Date de début de publication du BOI : 14/06/1996
Identifiant juridique : 13N4212
Références du document :  13N4212

SOUS-SECTION 2 FORMES DU DÉLIT

SOUS-SECTION 2

Formes du délit

Le délit général de fraude fiscale est une infraction unique qui peut revêtir de nombreuses formes. L'article 1741 du CGI en énumère une liste d'ailleurs non limitative :

- l'omission volontaire de déclaration dans les délais prescrits ;

- la dissimulation volontaire de sommes sujettes à l'impôt ;

- l'organisation d'insolvabilité ;

- soit enfin tout autre moyen frauduleux.

  A. OMISSION DE DÉCLARATION DANS LES DÉLAIS PRESCRITS

1C'est le moyen le plus simple pour la poursuite duquel il faut cependant faire la preuve que l'omission constatée a été volontaire.

Aussi, bien que l'article L. 229 du LPF précise que les poursuites sont engagées sans qu'il soit nécessaire de mettre au préalable le contribuable en demeure de régulariser sa situation, il va de soi que la preuve du caractère volontaire de l'omission sera facilitée s'il est établi que l'intéressé connaissait l'étendue de ses obligations fiscales et, en particulier, si après avoir été mis en demeure d'y satisfaire, il a persisté dans son abstention. Tel sera le plus souvent le cas en matière d'impôt sur le revenu, d'impôt sur les sociétés et de droits d'enregistrement où l'envoi d'une mise en demeure est le préalable obligatoire à la taxation d'office. Il en va de même pour certains revenus catégoriels (BIC, BNC, BA) avant évaluation d'office du bénéfice imposable.

Ainsi une Cour d'appel a pu valablement déclarer coupable de fraude fiscale le contribuable qui s'était systématiquement abstenu de souscrire ses déclarations en dépit des multiples mises en demeure qui lui avaient été adressées par le service (Cass. crim., 11 juillet 1988, X... Roger et Cass. crim., 11 décembre 1989, X... Georges et Y... Nicole).

De même, il a été jugé que la persistance des carences déclaratives du contribuable en dépit des interventions multiples des services fiscaux (envoi de mises en demeure et de demandes d'éclaircissements successives) impliquait la volonté délibérée du prévenu de se soustraire à tout établissement et à tout paiement des impôts qu'il devait (Cass. crim., 25 mai 1987, X... Albert).

Cela étant, la preuve du caractère volontaire de l'omission peut également résulter de l'ensemble des circonstances propres à chaque affaire.

2Ainsi, la Cour de cassation a reconnu coupable de fraude fiscale un médecin qui n'avait pas souscrit volqntairement ses déclarations de revenus au motif qu'il pensait que cette obligation avait été effectuée par la société de moyens à laquelle il participait, alors même qu'il s'était abstenu de répondre aux convocations et demandes de production de pièces qui lui avaient été adressées par l'administration (Cass. crim., 23 avril 1990, X... Patrick).

De même, les tribunaux ont considéré qu'un contribuable qui, dans le passé, s'était normalement conformé à ses obligations fiscales, ne pouvait ignorer qu'il était tenu à des déclarations régulières et qu'en l'absence de déclaration, la prévention était établie.

Ainsi, les résultats d'une précédente vérification ont-ils notamment été retenus par le juge pour qualifier l'intention délictuelle du prévenu qui persistait à adresser ses déclarations fiscales en dehors des délais prescrits, malgré les mises en demeure, et à minorer ses recettes et ses résultats (Cass. crim., 5 septembre 1988, X... Bernard).

La Cour de cassation a également estimé que s'était volontairement soustrait à toutes ses obligations le contribuable, expert fiscal et financier, qui non seulement n'a tenu aucune comptabilité et n'a fait aucune déclaration de revenus pour l'ensemble de la période litigieuse, mais encore a mis le vérificateur dans l'impossibilité de procéder aux opérations de contrôle auxquelles il entendait se livrer (Cass. crim., 7 mars 1988, X... Georges).

3 A fortiori le délit est établi lorsque, en vue d'échapper aux recherches de l'administration, un contribuable qui exerce clandestinement une activité imposable omet volontairement de se faire inscrire au registre du commerce (TGI Seine, 16 février 1954) ou a souscrit abusivement une déclaration de cessation destinée à égarer la vigilance du service (TGI Seine, 23 novembre 1953).

