 1968, Sté Armengaud Frères, SARL, req. n° 66196, RJ, 2e partie, p. 166) ;
- la circonstance que, lors d'un complément d'expertise, ni le contribuable, ni son expert n'ont été convoqués à une opération de vérification, dès l'instant que, faute de documents, il n'a pu être utilement procédé à cette opération et qu'ainsi l'irrégularité invoquée n'a pu exercer aucune influence sur le jugement rendu (CE, arrêt du 6 mars 1940, req. n° 36528, X... , Bull., n° 8, 1940, p. 135, TJCA, n° 119030).
D'autre part, le requérant qui a été régulièrement convoqué à la première réunion des experts et qui n'a pas répondu à cette première convocation n'est pas fondé à se plaindre de n'avoir pas été avisé des réunions ultérieures (CE, arrêt du 4 novembre 1898, req. n° 85403, dame X... , RO, 3792, Leb. chron., p. 673, 2e esp.).
En outre, l'irrégularité résultant de l'envoi tardif des convocations est couverte lorsque la partie convoquée tardivement et son expert assistent, sans protestations ni réserves, aux opérations de l'expertise (CE, arrêt du 23 juin 1911, req. n° 43022, X... , RO, 4428, Leb. chron., p. 718 et 15 mai 1968, req. n° 72755, RJ, 2e partie, p. 146).
51Si la réclamation a été soumise à la commission communale des impôts directs, le président de la juridiction peut prescrire à l'expert d'informer le maire du jour et de l'heure de l'expertise et d'inviter celui-ci à faire désigner par cette commission deux de ses membres pour y assister (LPF, art. R* 200-11 ).
1 Antérieurement à l'entrée en vigueur des dispositions du C. TA-CAA, les opérations d'expertise étaient closes par l'établissement d'un procès-verbal.
2 L'article 341 du nouveau code de procédure civile prévoit que la récusation d'un juge peut être demandée :
1° Si lui-même ou son conjoint a un intérêt personnel à la contestation ;
2° Si lui-même ou son conjoint est créancier, débiteur, héritier présomptif ou donataire de l'une des parties ;
3° Si lui-même ou son conjoint est parent ou allié de l'une des parties ou de son conjoint jusqu'au quatrième degré inclusivement ;
4° S'il y a eu ou s'il y a procès entre lui ou son conjoint et l'une des parties ou son conjoint ;
5° S'il a précédemment connu de l'affaire comme juge ou comme arbitre ou s'il a conseillé l'une des parties ;
6° Si le juge ou son conjoint est chargé d'administrer les biens de l'une des parties ;
7° S'il existe un lien de subordination entre le juge ou son conjoint et l'une des parties ou son conjoint ;
8° S'il y a amitié ou inimitié notoire entre le juge et l'une des parties.
3 Arrêt rendu lorsque le délai était fixé à dix jours par l'article 1943-5 du CGI (transféré sous l'ancien article R* 200-11 du LPF), mais jurisprudence toujours valable pour le nouveau délai de quatre jours.
4 Arrêt rendu sous le régime de l'ancienne procédure devant les tribunaux administratifs (avant 1960) lorsque la direction de l'expertise était confiée à l'agent de l'Administration, à qui incombait l'envoi des convocations ; mais jurisprudence toujours valable sous le régime de la procédure actuelle.