Date de début de publication du BOI : 14/06/1996
Identifiant juridique : 13N4217
Références du document :  13N4217

SOUS-SECTION 7 PERSONNES RESPONSABLES DU DÉLIT


SOUS-SECTION 7

Personnes responsables du délit


La généralité des termes employés par le législateur autorise les poursuites contre tous ceux qui de près ou de loin ont commis les faits incriminés par les textes, à savoir les auteurs principaux, les coauteurs et les complices.


  A. AUTEURS PRINCIPAUX


1Conformément aux dispositions de l'article 1741 du CGI, c'est, en principe, le contribuable lui-même -débiteur des impôts auxquels il s'est soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement- qui doit être considéré comme l'auteur principal du délit de fraude fiscale.

Si le contribuable est une personne physique, l'application de ce principe ne soulève pas de difficultés particulières.

Pour les impôts, droits ou taxes établis suivant le système déclaratif, le délit est en effet consommé par le défaut de déclaration ou lors du dépôt de la déclaration mensongère. L'auteur de ce délit est donc, normalement, le signataire de la déclaration entachée de fraude ou, en cas d'omission volontaire, la personne qui était légalement tenue de souscrire et de signer la déclaration manquante.

S'agissant des couples mariés, l'article 2-VIII-1 de la loi de finances pour 1983 (loi n° 82-1126 du 29 décembre 1982) a supprimé la notion de « chef de famille » à compter de l'imposition des revenus de l'année 1983.

Dès lors,. conformément aux dispositions l'article 2-VIII-2 de la loi précitée, les époux doivent conjointement signer la déclaration d'ensemble des revenus de leur foyer et chacun des époux a qualité pour suivre les procédures relatives à l'impôt dû à raison de l'ensemble des revenus du foyer. En revanche, les procédures relatives aux activités catégorielles (BIC, BNC et BA) sont suivies avec le titulaire des revenus.

Sur le plan pénal, il convient donc de distinguer :

- si la fraude affecte la déclaration d'ensemble des revenus, le mari et la femme peuvent conjointement être poursuivis, dans la mesure où le caractère intentionnel des agissements sera établi à leur encontre, conformément aux principes généraux du droit pénal tels que rappelés par l'article L. 227 du LPF ;

- si la fraude n'affecte que la déclaration catégorielle de l'un des conjoints, seul celui-ci sera poursuivi, sauf si l'autre peut être déclaré coauteur ou complice des agissements du premier.

2Par ailleurs, les juridictions ont estimé que, bien qu'il n'ait pas signé lui-même la déclaration frauduleuse, un contribuable était néanmoins pénalement responsable des dissimulations qu'elle comportait dès lors que le document avait été signé, non à son insu, mais avec son autorisation et son accord, et qu'il ne pouvait pas, en sa qualité de chef d'entreprise, ignorer la fraude (Cass. crim., 22 mars 1977, RJ, IV, p. 175).

Dans le même sens, la Cour de cassation a estimé que les juges du fond avaient à bon droit écarté le moyen de défense invoqué par le contribuable, selon lequel les agissements frauduleux qui lui étaient reprochés auraient trouvé leur origine dans l'incompétence de son conseil ou de ses employés (Cass. crim., 2 décembre 1975, RJ, IV, p. 184 et Cass. crim., 24 février 1977, RJ, IV, p. 172).

3Si le débiteur de l'impôt est une personne morale, ce sont ses représentants légaux qui sont personnellement passibles des peines édictées par l'article 1741 du CGI dès lors que ce texte ne prévoit pas l'engagement de la responsabilité des personnes morales elles-mêmes.

En effet, dans ce cas, ainsi que l'a précisé le Tribunal de Paris, dans un jugement du 8 décembre 1952, les déclarations frauduleuses n'ont pas été faites abstraitement par la personne morale, mais bien très concrètement par la personne physique, par exemple le président-directeur général ou le gérant, qui les a signées.

À cet égard, il est précisé qu'un dirigeant social ne peut être déclaré coupable de fraude fiscale que pour les sommes à déclarer pendant la période de son mandat (Cass. crim., 2 mars 1987, X... Jean-Claude et Y... Jean ; Bull. crim. n°101, page 277).

4Cependant, le poste de mandataire social ne crée lui-même, aucune présomption de responsabilité pénale.