Par ailleurs, il a également été jugé qu'un contribuable ne peut se croire dispensé de souscrire ses déclarations de bénéfice parce qu'il était en déficit, de telles déclarations étant dans tous les cas prescrites par la loi pour permettre à l'administration d'exercer son contrôle et d'établir l'impôt (Cass. crim., 10 octobre 1983, X... Jean).

4Le délit est également établi lorsque, sous couvert d'une association à but non lucratif régie par la loi du 1er juillet 1901, le contribuable exerce une activité de nature commerciale au titre de laquelle il ne souscrit aucune déclaration de résultats ou de chiffre d'affaires ; ainsi en est-il par exemple de l'exploitation d'un terrain de camping (Cass. crim., 3 janvier 1983, X... Georges) ou de l'exercice, par la mise en vente d'un journal, d'une activité commerciale procurant des bénéfices dont une partie importante a servi, par l'intermédiaire de prête-noms, à des acquisitions mobilières ou immobilières occultes (Cass. crim., 25 juin 1990, X... Henri et Rémy et L'Association pour l'unification du christianisme mondial).

Il en est de même, s'agissant d'une société qui tirait l'essentiel de ses profits de son activité de fournisseur de fausses factures et qui ne déclarait pas ses recettes, constituées par les commissions reçues à cette occasion (Cass. crim., 29 février 1988, X... Frédéric, Y... Jean-Pierre et Z... Nadia épouse A... ).

Enfin, il convient de souligner que la fraude par défaut de déclaration est théoriquement indépendante de la notion de droits éludés. À cet égard, il est rappelé que la tolérance légale de 1 000 F définie à l'article 1741 du CGI concerne les seuls cas de fraude par dissimulation de somme imposable et n'est pas applicable aux infractions réalisées par omission de déclaration (Cass, crim., 3 mars 1980, DUPIRE Marcel et Cass. crim., 8 décembre 1980, X... Daniel).

  B. DISSIMULATION DE SOMMES SUJETTES À L'IMPÔT

5Comme l'omission de déclaration, la dissimulation des sommes sujettes à l'impôt doit être volontaire. Mais en outre, elle doit excéder le seuil de la tolérance légale, soit le dixième de la somme imposable ou 1 000 F.

La jurisprudence a précisé que les « sommes sujettes à l'impôt » ne devaient pas être confondues avec les sommes constituant l'assiette de l'impôt et que dès lors, l'article 1741 du CGI était applicable au cas de dissimulation volontaire des éléments à partir desquels la base d'imposition est calculée, ce qui est le cas, notamment, en matière de forfaits BIC et TVA ou d'évaluation administrative des BNC (Cass. crim., 27 novembre 1963, Bull. crim. n° 334, p. 705 et Cass. crim., 12 janvier 1981, X... Michel ; Bull. crim. n° 14, p. 54).

6La dissimulation peut porter notamment :

- sur les bénéfices, soit que le chiffre d'affaires ou les recettes professionnelles aient été minorés, soit que les charges ou les dépenses aient été abusivement augmentées ;

- sur le revenu net global, soit que le revenu brut ait été atténué, soit que les charges déductibles aient été majorées ;

- sur les recettes passibles des taxes sur le chiffre d'affaires ;

- sur certains éléments de nature à être indirectement pris en compte pour l'octroi de régimes fiscaux particuliers (cas d'un agriculteur qui minorerait ses demandes de remboursement forfaitaire en dissimulant des recettes qui le rendent passible du régime réel auquel il entend se soustraire).

Elle résulte le plus souvent de la mise en oeuvre de divers procédés frauduleux qui peuvent être, selon l'ingéniosité des fraudeurs, soit simples, soit complexes, et qui sont souvent destinés à masquer la situation véritable et à faire échec, par avance, aux contrôles et aux vérifications du service.