C'est ainsi qu'une prévenue ne peut être déclarée coupable de la fraude fiscale réalisée dans le cadre d'une personne morale, au seul motif qu'elle y assumait les fonctions de président-directeur général, alors qu'il était manifeste, qu'en réalité, la société était gérée et administrée par une autre personne. Ces énonciations ne relèvent, à l'encontre de l'intéressée, aucun fait de participation personnelle et intentionnelle, à titre de coauteur ou de complice, alors que les infractions visées aux articles 1741 et 1743 du CGI doivent avoir été commises volontairement ou sciemment (Cass. crim., 11 avril 1975, RJ, IV p. 157).

De même, la Cour de cassation a jugé que le caractère intentionnel du délit de soustraction à l'établissement de l'impôt imputé au gérant ne pouvait résulter de la simple constatation de sa qualité de responsable de droit, alors que la cour d'appel avait relevé qu'en raison de son grand âge et de son éloignement du siège et des activités sociales, l'intéressé n'était pas en état d'assumer effectivement les fonctions qui lui étaient dévolues et que sa signature ne correspondait pas à celle figurant sur certains actes qu'il reconnaissait avoir signés.

Dans la même affaire, un associé a été valablement tenu pour responsable en sa qualité de gérant de fait, aux motifs qu'il détenait la totalité du capital social par l'intermédiaire de son épouse et de ses enfants et qu'il n'avait cessé d'avoir l'entière maîtrise de la société, notamment aux plans technique et juridique (Cass. crim., 5 juin 1979 ; Bull. crim. n° 191).

5Aussi, il est possible que la personne physique pénalement responsable, s'abritant derrière une façade, dirige effectivement une société par personne interposée sans disposer, à cette fin, de titre juridique. Dans ce cas, la jurisprudence retient la responsabilité du gérant de fait -lorsqu'elle est établie- au même titre que celle du dirigeant apparent (Cass. crim., 4 septembre 1976, RJ, IV, p. 283 et 23 novembre 1976, RJ, IV, p. 318).

À l'inverse, la secrétaire d'un conseil juridique devenue gérante de deux SARL n'a pu se justifier en se prévalant du lien de subordination qui l'unissait audit conseil -fondateur, associé majoritaire, animateur des sociétés et coprévenu- dans la mesure où elle ne s'est pas bornée à un rôle d'exécution mais a pris une part active aux agissements délictueux (Cass. crim., 24 juillet 1974, RJ, IV, p. 226).


  B. COMPLICES


6En vertu de l'article 1742 du CGI et conformément aux dispositions des articles 121-6 et 121-7 du nouveau Code pénal auxquels il renvoie, les complices du délit prévu à l'article 1741 sont passibles des mêmes peines que l'auteur de l'infraction.

En se référant aux articles 121-6 et 121-7 du nouveau Code pénal, ce texte confirme qu'il s'agit de l'application pure et simple des principes généraux du droit pénal existant en la matière.

Celà étant, le nouveau Code pénal simplifie la définition de la complicité et distingue le complice qui par aide ou assistance a facilité l'infraction et le complice par instigation qui a provoqué l'infraction ou donné des ordres pour la commettre.

Par ailleurs, le NCP modifie la répression de la complicité : sans remettre en cause le principe de « l'emprunt de criminalité » selon lequel la complicité suppose l'existence d'une infraction principale, il abandonne le principe de « l'emprunt de pénalité » rappelé à l'article 59 de l'ancien Code pénal. Le complice encourt, désormais, les mêmes peines que s'il avait été lui-même l'auteur de l'infraction.

7La complicité suppose donc l'existence d'un fait principal punissable, d'un accord de volonté -preuve de l'intention délictuelle- entre le complice et l'auteur de l'infraction, enfin d'une action positive (provocation, instruction, fourniture de moyens, aide et assistance) qui doit être antérieure au délit ou concomitante de celui-ci.

Pour être punissable, la complicité nécessite en effet chez celui à qui elle est imputée une participation volontaire et consciente à l'infraction commise par l'auteur principal, cette connaissance devant avoir existé au moment où l'aide a été apportée ou les moyens fournis (Cass. crim., 1er octobre 1984, X... Laurent et autres).

Si le fait principal cesse d'être punissable, notamment s'il est prescrit, le complice, comme l'auteur principal, échappe à toute sanction. Par contre, le complice sera poursuivi même si, par suite d'une cause extérieure au dossier telle que par exemple son décès, l'auteur principal ne peut plus être atteint par la répression (Cass. crim., 13 mai 1975, RJ, IV, p. 162).

Peuvent de même être poursuivies et sanctionnées pour des faits de complicité, les personnes convaincues d'avoir apporté leur concours à la réalisation d'une fraude dont les auteurs ne sont pas identifiés (Cass. crim., 18 novembre 1976, RJ, IV, p. 307 et Bull. crim., n° 332, p. 846).

8Parmi les décisions de justice ayant illustré la notion de complicité telle qu'elle vient d'être définie, on peut citer les suivantes où il a été fait application des dispositions de l'article 1742 CGI à l'encontre :

- de l'épouse d'un chirurgien-dentiste qui établissait les déclarations fiscales de son mari, tenait elle-même les livres de trésorerie et l'aidait à dissimuler une partie de ses recettes (Cass. crim., 1er juin 1981, X... Jean-Louis et Y... Antoinette) ;

- de l'employé d'une entreprise de travail temporaire, principal collaborateur du dirigeant qui lui déléguait une grande partie de ses pouvoirs : en effet, loin de n'être que le chef d'une des agences de l'entreprise, cet employé se comportait en maître des chefs d'agence puisqu'il embauchait et licenciait le personnel, désignait les gérants de sociétés d'intérim, louait les locaux et traitait avec les clients (Cass. crim., 19 juillet 1983, X... Aaron) ;

- du contribuable qui a intentionnellement aidé un dirigeant et sa société commerciale à organiser leur insolvabilité afin de se soustraire au paiement de l'impôt sur le revenu, de l'impôt sur les sociétés ainsi que de la taxe sur la valeur ajoutée (Cass. crim., 23 janvier 1984, X... Gérard et Y... Marie-Claire) ;

- du prévenu qui, ne pouvant assurer la gérance d'une société en raison de l'incapacité qui le frappait, a donné à la gérante de droit qu'il tenait en sujétion par menaces et abus d'autorité, les instructions nécessaires pour éluder le paiement des impôts, se faire remettre toutes les disponibilités de l'entreprise et faire comptabiliser des factures fictives (Cass. crim., 27 février 1984, X... Marc) ;

- de la gérante de droit d'une société qui a utilisé son compte bancaire et celui de son mari, dirigeant de fait, sur lequel elle possédait une procuration, pour encaisser des sommes revenant à la société (Cass. crim., 21 avril 1986, X... Lucie épouse Y... ) ;

- du contribuable qui reçoit des sommes prélevées sur les recettes d'une autre société que la sienne dans la mesure où il a été l'instigateur de la fraude en abusant de l'autorité que lui conférait sa position de gérant de la société-mère pour imposer ses vues au gérant de la filiale agissant en tant qu'auteur principal (Cass. crim., 2 mars 1987, X... Jean-Claude et Y... Jean ; Bull. crim. n° 101, p. 277) ;

- du prévenu, véritable maître de l'affaire, qui assumait en fait la direction de l'établissement sur le plan du contrôle des recettes, de la comptabilité et de la rédaction des déclarations fiscales alors que le gérant de droit n'était en réalité que son exécutant docile (Cass. crim., 29 juin 1987, X... Roland) ;

- du prévenu, chargé par les dirigeants d'une entreprise du recouvrement de leurs créances sur les clients dont une partie a été encaissée de manière occulte, qui a accepté d'ouvrir et de gérer pour ses mandants des comptes bancaires et a conservé pour lui des fonds collectés en règlement d'une dette du dirigeant à son égard (Cass. Crim. 4 août 1992, X... Michel).

9L'article 1742 permet donc d'atteindre tous ceux qui ont aidé l'auteur principal dans la perpétration du délit. Parmi eux figurent les professionnels de la comptabilité et les différents conseils qui, salariés ou non, utilisent leurs connaissances techniques pour masquer les irrégularités comptables commises par les personnes utilisant leurs services 1 .