7Mais elle peut aussi résulter de la simple souscription de déclarations mensongères, sans qu'aucun procédé particulier de fraude ne soit mis en oeuvre ; tel serait notamment le cas d'un contribuable qui ferait apparaître des déficits fictifs (en totalité ou en partie) ou qui, comptabilisant régulièrement toutes ses opérations, n'en reporterait qu'une partie sur ses déclarations fiscales. La Cour de cassation a également jugé que le seul fait de se placer sous un régime fiscal indû, dans l'intention de se soustraire, au moins partiellement, à l'impôt, constitue le délit prévu par l'article 1741 du CGI.

Ainsi en va-t-il du contribuable qui crée une société sous le régime fiscal de l'article 44 bis du CGI. réservé aux entreprises nouvelles, alors que cette dernière n'a fait que reprendre l'activité d'une société précédemment créée par le même contribuable et mise en sommeil par la suite (Cass. crim., 28 octobre 1991, X... Jean-Claude ; Bull. Crim. n°382, p. 957) et de l'entreprise qui comptabilise ses créances selon le régime des débits sans option expresse alors qu'elle relève de celui des encaissements (Cass. Crim. 3 mai 1993, X... Claude).

8En cette matière, la personnalité du contribuable peut constituer un élément de nature à conforter la démonstration du caractère intentionnel de la fraude ; c'est ainsi qu'il a été jugé que le prévenu ne pouvait, du fait de sa profession, de la notoriété de son cabinet d'avocat et de sa formation juridique, ignorer les profits qu'il avait réalisés en dissimulant le montant exact de ses recettes et le caractère illicite de ses minorations de déclarations (Cass. crim., 9 février 1987, X... Raymond).

De même, les juges ont estimé que les anomalies enregistrées étaient d'autant moins admissibles qu'elles affectaient la comptabilité commerciale sur plusieurs exercices comptables et qu'elles n'auraient pas dû échapper au contribuable, qui était assisté de surcroît d'un expert-comptable (Cass. crim., 8 février 1988, X... Dominique).

Il a été également jugé que le prévenu connaissait l'existence de la fraude dont il était, comme actionnaire majoritaire, le principal bénéficiaire dès lors qu'il était établi que l'inexactitude des déclarations de chiffre d'affaires avait été signalée au contribuable par un comptable, qu'ayant signé et présenté aux assemblées générales les bilans et les comptes de résultats de la société, il ne pouvait pas ne pas avoir remarqué que le montant de la TVA payée ne correspondait pas à celui du chiffre d'affaires réalisé et que le commissaire aux comptes avait refusé de certifier le bilan d'un des exercices et demandé la rectification du poste « Impôts et taxes » (Cass. Crim., 24 août 1981, X... Robert).

9La dissimulation de sommes sujettes à l'impôt étant le moyen de fraude le plus courant, de très nombreux jugements et arrêts ont été rendus en cette matière.

À titre d'exemples, les juridictions ont constaté que le caractère délictueux des dissimulations était établi dans les cas suivants :

- souscription par un contribuable de déclarations inexactes de ses achats et de ses recettes en vue d'obtenir une imposition forfaitaire de son chiffre d'affaires ou de son bénéfice sur des bases atténuées ou alors que l'intéressé n'était pas en droit de bénéficier de ce régime (TGI Castres, 25 octobre et 8 novembre 1972) ;

- comptabilisation de salaires fictifs et versement de redevances à une société étrangère pour utilisation d'une marque commerciale sans utilité et de valeur contestable (TGI Seine, 10 mars 1961) ;

- minoration des déclarations préparées par le comptable en déplaçant la virgule d'un rang vers la gauche (TGI Saintes, 28 juin 1972) ;

- minoration, à la demande de l'expert-comptable et sur ses instructions, de la déclaration des honoraires versés aux tiers, privant ainsi l'Administration de toute possibilité de vérification par recoupements (TGI Paris, 12 juillet 1971) ;

- minoration des relevés de chiffres d'affaires dans le but de différer le paiement de la TVA alors même que la dette réelle envers le Trésor est correctement enregistrée au bilan de l'entreprise (Cass. crim., 3 avril 1978, RJ n° IV, p. 207) ;