Ont ainsi été retenus dans les liens de la complicité :

- le comptable qui, par ses agissements et ses interventions, a participé en toute connaissance de cause, par aide et assistance, à la consommation des délits de fraude fiscale et d'omission de passation d'écritures comptables dans le cadre d'une société qui avait pour seule activité la délivrance de factures de complaisance (Cass. crim., 24 novembre 1980, X... Claude ; Bull. crim. n° 314, p. 804) ;

- le comptable agréé qui a établi des documents adressés à l'Administration fiscale sans procéder à aucune vérification, ni demander aucune justification comptable et qui a aidé intentionnellement à l'accomplissement de la fraude fiscale, alors même qu'en raison de la technicité de ses fonctions, il était capable de découvrir les irrégularités que son client voulait commettre et de refuser de lui fournir les moyens pour les réaliser (Cass. crim., 16 mars 1981, X... Roger) ;

- le conseil juridique et fiscal qui ne remplit pas la mission, qui lui avait été confiée par le dirigeant d'une société, de tenir et de représenter les documents comptables relatifs aux activités commerciales de l'entreprise de nature à justifier le chiffre d'affaires et les bénéfices déclarés (Cass. crim., 13 mai 1985, X... Guy et Y... Jean-Jacques) ;

- l'expert-comptable qui, non seulement a facilité les dissimulations comptables opérées par les cogérants d'une société en négligeant les contrôles élémentaires dont il avait la charge et concernant les déclarations de chiffre d'affaires, mais encore a sciemment apporté son concours actif à cette fraude et à cette tenue de comptabilité irrégulière, notamment en ayant délibérément fait disparaître du passif du bilan la dette envers le Trésor public (Cass. crim., 24 septembre 1987, X... Roger) ;

- le comptable qui a sciemment manqué à ses obligations de régularité et de sincérité en n'exigeant pas la production de documents permettant une vérification réelle des opérations enregistrées, alors que la comptabilité présentait des lacunes et des irrégularités (Cass. crim., 30 mai 1988, X... René) ;

- le spécialiste de la fiscalité et comptable professionnel, qui s'est contenté de recueillir les documents remis par son client sans.la moindre diligence complémentaire et l'a fait bénéficier indûment du régime du forfait, alors même qu'il savait que la comptabilité était pratiquement inexistante et peu crédible, puisque ne mentionnant pas les recettes correspondant à des travaux payés et non facturés (Cass. crim., 24 avril 1989, X... Francis).

10L'article 1742 du CGI permet également d'impliquer d'autres catégories de professionnels, parmi lesquels figurent notamment les officiers publics ou ministériels. Il en est ainsi :

- du notaire, familier de la pratique et de la réglementation fiscales, qui prête son concours à une organisation frauduleuse en omettant de faire figurer le prix d'achat du bien dans un acte de vente, permettant ainsi de dissimuler aux tiers, et en particulier aux Services fiscaux, une majoration de douze millions de francs (Cass. crim., 22 décembre 1986, X... Pierre et Y... Pierre ; Bull. crim. n° 382, p. 998) ;

- du notaire qui a aidé et assisté le contribuable dans son délit de fraude fiscale en établissant un contrat de vente ne correspondant pas à la réalité de la transaction, qui s'analysait en fait en une donation déguisée faite dans le dessein d'éluder les droits de mutation (Cass. crim., 23 mars 1987, X... François) ;

- du responsable d'une agence bancaire qui conseille à son client l'ouverture d'un « compte de passage » lui permettant de disposer d'une trésorerie occulte utilisée à des achats et ventes sans factures, dès lors que ce type de compte -dont aucun autre client de l'agence n'avait bénéficié- ne faisait l'objet d'aucun relevé et n'était pas assorti de la délivrance d'un chéquier (Cass. crim., 24 novembre 1986, X... Joseph ; Bull. Crim. p. 921).

 

1   Outre les peines prévues par l'article 1741 du CGI les agents d'affaires, experts-comptables, comptables agréés et teneurs de livres sont susceptibles de tomber également sous le coup des sanctions pénales édictées par l'article 1772-1-1° qui réprime l'établissement de faux bilans et autres documents produis pour la détermination des bases imposables (cf. 13 N 4231, n°s 3 et suiv. ).

De plus, lorsqu'ils sont condamnés comme complices du délit général de fraude fiscale visé à l'article 1741, les officiers publics ou ministériels, ainsi que les experts-comptables ou comptables agréés, encourent également les peines disciplinaires prévues par les textes particuliers qui réglementent leur profession.