- ventes sans factures faites par un négociant en gros de fruits et légumes à des détaillants, alors que, dans le même temps, le contribuable, qui effectuait des achats sans factures, revendait aux collectivités les marchandises de qualité inférieure, à bas prix et avec factures, ce qui permettait une minoration du bénéfice brut (Cass. crim., 28 novembre 1988, X... Louis et Y... Jean-Louis) ;

- dissimulation des recettes de l'exploitation par encaissement des chèques remis par les clients sur les comptes bancaires de deux employées et par retrait d'espèces de la caisse avant comptabilisation (Cass. crim., 20 mars 1989, X... Annie épouse Y... ) ;

- dissimulation des recettes par un détective privé qui encaissait les chèques des clients sur les comptes bancaires de son père qui avait le même prénom que lui (Cass. crim., 17 octobre 1983, X... Emile) ;

- omission de comptabiliser une partie des ventes réalisées alors que les frais afférents à l'achat des marchandises correspondantes ont été déduits en charges dans les livres de la société (Cass. crim., 12 décembre 1983, X... Jean et Y... Emile) ;

- décalage d'un exercice sur l'autre de certaines des recettes réalisées par un exploitant agricole qui, pour rester au régime forfaitaire d'imposition, a souscrit une année sur deux des déclarations de recettes inférieures à 500 000 F (Cass. crim., 21 juin 1982, X... Bernard ; Bull. crim. n°164, page 459 et Cass. crim., 19 novembre 1984, X... André ; Bull. crim. n° 351, page 924) ;

- omission de comptabiliser des chèques sur des travaux en cours par un entrepreneur du bâtiment qui les a encaissés sur son compte personnel (Cass. crim., 22 décembre 1986, X... Laurent) ;

- dissimulation de recettes révélée par l'établissement d'une balance de trésorerie à partir des comptes bancaires de la gérante de la société et de son mari, dirigeant de fait, et corroborée par l'insuffisance de la comptabilité et un système de billetterie irrégulier utilisé à l'entrée de l'établissement (Cass. crim., 2 février 1987, X... Albert et Y... Danièle) ;

- non-déclaration des intérêts perçus par mandats ou en espèces à l'occasion de contrats de prêts non enregistrés consentis par un gérant de société à des artisans forains (Cass. crim., 8 février 1988, X... Jean) ;

- dissimulation du montant des prélèvements effectués à son profit par un contribuable dans la trésorerie des sociétés qu'il contrôlait (Cass. crim., 14 novembre 1988, X... Jean) ;

- dissimulation d'une partie des honoraires d'un médecin qui s'est borné à déclarer le chiffre communiqué par le « système national inter-régimes » (SNIR) de la Sécurité sociale alors que le total de ses recettes, résultant des relevés des centres de thalassothérapie où il exerce son art, était bien supérieur (Cass. crim., 3 juillet 1991, X... Alain ; Bull. Crim. n° 291, p. 741) ;

- dissimulation d'une partie des recettes d'un dancing grâce à une double billetterie, à des achats de boissons sans factures et à des prélèvements effectués en cours de soirée dans la caisse (Cass. crim., 10 juillet 1991, X... Oscar et Y... Béatrice) ;

- minoration de 5 000 F par mois du chiffre d'affaires d'une société par une personne considérée comme la gérante de fait dès lors qu'elle avait procuration sur le compte en banque de l'entreprise et exerçait les fonctions de direction (Cass. Crim., 21 avril 1993, X... Raymonde) ;

-dissimulation d'une partie des revenus imposables d'un contribuable qui faisait valoir qu'il résidait à Monaco alors qu'il avait en France le centre de ses intérêts économiques, qu'il réalisait sur le territoire national la plupart de ses investissements, au besoin avec des capitaux importés, qu'il était propriétaire de deux résidences en France et qu'il détenait des participations dans deux sociétés françaises dirigées par lui-même et son épouse (Cass. crim., 10 juin 1991, X... Giuseppe) ;

- dissimulation de revenus tirés de l'activité d'écrivain exercée aux Etats-Unis par un contribuable ressortissant américain mais reconnu comme résident français. Ces revenus devaient être déclarés alors même qu'ils seraient exonérés en vertu d'une convention fiscale tendant à éviter les doubles impositions (Cass. Crim. 10 juin 1992, X... Robert ; Bull. Crim n° 224, p. 622).